Russell Banks Peter Ackroyd L’auteur d’« American Darling », qui publie L’écrivain anglais a toujours su que un livre d’entretiens avec Jean-Michel « Shakespeare l’attendait ». Après Dickens Meurice, porte un regard sans concessions et Chaucer, cet ouvrage est le point d’orgue sur les évolutions de son pays. de son travail de biographe. Rencontre. Page 12. Littératures. Page 3. 0123 Des Liv res Vendredi1erdécembre2006 PARIS LE GÉNIE DU LIEU Traversées savantes ou insolites d’une ville en perpétuelle réinvention. Dossier. Pages 6-7. Illustration: Tardi pour «Le Monde». Voyages Sciences Derrida en Algérie Les carnets de John Muir, qui, au Myrmécologues, neuropsychologues, Les 25 et 26 novembre, un colloque XIXe siècle, parcourut l’Amérique à pied. physiciens : des scientifiques nous parlent officiel était consacré au philosophe natif Et aussi, JMG Le Clézio au Vanuatu, de fourmis, d’hippocampe, d’amande d’Alger. Reportage sur un hommage Charcot au pôle Sud… Essais. Page 10. et d’évolution… Essais. Page 9. à coloration très politique. Actualités. Page 11. CAHIERDU«MONDE»DATÉVENDREDI1erDÉCEMBRE2006,NO19238.NEPEUTÊTREVENDUSÉPARÉMENT 2 0123 FORUM Vendredi1erdécembre2006 Contribution Pour contrer la domination d’Amazon dans le domaine du commerce informatique des livres, des libraires s’organisent Apprendre à vivre avec le numérique Pierre-LouisBasse estjournaliste àEurope1. Ilestégalement l’auteur deplusieurslivres, dontMaligne13 (éd.duRocher,2003) Joël Faucilhon Devantcesdifficultés,unepartiedela françaisessontdestinéesàdevenirdes delapartduSyndicatdelalibrairie Séville82(éd.Privé, librairieindépendantefrançaisead’ores lieuxvidesdesens,desimplesentrepôts française(SLF)pournon-respectdela 2006)etsondernier etdéjàdécidédecapituler;cesderniers auserviced’unegrandeplacedemarché loisurleprixuniquedulivre(loiLang). ouvrage, mois,denombreuseslibrairies quineveutpasfaireunchoix,mais Lalibrairieindépendantefrançaisen’a C Machambre esderniersmois,l’attention indépendantesontrejointleprogramme proposedeprésentercôteàcôtedes passu(oupu?)anticiper,ouseulement autriangled’or dumondedulivrefrançais Marketplaced’Amazon,quipermetàla livresquifontsens,etd’autrespubliésà s’inscriredanslalogiquedesnouveaux (Stock,2006) s’estfocaliséesurlesprojets firmeaméricainedevendreleslivres compted’auteur.Puisquec’estbiende modesd’achatdeslecteurs,avec denumérisationdusavoir,et présentsphysiquementailleurs,dansles celaqu’ilils’agit:Amazonneveutpas l’apparitiondel’Internet.Lelecteur, toutparticulièrementsurla librairiesindépendantesassociéesàce faireunchoixparmil’ensembledeslivres aujourd’hui,souhaitecommanderses guerredecommuniquésqueselivrent programme.SelonAmazon,Marketplace publiés,sonobjectifn’estpasdetrier,de livresdesonlieudetravail,lorsd’une Microsoft,Googleetl’Unioneuropéenne représenteraitd’oresetdéjàprèsde30% qualifierunfondscommec’estlecas pausedéjeuner,ouencorelesoir,au àproposdesbibliothèquesnumériques. desonchiffred’affaires.Amazonmène pourunlibraireindépendant.L’objectif momentoùleslibrairiessontfermées.La Pourtant,leplusimportantrésidepour depuisdeuxmoisunecampagne estdeproposerunebibliothèquede librairieindépendantefrançaisedoit l’instantailleurs,lorsqu’ils’agitdeparler agressiveàl’attentiondeslibrairies Babeldontlaseulevertuseraitla prendreactedecesmouvementsdefond. delarelationambiguëettoujoursplus indépendantes,selonunprincipe quantitédestitresdisponiblesàlavente. Iln’estpastroptard,malgrélesannées étroiteentrelachoseimpriméeetle toujoursidentique:unelibrairie Unelibrairieestunlieufini,clôtde perduesetlestentativesavortées,et numérique.Commelasciencenousl’a indépendantereçoitune-maildelapart murs,etleslibrairesfrançaissontobligés différentsprojetsquivisentàmutualiser toujoursappris,lesrévolutionsarriventà d’AmazonFrance,pourluiprésenterles defairedeschoixdansuneproduction l’actiondeplusieurslibrairiessur pasfeutrés.Etlamiseenplacedevastes atoutsduprogrammeAmazon éditorialepléthorique.Trier,organiser, Internet,afind’obteniruneforcede bibliothèquesnumériqueset Marketplace.Lelendemain,l’équipe afinquelelecteurneseretrouvepas frappeimportanteetderiposterde d’entreprises«àlargespectre»de commercialed’AmazonFranceprend «perdu»danslesméandresd’une manièrepertinenteàl’offensive,sonten numérisationdessavoirsestun contact,partéléphone,aveclalibrairie productionéditorialeinégale,puis coursd’étude,etdevraientvoirlejour phénomènedontl’impactrestepour quiareçul’e-mail.Le«partenariat» conseilleretguiderlelecteur:tellessont d’iciquelquesmois. l’instantrelativementmarginal. proposéestlesuivant:lelibrairemetà AuniveaudeLekti-ecriture.com,nous Faudrait-ilrappelericiqu’aucunprojet ladispositiond’Amazonsonstock,etce En rejoignant le programme donnonsrendez-vousauxinternautesen relatifàlanumérisationdessavoirsne dernierapparaîtcomme«vendeur», juin2007.Acettedate,unelibrairie Amazon Marketplace, dépasselaphasedetest?Seulleprojet sousunpseudonymeplusoumoins généraleindépendanteenligne,basée Gutenberg,fondéen1971pardes évocateur,surlesfichesdeslivres surunréseaudelibrairiesphysiques,et nos librairies françaises universitairesaméricainspourdonner présentésparAmazon,s’ildisposedece surleprincipeessentieldela accèsauxlivrestombésdansledomaine livreenstock.L’internautepeutalors sont destinées à devenir complémentaritéentrelelieuphysiqueet public,proposedéjà16000titresau commandercelivreparlebiaisdeson l’espacevirtuel,seramiseenplacesurle téléchargement. compteAmazon.Entant des lieux vides de sens, siteafind’affirmernotresoutienàla Lesvraiesmutationsconcernantle qu’intermédiaire,Amazonprélève15% librairieindépendantefrançaise.En de simples entrepôts livresontactuellementailleurs:dansla surlemontantglobaldelacommande. attendant,ilestessentielqueleslibrairies montéeenpuissancedelaventesur LamargedemandéeparAmazonne au service d’une grande «tiennentlerang»,pourreprendreune Internet,parexemple.Commelesgrands paraîtpasexcessivepourl’instant,afin expressiontiréeduvocabulairemilitaire, superstoresenlignerefusentde d’attirerleplusgrandnombrede place de marché etn’acceptentpasderejoindrecertains communiquerleurschiffres,nousne librairiespossibles.Unefoisleslibrairies projetstelsqueceluid’Amazon,quileur disposonspasdedonnéesclairesàce présentesennombresuffisant,Amazon lesvertusdelalibrairieindépendante serafatalàbrèveéchéance. sujet.Nouspouvonsaffirmerleseul pourradurcirsesconditions française,qu’unsiteInternettel Fondéen2003,leprojet élémentsuivant:pourlaplupartdes commerciales.Acemoment-là,les qu’Amazonnepeutnineveutassumer. Lekti-ecriture.comrassembleunerevue éditeursassociésàLekti-ecriture.com, librairies,quiréaliserontunpourcentage Ainsi,leslibrairiesfrançaisesqui littéraireenligne,Contre-feux,associée Proposeruntextepour Amazonestdevenulepremierlieude deleurchiffred’affairesimportantavec rejoignentactuellementlaplate-forme auxEspacesdel’éditionindépendante, lapage«Forum» vente,etiln’existeplusaucunelibrairie Amazon,serontcondamnéesàaccepter AmazonMarketplacehypothèquentde associationdeplusdequaranteéditeurs françaisequipuisserivaliseraveccesite lesnouvellesconditionsdeventedusite manièreimportanteleuravenir,mais indépendantsfrancophones,réunisafin parcourriel: Internet.Parailleurs,lesventesréalisées Internet.C’estd’oresetdéjàcequise égalementceluidesautreslibrairies d’améliorerleurvisibilitéauprèsdu [email protected] surInternet,particulièrementAmazon, passesurlaplate-formeAmazon indépendantes,parl’accélérationde grandpublicetdesprofessionnels. a touchentdemanièreimportanteles Marketplace,auxEtats-Unis. processusdéjàencours,avecla parlaposte: fondsdeséditeurs,ceux-làmêmequi Maisl’argumentn’estpasseulement polarisationdesventesdelivressur JoëlFaucilhonafondéleprojet LeMondedesLivres, nécessitentunengagementimportantde économique,iltientaussiàlanatureet quelquessitesInternetseulement,pour Lekti-ecriture.com,en2003.Ils’y 80,boulevard lapartdeslibrairiesfrançaises,puisqu’il auxenviesdeslibrairiesindépendantes nepasdireunseul.Parailleurs,il consacretotalementdepuisunanet Auguste-Blanqui, s’agitdelivresàrotationlente,maisdont françaises.Enrejoignantleprogramme faudraitsoulignerquelesiteAmazon demi.Courriel: 75707ParisCedex13 laprésenceestessentielle. AmazonMarketplace,noslibrairies Franceafaitl’objetd’undépôtdeplainte [email protected]. LETTRE DE ROME Un cycle de lectures animé par Olivier Rolin à la Villa Médicis LA VILLA MÉDICIS accueille jus- celle que font prévaloir les médias», dialoguer avec des extraits de Primo de moi.» L’écrivain, en complicité avec Marcel Proust à Caroline Ducey qu’en novembre 2007 un cycle de expliqueOlivierRolin. LevioudeRobertAntelmesurl’horreur RichardPeduzzi,ledirecteurdelaVilla (17avril);PierreMichonferalireFran- lecturesorganiséparl’écrivainOlivier Ilainaugurélui-mêmelecycle,mardi concentrationnaire. Médicis, souhaite «faire partager cette çoisVillonparAndréMarcon(22mai); Rolin. Intitulée «Aimer la littéra- 14novembre, en invitant le comédien «Trèsrépanduedanslemondeanglo- croyancepourlalittératurevivante». JeanRolinademandéàAndréWilmsde ture», cette série de neuf rencontres AndréWilmsàliredestextesdeVarlam saxon,lalectureétaitungenrequasiincon- Parmi les écrivains invités à Rome, fairevivrelestextesdeGeorgeOrwellet permettrachaquemoisàunauteurde Chalamov. Plus de 160 personnes ont nuenFranceilyaencoredixans,rappel- certains liront eux-mêmes les textes Pierre Herbart (10juillet), tandis que lireoudefaireliredestextesd’unécri- écouté dans le grand salon de l’Acadé- leOlivierRolin.Or,pourundéfenseurde qu’ilsontchoisis,commeFrançoisBon Jean-Philippe Toussaint et le comédien vain qu’il aime. «Les auteurs qui mie de France à Rome les pages terri- l’écritcommemoi,c’estuneformedespec- qui proposera François Rabelais le Ange Leccia clôtureront le cycle avec viendront mettre en scène et en voix blesdesRécitsdelaKolyma,entrecoupés tacle utile parce qu’elle ramène à l’écrit 23janvier 2007, ou Jean Echenoz qui AlbertCamus(27novembre). leursadmirations,aucune“école”neles par les commentaires et vagabondages alorsquetantd’autresspectaclesnousen liraGustaveFlaubert(27mars).Maisla Aprèslesuccèsdelasoiréeinaugura- lie:seulementcertainesaffinitésintellec- littéraires d’Olivier Rolin. Pour ce der- éloignent.» L’exercice se rapproche des grandemajoritéapréféréconfierlalectu- le,ilappartiendraàunpensionnairede tuelles, à commencer par le fait de se nier,«ChalamovpeutmeneràDostoïevs- préceptes de Roland Barthes qui, dans reàuncomédien,seréservantdeprésen- laVilla,MathiasEnard,detransformer reconnaître des maîtres, de s’inscrire kietTchekhov,etmêmeàChateaubriand La Préparation du roman, écrivait: ter et de commenter les raisons de ses l’essai,mardi12décembre:cetécrivain dans une histoire, d’avoir une réflexion et Claude Simon». Ainsi, la littérature «Aimerlalittératurec’est,aumomentoù choix. Jean-Christophe Bailly invite endevenir invite Olivier Dautrey à lire à cet égard, enfin de partager une austèreetdépouilléedeChalamovs’est onlit(…)voirquec’estunhommevivant Yann Colette à lire Kafka (27février); destextesdeBlaiseCendrars.a conceptiondelalittératurequin’estpas mise, le temps d’une soirée romaine, à quiparle,commesisoncorpsétaitàcôté Bernard Comment confie les textes de Jean-JacquesBozonnet AU FIL DES REVUES « Cassandre » : dix ans de combats POUR FÊTER dix ans d’action àl’auteuranglaisEdwardBond: création est inopinée: personne Autressujets abordésdans ce artistique (1995-2005), la revue «Que représenteraient aujour- n’attend Shakespeare, Beckett, hors-série co-édité avec les Edi- Cassandre, qui revendique haut d’huilesGrecssansleurarchitectu- Godard ou Picasso. Quant à en tions de l’Amandier: les expé- et fort, selon Nicolas Roméas, re,leursculpture,leurthéâtre?Ils attendre un outil de formation riences artistiques menées à son directeur de la rédaction, le n’existeraient pas, ils n’auraient civique,cefutlerêvedeBrecht,de Mantes-la-Jolie, Montbéliard ou qualificatif de «belle emmer- pasconstruitdedémocratie.L’art Barthes,deVilar…» auCreusotpourenfiniravecl’op- deuse»,publieunrecueild’entre- est à l’articulation des problèmes Ce hors-série permet aussi à positionville/campagne, l’arten tiens et de textes qui rompent fondamentaux; il n’y a pas de un artiste adoubé par l’institu- difficulté (dans les prisons, les avec «la tacite autosatisfaction remèdes au fait d’être humain», tion, Christian Boltanski, de quartiers en déshérence), ou dumondeautorisédel’art». dit-il.Dansunautretexte,Pierre livrer une analyse décapante de encore l’aventure aujourd’hui Cestextespermettentdemesu- Bourdieus’interrogesurlacréa- la sacralisation qui règne dans oubliée du théâtre à domicile rer le chemin parcouru en dix tion: «Je crains que les artistes les musées français. «Il est très menéeparGeorgesBuisson….a ans,essentiellementdanslethéâ- n’aientd’autrechoixquederom- difficile de se battre contre les NicoleVulser tre,mais aussi la danse, les arts pre avec la croyance romantique musées–jeneparlemêmepasdu plastiques,lamusique,l’architec- dans le mythe du créateur soli- marché–, contre cette notion très 1995-2005.Dixansd’action tureetdansunemoindremesure taire.»Desoncôté,lesociologue religieusequifaitdechaquechose artistiqueaveclarevueCassandre. lecinéma.Il estquestiondeso- JeanDuvignaudtentederedéfi- produiteparunartisteunerelique Ed.del’Amandier/Cassandre, ciété, de décentralisation, d’éco- nircequepourraitêtrelethéâtre de saint. La seule manière de 272p.,20¤. nomie culturelle et de pratiques citoyen.«Ladémocratieimplique lutter, c’est de détruire les œuvres Cassandresortégalementson de l’art qui sortent des champs quel’aideapportée[auxarts]soit aprèslesavoirmontrées,delestrai- 67enuméro,ResPublica, classiquementétablis. neutre,caraucunpouvoiréconomi- tercommeunspectaclevivant;ily consacréauservicepublicdela Un chapitre intitulé «Art et queoupolitiquenepeutdéfinirla auneréalitédel’œuvre,maispas culturefaceauxintérêtsprivés politique»donneainsilaparole création,ilnepeutquel’aider.La del’objet»,affirme-t-il. (92p.,8¤). LITTÉRATURES 0123 33 Vendredi1erdécembre2006 Shakespeare, théâtre du monde Le Britannique Peter Ackroyd a toujours su que « Shakespeare l’attendait au bout du chemin ». Après Dickens, Blake et Chaucer, cet impressionnant ouvrage est le point d’orgue de son travail de biographe. Q ui a dit que l’auteur tôt mise à l’épreuve : dès juillet 1564, homme frayant volontiers avec les d’Hamlet n’aurait jamais on lit dans l’inventaire des enterre- milieuxinterlopes…Ilyalàl’importan- existé? Qui a tenté d’ac- ments: «hic incipit pestis» (ici com- cedelanature(centhuitplantescitées créditer la thèse – aussi mence la peste). Une peste noire qui dans Roméo et Juliette) et l’attache- célèbre que la polémique décimeStratfordmaisépargnemiracu- ment à la terre, malgré les allers et française attribuant à leusement Shakespeare. Ce n’est que retours avec Londres et l’inexistante Corneillecertaines pièces cinquante-deux ans plus tard que le vie de famille. Il y a la malheureuse deMolière–selonlaquelleShakespea- tocsin sonnera pour «Shakspere», Anne Hathaway, dont on pense que, re n’aurait été que le prête-nom de commeilécritsursontestament.