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Thomas More : La face cachée des Tudors PDF

340 Pages·2012·3.63 MB·French
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BERNARD COTTRET THOMAS MORE La face cachée des Tudors TALLANDIER Éditions Tallandier – 2, rue Rotrou 75006 Paris www.tallandier.com © Éditions Tallandier, 2012 Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo EAN : 979-1-02100-009-4 Pour Anne-Laure, Introduction S , AINT LAÏC ET MARTYR Comment a-t-on pu se révéler persécuteur et persécuté, pour finir saint et martyr, victime d’une raison d’État à laquelle le nom d’Henri VIII demeure attaché ? Comment, en ces temps de sang, de boue, de larmes et d’immodeste splendeur, être humaniste et homme d’action, écrivain et mystique, diplomate et chancelier ? Saint Thomas More, l’émouvant auteur de la première Utopie, rédigée en 1515-1516, reste un personnage énigmatique, à la confluence de la religion et de la politique, de la raison et du sentiment, de la critique sociale et du conservatisme. D’où le caractère déconcertant de l’individu. Thomas More occupe une niche singulière dans l’histoire universelle : il a le premier donné corps à l’utopie. On ne sait plus très bien en notre âge postmoderne ce qu’est une « utopie ». La fiction totalitaire d’un monde géométrique gagné par l’ennui ? Le modèle rêvé d’une cité idéale et prétendument radieuse ? Ou encore une forme de christianisme social avant la lettre ? On connaît moins encore son inventeur, découvreur immortel d’un nouveau genre littéraire et philosophique, perpétuellement remis sur le métier ou réinterprété. « Les saints les plus austères savent sourire », observait finement l’un des meilleurs historiens du sentiment religieux1. En bon Anglais, More avait un sacré sens de l’humour. Du moins savait-il apprécier avec une ironie amusée les situations les plus cocasses ou les plus désespérées. La plaisanterie, le jeu d’esprit, l’espièglerie revêtent chez lui un caractère systématique, y compris aux heures les plus graves. Qu’il s’agisse de sujets épineux, et alors la dérision prend un caractère méthodique ou émancipateur. « More n’est que rire », écrivit l’un de ses contemporains, avant de se raviser devant la hardiesse de son propos2. Thomas More a mené en parallèle plusieurs carrières. Ce bourgeois de Londres, entré au service d’Henri VIII, a été un martyr catholique, décapité pour sa fidélité au Saint-Siège le 6 juillet 1535, et canonisé, longtemps après, au e XX siècle. Humaniste et homme de lettres, ami d’Érasme, il fut également un excellent représentant du droit anglais, poussant même les choses jusqu’à devenir lord chancelier, l’équivalent de nos gardes des Sceaux, ministres de la Justice. Homme d’État et homme d’étude, Thomas More fut un saint laïc. Parmi les ecclésiastiques qui ont le mieux défini son caractère, il convient de citer le théologien suisse Hans Küng. Ne saluait-il pas récemment, dans un émouvant portrait, ce saint qui vivait « dans le monde » et qui était même un « homme du monde » par son caractère accompli3 ? Le caractère exemplaire de sa mort permit au gentleman du temps des Tudors de figurer parmi les saints du calendrier sans accomplir ces miracles généralement requis des impétrants. L’on souhaite désormais la fête de Thomas More le 22 juin. Béatifié en 1886 par Léon XIII, canonisé par Pie XI en 1935, Thomas More est proclamé en 2000 patron des hommes d’État par Jean-Paul II en raison, entre autres, de sa « cohérence morale4 ». Rien d’étonnant dans ce propos au sujet de cette victime d’Henri VIII, l’ogre ou le Barbe-Bleue aux six épouses, tenu pour responsable du schisme anglican. Mais il y a plus inattendu. Thomas More a joui dans la tradition socialiste, voire dans le mouvement communiste international, d’une réputation révolutionnaire et progressiste qui lui vaudra d’occuper au moins un strapontin au nombre des précurseurs potentiels de l’analyse marxiste. Son nom est gravé pour l’éternité auprès de dix-huit autres parmi les annonciateurs de l’émancipation de la classe ouvrière sur l’obélisque du jardin Alexandrovsky de Moscou5. Son œuvre maîtresse, l’Utopie, figure à ce titre parmi les « classiques du peuple », édités naguère aux Éditions sociales à l’usage d’un lectorat populaire6. Tout se passe comme si More avait été doublement sacralisé par l’Église catholique et par le communisme athée7. On ajoutera que cet Anglais, qui rompit quelques lances avec la Réforme