«La commesesfilleset90%desAnglaises contemporains illustres tels que signature, note Ackroyd, semble s’éva- de l’époque, elle était illettrée (Ironie Francis Bacon, Christopher Marlowe nouir,commes’ilavaitàpeinepudiriger savoureuse : «Le plus grand auteur ou le comte d’Oxford? Des critiques, laplume.»L’écrivaina-t-ilétéempor- dramatique de la planète aurait été deshistoriens,desespritschimériques té par une «crampe spasmodique», entourédefemmesincapablesdelireun etjaloux?Sans doute. Mais aussi des variante de la «paralysie de l’écri- mot de ce qu’il écrivait.») Il y a Strat- observateurs déçus par ce qu’il est vain», ou par une «syphilis ternai- ford, où il revient mourir et où il se convenu d’appeler la «platitude» de re»? Il s’éteint en toutcas le 23 avril bâtit peu à peu, en investisseur avisé, la vie de l’écrivain au regard de l’am- 1616,le jourmême de son anniversai- unjolipatrimoine.Ilyasonpenchant pleur de son œuvre. «C’est l’un des re, tandis que disparaît ce qu’Ackroyd chicaneur et procédurier. Il y a sur- rares cas d’écrivains dont l’œuvre est appelle «la quintessence du génie tout,surtout,lethéâtre:«songoûttrès PortraitdeWilliamShakespeareen1609.ANNRONANPICTURELIBRARY capitalemaisdontlapersonnaliténefut d’outre-Manche»,géniequ’ilvas’effor- anglais du surnaturel et du mer- pas jugée digne cerd’«expliquer»toutaulongdeces veilleux», sa «prédilection pour l’hor- incendies,lescomplots,«l’atmosphère burlesque,oùtoutn’estqu’apparences SHAKESPEARE d’intérêt. Il reste 600pages. reuretlesensationnel»,maisaussil’exi- ranceetfrileuseautourdelareinemou- et jeux de miroirs. Une scène où nos Labiographie obscur parce qu’à genceextrêmequilepousseàfaireetà rante», dont la scène se fera le reflet passionss’appellentMacbeth,Shylock, dePeter l’époque personne Varieràl’infini refaire, à varier à l’infini pour s’adap- dansTroïlusetCressida.Ilyaenfin le Falstaff,OphélieouDesdémone.Appe- Ackroyd. n’a cru bon d’écri- Pasenuniversitairenienchercheur, ter au jeu d’un acteur par exemple fascinant rapport à la religion : dans lez-lale«théâtredumonde».Ou,plus resurlui.»«Sha- cependant. S’il salue ceux qui l’ont (Richard Burbage pour qui il aurait cepaysprotestantdepuispeu,Shakes- simplement, dites qu’il s’agit d’une Traduitde kespeareest le seul devancé (Duncan Jones, Greenbalt, créélesrôlesd’Hamlet,deRichardIII, peare, catholique caché, serait-il grandeetenvoûtantebiographie.C’est l'anglaispar biographe de Sha- Holden…), Ackroyd revendique le fait de Lear, d’Othello). Il y a les troupes «mortpapiste»? commeilvousplaira...Maisunefoisle BernardTurle, kespeare», note d’aborder son sujet en «amateur d’amiscomédiensdont Ackroyd mon- Au fond, peu importe à Peter rideau levé, il y a peu de chances que Ed.PhilippeRey, l’essayiste Ralph enthousiaste».Enromancier,presque. trequ’ellessontlaconditiondel’émer- Ackroyd les blancs dans la chronolo- vousquittiezlasalle.a 574p.,25¤. Emerson. Quatre-vingt-onze chapitres lui suffi- gence du théâtre shakespearien et les gie, les fameuses «années perdues», FlorenceNoiville Fade,cetteexis- sent à peine pour tracer, en filigrane premiersthéâtres«endur»quirem- les questions non élucidées. Il les tence? Dès les premières pages de sa de ce bouillonnant récit, les lignes de placentceuxenboisettorchispourles- signale, ne mélange jamais faits et Signalonségalementlabiographie biographie, le Britannique Peter force d’un personnage protéiforme, quelsShakespeareadûmanier,luiaus- hypothèses,maisnousembarque.Vers inéditedeShakespeareécritepar Ackroyd balaie ce cliché et nous per- artiste et bourgeois, poète visionnaire si,latruelle.IlyaLondres,lapeste,les quoi?Unescènegrandioseetdérisoi- ClaudeMourthé(Gallimard,«Folio suade du contraire. Cela tient à sa friand des biens de ce monde, gentil- disettes, la multitude échevelée, les re, populaire et raffinée, tragique et biographies»,n˚18). façon d’écrire. Une prose nerveuse, jamais pédante. L’art du détail, celui qui fait mouche et qui nous propulse « Tout part de lui, tout y revient » soudain en plein XVIesiècle anglais. Comme Alice dans le terrier du lapin blanc, on est aspiré d’emblée dans le règne si personnel d’ElizabethI –un règne dont Shakespeare aura «toute Dans son appartement de Kensington, lions constamment sonder les origines rangeait. Prenez Othello, qui fut repris conservent la marque de l’improvisa- sa vie à subir les contraintes et les devant la bibliothèque qui fait le tour de del’“Englishness”,lesracinesdel’ima- afinderevoirlerôled’Emilia.Ilfallait tion,del’inventionspontanée.Etnous incertitudes». sonsalon,PeterAckroyd,romancieretcélè- ginationanglaise.Celle-ciatraitàune en effet la rendre plus sympathique pouvons supposer que chaque pièce Ons’éveilleun23avril1564,àStrat- brebiographe(Dickens,Blake,Chaucer…) manièredefairetenirensemblelediver- pour empêcher une réaction négative pouvait différer selon les représenta- ford-upon-Avon,alorsquelejeuneGui- expliquequesonlivresurShakespearesera tissementetlatragédiepure,lelyrisme dupubliclorsqu’elledonnelemouchoir tions. Après Shakespeare, je continue- lelmus (William) vient d’«émerger ladernièredesesbiographiesd’écrivains. et le surnaturel, la truculence pratique à Iago, celui-ci devant rester l’unique rai à écrire des biographies. A l’instar dans le monde temporel». On l’a lavé, et la vulgarité… Inconsciemment, Sha- architectedumal.Encela,Shakespeare de mon gros livre sur Londres, je me emmailloté, on lui a mis dans la bou- Parce que tout part de lui et que kespeareétaitdoncmonambitionulti- asansdoutetenucomptedelaréaction suis embarqué dans une histoire de la cheunpeudecervelledelièvreréduite toutyrevient,ilyaunréelengoue- me,jesavaisqu’ilsetenaitauboutdu ambivalentedupubliclorsdespremiè- Tamise,sesbruits,sesreflets,sessour- en gelée – c’est la coutume dans le ment,enAngleterre,pourlesbio- chemin, attendant d’être “exécuté” ou resreprésentationsdelapièce.Quelque- ces cachées, son caractère sacré, ses Warwickshire.Onl’abaptiséprompte- graphies de Shakespeare. Cette vogue ramené à la vie, ce qui revient au fois,ontrouvedeuxversionsdifférentes cygnes,sapollution…J’envisagemême ment – Peter Ackroyd a même repéré intarissableremonteàlasecondemoi- même.Sonénergie,sonprofessionnalis- de la même tirade, par exemple dans de me lancer dans un portrait de unefautedelatinsurleregistreparois- tiéduXIXesiècleetàlapublicationde me, son ambition, son extraordinaire Peinesd’amourperdues,l’unebeaucoup Venise, une première pour quelqu’un sial!–etonluiaplacésurlatêtelelin- l’ouvraged’EdwardDowden,Shakespea- versatilité, ses penchants bourgeois, plus lyrique que l’autre. Shakespeare qui, dans son œuvre, n’a jamais quitté geblanc(chrisomcloth)quiluiservira re:ACriticalStudyofHisMindandArt. m’ont fasciné, mais pas autant que le pouvait ajouter du texte à une œuvre l’Angleterre. Mais des biographies de linceul au cas, statistiquement peu Jenemel’expliquepasvraiment:c’est côtépragmatiquedesongénie. jouée à la cour ou la modifier pour y d’écrivains,jen’enécriraiplus.Shakes- improbable, où il viendrait à passer unemaladietypiquementanglaise.Les Ilcoupaitdestirades,introduisaitde inclureuncomédien.Toutcelamontre peare, comme prévu, a eu le dernier dans son premier mois… De fait, la Français feraient-ils cela avec Racine nouveauxpersonnagesoudenouvelles que ses pièces revêtaient pour lui un mot.»a robustessedujeuneWilliamserabien- ouCorneille?C’estcommesinousvou- scènes,changeaitdesfinsquandçal’ar- caractère provisoire et fluide. Toutes ProposrecueillisparFl.N. Le rebelle McEnroe contre Bambi Jackson U nrécitquicommencepar «Sonmartyrespécialnetenait-ilpasàsa séanced’uncertain«CercleAdolfoBioy deprédilection,dontRimbaud,Artaud, Peanuts?Pasdutout.Lavraieetseule «sentimentauxs’abstenir», facultéuniqued’accueillirtouteslestares Casares»(l’undesauteursfavorisde Nabokov,Céline,Sollers–avec réponseaétédonnéedepuislongtemps commeLeScandaleMcEnroe, etcontradictionsdel’époque:l’amourde Gailliot),présidéparJ.M.Coetzee,etoù notammentl’apparitiondeMcEnroe parFlaubert,enunephrasequ’on deThomasA.Raviernepeutêtreque lanature,lesphobies,lecultedela sontprésentsd’autresécrivainsde dansFemmes–etleMoranddeNew devraitpasserenboucle,àlatélévision, réjouissant.Arecommanderpour beauté,lemétamorphisme,lajeunesse l’universintimedeGailliot: York. surInternet,commeunperpétuel combattrelesautomnesdélétères,et éternelle(…)nonseulementdeles J.G.Ballard,JoyceCarolOates, CarilfautaimerNewYork–«la sous-titrevengeur:«Plusquejamaisje commecadeaudeNoëlàmoinsde accueillir,cestaresetcescontradictions, Jean-JacquesSchuhl,JuanJoséSaer. violencedelavilleestdanssonrythme», croisàlahaineinconscientedustyle».a 15euros.Ilnes’agitpasdenostalgie,ni sansenrejeteraucune,maisdeles Est-ceincongru,inattendu,sansrapport ditMorand–pouraimerMcEnroe:«Il deseremémoreruncertain incarnerdanslachairétrangement avecMichaelJackson?Pasdutout. acroquédanslapomme.Lapolicedes LESCANDALEMCENROE 9septembre1979–Ravieravait9ans– compositequiétaitlasienneàleurdegré Jean-HubertGailliot,commedansses mœurs,prudeouprovinciale,nel’aimera deThomasA.Ravier. où«àNewYork,McEnroe,vingtans, maximum?» jamaisvraiment.»Ilfautêtrefoudejazz Gallimard,«L’Infini»,110p.,12,50¤. remportesurunangeblondécheveléson Dansl’étrangevoyageenavionque PARTI PRIS –RavierdédiesonlivreàMaxRoach– premiertitre».Iln’estquestionicique faitlenarrateur,unenuitdedécembre, sansdouteplusencorequederock,dont BAMBIFRANKENSTEIN deprésent,etdeprésence,celled’un danslejetprivédeJackson,Gailliot, JOSYANE McEnroeseditfan.Ilfautenfin deJean-HubertGailliot. «amateursupérieur»inspiré,«portant avecsonhumour,sonsensdujeu,du rechercher,toujours,cequicontreditla Ed.del’Olivier,128p.,15¤. SAVIGNEAU pourquelquesilluminéslesouvenir doublejeu,faitsurgirtoutesles lourdeur,l’hypocrisie,le«roman mobiledecesjoursheureuxoùlecorps ambiguïtésdel’histoireJackson,petit officiel».Quoidemieuxalorsquece (1)VoirL’Hacienda(Ed.del’Olivier2004). n’étaitpasuneéquationàrésoudreau gaminnoirsurdoué,dernier-néd’une troisprécédentsromans,joue, «miraculédelaverticalitéémotive»,que plusvite,unfoyernumérique,une familled’artistes,chanteursurpassant brillamment,surlemêmeclavier:la son«excentricitéaccentuée»pour Danslenº97delarevueL’Infini(hiver ténébreuseaffaire,uncalculsavant sesfrèresetsœurs,danseur«toutentier miseenquestiondesapparenceset «s’immunisercontreletravail 2006),ThomasA.Ravierpublieun dispendieux,mais,aucontraire,cerappel art»devenusapropremomie.Corpset l’hommageàuneconstantevérité,celle d’uniformisationromanesque»? passionnant«Matricided’Alfred detoutesnosfacultés». visagedevenuslemiroirdesonillusion, delalittérature. Pourquoiuncertainpublica-t-il Hitchcock»,subtileanalysedutravailde Al’inverse,BambiFrankenstein,le àmoinsqu’ilsnesoient«lerécit Pourpassionnantequ’ellesoit,la détestéce«poupondélinquant «l’hommequiensavaittropsurles romandeJean-HubertGailliot,où véridiquedelafictionquedevenaientnos méditationsurlecasJacksonaquelque exaspérant»,cegauchervolantsurle mères».Anoter,danscettemême réapparaîtlenarrateurportantson existences». chosedelugubre,demortifère.Etla court?Parcequ’iln’étaitpas, livraison,unebrèvenouvelledePhilippe propreprénom,pensionnairemomifié Avecsonstylerapidemêlant poursuite,avecThomasA.Ravier,dela physiquement,untrèsbelathlète?A Lançon,«LaFindelaneige»etunbeau del’Hacienda(1),metenscèneune inventions,observations,digressions, figuresolairedeJohnMcEnroe,«un causedesescolères,desesinvectives, texted’unejeuneuniversitairede autrestarplanétaire,maisdévorée,elle, Gailliotemmènesonlecteur,tambour mousquetaireendiabléquiemballela desinsultesaupublic,àl’arbitre,deson Téhéran,MahtabBolouski-Raskédian, parlemarché–quelque133millions battant,dansuneangoissantecavalcade narration»,estunexcellentantidote. doigtlevé–«fuckyou!»–,desatête «“L’air”dansladramaturgiedeJean d’albumsvendus–,MichaelJackson: quisetermineparunetrèssingulière Ravierluiaussiconvoquesesécrivains desalegossesortid’uneBDàla Genet»(Gallimard,128p.,15¤). 4 0123 LITTÉRATURES Vendredi1erdécembre2006 ZOOM Une banlieue de Melbourne, l’été austral, l’amour du cricket… un roman mélancolique de Steven Carroll Pour l’amour du geste parfait LAPETITE ROBEBLEUE deDoris Dörrie Quelquesmois aprèslamort accidentellede sonmari, IlyatoutjusteunanparaissaitDe Babettes’achète l’art de conduire sa machine (1), unerobeen romanpleinde grâceetdedélica- organdibleu, tesse signé par un auteur austra- sortedemuevolontairepourtenter lienjusqu’alorsinconnuenFrance:Ste- derenaîtreàlavie.Cevêtementla ven Carroll. Né à Melbourne en 1949, metencontactavecFlorian,l’ami ce subtil romancier a été tour à tour ducouturierquiacréécetterobeet chanteurdans un grouperock,profes- quivientdemourird’uncancer.La seur de littérature anglaise, dramatur- pertedel’êtreaimérapproche ge,critiquethéâtral(1994-2003)etlitté- BabetteetFloriandansuncouple raire – fonction qu’il occupe encore à impossiblequicherche TheAge–,avantdedébuterunecarriè- désespérémentàjeterunpont redansleslettresen1992avecRemem- par-dessusl’abîmedudeuil. ber me, Jimmy James (non traduit). DorisDörrienousavaithabituésà Mais c’est avec son quatrième roman, deschosespluslégèresetparfois etpremiervoletd’unetrilogie,quePhé- superficielles,récitstournant busachoisidenousfairedécouvrircet souventautourdefemmesdontles écrivainàlaproseéconomeetraffinée crisesexistentiellesétaient quisaittoutaussibiennousdépeindre préfabriquéesparnotresociété. les rudiments de conduite d’une loco- Ceroman,paruen2002en motive à vapeur – ou ici du cricket – Allemagne,trancheagréablement quenousfairepénétrerdanslesméan- avecsaprécédenteproduction.Bien dres et les tourments d’une âme. Le quepersonnellementmarquéepar tout avec un charme mélancolique qui undeuilintimequiestàl’origine enveloppe aussi bien ses personnages decelivre,l’auteurasuprendre queseslecteurs. unedistancequidonneàson Un charme qui, dès les premières romandesaccentsparfois lignesd’Unlongadieu,nousentraînent tragi-comiques,sansenoblitérerni à la lisière de deux laprofondeurnil’émotion.Lamort UNSILONG mondes, celui de la faitpartie ADIEU villeetdelacampa- delavie;c’estunelapalissade (TheGift gne,danscetteban- àlaquelleDorisDörrieasu ofSpeed) lieue populaire de pourtantdonneruneforme deSteven Melbourne où Ste- originale–etvivante.P.Dhs. Carroll. ven Carroll a gran- Traduitdel’allemand di. En ce mois de parJeanneEtoré-Lortholary, Traduit décembre 1960, RencontredecricketentrelesCaraïbesetl’Australie,le19décembre1960.HULTONARCHIVE/GETTYIMAGES Belfond,158p.,18¤. del’anglais l’été austral débute (Australie)par au son d’une musi- centredel’ovaledebéton,«leseuluni- sasoifdegrandsespacessurlesgreens dedésir…Adéfautd’atteindreceluiqu’il LAMULTITUDEERRANTE PhilippeGerval, que venue de loin. versquiluiimporte,celuidurythmeetde degolfautantquedansl’alcool,malgré caressedesongantdecuirusé,etdont deLauraRestrepo Phébus, L’équipe de cricket lavitesse.(…)Lesheuresqu’ilconsacreà sa maladie... Vic n’a qu’un rêve: partir ildevraserésigneràdire,adieu. Parlaprofondeuretlapertinence 268p.,19,50¤. des Caraïbes vient l’entraînement sont les seules où il ne pourmourirenfinlibre. Danslatorpeurdecetété,ponctuéde desesthèmes,parlaqualitédeson de débarquer pour regardepasversl’aveniroulepassé.Sur Autourdecenoyaurongéparlasoli- rires bruyants, de larmes étouffées, de style,parsesengagements,cette unetournéede quelquesmois enAus- leterrainladuréen’existeplus,etiln’ya tude, le silence, les non-dits et les sifflementsdetraindanslelointain,de Colombiennes’imposeaujourd’hui tralie.Etavecelle,lemondeauquelvou- queledéclindujourpourluirappelerque secrets, il y aussi Mary, la grand-mère retransmissionsdematch,deséchosdes commelagrandedamedeslettres drait appartenir le jeune Michael, un là-bas,trèsloindanslemondeordinaire, alitéeetdéfaiteparunevieentachéepar tambours blancs venus des îles, Steven hispano-américaines.Après adolescent de 16ans. Celui des Lind- letempscontinuedes’écouler».Avecses une honte qu’elle n’a su endiguer. Le Carrollsaisitavecuneinfinietendresse l’admirableDélire(2005),elle wall,Larwood,Trueman...ceslanceurs heursetsesmalheurs,sesfaux-fuyants, docteurBlack,médecinlettré,spécialis- ces existences fragiles, bancales et proposeaujourd’huiunelongue delégendedontilconnaîtlesmoindres ses rêves avortés, ses dépressions, ses ted’HenryJames,quineserésoutpasà vacillantes. Des fils de vies, ballottées nouvellesurl’erranceetl’amour,la faitsetgestesàtraverslescoupuresde frustrations,sesdémissions. cequel’«Hôtedistingué»,sansunmot, entrelesrêvesetlaréalité,qu’ilentrela- destructiondespeuplesqu’on presse et les livres qui ornent son luienlèvesespatients.MaisaussiWebs- ceàmotstenus,dansunemêmegeste, déracineetleurpossible bureau. Uniondescontraires ter,lepropriétairedesusinesdumême unmêmeregardprofondémenthumain. rédemption.Commetoujours En quête du geste parfait qui pour- Car là-bas, dans ce monde ordinaire nom, qui, au faîte de sa réussite, tente Le livre de Carroll est émouvant de chezcetauteur,lapolitique,la raitlepropulserhorsdesonquartieret qu’il cherche à fuir, il y a ce couple de d’oublierl’ennuiens’enfonçantdansla ce qu’il dit des amoures défuntes, des culpabilitéetlessymbolesjouent d’une banlieue«répugnante qui sent le contraires que forment Vic et Rita, ses nuit à bord de son bolide noir. Frank espoirs brisés, des renoncements, des leurrôleetc’est,commedansla skaï et le chewing-gum tiède», Michael parents,entrelesquelscefilsuniqueest Worrell, enfermé dans la solitude que désenchantements. Ce long adieu s’en- vie,l’amourquirendl’espoir, s’entraînecommeunforcené,contrela de plus en plus tiraillé. D’un côté la lui confère la charge d’être le premier tend comme le chant mélancolique reconstruitleshommesetfinit clôturedelamaison,augranddamde mère, aux robes trop élégantes pour le capitainenoirdel’équipedesCaraïbes. dédiéparunhommeàuneenfanceper- partriompher.J.Sn. samèreetdesagrand-mèreexaspérées quartier, qui cherche vaille que vaille à EtsurtoutKathleenMarsden,jeunefille due.a Traduitdel’espagnol(Colombie) parle«cloc»delaballecontrelebois. se donner l’illusion d’une famille unie. orpheline rompue à la solitude grâce à ChristineRousseau parFrançoisePrébois, Quand il ne s’échappe pas vers le ter- Del’autrelepère,ancienmécaniciende laquelle Michael va s’entrouvrir à un Calmann-Lévy,138p.,12¤. raind’entraînementpourretrouver,au chemindeferàlaretraite,quiassouvit autremondefaitdesourires,deregards, (1)Phébus,2005. Promenade joyeuse et érudite à travers la bibliothèque d’Alberto Manguel Une histoire d’amitié dans l’Italie des années de plomb La consolation et l’oubli Leur meilleure année AToronto, les enfants d’Alberto un bout, l’autodafé nazi de l’autre, le où nulle voix humaine ne peut produire LEPAYSDESMERVEILLES Franz, fanfaron, vulgaire et provoca- Manguel disaient en plaisantant massacre de la mémoire indienne par un son.» Il cite donc, lui-même, beau- (IlPaesedellemeraviglie) teur. Se déclarant inconditionnelle- qu’illeurfaudraitunecarted’ad- les inquisiteurs, la vogue inconsidérée coup, puisant dans mille cultures deGiuseppeCulicchia. mentfasciste,ilfaitpreuved’unutopis- hérent à la bibliothèque pour rentrer à desmicrofilms,puisdesmisesenboîte (chinoise, persane, arabe, anglo- me ingénu, alimenté plus par la lamaison.Quandleslivresdeviennentà informatique : autant de risques qu’a saxonne, hispanique, hassidique) et Traduitdel’italienparVincentRaynaud, consommation de drogue et la lecture ce point une part de l’identité de leur encourus la mémoire des livres et qui formantunrêvehumanistedecosmopo- AlbinMichel,388p.,22¤. de Playboy que par la réflexion politi- propriétaire, on comprend rappellent leur force tou- litismeetdemémoireinfinie. que.Attilaregardeavecironieetscepti- qu’un nouveau livre soit jours dangereuse pour qui Mais l’histoire des bibliothèques est Pour toute une génération d’Ita- cisme les rodomontades de son ami, nécessaire pour faire le veut asseoir sa domination aussi celle de l’oubli. Car classer, c’est liens,l’année1977aétéuntour- tout en étant fasciné par sa vitalité et point.AlbertoManguellitla surl’ignorance. éclairer et donc rejeter dans l’ombre. nant, le moment où les illusions sondésirdeliberté.Ensemble,ilscher- nuit,écritlejour.Maisécrit- Bagdad,Kaboul,Beyrouth C’est conserver et donc admettre que d’unedécenniemarquéeparlacontes- chent une alternative à la grisaille de il sans lire? Lit-il sans écri- appartiennent tristement à l’activité favorite des hommes et du tationontbasculédéfinitivementdans leurs journées, en découvrant les re? Montaigne lisait le jour l’histoire des bibliothèques tempsestdedétruire.N’yeut-ilpasun l’abîmeduterrorismeavecsoncortège outrancesdumouvementpunk. etdormaitlanuit,pourrécu- perdues.OrsiAlbertoMan- princed’Estepouréliminerdesabiblio- de tragédies et de deuils. Giuseppe pérerdanslesommeillesfor- guel soulève les problèmes thèque la Divine Comédie, jugée trop Culicchia,dontleslecteursfrançaisont Dramespolitiques ces perdues par la lecture, queposelapolitiqueinterna- divertissante? Callimaque, Assurbani- déjàpulirePatatrasetPasodoble,avait LePaysdesmerveillesestuneincroya- pour conjurer l’oubli du tionale, les dictatures, les pal, Pétrarque, Dewey ou un libraire seulement12ansàl’époque,maisilse ble histoire d’amitié, le temps d’une corps.AlbertoMangueln’est capricesdelaToile,iln’écrit afghan, Shah MuhammadRaïs, auront souvientapparemmenttrèsbienducli- annéescolaire.Uneamitiéfaitedebra- pasd’accord : le corps n’est pas en théoricien. Comme joué chacun son rôle dans l’édification matàlafoissurvoltéetdramatiquequi vades et de rires, de discussions et de jamais absent de la lecture. sesprécédentsouvrages(sur d’une bibliothèque réelle ou idéale. dominait le pays. Aujourd’hui, il y blagues, d’envie de liberté et du désir «Quand Pétrarque fait l’as- lalecture,lapeinturefantas- «Consolation»estlemot-clépourMan- revientavecuntrèsbeauroman,drôle degrandirvite, pendantqu’unmonde cension du mont Ventoux, je LA tique,leslieuximaginaires), guel.Iln’yapasdemémoiresansnostal- etamer,quiconfirmel’intérêtgrandis- semble s’écrouler et que la violence m’essouffle; lorsque Keats BIBLIOTHÈQUE, il rédige celui-ci comme le gie.Ununique versd’unAchilleperdu sant des romanciers italiens pour la politiquegagne.Culicchiarestitueàla nage,je mesensrevigoré; les LANUIT récitd’unepromenade inté- de Sophocle, recueilli par un certain blessuredesannéesdeplomb. perfection leur évolution et l’étrange dernièrespagesdeKimm’em- (TheLibrary rieure, en partant de la Septimius,laissesupposerunchef-d’œu- Pourévoquerl’atmosphèreetlesévé- mélange culturel d’un univers où plissent d’une tendre amitié; atNight) constructiondesabibliothè- vreenseveli:«L’amourestcommedela nements qui ont marqué cette année coexistent l’équipe de football du à la première description du d'Alberto que dans le presbytère de glacetenueenmainpardesenfants.»Et tourmentée,Culicchiaadoptetoutefois TorinoetlesSexPistols, CheGuevara ChiendesBaskerville,jejette Manguel. villageoùilvit.Uneprome- cevers,citéparSeptimius,estrapporté unpointdevueparticulieretmarginal, et Taxi driver, les blagues grivoises et par-dessus mon épaule des nade érudite, certes, mais par Tom Stoppard, puis par Alberto celui d’Attilio – un adolescent de lesretransmissionsàlatélé.Dansson regardsinquiets.» Traduitdel’anglais vivante,humaineetsouvent Manguel,puisparuncritiqueduMon- 14ans, vivant dans un petit village de récit, Attila enregistre également les La Bibliothèque, la nuit (Canada) drôle. de,puispardeslecteurs,avantdetrou- la banlieue de Turin – qui raconte au soubresautsdelasociétéetlesdrames n’estpasseulementunessai parChristine En1968,lesétudiantsalle- versaplacedansunebibliothèque.a jourle jourses péripéties,ses rêves et politiques qui secouent le pays.Néan- surlaconstitutionetlesens LeBœuf, mands lançaient : «Ici, on RenédeCeccatty ses déceptions. En dépit de son sur- moins, avec Franz, ils expriment un des bibliothèques, sur les ActesSud, ne cite pas!» On se doute nom,Attilaestungarçonsilencieuxet besoin viscéral de changement qui se menaces du pouvoir politi- 336p.,23¤. qu’AlbertoManguels’insur- MauricePetitetl’association rêveur, qui voudrait échapper à la brise contre l’impossibilité d’y parve- queetdelacensure,surles ge contre ce mot d’ordre Confluencesontrenduhommageà monotonie de sa vie quotidienne. Il y nir. En équilibre entre nostalgie et négligences matérielles et les innova- démagogique : «Citer, répond-il, c’est AlbertoManguelàMontauban,du14au parviendra grâce à l’amitié qu’il noue ironie, Culicchia a écrit le roman de tionstechnologiques.Lespectredel’in- réfléchiràcequiadéjàétéditetsinousne 26novembreavecdeslectures,des avec un nouveau camarade de classe, touteunegénérationd’Italiens.a cendiedelabibliothèqued’Alexandrieà lefaisonspas,nousparlonsdansunvide expositionsetdesdébats. l’infréquentable Francesco Zazzi, dit FabioGambaro LIVRES DE POCHE 0123 55 Vendredi1erdécembre2006 De l’allègre correspondance de Voltaire et Vauvenargues au temps du pessimisme et des désillusions Des goûts et des colères CollagedeHughBulley CORRESPONDANCE Racine? Il choisit Racine contre Cor- extraitdel’édition VOLTAIRE-VAUVENARGUES neille qui amplifie des sentiments qu’il de«Candide»réaliséepar PréfacedeLionelDax. n’a pas. Voltaire se pique au jeu, heu- leCentreinternationald’études reuxdecettequerellesurlegoût:ilrap- duXVIIIesiècle. EditionsduSandre(57,ruedu pellequeCorneille«créelatragédiedans Docteur-Blanche,ParisXVIe.), unsièclebarbare»etque«lesinventeurs 90p.,11¤. ontlepremierrang,àjustetitre,dansla mémoiredeshommes».Etiltermineain- LEMONDECOMMEILVA sisalettrepoursonjeuneadmirateur: deVoltaire. «Legrandnombredesjugesdécide,àla ment, comme on a pu le prétendre, longue, d’après les voix du petit nombre pour distraire la duchesse du Maine. Gallimard,«Folio»,106p.,2¤. éclairé;vousmeparaissez,Monsieur,fait Le tragédien est doublé d’un conteur pour être à la tête de ce petit nombre.» nédontonrecherchelasociétépourla Le goût est une grande affaire : Uneamitiévanaître,quidureraquatre broderiedesaventures:ilimite,inven- c’est celle-là même qui occupe ans,jusqu’àlamortdeVauvenargues. te,mime,déclame,faitparlerdesper- lamerveilleusecorrespondance sonnages créés ou connus; il n’est entreVoltaireetVauvenargues, Limitesdelafaveurroyale jamaisennuyeux. un jeune capitaine de 27ans «folle- Durantcettepériode,leséchangesse mentamoureuxdelaliberté»;ilestlas- multiplient entre les deux hommes, ils «Lafonctiond’unecatharsis» sé des campagnes au service de se rencontrent, se lisent, se critiquent. C’est dans les contes que l’écriture LouisXV,retranchédansuncampmili- Ilsdiscutentsurl’instinctdeLaFontai- de Voltaire est, sans doute, la plus taire à Nancy. La guerre qu’il veut ne, sur Bossuet, Pascal, Fénelon, Boi- mobile.Aussilibrequedanslacorres- mener est ailleurs. Il est hardi et sait leau, Molière. Voltaire annote, à la pondance. Bref, l’esprit du poète est que«lesembarrasdesgrandsdesseins» demande de son ami, deux de ses tex- danslescontes.Mais,en1748,lasitua- ne rendent pas misérable! Il écrit, tes:LesOrateursetLesRéflexionscriti- tion sociale et sentimentale du grand pourlapremièrefois,le4avril1743,à quessurquelquespoètes.Asontour,Vol- écrivainachangé:ilesttristedudéta- l’auteurdesLettresphilosophiquesquia tairefaitparvenirsatragédieSémiramis chementd’EmilieduChâteletetfaible- 49ans : «Dans les matières de goût, il àson dévouécorrespondant pourqu’il ment consolé par sa nièce, Mme Denis. faut sentir, ce me semble, sans aucune enaitlaprimeuret,lecaséchéant,lacri- Des affaires le rongent (notamment gradation,lesentimentdépendantmoins tique. Vauvenargues lui envoie son meilalesfaveursdelareine, Voltaire l’amidelamarquisedePompadour,il Travenol).Ilestdéçudesavieparisien- deschoses,quedelavitesseaveclaquelle Introductionàlaconnaissancedel’esprit pensequel’élévationmoraledel’ouvra- devienthistoriographedeFrance,poè- ne.Letempsestàladésillusion.Lepes- l’esprit les