protestante, n’en est pas moins tenu en très haute estime par ses compatriotes, y compris au sein de la communion anglicane, toujours prête à accueillir les esprits originaux pourvu qu’ils fussent chrétiens – et anglais de préférence. Thomas More peut être commémoré dans l’Église d’Angleterre le 6 juillet, date anniversaire de sa mort. Il rejoint ainsi un certain nombre de bons esprits, de conviction opposée, voire contraire, également honorés par les anglicans, dont on ne soulignera jamais assez l’éclectisme et la largeur de vues8. Il y a bien dans cette réception contradictoire les éléments d’un mystère : comment un tel personnage a-t-il pu recueillir, de tous les bords, autant de témoignages d’estime contradictoires ? Dans le contexte troublé des années 1930, alors que l’on s’approchait inexorablement de l’anniversaire de son exécution, un chercheur américain posait les questions essentielles : More avait- il mis « ses paroles en conformité avec ses actes » ? Sa mort avait-elle été « l’aboutissement ou la négation de toute sa vie » ? L’auteur de l’Utopie qui prêchait la tolérance religieuse pouvait sembler tout à fait opposé au « controversiste exalté de la maturité ». On a du mal à croire, ajoutait-il, que « l’Anglais aimant intensément la vie ait pu être également cet homme qui s’enorgueillissait de son cilice et de la perspective du martyre ». Il demandait pareillement : « Comment réconcilier le philosophe humaniste et l’homme d’État mercantiliste de l’Angleterre des Tudors, l’“avocat parfait”, cher à Érasme, et ce personnage qui avait encore une âme de moine médiéval9 ? » Ajoutons que la sainteté de Thomas More, par sa reconnaissance tardive, se situe à l’intersection des Temps modernes et de la période contemporaine. Thomas More fut-il un saint du Moyen Âge tardif par sa naissance au e XV siècle, un saint baroque par les récits qui commencent à circuler à son sujet e e aux XVI -XVII siècles, ou bien déjà un saint contemporain par son écho ? Par son martyre même, ne renoue-t-il pas avec les premiers temps du christianisme10 ? Comment ne pas insister à l’inverse sur le caractère actuel de son image, proposée en exemple aux hommes politiques de notre temps ? « Sans être un saint populaire », écrira-t-on de nos jours, Thomas More « est une célébrité11 ». Statesman, saint, scholar : ces trois mots, « homme d’État, saint, humaniste », sont gravés au bas de la statue érigée en son honneur sur la rive droite, en amont de la Tamise. L’on découvre tout naturellement le saint devant son église paroissiale de Chelsea où l’on célèbre désormais le culte anglican. Mais là encore, la différence confessionnelle n’empêche pas l’estime : More serait-il l’une de ces personnalités œcuméniques que reconnaissent également les Églises chrétiennes ? À l’instar de l’Allemand Luther qu’il combattit pourtant, ne serait-il pas devenu, presque malgré lui, l’une de ces figures consensuelles qui transcendent largement après leur mort les clivages confessionnels ? Il connut aussi un destin ordinaire de bon père de famille, conciliant la fidélité au sein du couple et l’accomplissement de ses devoirs. « Dieu l’ayant appelé à un autre état que la prêtrise, dira de lui l’un de ses descendants, il ne vécut pas en solitaire, mais il devint un exemple pour les hommes mariés, en montrant comme élever des enfants, comment aimer ses épouses, comment se dévouer corps et âme à son pays, tout en respectant les vertus des religieux charité, humilité, obéissance et chasteté conjugale12. » Chelsea, où il vécut avec sa famille, est désormais l’un des quartiers branchés de la capitale anglaise où affluent les amateurs de mode ou d’antiquités, une sorte de Saint-Germain-des-Prés à l’anglaise. On imagine sans peine Thomas More en famille, comme dans ce crayon de Hans Holbein le Jeune, qui le place au milieu de ses filles et de ses gendres. Grâce à l’artiste allemand, nous pénétrons un peu mieux dans l’intimité d’un bourgeois du e XVI siècle anglais, à la manière de ces extraordinaires peintres flamands puis hollandais qui révèlent l’intérieur cossu des marchands, leur sens de l’aisance et du confort. Ce tableau de 1527, dont il ne reste plus que l’esquisse, pieusement conservée à Bâle, est contemporain d’un portrait en buste d’allure très officielle désormais exposé à la Frick Collection de New York. L’humaniste en toge porte autour de son cou une chaîne d’or, assortie de la rose des Tudors13. Quel More choisir entre l’homme