pénètre.» Goût, sentiment, humain (février 1746). Voltaire émet gepeutvaloiràsonauteurl’attentionet teofficiel,membredel’Académiefran- simisme le gagne. Il pointe l’ignoran- vitesse, esprit : tout est lié. Ce qui est une réserve : «Ne peut-on pas adorer lasympathiedeSaMajesté. çaise. Il éprouvera bientôt les limites ce,lasuperstitionetlacupiditédeses viséjuste,là,c’estcequiestinfalsifia- l’Etre suprême sans se faire capucin? C’estquedepuis1744,Voltaireaten- delafaveurroyale.Pourunmotdéso- contemporains. «Dans la psychologie ble! Le faux goût est une inondation N’importe,lerestem’enchante.»Etcom- té de revenir en grâce à la cour. Il est bligeant,ildevrafuiretchercherlapro- voltairienne, nous dit encore René permanente qui ne quitte pas notre tection de la duchesse du Maine à Pomeau, le conte remplit la fonction actualité. Sceaux. Si l’on en croit René Pomeau d’une catharsis.» La vision de Babouc, Voltaireestunjoueur.Vauvenargues « Le mal est sur la terre » et son Voltaire en son temps (Fayard), oulemondecommeilva,s’inscritdans lesait.L’enjeudecettecorrespondance c’estuneconsolationpourluiquecette ce contexte où les hommes «partout dont la force est dans la liberté, c’est En1759,Voltaire batailledeVoltairene parlescollagesde amitiédeVauvenargues.Ilfautencore également fous», lui semblent «opa- donc de défendre les partis pris politi- publieanonymement peutêtredissociéede HughBulley, yajoutercelle,précieuse,deMarmon- ques», incohérents, contradictoires : ques et esthétiques contre le mauvais Candide.Leconteest cellemenéepourla originaux,burlesques, tel.Nousdevonsd’ailleursàcedernier l’ange Ituriel envoie Babouc observer goût. Les révolutions s’organisent dans condamnéàParisetà tolérance,quiestune vivantsetaudacieux. de nous avoir renseigné sur les entre- Persépolis(c’estParis).Desonrapport lavoluptédesconversationsetlesecret Genève,mais vertucardinale. vuesentrelesdeuxhommes. dépend le sort de cette ville où le deséchanges.Voltairerépondausoldat rencontreungrand LeCentre Candide,deVoltaire. Vauvenargues meurt en mai 1747. «mauvaisfourmilleetlebonestrare»: qu’ilvitdansunsiècleoùtoutluisemble succès.Ladoctrinede internationald’étude Préfaced’André La vie militaire aura eu raison de sa «Sitoutn’yestpasbien,toutestpassa- unpeupetit, «oùlefauxbelesprits’est l’optimismeyest duXVIIIesièclede Magnan,collagesde santé.Lesouvenirdesonamiinspireà ble.»Morale?Ilfautserésoudreàlais- mis à la place du génie». Alors discu- violemment Ferney-Voltairenous HughBulley,Centre Voltairel’Elogefunèbredesofficiersqui serallerlemondecommeilva.Autre- tons.Vauvenargueslanceledébat:que combattue:«Ille offreunemagnifique internationald’études sont morts dans la guerre de 1741 qu’il ment formulé : tout va bien dans le choisir entre le semblant, l’enflure de fautavouerlemalest éditionduCandide duXVIIIesiècle,126p., écriraenjuin1748.Cettemêmeannée, piredesmondespossibles.a Corneille et le caractère flamboyant de surlaterre.»Cette richementillustrée 20¤. ilfaitparaîtredescontes,etpasseule- VincentRoy Les « Cahiers de la Petite Dame », document irremplaçable sur Gide Un ample et ambitieux roman des temps postmodernes Pour l’art et pour le plaisir Utopies et désillusions JENESAISSINOUS tal» qu’était Gide la posture gret:elleadétruittoutesleslet- SIMPLESMORTELS communauté (Flammarion) – Tandis qu’on suit ces «sim- AVONSDIT d’un Eckermann sans dévotion tresqu’illuiaécritesdepuisleur dePhilippedelaGenardière. issu d’un séjour de deux ans à ples mortels» dans leur réalité D’IMPÉRISSABLESCHOSES (l’original notait des propos adolescencedecousinsgermains Rome,àlaVillaMédicis.Ils’agit quotidienne, qu’on voit cette Uneanthologiedes tenus par Goethe posant en et dans lesquelles il a le senti- ActesSud,«Babel», d’oser, ni plus ni moins, un familleévolueretsedétruire,un «CahiersdelaPetite Goethe), un témoin admiratif, ment d’avoir donné le meilleur 432p.,9,50¤. romansurlaconditionhumaine, autre texte, en italiques, entre Dame» amical, spirituel, amusé, jamais de lui-même, sa vie spirituelle. qui serait ancré dans la réalité enrésonanceavecleroman,tis- deMariaVanRysselberghe. duped’unartisteauxprisesavec LaPetiteDamerelatecedrame, En 1979, Philippe de la contemporaine, scandé par le sant le fil de l’histoire presque sescomplicationsetsonhumour commeellerelateralanaissance Genardière,30ans,entrait passagedesgénérations. immédiate – la dernière décen- Choixetprésentation aussi, son goût impérieux de la deCatherine,l’enfantqueGidea en littérature avec un nieduXXesiècle.«…Oui,levieil dePeterSchnyder, vérité. La relation entre André faiten toute conscience à Elisa- magnifique texte sur son séjour «Simplesmortels» équilibre avait volé en éclats – Gallimard,«Folio»,708p.,10¤. GideetMariaVanRysselberghe, beth, puisque Marc ne s’est pas en Orient, à Chiraz, Battue Dates,retourdessaisons,uto- n’allait-on pas entrer dans un laPetiteDame,épousedupein- prêtéaurôledegéniteur. («Digraphe», Flammarion). pies, espoir des lendemains qui autretemps,commel’indiquaitle Quelques jours avant la tre belge Théo Van Rysselber- Elisabeth voulait un enfant Depuis, il y a eu une quinzaine chantent:letempsestconstam- calendrier, n’était-on pas à la mort de Gide, en 1951, ghe, est à l’origine d’un des pourl’éleveràsaguise,dansun d’ouvrages,romansetessais,ins- mentprésentdansleroman,qui veilled’unnouveaumillénaire?» Maria Van Rysselberghe, romans familiaux les plus éton- espritdeliberté.RécitdelaPeti- pirés par les arts plastiques (La commenceaucrépuscule,àl’heu- Rienderaréfié,maisunsouf- lafemme auprèsde quiil vivait nants qui se puisse concevoir, teDame,en1922:«J’aiditdans Peinturedel’amour,Hazan1996) re où les étourneaux prennent fle puissant dans cet ambitieux depuisprèsd’undemi-siècle,lui véritable laboratoire des mœurs ces “Notes” comment les désirs ou la musique, comme Le Tom- leurenvol.C’estunecitédeban- roman des temps postmoder- dévoilait un secret : elle avait de demain inventé par un écri- d’Elisabeth inclinèrent spontané- beaudeSamson,ActesSud1998 lieue–cequ’onappelaitunevil- nes,imprégnéparlecinémade tenuettenaitencore,presqueau vain qui voulait préserver les ment vers Marc, qui s’était épris – une biographie imaginaire du le nouvelle – près de Paris –, Godardet de Fellini. Mais c’est jourlejour,àpartirde1918,des conditions de son art en même d’elle,etlaprofondejoiequeGide pianisteSamsonFrançois. mais«cepourraitêtreàGênesou surtoutàuneprofondeinfluen- cahiers où elle consignait des tempsquecellesdesonplaisir. eneutauprintemps1920.Ilcom- Ecrit après une trilogie de la àVienne»,àBerlinouàTokyo… ce de la musique – celle de «Notespourl’histoireauthenti- mençait à s’inquiéter de devoir «folie rédemptrice» (Legs, 1991, Apparaît un quatuor de person- Ravel notamment – que cet qued’AndréGide».Gidenesem- Espritdeliberté attendresilongtempslavenue de Morbidezza,1994,etGazo,1996), nages: Joël et Flore, avec leurs ample ouvrage doit la fermeté ble pas avoir saisi la portée du Que l’on songe seulement à cetenfant,etm’enparlaitparfois. sondernierroman,Simplesmor- illusions et leurs désenchante- de sa composition cyclique et jeu qu’elle lui révélait et dont, cette année 1918, où Gide (…)Détournépourlui-mêmedece tels–paruen2003–,reprendun ments,leursenfantsFredetLou, l’audacieuse harmonie de ses possiblement,ilsedoutait,obser- s’éprend de l’adolescent rimbal- but,ilretrouvaavecElisabethtou- projet plus ancien qui, en 1987, devant lesquels ils commencent paroxysmes.a ve Peter Schnyder en introdui- dien Marc Allégret, pratique- telalibertéquifavoriselesdisposi- orientait déjà Le Roman de la às’entre-déchirer. MoniquePetillon santàunetrèsnécessaireantho- ment confié à sa garde par une tions amoureuses, et c’est ainsi logie de ces notes, qui sont famille de pasteurs protestants, qu’undimanchedejuillet,aubord d’ailleurs beaucoup plus : une l’emmèneàLondrespourlepré- delamerdanslasolitudematina- œuvre presque autant qu’un senter à la fille de Maria, Elisa- le d’un beau jour, fut conçu l’en- documentirremplaçable. beth VanRysselberghe, qui, par fantquenousattendons. Mainte- La librairie Le jeu consistait à prendre goûtdel’indépendance,travaille nant, il veut y voir sa destinée, et L E S C A H I E R S D E C O L E T T E auprès du «contemporain capi- dans une ferme avec une amie queceladevaitêtreainsi.» desonâge.Gideàcetteoccasion Aleurparution,en1973,avec 23-25, rue Rambuteau, Paris 4ème - Tél. 01 42 72 95 06 fait la connaissance de Dorothy unepréfaced’AndréMalraux,en recevra ÀNOSLECTEURS Bussy,quiappartientaugroupe grandeformedecritiquelittérai- HERVÉ BOURGES THIERRY JONQUET PHILIPPE SOLLERS deBloomsbury;elles’éprendde re,quidonnel’exactemesurede Lalistedesparutionsdeslivres lui, pédéraste qui va sur ses cesCahiersdelaPetiteDame,ils le vendredi 1er décembre le samedi 2 décembre le jeudi 7 décembre auformatpochedumoisde décembreestdisponiblesurle 50ans,etserasatraductrice,tou- nefirentsensationqueparmiles à partir de 18h. à partir de 17h30 à partir de 18h. sitewww.lemonde.fr/livres: jourséprise,sansvraiespoir.Au lettrés : le temps de Gide était àl'occasiondelaparutionde àl'occasiondelaparutionde àl'occasiondelaparutionde retour, sa femme Madeleine lui passé.Ilsemblerevenu.Etc’est cliquersurpratique,ensuite Ils sont votre épouvante Fleurs LivresetdansCatalogue avouefroidementqu’ellel’apuni un bonheur sans mélange pour Ma rue Montmartre et vous êtes leur crainte Legrandromandel'érotismefloral cliquersurLivraisonspoches. de la pire manière pour cette l’intelligenceenliberté.a (Éd. Ramsay) (Éd. du Seuil) (Éd. Hermann) liaisonaffichéeaveclejeuneAllé- MichelContat 6 0123 DOSSIER Vendredi1erdécembre2006 Ecrivains, architectes, sociologues, botanistes... la capitale ne cesse d’inspirer les ouvrages les plus divers. Promenades insolites dans une ville en perpétuelle invention Les révolutions Paris de P arismuséifié,Parisembaumé,dépeu- laire et de Balzac, antérieure à l’intervention du Pour mesurer ces changements, sans quitter plé, embourgeoisé. Le refrain a été baronHaussmann,synonymedetouslesmaux. sonfauteuil,ilsuffitdefeuilleterFaçadesparisien- maintes fois repris depuis quelques Lebaronn’estpourtantqu’unmomentdel’his- nes,deMichelPoisson.Levolumeestillustrépar années. Pourtant, il suffit d’être un toiredeParis,l’équivalentdesesconfrèreseuro- plus d’un millier de dessins: des façades d’im- observateurunpeuattentifpourvoir péensquiontremodelélesmétropoleseuropéen- meubles–souventtropidéalisées,cardébarras- évoluer–parfoistrèsvite–lepaysa- nesdanslemêmeesprit:l’idéologiedesLumiè- séesdeleurs«pollutionsvisuelles».Cettejuxta- ge parisien. Saint-Germain-des-Prés est devenu res.LapremièrerefontedePariss’estmatériali- position, rendue plus étonnante encore par le une sinistre annexe du faubourg Saint-Honoré, sée,surlepapier,audébutdelaRévolutionfran- classement alphabétique retenu, permet en un mais le XIe arrondissement est maintenant le çaise. Haussmann s’inspirera largement de ce coup d’œil de mesurer l’extraordinaire collage cœurbranchédeParis.LequartierdesHallesest planditdesArtistes.Inutiledevoirdanslepréfet auquel le temps s’est livré à Paris. Sur la même désormaislaported’entréedelapériphériepari- de NapoléonIII un obsédé de la ligne droite et page, on trouve le pavillon classique de l’ancien sienne qui arpente les Champs-Elysées, laissant du maintien de l’ordre à tout prix. Même si ces marché aux chevaux (1760) de la rue Geoffroy- tomberlesgrandsboulevards.LecentredeParis impératifs ne lui sont pas étrangers, il partage Saint-Hilaire, une maison-atelier moderniste s’est hypertrophié au point d’envahir la quasi- avec ses contemporains de tous bords un souci (1929) rue Georges-Braque, et les tubulures totalitédesesvingtarrondissementsetlavillea hygiénisteetunerationalitésansdouteabusive. «high tech» du Centre Georges-Pompidou sautéleboulevardpériphériquepourinvestirles (1978). Mieux qu’un long discours, cette hié- communespériphériques, aujourd’hui compara- Extraordinairecollage rarchie guidée par le hasard nous montre com- blesauxfaubourgsd’antan. Si le livre d’Alain Rustenholz a le mérite de ment une cité vivante comme Paris évolue sans Cette myopie est souvent le fait d’un manque nous ouvrir beaucoup de portes en bousculant cesse par proliférations successives. «Plus vite de repères, d’éléments de comparaison. Deux lesépoques,onregrettequel’auteurnes’aventu- que le cœur d’un mortel», indiquait Baudelaire, publications,trèsdifférentes,tombentàpic:Les repasassezdanslePariscontemporain.Qu’ilne qui avouait: «Paris change!Mais rien dansma TraverséesdeParisd’AlainRustenholzetlesFaça- soit pas assez sensible au Paris qui bouge et se mélancolie/N’abougé!Palaisneufs,échafaudages, des parisiennes de Michel Poisson. Le premier modifiesanscessesousnosyeux.Qu’iln’aitpas blocs,/Vieuxfaubourgs,toutpourmoidevientallé- nousproposeunehistoiretrèspersonnelledela eulacuriositédefranchirleboulevardpériphéri- gorie,/Et mes chers souvenirs sont plus lourds que capitale. Une démarche buissonnière entreprise que,comme si le Paris duXXIe siècle se bornait desrocs.»a àtraverstouslesquartiersdelaville.L’auteuren encoreauxfrontièresfixéesparHaussmann. EmmanueldeRoux LesHallescentrales,1952.Photoextraitedulivre«LeTou balaie soixante-deux, LESTRAVERSÉES sans se soucier des Promenades littéraires dans « la mer des ténèbres » DEPARIS découpes administrati- d’Alain ves. Ce qui compte pour Rustenholz. lui, ce sont «les territoi- res qui ont été matériali- Parigramme,640p., sés par un lien social»: En 1937, Paul Valéry écrivait diesinternesdecetorganismevivant lamodernisationgalopanteetlaspé- véedupoètedonnéeenannexedecet- 1200photographies, Europe, Batignolles, ceci : «… PARIS [c’est lui qui quiignorelerepos(1). culation. Le Paris de Jean Follain a teédition,onpeutlire:«Unedivinité cartesetplans,39¤. Goutte-d’Or, Temple, metcenomenmajuscules…]est La littérature qui a pris et prend été publié en 1935. C’est le premier secacheentoi,Paris:c’estlamerdes Charonne, Beaubourg, bienautrechosequ’unecapitalepoliti- encoreParispourthèmeestimmen- livreenprosedecepoète(1903-1971) ténèbres; parfois le soir rien ne se FAÇADES Butte-aux-Cailles, Mont- queetuncentreindustriel,qu’unport se.Elleaccompagnel’histoiredelavil- quel’ons’obstineànepasmettreàsa résout,toutseperdetmeurt,secacheet PARISIENNES parnasse, Champ-de- de première importance et un marché le,s’yarrête,revientenarrière,rêveà vraieplace:l’unedestoutespremiè- parlementeaveclanuitmiraculeuse.» deMichelPoisson. Mars… Chaque plongée, detoutesvaleurs,qu’unparadisartifi- partird’elle. resduXXesiècle. Au poète qui sait les écouter, Paris dans l’un ou l’autre de ciel et un sanctuaire de la culture. Sa Marie-Claire Bancquart vient de OnracontequeJeanFollain,avant dicte parfois d’intenses messages, Parigramme,400p., cesterritoires,luipermet singularitéconsisted’abordencecique publierletroisièmevoletd’unetrilo- dequittersaManchenatale(ilestné des intuitions poignantes (Phébus, 1300dessins,29¤. d’entricoterl’histoire,tis- toutes les caractéristiques s’y combi- gieconsacréeàlalittératuredeParis. àCanisy,nonloindeSaint-Lô)etde «Libretto»,préfacedeGilJouanard, sée d’anecdotes plus ou nent, ne demeurent pas étrangères les AprèslaBelleEpoqueetlesurréalis- venir à Paris au milieu des années 190p.,7,50¤). moinsavérées.Lalégendesesuperposeauxfaits unes aux autres.» Que faire, que me (les deux réédités à La Différen- 1920 – il y fut avocat puis magis- Onprolongeralalecturedecetré- –unevillecommeParisatoujourslaissélapart conclure, alors, de cette «singulari- ce), c’est de Paris dans la littérature trat–,connaissaitdéjàtouslesitiné- sordeFollainparcelled’unautrepoè- belleàl’imagination.C’estdanscefeuilletagesin- té»?«PenserPARIS?Plusonyson- françaiseaprès1945(éd.deLaDiffé- raires de la capitale. «Paris attend te, Marc Alyn, qui propose un Paris gulier que l’on retrouve la philosophie d’Alain ge, plus se sent-on, tout au contraire, rence,380p.,25¤)qu’ilestquestion. l’avenir»,écritmystérieusementFol- pointdujourdetrèsbellefacture(Bar- Rustenholz, sismographe sensible de tous les penséparParis.» Lesplusrécentesmutationsdelacapi- lain dans cette géographie poétique tillat, 450p., 22¤). La promenade changementsdelacapitale.Ilaffirmerefusertou- Tous les amateurs, amoureux et taledonnentunetonalitéparticulière et très incarnée, parfois violente et dans tous les quartiers de Paris est teslesnostalgiespuisque,dit-il,encitantlepoè- autrespiétonsdeParisneferontpas àlaproseetàlapoésiedesécrivains. sensuelle, de Paris. Au fil de ces érudite,rêveuseet,làaussi,intuitive: te américain Allen Ginsberg: «Vous ne pouvez decetteremarqueuneénigme.L’idée La mémoire, comme chez Modiano, pages admirables, constamment «Somnambule endurci, je poursuis échapper au passé de Paris, et ce qui est le plus d’abord de l’organisme solidaire, du joue un rôle essentiel, ainsi qu’une émouvantes, mais jamais alanguies, monchemind’unpaslégerdechaten extraordinaireàcesujet,c’estquelepasséetlepré- réseau,dutoutformépard’innombra- volontéd’inscriredanslesphrasesce oncroisedesfillesdejoieetdesprê- vadrouille, porté par la double réalité sent s’entremêlent de façon si impalpable que ce bles«caractéristiques», parle immé- quelaréalitéestentraind’annihiler. tres,desenfants…«Labêtisesolennel- magique de l’ombre et de la lumière, n’est pas du tout un poids.» D’où cette façon de diatement à leur esprit. Ils peuvent, ledeshommes,leurdouceurémue,leur parmi la foule des intermittents du refuserlachronologieetdes’appuyersurdesélé- touscesmarcheurs,éprouvercelaau «Intermittentsducœur» fraternité de quelques instants, leurs cœur.»Lanuitetlesrêvessontdéci- ments visibles pour raconter, broder, rebondir, présent.Maispourtraduirecetétran- Mais il est un autre livre, secret, signesdecroixentraversantlesguésou dément les compagnons des defaçontrèslinéaireettrèslittéraire. ge sentiment de plénitude plurielle, intemporel,commesuspendu,parle sous les éclairs magnifient les grands «vrais»Parisiens!a Pourtant,laprésence,pourtoutecartographie, detotalitééclatée,ilfautavoirrecours miracle de son style, au-dessus du paysages terrestres.» En scrutant ces PatrickKéchichian duplanMairede1808,antérieurauxbouleverse- àlalittérature.Là,enquelquespages temps. Un livre qui contourne ou «visagesparisiensdelamaladieetde mentsduSecondEmpire,n’estpasinnocente.Le de Mercier, Hugo ou Baudelaire, de transcendecettenostalgiefatalement lamort»quetraceFollain,onentend (1)Acepropos,ilfautlirelemaître Paris«enchanté»d’AlainRustenholz,celuioùil Huysmans,dePatrickModiano,Jac- attachée au pas de l’arpenteur des des accents baudelairiens ou encore livredeKarlheinzStierle:Paris, se meut avec plaisir, c’est celui de la première quesRédaouOlivierRolin,onenten- rues et des boulevards constatant ceux du Rilke des Cahiers de Malte capitaledessignes(éd.delaMSH, moitiéduXIXesiècle,lavillefabuleusedeBaude- dra les bruits, le souffle et les mélo- avecdépitcequecoûte,chaquejour, LauridsBrigge.Dansunepageretrou- 2001). Montparnasse, « The Quarter » VASSILI ROZANOV du nouveau LESEXILÉSDE américains qui s’y installe de aubaine donc pour les jeunes téraire se côtoie, se dispute, se Le Feu noir sur l’affaire MONTPARNASSE 1920à1940,nommaitMontpar- artistes américains qui, bénéfi- jalouse,sedéchireouseréconci- 1920-1940 nasse. ciantduchangetrèsfavorableet lie autour d’un verre. Ezra deJean-PaulCaracalla. «A Paris, notait le composi- del’absencedeprohibition,arri- Pound,Hemingwayetsonturbu- Galilée teur Virgil Thomson, il est mer- ventennombrepourprofiterde lentami Fitzgerald,Joyce,Edith Gallimard,292p.,21¤. veilleux de se trouver dans un l’espritd’émancipationculturelle Wharton, Henry Miller, Anaïs endroit magique à un moment quisoufflesurlacapitale,loindu Nin…Acôtédecesincontourna- Jean-PaulCaracalla est de ces magique(…)Entrelesdeuxguer- puritanismeetdelacensure. bles, dont Jean-Paul Caracalla hommes qui n’aiment rien res,Parisétaitlecentredelalittéra- Ainsi, en 1924, «The Quar- livre des portraits fourmillant tant que faire partager leurs ture,deslettresanglaisesetaméri- ter» compte près de 250 écri- d’anecdotes(Poundapprenantla passions. Celles des trains, caines.»Lieumythique,fréquen- vains,directeursderevue,impri- boxe avec Hemingway; Nancy des voyages, et surtout celle de téàlafinXIXesiècle,notamment meurs anglo-américains qui ont Cunarddécouvrantsoussaporte Paris qu’il a célébré à travers parRimbaud,Verlaine,Baudelai- tous,àunmomentouàunautre, unpoèmedujeuneSamuelBec- Saint-Germain-des-Prés, Les re…et,audébutduXXe,parune deux points de ralliement: le 7 kett…), gravitent artistes bohè- Champs-Elysées (Flammarion), bohème artistique qui bourdon- delarueFleurusd’abord,oùGer- mes, poètes éthyliques (Robert Montmartre (Denoël) et récem- ne à La Ruche, Montparnasse, trudeStein–sansapprêtàladif- McAlmon), couple d’aristocrates ment Montparnasse, l’Age d’or juste après la Grande Guerre, férence de Natalie Barney – unrien esthètes,tels lesCrosby, (LaTableronde,«LaPetiteVer- offreplusd’unattrait.Acommen- reçoitdanssonatelier;etlarue lesMurphyoulesRubinsteinqui millon»).Unquartieretuneépo- cerparlescafésqui,aprèsLaClo- del’Odéon,au11,où,àlalibrairie se font éditeurs, imprimeurs ou Pourquoi la gauche quequecetéditeuretécrivainà seriedeslilas, vont,enquelques Shakespeare & Co, Sylvia Beach directeursderevue. l’éruditionjoyeuseneselassepas années,métamorphoserleboule- accueille,conseille,aide–parfois Reste qu’aux premiers échos triomphe-t-elle du d’arpenter. Pour preuve, ce livre vard.Qu’ils’agissedeLaCoupo- au risque de la faillite, comme de la guerre cette somptueuse centre et de la droite? plein de charme, de saveur, de le,duDôme,deLaRotonde,du lorsdelamémorablepublication colonie va s’éparpiller. Laissant piquant qui nous entraîne dans Select où l’on croise Follain, d’Ulysse,deJoyce,en1922. derrièreellelecharmeetlanos- ANATOLIA/ÉD.DUROCHER «The Quarter». C’est ainsi que Vlaminck, Derain, Max Jacob, Chezcesdeuxgrandesdames, talgied’uneépoquerévolue.a la colonie d’artistes et écrivains Matisse,Cocteau,Aragon….Une toutelafinefleurartistiqueetlit- Ch.R. DOSSIER 0123 77 Vendredi1erdécembre2006 C’est de plus en plus difficile de trouver de vraies gens parPierre-LouisBasse Onverrabienunjourcequiestlepluséclairant, mel Debbouze est formel, il faut aller rue Riquet, onverrabiencequiorganiselaconvergencedu dansle19e.Ilétaitessentield’enfaireuntitredans plus grand nombre de problèmes, d’orienta- les colonnes du JDD. C’est quelque chose de plus tions,etpeut-êtredesolutions.C’estencesensqueje enplusdifficile,detrouverdevraiesgens… m’intéresseàl’espace.»Ilseraitbonparfois,dereli- «Je me demande, note l’auteur Italien Lucile relephilosopheHenriLefebvre. Laveggi,oùsontpasséslesindividusbizarresqu’ony C’estunetendanceassezlourdeeneffet:vingt voyait il y a plus de vingt ans. Morts, disparus ou ansaprèsNewYork,etdanslesillagedeLondres, fumant une cigarette en pyjama sur un banc dans Parisn’enfinitplusderedistribuersonespace,ses une cour d’asile de province? On dirait qu’il existe corps,sa beauté.J’ailongtempsmarchédugrand maintenantdessociétésdeservicesquiopèrentlanuit nord,verslapierredetailleetlalumière.J’aiobser- pourdéménagerleshumainsàtoutevitesse.Ilnefaut vé avec chagrin le chemin emprunté par les plus plusqu’ilyaitd’espacesvisiblespourlesvieuxcorps démunis–hierArabesetNoirs,petitsBlancséner- démodés,lesespritsirréductibles,biendécidésàmou- vés,aujourd’huiKosovarsouTchétchènes,Russes riràlamanièreancienne:alcool,oisiveté,conversa- en guenilles, employés un peu perdus – stoppant tionsgratuitesmenéesjusqu’àl’aube.» netdèslorsqu’ilfallaitpousserplusloin. Maisl’Empireadesfailles. C’est le défaut majeur des empires et de leurs Lesjeunesbobosenkakiontbesoindetranquilli- capitales: rejeter toujours plus loin l’écume des té.Pantalonstrouésetscootercertes,maisbonnes bannis des lieux. A l’écart du pouvoir. J’ai vu, au écoles et hauteur sous plafond pour mieux vivre. soirdesJeuxolympiquesd’Atlanta,en1996,reve- Depuisquelquesmois,à denombreux carrefours, nirdescavesverslasurfacedujour,plusprèsdes Paris s’est doté de très étranges murs de brique. grandshôtels,cesguirlandesdepauvrespoussant Inutiles.Puissants.Mystérieux.Ilfautlesvoirpour desCaddie,hirsutesetmenaçants. lescroire,cesmuretsdebriquetterouge.Ilsparsè- Ilya,auxterrassesparisiennes,commeunemys- ment la ville, et empêchent les plus pauvres de térieuseabstraction.Notreregardafiniparflouter poserleurspaquetages.MacopineMariaadûquit- –bouter,lesquelquesApachesquiosentencorese ter la rue des Dames, dans le 18earrondissement. déhancherdel’autrecôtédupériphérique.Comme Elle pourrit sur place désormais, mais à distance, vissés sur des baskets à ressorts,ils sont toujours sur un morceau de trottoir de la porte de Saint- plusàl’aiseencapuchonnésaupieddelacité.Les Ouen.«Ons’enbatlescouilles»,nousrépètentles jeunesfillesontbeaulisserleurscheveux,ilfaudra tenanciersdelagrandefoiremédiatique. rentrercesoiravantlecouvrefeu. L’Empirerésiste, vaillequevaille.Onpeuttou- Ilsuffit,parexemple,d’aborderlecœurdeSaint- jours envoyer les enfants à la campagne. Mais la Germain-des-Prèsversleshuitheuresdusoir,pour campagnerecule.Ilfaitsilourd.Paris,villemusée, appréciertoute une fausse douceur qui jamais ne demeure silencieuse, comme sur les traces de les caressera: le cliquetis des fourchettes sur les Monaco. Bientôt, on se contentera de chuchoter. nappesempeséesduFlore.Tantdeblancheur.La Lesgrandsboulevardsneserontplusqu’àconces- dignitésauvagedel’écrivainCosseryquiposeenco- sionperpétuelle.Oudécoupésenmorceauxpourla resonregardsurlaville,derrièrelavitredelacélè- banque. brebrasserieLipp.Maisleslibrairiesn’enfinissent Verslegrandnord,toujoursplusnombreux,les plusd’êtredévoréesparlescaféshigh-tech.Quar- bannis des lieux font face désormais à des pous- tierperdu.Aurythmeatrocedesmagazinespeople, seurspourquelesportesdeswagonsdelaligne13 Paris n’en finit plus d’épouser les contours d’un se ferment enfin correctement! Comme le temps urdeParis:promenadesaériennesdeRogerHenrard»,parJean-LouisCohen.DOMINIQUECARRÉÉDITEUR/PARISMUSÉES grandloftvulgaire.Pourvoirdevraiesgens,Dja- passesurcesvisagesfermés,detouteslescouleurs. Dansquelquesjours,unjolitramwaytraverserale sud de Paris. Il y a une belle exposition à Beau- Des jungles dans la ville bourg,consacréeàYvesKlein.Lesancienslanceurs de pavés, fatigués, la lippe méprisante, commen- tent l’actualité des banlieues au café Beaubourg. AdrianaKarembeuaouvertunbarsurleschamps ATLASDELANATUREÀPARIS, et à la réflexion que nous propose lieuxlesplusriches.Parcequ’elleres- «Je n’aime pas l’expression, bien Elysées:leDely’sCafé.Ilyaaussiunnouveaupala- sousladirectionde l’Atlas de la nature à Paris, publié tepourl’essentielinaccessibleàlafré- tropusitéeàmongoût,d'“espacever- cetrèsclasseducôtéduFouquet’s.Marchandsde Jean-BaptisteVaquin. sous la direction de Jean-Baptiste quentation humaine, c’est avec une t”»,prévientJean-PierreLeDantec, sommeil à 10000euros la nuit. Cool. A Saint- Vaquin,directeurdel’Atelierparisien émotionparticulièrequel’onrevisite- directeur de l’Ecole nationale supé- Ouen,antiquairesetvieuxarabesseregardenten Ed.duPassage,288p.,45¤. d’urbanisme avec le concours du ra ainsi la Petite Ceinture, l’un des rieured’architecturedeParisLaVil- chiensdefaïenceauborddupériphérique.Parfois Muséumnationald’histoirenaturelle tout derniers terrains «libres» de letteetcoordinateurdeladeuxième toutdemême,ilestclairquelaracaillenesetrouve Combien sont-ils, les Parisiens etduConservatoirebotaniqueduBas- Paris. Aujourd’hui largement désaf- moitiédel’ouvrage,«Aladécouver- pastoujoursdansdeslieuxofficiellementdésignés. qui savent avoir des orchidées sin parisien. Un guide de synthèse fectée,cetteanciennelignedechemin tedelanatureàParis».