privé et l’homme public ? La pose reste absolument comparable dans les deux tableaux : même toge, même chaîne d’or, comme pour proscrire tout négligé. À moins qu’il ne faille prendre en compte la facilité qu’avait le peintre de reproduire son personnage central presque à l’identique. L’abbé Bremond écrivait justement au sujet de Thomas More : « Cette âme, limpide pourtant, est difficile à bien connaître. Toujours sérieuse, elle plaisante toujours, sa transparence même la rend plus mystérieuse et l’extrême variété de ses dons nous déconcerte. » Et, poursuivait-il, « homme de lettres, homme d’intérieur, homme d’État et, avec cela, homme d’une foi constante et d’une piété exemplaire », More pouvait devenir pour chacun un « ami de toutes les heures14 ». Il ne faudrait pourtant pas que le saint dissimule au regard l’intellectuel ou qu’il absorbe totalement l’homme d’État. L’une des premières biographies n’échappe pas à ce travers. Rédigée par William Roper une vingtaine d’années après la disparition héroïque de son beau-père, l’admirable Vie de Sir Thomas More accentue de façon parfois exclusive le caractère rigoriste du personnage et son penchant caché pour la mortification. Si elle contient nombre de renseignements précieux sur More et ses contemporains, la Vie de Sir Thomas More passe pratiquement sous silence l’activité littéraire de l’auteur de l’Utopie ou encore son amitié pour Érasme, devenu inconvenant, pour insister en revanche sur sa piété profonde, afin d’accentuer son caractère catholique. L’on mettra tour à tour en avant l’humaniste, proche d’Érasme, ou l’écrivain anglais15. On lira en parallèle La Vie et la mort de Sir Thomas More de Nicholas e Harpsfield. Restée manuscrite jusqu’au XX siècle, cette biographie apporte d’utiles précisions, en particulier sur la carrière de More, sur ses œuvres littéraires ou sur les tensions qui ont pu brièvement exister entre More et son gendre16. On mentionnera La Vie et la mort de Sir Thomas More, nouvel écrit familial, rédigé par Cresacre More, son arrière-petit-fils, au siècle suivant17. Ou encore le récit édifiant et bien documenté que le théologien Thomas Stapleton avait consacré en latin au saint homme. L’hagiographie a parfois raison de l’histoire18. L’historiographie catholique n’en a pas moins produit, en particulier en France, des travaux d’une inestimable qualité, à commencer par les analyses très fines d’Henri Bremond, suivi par Germain Marc’Hadour. Mais la contribution la plus décisive à notre connaissance de Thomas More demeure l’édition en quinze volumes de ses œuvres aux États-Unis ; elle permet de prendre connaissance directement en anglais et en latin des différents textes laissés par More, tout en bénéficiant d’un impressionnant appareil critique19. Nous avons choisi délibérément pour notre part de nous intéresser à ce « saint dans la Cité », à cet humaniste, en prise avec les problèmes de son temps20. Les premières vies de Thomas More William Roper († 1578), Vie de Sir Thomas More, vers 1557. Nicholas Harpsfield († 1575), La Vie et la mort de Sir Thomas More, 1558. Thomas Stapleton († 1598), Histoire de Thomas More, 1588 (en latin). Robert Basset ? († 1641), Vie de Sir Thomas More, vers 1599. Cresacre More († 1649), La Vie et la mort de Sir Thomas More, vers 1616-1620. Ami de chacun, Thomas More a commencé par être l’ami d’Érasme, l’auteur de l’Éloge de la folie qui dédie l’œuvre à son complice anglais. Entre l’Éloge en 1511 et l’Utopie cinq ans plus tard, les deux comparses ont doté la culture européenne de deux de ses œuvres phares, plus souvent citées que lues, plus souvent lues que comprises. Érasme et Thomas More sont parmi les plus belles et nobles figures de notre Renaissance. Ces hommes lisaient le grec, s’entretenaient couramment en latin, dissertaient à perte de vue sur l’Évangile et la Cité… Quoi de plus admirable en somme ? Tous deux étaient ce que nous pourrions appeler, au prix d’un certain anachronisme, des intellectuels. Et à leur insu parfois, des intellectuels engagés. Leurs échanges furent au cœur même de

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• Description : Après avoir été le biographe de Calvin, Henry VIII, Cromwell, Elisabeth Ier d’Angleterre et Karl Marx, Bernard Cottret nous dresse le passionnant portrait du grand humaniste Thomas More. Juriste, avocat, historien, philosophe, théologien, grand ami d’Érasme, érudit, phila
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