«Jen’appré- Aveclefootetlesfachos,le16earrondissementest sauvagesdansleursfriches,des quirecense,enuneprésentationsoi- de fer épousant le contour intérieur cie guère non plus l’expression maintenantprévenu. renardsdansleursbois,deslézardset gnée et aérée, l’essentiel de ce que delavilleconstitueeneffetunvérita- d'“espace planté” (…) En fait, seul le J’airencontrédesadolescents,àDrancy:unpeu descrucifèressurleursbordsdeSei- l’onpeutconnaîtredelafauneetde blecorridorécologique. motdejardinmesatisfait.»Unmot comme avec la neige la première fois, ils avaient ne?Aimaginerqueleurville,renom- lafloredenotrecapitale. Acesbrèvesmonographiesfaitsui- qui accueille tous les espaces attenduquatorzeanspourfaireleurpremiervoya- mée pour la beauté de ses édifices, teuninventairedétaillédelafloreet urbains non bâtis «pourvu que ces geversParis.Ilsétaientbiendécidésàbraquerle abrite près de 500000 arbres et Inventairedétaillé delafaune,illustrépardescartesqui derniersracontentquelquechosed’in- tempsperdu.DeceParisperduqu’ilnousestpar- 3000espèces sauvages animales et BergesdelaSeine,boisdeVincen- indiquent, espèce après espèce, la téressant à propos des rapports entre fois possible de retrouver sur les images de Willy végétales?Quisesouvientdelaflore nes ou de Boulogne, cimetières : la localisation de chacune d’entreelles. l’homme et la nature en un temps et RonisouDoisneau,j’imaginequelehérosdePort- hébergée au XIXesiècle, alors que la première partie de l’ouvrage, qui Onyferad’intéressantesrencontres… unlieudéterminés».DeBoulogneau Soudand’OlivierRolinenconservaituneidéeassez botaniqueprenaitsonessoretqu’exis- nous entraîne «A la découverte des Celle, par exemple, du sisymbre irio parc André-Citroën, des Tuileries précise:«DansleParisdisparudenotrejeunesse,on taientencoredesespacesnonurbani- écosystèmes parisiens», ne propose oudel’armoiseannuelle,deuxplan- aux friches laissées ça et là, c’est pouvaitaussirencontrerlefantômeàtêted’Arsouille sésdansleslimitesactuellesdelavil- pasuncatalogueexhaustifdelabiodi- tes typiquement urbaines qui ont doncdejardinsqu’ilesticiquestion. d’Apollinaire errant sans avoir le cœur d’y mourir, le? Quelle place celle-ci fera-t-elle versité parisienne. Les naturalistes l’heurdeseplairedanslacapitale.Ou Unefoisencoresansviséeexhausti- chapeaucabosséetnœudpapdetravers,ouceluide demain à la nature, quels jardins qui se sont attelés à ce recensement encorecelledesorchidées,dontsept ve, mais dans le souci constant de Bretoncroisantsouslesgrandsarumsduciel,unvisa- modernesnousinventerontlespaysa- du vivant n’ont souvent retenu que espèces,surlescentsoixantequecom- donner à réfléchir sur la pluralité gequ’ilcraignaitfollementdenejamaisrevoir.» gistesurbains,etpourquelsusages? les espèces rares ou emblématiques, prend la flore française, s’épanouis- despaysagesurbains.a Maisc’étaitautempsd’avantlavictoiredesmar- C’estcetteinvitationàlapromenade etsesontpenchésenprioritésurles sentdansleboisdeVincennes… CatherineVincent chands.a ZOOM SileParismédiévalestencore modesteexploitmilitaire–la échangesfructueux,lacréation, duportugaisetprésentépar traduitdel’anglais visibleàtraverssesédifices priseduTrocadéro–pour en1988,del’Institutdumonde PierreLéglise-Costa, (Etats-Unis)parJeanPavans, religieux(largementremaniés), modifiersonnom.Maisil arabe,centrenévralgiquedece 248p.,8¤. 254p.,8¤,etParispourles sesmonumentscivilset faudraattendrel’Exposition passage.Croisantlesdisciplines, Signalons,danslamême Nuls,deDanielleChadychet UNEHISTOIREFRANÇAISE militairesontpresquetous universellede1878pourvoirla l’historienneetanthropologue collection,lesEsquisses DominiqueLeborgne,éd.First, Paris,janvier1789 disparu(ilrestenotamment collinecouronnéed’un MaudLeonhardSantinirevient, parisiennesd’HenryJames, 488p.,22,90¤. deValèreStaraselski l’HôteldeCluny,la «palais».Lesfondationsdece dansunessaidenseetéclairant, Ilgèle.Chaquematin,les Conciergerie,ledonjonde bâtimentservirentàl’édifice surlesitinérairesdes hommesdelamunicipalité Vincennes).Quantàson quenousconnaissons, intellectuelsetécrivainsarabes; emportentlescadavresdes urbanisme,cen’estplusqu’un construitàl’occasionde elleanalyselestracesphysiques malheureuxfauchésparlefroid souvenir.Ilfautdoncseplonger l’Expositionuniversellede etsymboliqueslaisséesdansla delanuit.DansleParisfigéde sansattendredanscetAtlas,une 1937.L’historienPascalOry capitale,etleurtraductiondans cespremiersjoursde1789,le petitemerveille,quiconjugue nousretraceagréablement,à l’espaceéditorialfrançais.Ch.R. O jeuneGeorgesdeCoursaultse intelligemmentphotos,dessins, l’aided’ungrandnombre Parenthèses,366p.,22¤. rendauchevetdel’avocat plansettextespourévoquerla d’illustrationsetd’unDVD, Marc-AntoineDoudeauville, villedontVictorHugoa l’histoiredecelieuvoué, LEPEINTREETSON bjet gravementblessésuiteàun prononcél’oraisonfunèbredans depuisdeuxsiècles,aux ATELIER, accident.Sentantsadernière Notre-DamedeParis.Cevolume constructionspubliques: deFrédéricGaussen heurevenue,l’hommedeloia peutégalementservirdeguide palais,musées,théâtre–et «Lesrefugesdelacréation, non décidédeluidicterses pourdétecterlestracesténues demainlaCitédel’architecture Paris,XVIIe-XXesiècles».Le mémoires.Ilemmènelejeune decesraresédificesdispersés etdupatrimoineaveclaquelle sous-titredulivreindique homme,aufildesconfidences, dansParis.E.deR. cetitreestédité.E.deR. l’amplitudehistoriquede identifié dansunefoisonnanteévocation Parigramme,256p.,600ill., ActesSud,«LesGrands l’ouvragequi,autraversd’une duParisdesdernièresheuresde 100cartes,49¤. Témoinsdel’architecture», richeillustration,démontre l’AncienRégime,entreémotion 128p.,etunDVD,32¤. combien«Parisfutune desdécouvertes(lespremiers LEPALAISDECHAILLOT, “ville-atelier”dontlecentre[a] éclairagesdesrues,lepremier dePascalOry PARIS,LIBRAIRIEARABE, variéselonlesépoques».P.K. RenaudCzarnes voldemongolfière…)et PendantlongtempsChaillotfut deMaudLeonhardtSantini Parigramme,254p.,29¤. LesÉchos inquiétudefaceàl’avenir.Une unsimplevillagedela Aprèsavoirétédans évocationsubtileetoptimistede périphériedeParis.Audébut l’entre-deux-guerresl’undes LETTRESDEPARIS, lavieparisienne,àl’approchede duXIXesiècle,Napoléon hautslieuxdelaculture d’EçadeQueiroz latempêterévolutionnaire.J.G. médited’yinstallerlepalaisde anglo-américaine,Parisdevient, Lesimpressionsparisiennes LeCherche-Midi,400p.,19¤. sonfils,leroideRome.Les audébutdesannées1980,l’une pleinesdesaveurdugrand �É D I T�I O N S architectesPercieretFontaine descapitalesculturellesdu écrivainportugaisdansles ������ ��� ATLASDEPARISAU enfirentlesplans.Quine mondearabe,avantdesevoir deuxdernièresdécenniesdu MOYENÂGE,dePhilippe furentjamaisréalisés.La quelquepeudétrônépar XIXesiècle.P.K. LorentzetDanySandron Restaurationprétextaun Londres.Symboledeces LaDifférence,«Minos»,traduit 8 0123 ESSAIS Vendredi1erdécembre2006 Laboratoire colonial LeséditionsLaDécouverteviennentde lancerlacollection«Genre&sexualité», consacréeàl’actualitédespolitiques sexuellesetdesrecherchessurlegenre. DirigéeparEricFassin,cettesérieest inauguréeavecunbelessaisignéElsa Dorlin.DansLaMatricedelarace. Généalogiesexuelleetcolonialedelanation française(312p.,27¤),lajeunephilosophe conjuguehistoiredessciencesethistoire politiquepourexplorerlessourcesdes représentationsracistesetsexistes. Etudiantlestraitésmédicauxetla littératurecolonialedesXVIIeet XVIIIesiècles,ellemontrecommentlecorps desfemmesetceluidesesclavessesontpeu àpeutrouvés«pathologisés»,lesmédecins leurattribuantdesmaladiesspécifiques liéesàuntempéramentnaturellement spécifique:«fureurutérine»pourlesunes, «maladiedusommeil»pourlesautres… Comparantcedoubleprocessus d’infériorisationsymboliqueetdesujétion physique,ElsaDorlinaffirmesonrôle centraldanslaconstructiondenotre modernitédémocratique:«Lescolonies apparaissentclairementcommeun laboratoireoùunecertaineidéedela citoyenneté–exclusive,restrictiveet naturaliste–aétépenséeetéprouvée.» sontlespauvresetsurtoutlesimmigrés:«Plusque lafaibleprésenced’enfantsd’ouvriers,c’estla quasi- absenced’élèvesd’origineimmigréequicaractériseles établissementsprivés»,précise-t-elle. De son côté, Fabien Jobard marque la «cécité L’ancienfootballeurBasileBolietPatrickLozès,présidentduConseilreprésentatifdesassociationsnoires(CRAN),lorsdelacréation criante»desinstitutionspolicières etjudiciairesà decettefédération,le26novembre2005àParis.OLIVIERLABAN-MATTEI/AFP l’égarddediscriminationsracialesqu’ellesprodui- sent.S’appuyantsurplusieursenquêtesdeterrain, Rhétoriques ne,etceàundoubletitre.D’uncôté,onassisteàla lechercheurmontrequecesdiscriminationspren- libérationd’undiscoursquitendàstigmatisertelle nent souvent des formes beaucoup plus subtiles outellepopulation enfonctionde sesoriginesou qu’on ne croit, irréductibles aux seuls «contrôles de sa couleur de peau, comme on a encore pu le aufaciès».Pourlesmettreenlumière,ilestnéces- constater lors des émeutes urbaines de novem- sairedeconjuguerplusieursapproches:«Lesdiffé- de la race bre2005.D’unautrecôté,forceestdereconnaître rencesdetraitementparlespoliciersdespopulations quecesmêmesmarqueursidentitairespeuventaus- qu’ils rencontrent superposent aux critères ethniques siêtreutilisés,toutàl’inverse,pourluttercontreles des critères à la fois territoriaux et strictement discriminationsetbâtirunepolitiquedereconnais- pénaux»,écritJobard. sance:desgrandspatronssignentune«chartede Clairetinforméàlafois,cetouvrageseprésente la diversité», des chaînes de télévision jurent de donc comme une réflexion à plusieurs voix, Discrimination positive, « minorités visibles », charte promouvoir les «minorités visibles» à l’antenne, d’autant plus féconde qu’elle n’est aucunement des associations de multiples horizons se rassem- homogène. Au fil des pages, le lecteur perçoit de la diversité... Un collectif d’auteurs étudie ces blentdansunConseilreprésentatifdesassociations d’ailleurs une réelle diversité de démarches et de noires(CRAN). sensibilités. Ainsi Gérard Noiriel retrace-t-il la phénomènes inédits, jadis impensables généalogiedelaquestionracialeauseindu«creu- «Colorblind» setfrançais», pourenappelerà laplus«extrême au pays de l’universalisme républicain Autantdephénomènesquinesontguèreaisésà vigilance»encesdomaines:«Onnepeutévidem- envisagerdansuncontextefrançaisréputé«color mentpasmettresurlecomptedu“racismepost-colo- blind» (aveugle à la couleur), comme disent les nial”l’échecscolairedesjeunesissusdel’immigration Anglo-Saxons, et où l’universalisme républicain enprovenancedespaysd’Europedel’Est»,remarque DELAQUESTIONSOCIALEÀLA vauxet recherches des sciences sociales. (…)C’est un tient lieu d’ultime fondement à la citoyenneté. Et l’historien. QUESTIONRACIALE? avisauxantiracistesdel’avenir:ilfaudrabienqu’un pourtant,ilfautbienadmettrequecheznousaussi, Toutaussiperplexeàl’égarddelaproblématique Représenterlasociétéfrançaise, jourl’intendancesuive…»,prévenait-il. «laraceestdevenueuneressourcepolitique,dontles «post-coloniale» dans ses formulations les plus sousladirectiondeDidieretEricFassin. Quinze ansplus tard, le mouvement antiraciste acteurssesaisissentpourdéfendredesintérêts,attirer caricaturales,EmmanuelleSaadafaitvaloirqueles dans son ensemble connaît une crise sans précé- des électeurs, revendiquer des places, consolider des usagescoloniauxdelacatégorieraciale,trèsvaria- LaDécouverte,264p.,20¤. dent,déchiréqu’ilestparlesdébatsautourduvoile positions». blesd’unesituationàl’autre,sesonttoujoursins- islamique ou encore la querelle post-coloniale. D’oùlaprisedepartidesauteurs:plutôtquede critsdans«unentrelacementdediscoursquin’était E n 1991, dans l’«avertissement» d’un Danslemêmetemps,quelqueschercheursenscien- regretterle«bonvieuxtemps»delaluttedesclas- pasmoinscomplexehierqu’ilnel’estaujourd’hui». ouvrage intitulé Face au racisme (La ces sociales tentent, eux, d’affronter non plus le ses,etdedéplorerl’inexorable«ethnicisation»du D’oùl’urgencedenepasaccepterunecertainevul- Découverte), Pierre-André Taguieff «racisme», cette idéologie pseudo scientifique et débatpublic,ilscherchentàrefonderunegrillede gateàlamode,cette«visioncontinuistedel’histoire, soulignait l’incapacité d’une certaine meurtrière,maisla«race»commereprésentation lecturepropreàarticulerlefacteurracialavecdes quiliedemanièretroplinéairediscriminationscolo- gaucheprogressisteàpenserlarenais- collectiveetcommecatégoriedepenséedésormais logiquesplustraditionnelles,àcommencerparles niales et contemporaines comme étant toutes le pro- sance des stéréotypes xénophobes et incontournables. «En quelques années, ce qui était clivages socio-économiques, les statuts juridiques duitd’unracismeinchangé».a antisémites. Pour le politologue, cet aveuglement occultéestdevenuomniprésent,cequel’ontaisaitest oulespolaritésdegenre. JeanBirnbaum conceptuel expliquait le désarroi des belles âmes devenuunlieucommun»,notentainsilessociolo- AinsiAgnèsVanZantenanalyse-t-ellecet«objet humanistesfaceàlapercéelepéniste:«C’estpréci- guesDidieretEricFassinenouvertured’unvolu- tabou» que constituent les inégalités ethniques à Signalonségalementledossiercoordonnépar sémentl’inquiétanteascensionduFrontnationalqui mecollectifrécemmentparusousletitreinterroga- l’école,c’est-à-direaucœurmêmedumodèled’inté- FethiBenslama,AlainBrossatetMichelSurya, apermisdeprendreconsciencedesillusionsetdeslimi- tif,etimpensableilyaseulementquelquesannées: grationàlafrançaise;elleétudietoutparticulière- danslederniernumérodelarevueLignes,surle tesdel’actionantiracistetellequ’onl’aconduite.(…) Delaquestionsocialeàlaquestionraciale? mentlesstratégiesd’évitementmisesaupointpar thème«Rupturessociales,rupturesraciales» Laluttecontreleracismeoulaxénophobie,sielleveut Orc’estl’époqueelle-mêmequiposelaquestion, certainsparentsd’élèvespourtenirleursenfantsà (no21,novembre2006,Ed.Lignes-LéoScheer, seressourcer,nepeutplusseteniràdistancedestra- enreplaçantle«faitracial»surledevantdelascè- bonne distance de ces «handicapés sociaux» que 256p.,17¤). Sous-sols : mondes disparus Onvoyagedemoinsenmoinsau persévérancepourdresser,commel’ont Kirchersurlemaelströmdesîles deréférencepouramateursdétraqués. notablesprogrès.Nullescience centredelaTerre.Quelques faitGuyCostesetJosephAltairac,le Lofoten,ouleshypothèsesdeHalley Danscevolume,quiestaussiunbeau nouvellen’estvenuebalayerlesdélires géologuesetchercheursmisà catalogueraisonné,en2211notices, surl’existenced’undeuxièmeglobeau travaild’édition,laplaisanteétrangeté anciens.Ont-ilsmigréverslesséries part,peudemondes’ensoucie.On d’autantderécitsd’aventures cœurduglobeterrestre?Plus desdécouvertessecombineaujeudes télévisées,lesjeuxvidéo,lessous-sols pourraitmêmeparlerd’indifférence. souterrainesetdemondesengloutis. loufoquement:quiconnaîtlemonde illustrations.Desmilliersde électroniques?Oubiennostêtes C’estregrettable.Oùsontdoncpassés Unpetitnombredecestextessont occultedel’Agarrtha,situégrosso couverturessontreproduites:des elles-mêmessetrouvent-elles cespeuplesinnombrables,créatures archiconnus,commelemythede modosouslaMongolie?Dessages visageseffarésycontemplentdes dépeuplées?Ilfaudraitmonterune étranges,monstresinattenduset l’AtlantidechezPlatonouleVoyageau Tibétainsygouvernaientl’humanitéen monstresglauques,selondescodes expédition.a blafards,aventuriersforcément centredelaTerredeJulesVerne.Mais compagniedequelquescréatures graphiquesaujourd’huiengloutis. intrépidesquisebousculaient,naguère, touslesautres? Resteàsavoird’oùvintcette LESTERRESCREUSES danslesentraillesduglobe?Onvoyait Quelquesamateursmisàpart,quise CHRONIQUE efflorescenced’affabulations.La Bibliographiecommentéedes leshérosprogresserdecrypteen souvient,parexemple,deLaCitédes spéléologien’yfutpaspourrien,ni mondessouterrainsimaginaires ROGER-POL crypte,cheminerdanstoutessortes Ténèbres(1926,plusieursrééditions), l’archaïquerelationdel’humanitéaux deGuyCostesetJosephAltairac. d’enginsfouisseurs.Ilsfaisaient oùLéonGroc,l’undesmaîtresdu grottesetcavernes,niletropismedes DROIT toujours,auboutd’unmoment,des fantastiquefrançais,imaginaitlasurvie psychismesindividuelsverslanostalgie PréfacedeI.F.Clarke,annexede rencontresextraordinaires.Ont-ilstout d’unecoloniedeChaldéensdansdes duventrematernel,sansoublier F.Tortey,postfacedeS.Lehman àfaitsombré?Sont-ilsengloutisdans cavernessouslaMéditerranée?Quia surnaturelles.Car,danslessous-sols, l’antiqueattirancepourlespuissances Encrage-LesBellesLettres, l’oubli?Pascomplètement.Ils luLePeupledel’Enfer(1962,d’aprèsle ontrouvaitdetout:illuminés, d’en-bas,lesdieuxchtoniens,les «Interface»800p.,60¤. somnolentdanslesarchives. filmdeVirgilVogel,TheMolePeople, mystiques,orangs-outangs,tribus exhalaisonsd’infernauxremugles. L’incroyabledédaledesunivers 1956),oùcesontdesSumériens,cette perdues,Atlantes,Aztèques,hommes Enfin,peut-êtresurtout,onnesavait Précision:plusieurslecteursm’ont imaginairessouterrainsestdésormais fois,quiseperpétuentdansdesgrottes préhistoriques,gourouspréservés, guèredequoipouvaitbienêtre signalé,àlasuitedelachroniquedu figé,assoupisurdesétagères perdues,senourrissantde chauves-souris,sauriens,araignées, composél’intérieurduglobe. 3novembre,qu’endanoislenomde commençantàêtrepoussiéreuses. champignonsettenantenesclavage viesinférieuresousupérieures,sans Inaccessible,irreprésentable,ilappelait Kierkegaard,composéeffectivementde Malgrétout,unrienpeutéveillerles deshommestaupes?Qui,àlarubrique compterdufeu,dessoleils larêverie.Ellesesubstituaitauxsavoirs Kierke(église)etdegaard(petite dragons,lémuriensetatlantes, «peuple»,distinguerad’emblée,parmi intermédiaires,descieuxsouterrainset défaillants.Moinsonconnaît,pluson ferme,enclos),signifieusuellement ressusciterhypothèsesextravaganteset lestitres,entre«lepeupledel’abîme», desrituelsbarbares. invente.Toutescesfantasmagories «cimetière»,quandlesdeuxtermes théoriessidérantes.Quelques etceux«desprofondeurs»,«des Cecataloguedescrypteslittéraires étaientdonc,avanttout,desvoyagesau sontaccolés.Cetteprécisionouvre passionnéssuffisent,qu’onsuppose ténèbres»,«dubrouillard»? estàlafoisérudit,insoliteetaffolant, centredelatête.Pourquoidoncse évidemmentlavoieàd’autres doucementdinguesetpassionnément Plussavamment:quidoncaentête allantdeDanteàBatmanenpassant sont-ellesplusoumoinséteintes?La interprétations,pasnécessairement patients.Carilfautunesacrée lesthéoriesdufameuxjésuiteAthanase parDescartesetAmazingStories,revue géologien’apasfait,enlamatière,de contradictoiresaveccellesproposées. SCIENCES 0123 99 Vendredi1erdécembre2006 ZOOM Chez les fourmis, un seul mot d’ordre : « Tous pour un, un pour tous » Travail, communauté, NANOMONDE,DESNANOSCIENCES AUXNANOTECHNOLOGIES, deRogerMoret Quesait-ondumondedesnanotechnologies? Peudechoses.Ilestsiminusculeetdouéde propriétéssisingulièresquel’esprits’yperd. hiérarchie Pourtant,lesnanotechnologiesfontdéjàpartie denotrequotidienetsontappeléesàpesersurle devenirdenossociétés.S’agit-ild’unerévolution scientifique,d’unerupturetechnologique,d’une nouvelleétapedanslaminiaturisation?Le physicienRogerMoret(Universitéde LAVIEDESFOURMIS desdernièresconnaissancessurlesujet et résisté des millions d’années durant Paris-Sud/Centredevulgarisationdela deLaurentKeller etfourmillent–onpeutledire–d’anec- auxoutragesdutemps.D’uncôté,ilya connaissance)tentederépondreàcesquestionsdansunpetitouvrageriche etElisabethGordon. dotesetdepetiteshistoiressurcesêtres lesreinesdontleseulbutestd’assurerla enschémasetenphotos,publiéparleséditionsduCNRS.Ysontprésentées auxcapacitéscérébraleslimitéesmaisà reproduction de l’espèce. Elles ne s’ac- nombred’applicationsdecestechnologiesquivontdel’électroniqueàla Ed.OdileJacob,304p.,21¤. la volonté inébranlable. Exploratrices couplentqu’unefois,aucoursd’unéphé- médecineenpassantparl’environnementetleséconomiesd’énergie. infatigables de la planète, les fourmis mère vol nuptial, pour ensuite pondre Certainesexistentdéjà.D’autressontendevenir.D’autresencore LAVÉRITABLEHISTOIRE ont colonisé toutes les terres. Les plus leurviedurant.Del’autre,desouvrières appartiennentaumondedelafictionavecdesrobotsmédecins,bâtisseurs DESFOURMIS souterrainescommelesplushautes.Les stériles et disciplinées qui font preuve ouespions.MaistoutemédailleasonreversetNanomonde,desnanosciences deLucPassera. pluschaudescommelesplusfroides.A d’unecertaineflexibilité,sefaisanttour auxnanotechnologiesn’oubliepasd’évoquerlesincertitudes,lesrisqueset l’exception de l’Antarctique, du Groën- à tour nourrices, fourragères, éleveuses lescraintesquesoulèveledéveloppement–s’iln’estpascorrectement Fayard/letempsdessciences, land et de l’Islande. Même les contre- debétail,champignonnistes,architectes, encadré–decenouveausecteur.J.-F.A. 304p.,20¤. forts de l’Himalaya n’ont pas échappé bâtisseuses ou farouches guerrières CNRS,96p.,15¤. auxéclaireursdecertainesd’entreelles dotéesderedoutablesarmeschimiques. La taille ne fait rien à l’affaire. quiconnaissentlesvertus…del’antigel. Quantaux mâles,ils n’ontpas droitde DICTIONNAIRED’HISTOIREETDEPHILOSOPHIEDESSCIENCES, Pasplusd’ailleursquelevolume citédanscescoloniesmatriarcalesetne sousladirectiondeDominiqueLecourt ducerveau.Onpeutêtreminus- Insectesstakhanovistes survivent que le temps de déposer leur Dansunmondequ’ontfaçonné,pourunegrandepart,lesdéveloppements culeetleplusgranddescoloni- Comparésàcesinsectesstakhanovis- semence. Ils meurent ensuite, faute de delatechnologieetquiaérigélascienceenautoritéabsolue,lesréalitésde sateurs. On peut ne posséder qu’un tes, les six milliards et demi d’êtres pouvoirs’alimenterseuls. lapenséescientifiques’avèrentparadoxalementméconnues.Pourypallier, demi-milliondeneuronesquandl’hom- humains qui peuplent la planète for- Necherchezpasdecompassiondans DominiqueLecourt,professeurdephilosophieàParis-VII,a,pourla me,lui,estriched’unecentainedemil- ment un groupe bien modeste. Toutes cessociétés.Iln’yenapasmêmesiles quatrièmefois,remaniéavecl’aidedequelquedeuxcentschercheurset liards et bâtir des structures qui, à espècesconfondues,lepeupledesfour- individus d’une même colonie «dialo- universitairesfrançaisetétrangersleDictionnaired’histoireetdephilosophie l’échelleentomologique,sontdevérita- misestrichedequelquedixmillionsde guent» via des émissions chimiques, desscienceséditéenformatpocheparlesPUF.Unouvrageincontournable blescathédrales. milliardsd’individusqui,aussiétonnant desdanses,desgestesetmêmedessons. quis’estenrichidenouvellesentréessurArchimède,Bohr,Gödel,la Mais qui sont ces Alexandre, ces quecelapuisseparaître,représente10% Mais ces systèmes de communication biodiversité,l’économie…J.-F.A. Napoléon, ces Jehan de Chelles ou ces delabiomasseanimaletotaledelaTer- ontpourseulobjectifdesouderlegrou- PUF,1216p.,32¤. Pierre de Montreuil? Des bestioles de re.Ilestdoncnaturelqu’onlescroiseà peafindemieuxlefaireprospérer.Aus- quelquesmillimètresquidominentdis- chaque pas et sous toutes les latitudes sinefaut-ilpass’étonnerquelemonde SIMPLICITÉPROFONDE.Lechaos,lacomplexité crètement le monde depuis 110 à tantleurcapacitéàs’adapterestgrande desinformaticiensaitcopiéceluidefour- etl’émergencedelavie,deJohnGribbin 130millions d’années. Le nomde ces dèslorsquechaquecoloniesertlacom- mis pour étudier avec de minuscules Onadumalàs’enconvaincre,neserait-cequ’enconstatantl’impossibilité envahisseurs: les fourmis. Une famille munauté pour perpétuer l’espèce et la robotscomment«àpartird’actesindivi- deprévoirletempsqu’ilferadansunesemaine,maislessystèmescomplexes sivasteetsidiversifiéeque12000espè- renforcer. duelsapparemmentdésordonnésapparaît sontrégispardesloissimples.Enfait,enrésumantd’unephraseunpan ces,àcejour,ontdéjàétédécrites.Mais Cemodèlesimpleetmêmesimpliste uncomportementcollectifcohérent».a entierdelaphysique,onpourraitdirequesicertainssystèmessont nombreuxsontlesspécialistes–lesmyr- d’organisationsocialeafaitsespreuves Jean-FrançoisAugereau imprédictibles,alorsqu’ilsrépondentpourtantàdesrèglesdelanature mécologues–quipensentque30000à gravéesdanslemarbre,c’estparcequ’ilssontàlafoisextrêmement 90000 autres restent encore à décou- sensiblesauxconditionsinitialesetinfluencésparleurpropre vrir. comportement.Unchangementd’uniota(lefameuxbattementdel’ailed’un C’estàl’explorationdumondeétran- papillon)adesconséquencesimmensesetlesbouleverse.Enrevisitant gedecesinsectesdontlesressortstien- l’évolutiondelascienceaucoursdesdernierssiècles,l’astrophysicien nententroismots–communauté,hié- britanniqueJohnGribbinretrace,demanièretoutàfaitaccessible,la rarchie et travail – que nous invitent manièredontledéterminismetriomphantduXIXesiècles’estmisàvaciller deux ouvrages fraîchement parus. Le sursonpiédestal,cequiapermisl’apparitiondelathéorieduchaosqui premier, La Vie des fourmis, co-rédigé sous-tendlemonde.P.B. parLaurentKeller,professeurdebiolo- Traduitdel’anglaisparLaurenceDecréau, gieàl’universitédeLausanne,etElisa- Flammarion,«Nouvellebibliothèquescientifique»,360p.,23¤. bethGordon,journalistescientifiquedu magazinesuisseL’Hebdo,estéditéchez LEMÉTHANEETLEDESTINDELATERRE–Leshydratesdegaz: OdileJacob.Lesecond,LaVéritableHis- rêveoucauchemar? toire des fourmis, dû au professeur Luc deGérardLambert,JérômeChappellaz,Jean-PaulFoucheretGillesRamstein Passera,quiaenseignélabiologieani- Leshydratesdeméthane–desmolécules-cagesressemblantàdelaglace male,l’entomologie,l’éthologieetl’éco- colorée–emprisonnentenleurseindegrandesquantitésdecegazàeffetde logie comportementale à l’université serre.Présentsdanslessédimentsocéaniquesetdanslepermafrostdes Paul-SabatieràToulouse,estéditéchez régionsarctiques,ilssonttrèsinstables,etlesscientifiquessoupçonnentque Fayard dans la collection «Le temps dansunpassélointaindelaTerre,ilsontémisdansl’atmosphèred’énormes dessciences». quantitésdeméthane,contribuantainsiàunimportantréchauffement Ces deux livres, écrits dans un style climatique.Unrisquepotentiel,examinéparlesauteurs,spécialistesdu plutôt alerte, même si le second à un Fourmirécupérantdumiellatsurunpuceron. climatetdessciencesdelaTerre.C.Ga. caractèreplusuniversitaire,sontriches ANNIEETJEAN-CLAUDEMALAUSA/BIOS/PIXPALACE EDPSciences,168p.,24¤. Paul Brooks, neuropsychologue des rouages de la conscience Un physicien à l’assaut des lois de l’évolution « Aucun cerveau n’est une île » La dynamique du vivant L’HIPPOCAMPE ilfaitréférenceàdeuxstructures sont liées au reste du corps. DEL’ŒUFÀL’ÉTERNITÉ Appliquées aux cellules de S’il est résolument détermi- ETL’AMANDE. cérébrales voisines, l’hippo- Comme l’écrit joliment Broks: Lesensdel’évolution l’embryon, qui ont la capacité niste, Vincent Fleury n’est pas Récitsd’un campe et l’amygdale, dont le «Aucuncerveaun’estuneîle.» deVincentFleury de s’agripper les unes aux pour autant créationniste: là neuropsychologue nom dérive du mot grec signi- Bien,seditlelecteur,l’auteur autresetdesedéplacer,ceslois où ceux-ci voient des miracles, (IntotheSilentLand) fiant «amande». Ce sont «des vaquandmêmenousexpliquer Flammarion,274p.,22¤. physiques conditionnent une ilinvoquetorsions,dépliements dePaulBroks. composantes vitales des rouages comment le cerveau crée la poignéedeplansd’organisation et enroulements de tissus, qui de la mémoire et de l’émotion». conscience de soi. Avec humi- Les généticiens et les qui vont ensuite se dérouler de se «reniflent» les uns les Traduitdel’anglaisparChristian L’hippocampe et l’amygdale lité, Broks s’excuse de ne pou- paléontologues se don- façonquasiautomatique. autres. «Il y a d’autres façons Cler,éd.deL’Olivier,318p.,20¤. jouent un rôle de premier plan voir le faire. «C’est dans le nent bien du mal. Ils Dans cette perspective, d’être déterminé que par “le Sei- dans l’interprétation de ce qui domaine où je suis censé être s’usentàsonderl’ADNetcreu- «nous ne sommes après tout gneur”»,écrit-il. Avez-vousdéjàtenuuncer- nous entoure et le déclenche- expert – la neuropsychologie – ser la roche pour répondre, en qu’une méduse dont le nombril Cette description mécaniste veau dans votre main? mentdenosréactions. que je me sens le plus profondé- définitive, à cette question: n’est pas en face de la bouche», duvivantsuggèreaussidespis- demandePaulBroksàses Ce livre savoureux n’est pas ment ignorant», avoue-t-il. Ce d’où venons-nous? Alors qu’il résume Vincent Fleury, dont tes pour la médecine regénéra- étudiants qui contemplent pour unouvragedidactique,maisasso- n’estpasunepreuved’incompé- leur suffirait d’une bande de l’ambitionestdedécrire«l’espa- trice. Pour que celle-ci mette la première fois un encéphale cie les récits de cas cliniques, le tence, maisune limite intrinsè- caoutchouc tendue entre deux ce mathématique où flottent les toutes les chances de son côté, humain. «C’est notre maison», débat philosophico-scientifique, quedelascience:«Cequiper- punaisespouryvoirplusclair. êtres possibles, en attendant que elledevrafaireappelnonseule- explique-t-il. lascience-fictionetlessouvenirs metàlasciencedecomprendresi VincentFleurymetàleurdis- l’évolutionlesélise.»Ilvamême mentauxcellulessouches,mais Professeur de neuropsycholo- personnels,letoutserviavecun bien le monde matériel extérieur position cet outillage négligé, jusqu’à dessiner l’homme de aussi à des tissus embryonnai- gie à l’université de Plymouth, solidehumour. – les observations objectives for- assorti de notions de mécani- demain: front large, menton res entiers, plaide le physicien, PaulBroksnousinviteàvoyager «Derrière chaque visage se muléesàlatroisièmepersonne– que des fluides, pour décrire renfrognéetsourireélargi. quis’avancelàencored’un pas dans les neurosciences, «au trouve un soi», affirme Broks. estprécisémentcequiluiinterdit des règles de construction du assurésurunterrainminé.a pays du silence»,selonl’intitulé Mais, dans l’espace situé der- de comprendre le “monde inté- vivant si astreignantes qu’elles Caresserdestrilobites HervéMorin original.Quantautitrefrançais, rièreunvisage,tempère-t-il,ne rieur”delaconscience.»Broksa interdisentàl’évolution«defai- Selonlui,lesloisdelaphysi- se trouve qu’«une substance cependantdes certitudes: «La ren’importequoi».Etnecraint que renversent le point de vue matérielle: de la chair, du sang, consciencen’apasdelocalisation pas d’affirmer, à rebours de biologique: «D’abord les ani- ECRIVAINS del’osetuncerveau.(…)Iln’ya particulière» et «même si l’es- Darwin, que notre apparition maux apparaissent, ensuite ils personnelà-dedans.» pritestlocalisabledanslecorpset sur Terre n’est pas totalement évoluent.»Ilvoitdansledarwi- Cetteprovocationnousamè- danslecerveau,ilestaussidistri- fortuite. nisme «une théorie un peu LesEditionsPersée ne au cœur du propos de bué différemment au-delà de ses Physicien de formation, Vin- paresseuse»,àamender.Onest recherchentde l’auteur. Quels liens existe-t-il limitesbiologiques.» cent Fleury a d’abord étudié la curieux de la réaction de ses Les Journées du Livre nouveauxauteurs entre notre cerveau et notre Des anonymes patients au façon dont les cristaux crois- partisans,pourlesquelsilnour- napoléonien conscience? «Dans quel recoin cerveau d’Einstein, en passant sent, évoquant irrésistiblement rit une certaine tendresse: du1erau3décembre2006 de10hà19h Envoyezvosécrits: decettedenseforêtdeneuroneset par Robert Louis Stevenson et des végétaux. Ces observations «Danslesgaleriesdepaléontolo- EditionsPersée defibresnerveusesl’espritsetient- lamanièredontl’auteurdeDoc- l’ontpersuadéquelesloisdela gie,certainscaressentdestrilobi- Danslecadreexceptionnel del’HôtelSéguier 38ruedeBassano il?Nullepart!Etlesoi?Aquoi teurJekylletMisterHydeexploi- physique, tout autant que les tes comme on caresserait un 14-16rueSéguer-Paris6e 75008Paris vous attendiez-vous? Au génie tait ses propres rêves, l’invita- messageschimiquesdontlabio- chat.»Dumoinsceux-cin’igno- Informations: Tél.0147235288 dans la bouteille?» Ainsi tionauvoyagedePaulBroksne logie tente de reconstituer les rent-ilspasqueLucyaenviron LibrairieTeissèdre-0153103510 www.editions-persee.fr rabroué,lelecteursevoitrappe- serefusepas.a cascadesvertigineuses,peuvent trois millions d’années, et non www.clavreuil.fr lerquelesfonctionscérébrales PaulBenkimoun expliquerlaformedesanimaux. sept... 10 0123 VOYAGES Vendredi1erdécembre2006 ZOOM Les carnets de John Muir, naturaliste exalté qui parcourut l’Amérique à pied La très longue marche FOUSDE PATAGONIE Quatre découvreurs duboutdu mondede 1856à1897 Quatretextes QUINZECENTSKILOMÈTRES exhumésdela ÀPIEDÀTRAVERSL’AMÉRIQUE revueLeTourdu PROFONDE:1867-1869 monde,dontJulesVerneétaitl’un deJohnMuir. desabonnés.Leprincipedecette nouvellecollectionlaisseperplexe. Traduitdel’anglaisparAndréFayot. Quandles«découvreurs» Ed.JoséCorti,176p.,17¤. racontentsanscomplexecomment ilsdéterrentlescorpsdesPatagons Le 1erseptembre 1867, un jeune aunomdel’anthropologie,onpeut naturalisteexaltésemetenrou- estimerquec’estuntémoignagesur te à travers les Etats-Unis, son lesmœursd’uneépoquequia nouveaupays, versles «jardins pousséloinlapassiondelascience. sauvagesdusud».Quittantlarégiondes Maisquandlerécit GrandsLacs,ilestprêtàmarcher«mil- fantasmagoriqued’Auguste lemiles»jusqu’oùpoussentlesplantes Guinnard,«capturéparles extraordinaires: la Floride, le golfe du sauvages»,estprispourargent Mexique et peut-être, au-delà, les jun- comptant,onnesaitplustrèsbien glesd’Amazonie. oùonest.Ch.B. Quiestcepiétondegrandlarge?Un Ed.desRiaux,448p.,20¤. drôledespécimen:JohnMuir,29ans, laissepoussersabarbecommeunbuis- SEULEAUTOURDUMONDE son sur son visage d’amoureux de la EN71JOURS nature.Tournantledosàlacivilisation, d’EllenMacArthur. il traverse Louisville, les yeux sur sa Untourdumondesolitaireen boussole, «sans dire un mot à âme qui 71jours,14heureset18minutes vive». Passé les faubourgs, il atteint la racontéparmails,journaldebord, verte forêt. Alors seulement, à l’ombre photosbrutesdepixels.Mobi,c’est des grands chênes du Kentucky, il se lebateau,Castoramasuruneface, pose,étalesacartepourtracerlesgran- B&Qsurl’autre.EllenMacArthura des lignes de son voyage: «Aller droit finiparluidiredesmotsd’amour,le devant moi, approximativement au sud, JohnMuir,en1902.CORBIS lendemaindujouroùelleacraqué. parlecheminleplussauvage,promettant C’étaitle5janvier2005,ilyavait lesplusvastesétenduesdeforêtvierge.» leautantqu’ilaimelanature.AChicago, elle pas capable de sensations d’un type 23octobre,ils’effondresurunchemin, desicebergsdanslePacifiquesudet Là, ou peut-être était-ce le soir dans il herborise. A New York, il passe plu- dontnous,dansnotreperfectionaveugleet victime d’une crise de paludisme, et unbonhommedeneigedansle uneaubergedélabrée,ilsortsoncarnet sieursjoursdansleportsansosermar- obstinée,nepouvonspasavoirlamoindre regagne à demi inconscient la maison carré:«Jenesaispasoùj’enai etdécritlesarbresenmajesté:«Entre cherjusqu’àCentralParkdepeurdese idée?»Desannéesplustard,ayantfait de l’homme qui l’héberge et le sauve. trouvél’énergieparcequemesyeux lesberceauxdefeuillageetlescavernesde perdre. fortuneenCalifornie,ilauralepremier Pendantpresquetroismois,sonjournal étaientpleinsdelarmesl’instant leurslonguesbranchessenichentdesuper- l’intuition du rôle des glaciers dans la est muet. Très affaibli, il s’embarque d’avant.»Ch.B. bespochesd’ombre,etchaquearbreparaît Fluxetrefluxdelanature formationdesreliefsduYosemite. encorepourCuba,maisrenonceàpour- Arthaud,288p.,29,90¤. dotéd’unedoublerationdevie,puissante, Audébutdel’année1867,JohnMuir SonAmérique,vidéeparlaguerrede suivrejusqu’àl’Amazonie. exubérante.» Ce carnet écrit en mar- travaillaitdansunefabriqueàIndiana- Sécession,aunparfumd’Afrique.C’est JohnMuiravéculaplusgrandepar- KESSEL,LENOMADEÉTERNEL chantestlepense-bêted’unespritscien- polis.Ilafailliperdrelavuedansunacci- un «pays bizarre» où les pillards tiedesavieenCalifornie.A50ans,tour- d’OlivierWeber tifique,curieux.Pleindecroquisdeplan- dent. Lors de son long confinement en rôdent, les Noirs sont souvent hospita- nant le dos à une vie de labeur, il a RevoiciJosephKessel,nédansla tesoudepaysages,iln’estpasdestinéà chambreobscure,ilapenséauxfluxet liersetlesBlancsméfiants.Enchemin, repris la route, vers l’Alaska(2). Il a pampaargentine,élevéaupiedde êtrepublié,etneleseraquecinquante refluxdelanatureet«auxmaréesdans ilsouffredeviolentsaccèsdesolitude.Il dédiésesdernièresannéesàladéfense l’OuralpuissurlaCôted’Azur, ansaprèslamortdeJohnMuir(1).Mais lesaffairesdeshommes».Ilpartvers le estcapabledelyrismequandils’enflam- delanaturesauvage,causeàlaquelleil engagédansl’aviation,dépucelé lapoésiedesobservations,l’artdel’ellip- sudsanssavoirsilevoilequibrouillesa mepourles«inventionsdivines».Ilpor- avait converti le président Theodore autourdumonde,enivréà18ans, se,l’intensitédesrencontres,etsurtout vueselèverajamais. teuneBibledanssonsacetlacitesou- Roosevelt. Il est aujourd’hui, outre- auteurd’unbest-sellerà23.Cette sonambitioninsensée,enfontunpréci- Revenudesténèbres,Muirsaitleprix vent,maislepremierpalmiernainluia Atlantique,uneicônedes«préservation- édition,quifaitdialoguerunebelle pitélittéraire. de ce qui est vu et n’en perd pas une «dit des choses plus importantes que je nistes». Ce premier livre révèle que iconographieetletextelyrique Né en 1838 en Ecosse, John Muir a miette.Ilvoitun«négrillon»surunche- n’enaijamaisentendud’unprêtredel’es- sous la barbe du prophète écolo se d’OlivierWeber,plongedansle émigréà11ansavecsafamilleetconnu val blanc aux jambes d’échassier, plus pècehumaine».Sonobsessiondecom- cachaitunécrivain.a tourbillondelavieduflamboyant l’adolescenced’unfilsdefermierduWis- loin,laSchankria,ouroncesensitive,qui prendrelesressortsdelaCréationimprè- CharlieBuffet «Jef».Gareàlanoyade.Ch.B. consin.Aprèsdesétudesdebotanique,il serétractesouslescoupscommelesfrè- gnechaquepagedujournal. Arthaud,192p.,30¤. sillonne les forêts, sa presse à plantes res humains victimes de taquineries. Il Au moment même où David Living- (1)JohnMuirestmorten1914; SignalonsaussiAmi,entends-tu…, sur le dos. Il aime vagabonder, dormir estavidedesaisirl’insaisissable,laper- stone,soncompatriotedevingt-cinqans 1000MilesJourneytotheGulfaété entretiensdeJosephKesselavec souslesétoiles,sentirlesoleilneuf,boi- sonnalitédesplantes,etmêmelessensa- sonaîné,seperddanslecontinentnoir, publiéauxEtats-Unisen1916,et Jean-MarieBaron(LaTableronde, relaroséedesonvêtement,marcherjus- tionsdesminéraux:«Pourquoilamatiè- John Muir patauge dans des marais aujourd’huiseulementenFrance. 300p.,19¤). qu’à80kilomètresparjour.Ilhaitlavil- reorganiséesousformeminéraleneserait- infestés de moustiques, en Floride. Le (2)VoyagesenAlaska,Payot,1995. Le récit par Jean-Baptiste Charcot d’une expédition en Antarctique « Raga », cri de révolté contre les méfaits de la colonisation Carnets de l’extrême Sud Retrouver l’aventure LEFRANÇAISAUPÔLESUD mandantduFrançais,ils’agissait zoninconnudelaTerre,lecom- RAGA.Approche lotte,lamilitanteféministe,pour LeClézioenveutauxaventu- deJean-BaptisteCharcot. d’unedetteenverstousceuxqui mandant fait corps avec son ducontinentinvisible quel’îledévoilesafourrureverte riers,dontlePacifiqueestleder- avaient soutenu son projet: un navire.Quandlespannesmena- deJMGLeClézio. et sa terre rouge. C’est là, dans nierdécor.Il sebatpourrecon- Ed.JoséCorti,368p.,20¤. simple «récit anecdotique» tiré centdelivrerleFrançaisauxgla- leshauteursdel’île,queleshabi- quérir le mot: «Aventure est le desonjournalpersonnel,etsans ces, il confie à son carnet ses Seuil,100p.,16¤. tants se sont réfugiés, «comme nom qu’il faut garder. Un mot Il y a un siècle, Jean-Baptiste «aucune prétention littéraire». angoisses, avec une conscience autempsdeleurpremièrearrivée qu’il faut maintenant retourner: Charcot remettait à Ernest Biensûranecdotesilya:conver- aiguëdurôlequ’ilaàtenir.Etil Raga. En langue apma, sur l’île». «Ils se sont détournés l’arracher comme un vêtement Flammarionlejournaldel’ex- sations intimes avec manchots reste disponible au merveilleux c’estlenomdel’îlePente- duprogrèsetdumondemoderne, danslequelsesontdrapéslessinis- pédition la plus poussée que la photos à l’appui, omelettes d’une lune apparue pour sauver côte, dans l’archipel de ilssesontretournésverscequiles tres apôtres de la conquête et les France ait jamais envoyée en d’œufs de cormoran, mort du lebateaudesténèbres,oudeJupi- Vanuatu. Dans la langue de avaittoujourssoutenus,laconnais- profiteursconfitsd’exotisme.»a Antarctique.Aencroirelecom- cochondubordabandonnépour ter se levant dans un ciel de LeClézio,çaveutdirerage.JMG sancedesplantes,lestraditions,les Ch.B. l’éternitéaupiedd’unepyramide cristal. LeClézioestl’undesdouzeécri- contes,lesrêves,l’imaginaire.» deglace,relevé duthermomètre Maisilyaautrechose.Enpost- vains invités par Edouard Glis- par –25 degrés pieds nus dans face,PierreEscudémontrecom- santsurlagoéletteLaBoudeuse, Ce«pervers»deGauguin du nouveau dessavatesetautresbanalitésde ment le journal de Charcot se aujourd’hui à mi-chemin d’un Sur ces hauts où Le Clézio M.F.K. FISHER lavied’uneexpéditionpolaire. trouveaucœurd’unromanpeu tourdumondedetroisans àla sent,parcontrasteavecladésola- Pour Charcot, fils d’un siècle connudeJeanGiono,Fragments rencontredespeuplesdel’eau.Il tiondescôtes,unairdeparadis, Marseille sur savant et d’un génial aliéniste, d’un paradis. Dans cette œuvre a passé quelques semaines à Charlotte Wèi Matansuè tresse l’aventureétaitd’abordscientifi- charnière,écriteouplutôtdictée bord, mais les lecteurs de Raga. des nattes d’un blanc éclatant. l’Insolite que.Danslacompétitionavecles pendant l’Occupation, Giono a Approche du continent invisible Ayantquittésonmariquilabat- les Anciens grandes nations européennes reproduit des pages entières du n’ont pas à le savoir. Pas plus tait,ellearéactivécettetradition pour la «conquête du pôle journal de Charcot, qui apparaît qu’ils n’ont à savoir que cette des femmes des Vanuatu pour Sud», la réussite de l’entreprise commelepersonnagedu«capi- familleembarquéesurunepiro- leur permettre de retrouver l’in- française se mesurait à l’épais- taine», jamais nommé. Loin gue à balancier au temps des dépendance économique. En seur des annexes – que le reste d’êtreunsimpleemprunt,lejour- migrationsocéaniennes,c’estun faisant reconnaître la valeur du puisse être littérature importait nalseraitvenu«décalaminerune peudecelleduromancier.Raga travaildesfemmes,ellelesaideà peu. Cependant, il y a plusieurs écritureembourbéedanslesimages estunamalgamedechosesvues, retrouver un statut dans la bonnesraisonsdenepluscroire etlesprocédésd’écriturequirappel- devisionsetdepointsdevuequi société mélanésienne. Elle est ce dandy de «commandant», lentlesœuvresdel’avant-guerre». a pour seul ciment la colère de l’absolu contraire de l’image pour qui la prétention, littéraire EscudéestimequeCharcot,por- l’écrivaincontrelesravagesdela laisséeparce«pervers»deGau- ouautre, eût été la dernière des tédisparuen1936danslenaufra- colonisation. Un mille-feuille de guin, celle d’une femme «objet fautesdegoût–onnepassepas ge du Pourquoi-Pas? a apporté centpages. très lisse, très doux, très docile». impunément une nuit de plu- postmortemàGionol’impulsion On accoste dans l’île où «le Charlotteestpudique,maisforte. sieurs mois avec Rabelais, Sha- d’un style nouveau. Et si Giono tempssembles’être arrêtéaupre- Elle saute d’un rocher à l’autre « … catholique, kespeare et Homère dans sa n’assumajamaisqueduboutdes mier chapitre de l’occupation comme un cabri sur ses pieds cabine. La légèreté qu’il met à lèvres Fragments d’un paradis, humaine».Toutestatone,iln’y chaussés de tongs. Charlotte est communiste, arabe raconter l’hivernage de son c’estparcequ’iln’osapasrecon- apasunecouleur.Noirdesfalai- leseul présent du livre– etson et gitane, putassière navire et la douceur du regard naîtrel’empruntàl’aventurier. ses,cimentdesparpaings,planta- seul avenir. Le Clézio conjugue qu’ilportesursonéquipageles- Cequi,àdéfautdeprétention, tionsdecocotiersàl’abandon.Il dans un même passé désabusé et sorcière. » tentsonjournald’unjustepoids offre à ce Français au pôle Sud fauts’éleverparunsentierescar- lesravagesdescolons,lamorgue d’humanité.Leromanesquen’est unebelledestinéelittéraire.a péverslevillagedeMelsissi,der- des ethnologues, les querelles ANATOLIA/ÉD.DUROCHER pasloin.Auborddudernierhori- Ch.B. rièrelesmolletsmusclésdeChar- desmissionnaires.
Description: