ebook img

Lib 233 ration - 13 07 2020 PDF

28 Pages·2020·6.37 MB·English
by  
Save to my drive
Quick download
Download
Most books are stored in the elastic cloud where traffic is expensive. For this reason, we have a limit on daily download.

Preview Lib 233 ration - 13 07 2020

2,00 € Première édition. No 12159 Lundi 13 Juillet 2020 www.liberation.fr IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,50 €, Andorre 2,50 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,00 €, Canada 5,00 $, Danemark 29 Kr, DOM 2,80 €, Espagne 2,50 €, Etats-Unis 5,00 $, Finlande 2,90 €, Grande-Bretagne 2,20 £, Grèce 2,90 €, Irlande 2,60 €, Israël 23 ILS, Italie 2,50 €, Luxembourg 2,00 €, Maroc 22 Dh, Norvège 30 Kr, Pays-Bas 2,50 €, Portugal (cont.) 2,90 €, Slovénie 2,90 €, Suède 27 Kr, Suisse 3,40 FS, TOM 450 CFP, Tunisie 5,00 DT, Zone CFA 2 500 CFA. Distribution d’aide alimentaire dans dans le bidonville du Mont Baduel, à Cayenne, le 7 juillet. Photo JODY AMIET. AFP HARCÈLEMENT CHEZ UBISOFT Les têtes tombent page 16 Hors-Zone Press VIOLENCES POLICIÈRES AU BURGER KING Et soudain l’enquête s’accéléra pages 12-14 IDÉES «Cancel culture» : les réseaux de la censure pages 20-21 guyane pendant ce temps-là, en france… Jean Castex s’est rendu hier dans le département français le plus touché par le Covid-19, où la crise sanitaire se double d’une crise humanitaire. 15 à 20 % de la population est désormais dépendante de l’aide alimentaire. pages 2-7 UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws 2 u Libération Lundi 13 Juillet 2020 Q u’aura vu Jean Castex en Guyane ? Une base aérienne et des légionnaires au garde- à-vous, puis la route à travers cette forêt qui occupe 95 % du territoire, une zone commerciale aussi disgra- cieuse qu’en métropole, la préfec- ture installée dans un ancien cou- vent de jésuites. Enfin, l’hôpital de Cayenne, épicentre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19, et l’Institut Pasteur. Des rues absolument vides, surtout : du samedi 13 heures jus- qu’au lundi 5 heures, c’est le couvre- feu. Le Premier ministre, pour son premier contact avec la Guyane, di- manche, n’a pu déjeuner au bar des Palmistes, où Jacques Chirac avait ses habitudes, ni saluer le moindre commerçant. Même les feux tricolo- res sont en panne. Drôle de première fois, presque virtuelle, comme sur une application de rencontres. Jean Castex est venu «exprimer sa solidarité et le total engagement de la République», a-t-il dit. Dommage que dans le même discours, sa lan- gue ait fourché au moment de parler de la réunion du lendemain entre le ministre des Outre-Mer, Sébastien Lecornu, et les «acteurs socio-écono- miques de l’île». Même bévue que le candidat Macron en 2017, qui avait qualifié d’«île» le territoire guyanais, pourtant fermement arrimé au con- tinent sud-américain. Qu’importe, Jean Castex n’est pas venu faire de grandes annonces mais prouver par sa présence – et celles des ministres Lecornu et Véran (Santé) – que la Guyane, région de France actuelle- abattue sur la Guyane avec près de deux mois de décalage, en prove- nance du Brésil. Elle a frappé très vite et très fort. Plus de 6 000 per- sonnes ont été testées positives, sur 270 000 habitants. Vingt-six person- nes sont mortes, 150 sont hospitali- sées dont 23 en réanimation. «Si la Guyane était une île, on serait passés à côté de l’épidémie, assure le docteur Mirdad Kazanji, à la tête de l’Institut Pasteur de Guyane. Elle a traversé la frontière et se déplace d’est en ouest.» Le virologue a été l’un des promoteurs du dépistage massif de la population – efficace de l’avis général. «La consigne était : testez, isolez, rappelle-t-il. On a réussi à tes- ter, pas à isoler.» Pourtant, en dépit de lacunes structurelles, les trois hô- pitaux de Guyane ont tenu le choc (lire ci-contre), notamment grâce aux renforts arrivés de métropole. Les conséquences économiques et sociales du confinement, en revan- che, sont catastrophiques. D’après la dernière enquête de l’Insee sur le Par célian macé Envoyé spécial en Guyane éditorial Par Christophe ISrael Catastrophe Événement ment la plus touchée par l’épidémie de Covid-19, n’était pas oubliée par le gouvernement. «La durée parti- culière de la crise, beaucoup plus longue qu’en métropole, […] accroît ses conséquences», a-t-il reconnu. Lacunes L’ex- «Monsieur déconfinement» était autant attendu ici que le Pre- mier ministre. «La situation épidé- miologique semble s’améliorer, a avancé Castex. Je peux comprendre l’impatience, mais il faut rester vigi- lant.» La Guyane a été confinée en même temps que la métropole, alors que le virus ne circulait pas de façon active. Etait-ce trop tôt ? «Je pense que oui, car ça nous étire la crise, mais nous n’avions pas le choix, avoue le préfet Marc Del Grande. A partir du moment où le Président avait parlé, nous devions nous y plier. L’inverse aurait été ­incompréhensible.» Après quelques cas isolés «impor- tés» de métropole, la vague s’est Après plusieurs semaines d’un mouvement social qui avait para- lysé le territoire, il avait fallu la promesse d’investissements massifs – infrastructures routiè- res, établissements scolaires, une cité judiciaire et une prison – pour permettre le retour du calme. Un plan à 3 milliards d’eu- ros pour un territoire comptant moins de 300 000 habitants, une paille. C’était en 2017. Fraîche- ment élu, Emmanuel Macron ­disait alors avoir «de l’ambition pour la Guyane», prévenant dans le même temps : «Je ne suis pas le père Noël parce que les Guyanais ne sont pas des enfants.» Trois ans et une crise du Covid plus tard, Castex et Véran trou- vent les indicateurs toujours au rouge. Pauvreté, malnutrition, chômage… Aux maux connus de la Guyane se sont ajoutés ceux de l’épidémie. L’économie encore largement informelle y prive nombre de travailleurs des systè- mes habituels de protection so- ciale. Autant de populations ­confinées depuis des décennies sous le seuil de pauvreté, cibles privilégiées du virus. En cela, ce bout de France ressemble davan- tage aux territoires américains voisins qu’à ceux, lointains, de l’Hexagone. L’aide venue de mé- tropole la pousse à s’en distin- guer : à condition d’être soutenu, le système hospitalier local de- vrait encaisser le choc d’une ­contamination massive. Avec une virulence certes moindre qu’attendue, l’épidémie est partie pour durer. Et si la situation sani- taire, bien sous contrôle, reste tendue, une autre catastrophe, humanitaire celle-là, est en cours. Notre reporter en décrit les stigmates, de la frontière du Bré- sil aux bidonvilles de Cayenne. Confinés, bloqués dans l’état d’urgence sanitaire et soumis à un couvre-feu quotidien, les Français de Guyane ont plus que jamais besoin des preuves de la solidarité nationale. Dans la ré- ponse de l’Etat face à la crise, tous les territoires de la Républi- que doivent être égaux. Certains pas moins que d’autres.• Covid-19 La métropole lâche Jean Castex sur la Guyane Le Premier ministre est arrivé dimanche à Cayenne pour une visite express dans le territoire, très touché par l’épidémie. Une façon de rappeler que Paris n’a pas oublié sa région sud-américaine. UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws Libération Lundi 13 Juillet 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 3 D ans la soute de l’hôpital de Saint-Lau- rent-du-Maroni, les machines à laver ronronnent en continu. Les draps et les «blouses Covid» viennent de sortir du sé- choir. L’air de la blanchisserie est aussi moite que celui qu’on respire à l’extérieur dans l’ex- Olivier Véran, Sébastien Lecornu et Jean Castex lors de leur arrivée en Guyane, dimanche. Photo Jody Amiet. AFP budget des familles (menée en 2011 et publiée en 2018), 62 % de la popu- lation vit déjà sous le seuil de pau- vreté national (1 015 euros mensuels) et 30 % sous le contesté seuil de pau- vreté «local» (420 euros). Murmures «La Guyane. Ce n’est pas plus grand que la Bretagne et la Normandie ­réunies. Le soleil de l’Equateur et les eaux rouges des fleuves y remplissent les hommes de fièvre et de violence, écrivait l’écrivain Blaise Cendrars en 1930 dans l’hebdomadaire Vu. Aussitôt qu’on s’éloigne des maisons de fonctionnaires, où les photophores grésillent sous les varangues, la cha- leur est plus dense, et la nuit plus lourde de paroles et de murmures.» Lors de sa visite express, Jean Cas- tex aura-t-il entendu ces murmu- res ? Il devait assister dans l’après- midi à une séance de «colisage», lors de laquelle sont préparés les paniers alimentaires destinés à la popula- tion, avant de rentrer à Paris.• A l’hôpital, «croiser les doigts pour que rien ne dérape» Malgré le manque de moyens et de personnel, les établissements ont accru leur capacité d’accueil, et espèrent pouvoir encaisser le pic épidémique. deux mois après la métropole. «Ce décalage est à double tranchant. Il nous a permis de recevoir du renfort, humain et matériel, mais l’usure s’installe, avoue ­Crépin Kezza, 49 ans, directeur médical de la cellule de crise du Centre hospitalier de l’Ouest guyanais. On est comme des soldats éveillés depuis longtemps pour ne pas être sur- pris, et qui ­finissent par fatiguer.» Le soldat Fredrik ­Terlutter, 28 ans, médecin dans l’unité Covid, a encore l’air frais. Dans le ­vestiaire, il se ­débarrasse de sa surblouse en plastique pour aller manger un morceau avant de repartir au front. «Le délai supplé- mentaire nous a permis de fonctionner à blanc lors de la première phase, comme pour un exercice : quand la vraie vague est arrivée, cela a été précieux, juge-t-il en essuyant ses lu­- nettes. On a aussi pu appliquer des protocoles de prise en charge de la métropole qui fonc- tionnent, sans avoir à tâtonner comme l’ont fait les collègues.» Fredrik Terlutter est en poste à Saint-Laurent- du-Maroni depuis deux ans et demi. Ici, cela fait de lui un ancien. «Le turnover annuel est de 70 % en Guyane», rappelle-t-il. La région d’outre-mer, vert désert médical, ne parvient pas à attirer de soignants, ni à les garder. Le manque de personnel a été le premier frein à l’agrandissement des services Covid. «On a les capacités matérielles pour augmenter le nombre de lits – la métropole a pu nous en- voyer des respirateurs, des médicaments, des équipements de protection, des machines et des réactifs pour les tests – mais on manque de bras, expliquait mardi le directeur de l’hôpi- tal, Eric Villeneuve. Aujourd’hui, 40 person- nes sont arrivées en renfort, de l’AP-HP [Assis- tance publique – Hôpitaux de Paris], de la réserve sanitaire, ou simplement des volon­- taires guyanais, mais ça ne suffit pas.» En ou- tre cette semaine, «une vingtaine de profes- sionnels du service de santé des armées ont permis d’ouvrir quatre lits de réanimation supplémentaires». Le directeur parle de «si- tuation tendue», certainement pas de «rup- ture». «boule au ventre» «Jusqu’au bout, certains ont espéré que la Guyane passerait à côté de l’épidémie. Notre service n’a véritablement basculé en mode Co- vid que fin juin, déplore une sage-femme de Cayenne. Comment ça, une surprise ? Personne n’avait préparé un plan quand on voit ce qui s’est passé en métropole ? Ce retard est injusti- fiable.» La maternité de Cayenne compte au- jourd’hui 14 lits destinés aux ­patientes testées positives au coronavirus. Ce vendredi, 11 étaient occupés, mais elles étaient deux fois plus il y a deux semaines. «On a des gardes où on doit faire des consultations aux urgences, gé- rer les accouchements et veiller sur les patien- tes, c’est humainement impossible de faire ça toute seule», poursuit la sage-femme. Un col- lège acquiesce : «Quand on est en garde Covid, on va à l’abattoir. Je vais travailler avec une boule au ventre, je croise les doigts pour que rien ne dérape, dit-il. Ce n’est pas gérable, si ça conti- nue, il va y avoir un drame. Heureusement, quand tout part en couilles, il y a une solidarité très forte dans les équipes, quelqu’un se dévoue pour dépanner.» Ces deux mois gagnés sur l’épidémie n’ont pas toujours été suffisants, Suite page 4 trême ouest de la Guyane, à quelques encablures du Suriname. Du sol au plafond, l’établisse- ment, inauguré l’an dernier, s’est transformé pour s’adapter à l’afflux de patients atteints du coronavirus. En Guyane, région aujourd’hui la plus durement touchée de France (6102 cas et 26 décès dimanche), le pic de l’épidémie est attendu d’ici une à deux semaines. A moins que l’on y soit déjà sans le savoir, comme dans l’œil soudainement calme d’un cyclone. De- puis quelques jours, le nombre d’hospitalisa- tions est stable (autour de 150 lits occupés), autorisant les autorités à oser précautionneu- sement les mots «palier» ou «plateau», UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws 4 u Libération Lundi 13 Juillet 2020 miné. Un couvre-feu est appliqué le soir (à partir de 17 heures) et le week-end. Surtout, le travail infor- mel concerne 10 % de la population active de la région, selon l’Insee, un chiffre communément considéré comme sous-évalué. Pour ces tra- vailleurs, il n’y a ni chômage par- tiel, ni filet social d’aucune sorte. L’historique madame De Los San- tos Reyna «touche la CAF», ce qui en fait une aristocrate du bidon- ville. Rares sont les habitants à être dans sa situation. «Avant le Covid, c’était déjà difficile, explique Jean, 47 ans. C’est de pire en pire. La si- liens se sont installés autour, puis les Haïtiens, puis les Dominicains, raconte la dame, vêtue d’une blouse culotte blanche, épaules dé- nudées. On se débrouille. Ici, les gens sont maçons, peintres, manœuvres, femmes de ménage, jardiniers. Avec le confinement, ils ont arrêté de “jobber”.» Urgence En Guyane, la crise sanitaire se double d’une crise sociale plus ai- guë qu’ailleurs. Le confinement, décrété en même temps qu’en mé- tropole, n’est pas tout à fait ter- des marches dans la terre boueuse, tirant des fils électriques dans les arbres, entassant les cartons, les planches et les plaques de tôles pour former des maisonnettes tor- dues entre les racines. Rien n’est vraiment droit sur le Mont Baduel. La première habitation a été celle de la famille De Los Santos Reyna. Tout le monde lui reconnaît le pri- vilège de l’ancienneté. Elle possède d’ailleurs la seule demeure à étage du quartier. Est-ce pour le rappeler que la matriarche s’adresse à nous depuis son balcon ? «Mon mari a construit ici en 1999, d’autres Brési- qu’ils se remplissent d’eau. On com- prend alors que les boîtes horizon- tales ont été disposées dans des en- droits stratégiques, en contrebas d’un toit en tôle ou au débouché d’une gouttière, d’un entonnoir gé- ant. Ces centaines de réservoirs sont précieuses. Sans elles, l’eau ne monterait pas jusque dans le bidon- ville du Mont Baduel. A Cayenne, la misère se niche sou- vent dans les endroits inconstruc­- tibles, dans les marais, en bord de fleuve, ou ici, à flanc de colline. Elle grimpe de plus en plus haut dans la forêt escarpée, se taillant L es frigos sont couchés sur le dos, portes vers le ciel. Par temps sec, ils servent de banc, de lit ou de table de travail. Quand la pluie tropicale s’abat sur la Guyane, on ouvre les portes pour A Cayenne, faim de non-recevoir : une aide humanitaire insuffisante En Guyane, le confinement continue de bouleverser l’économie locale. Dans les favelas, l’aide alimentaire peine à compenser la perte de revenus de foyers déjà précaires. Événement Distribution en porte-à-porte de sacs d’aide alimentaire et de biens de première nécessité à lutter. On a l’impression que les gens sont plus résistants, il y a énormément d’asymptomati- ques.» «Je n’arrive pas à comprendre, avoue Crépin Kezza, installé en Guyane depuis seize ans. La population est très jeune, certes, mais elle est aussi à risque : on a beaucoup de personnes séropositives, de diabète, d’obé- sité… Pourtant, la sévérité de la maladie n’est pas excessive jusqu’à présent. Sur les huit pa- tients actuellement en réanimation à Saint- Laurent, un seul est branché à la machine, en coma artificiel, les sept autres ne sont “que” sous oxygène à haut débit.» Au centre hospitalier de Cayenne, les «bips» et les sonneries du service de réanimation forment une étrange musique sérielle qui ne s’arrête jamais. Le chef d’orchestre est le pro- fesseur Hatem Kallel, étonnamment calme au milieu de toute cette agi­tation. «Grâce aux retours d’expérience des collègues, on sait mieux comment réagir, explique-t-il. Par exemple, on se rend compte qu’on a certaine- ment pris des précautions excessives en ­plaçant les patients sous ventilation ­mécanique. Aujourd’hui, on s’aperçoit que l’oxygénation à haut débit [moins invasive, qui ne nécessite pas de coma artificiel] per- met de passer le cap.» Selon lui, il est cepen- dant trop tôt pour savoir si le virus sud-américain est rigoureu­- sement le même qu’en ­Europe. «On est sur la même maladie, mais avec des pa- ramètres différents», avance-t-il. La capacité de réanima- tion de l’hôpital de Ca- yenne a été triplée, en «convertissant certains services», comme les ur- gences pédiatriques ou la salle de réveil du bloc opéra- toire. Dimanche, 31 lits de réanimation Covid étaient «armés» (dont 22 occupés) et 10 de plus pourraient encore être grappillés pour absorber une nouvelle vague d’admissions. Au total, 184 lits sont consacrés aux patients Covid dans le plus grand établissement sani- taire de Guyane. «Le danger est qu’on ne peut pas faire que du coronavirus : ici, il n’y a pas de cliniques, de secteur privé qui peut prendre le relais, souligne Amandine Papin, la secré- taire générale de l’hôpital. Or, hormis le Co- vid, il y a une dégradation de l’état de santé général de la population qui est préoccu- pante. On essaye de dire aux gens : venez quand même à l’hôpital !» Célian Macé Envoyé spécial en Guyane tant la Guyane est le «tiers monde sanitaire» de la France, selon la formule d’un infirmier anesthésiste. «On coupe les garrots en deux pour doubler nos stocks, dit Blandine, 40 ans, infirmière à Saint-Laurent-du-Maroni. On a nous-mêmes fait la tournée des pharmacies pour trouver des saturomètres [qui servent à mesurer le taux d’oxygène véhiculé dans le sang et le rythme cardiaque] et on n’a toujours pas de chronomètres ; on doit demander leurs por- tables aux patients !» Arthur, 27 ans, habi- tuellement au service psychiatrie, s’est porté ­volontaire pour rejoindre l’unité Co- vid : «On accueille des gens en grande préca- rité. Il y a une situation propre à la Guyane. Par exemple, on a reçu il y a quelques jours deux filles de 16 et 17 ans qui avaient été mi- ses à la porte de chez elles car elles étaient positives au Covid.» «de mains en mains» Dans les rues du centre historique de Saint- Laurent-du-Maroni, entre les vieilles mai- sons créoles abandonnées aux lianes, des fi- les d’attente s’allongent sous le soleil. Deux personnes sur trois portent des masques et aucune distanciation n’est respectée. Les deux plus longues queues s’enrou- lent devant la Poste et la caisse d’allocations familiales. «Ça n’a rien à voir avec le coro- navirus, rit une dame qui s’évente avec son petit sac à main. Les allocations sont tombées hier, on vient retirer l’argent.» Puis le dépenser : les ­files se re- constituent ensuite devant les magasins ou le marché, qui a été déplacé sur le vaste terrain à l’entrée de la ville pour ­aérer ses al- lées. Des tentes ont été montées pour le dé- pistage. «Mon frère a passé le week-end à la maison sans nous dire qu’il avait le coronavi- rus, on l’a appris quand l’hôpital a appelé pour le suivi, dit une jeune femme venue se faire tester. Il gardait son masque à l’inté- rieur, on trouvait ça bizarre, mais il n’osait pas le dire. Il a joué à la console, et la manette passait de mains en mains…» En Guyane, la contamination a été beaucoup plus rapide qu’en métropole. «Les frontières sont très poreuses et le mode de vie, beaucoup plus communautaire, favorise la circulation du virus», indique Eric Villeneuve. «Vu le nombre de cas, c’est étonnant qu’on ne soit pas davantage débordés, remarque Fredrik Ter- Suite de la page 3 40 km Maroni Océan Atlantique GUYANE FRANÇAISE BRÉSIL SURINAME Cayenne Saint-Laurent- du-Maroni UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws Libération Lundi 13 Juillet 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 5 ment. Après une tribune pu- bliée dans le Parisien Diman- che rappelant les bénéfices du masque en lieu clos, d’au- tres praticiens, dont un an- cien membre du conseil scientifique de l’Elysée, ré- clament de rendre le port du masque obligatoire dans les lieux fermés dans une péti- tion publiée sur libé.fr. Ils dé- noncent le manque d’exem- plarité des dirigeants : «Il suffit d’avoir assisté aux pas- sations de pouvoir dans les ministères et dans les mairies, de regarder les photographies […] ou de les voir aller au con- tact du public sans protec- tion, pour comprendre pour- quoi les Français rechignent à appliquer une mesure aussi simple que le port du masque en lieu public clos.» Selon Santé publique France (SPF), si elle reste faible en métropole, la circulation du virus est en augmentation par rapport à la semaine pré- cédente : + 14 % de cas confir- més du 29 juin au 5 juillet. SPF met en regard ce chiffre avec la forte augmentation de patients testés (+ 26 %) mais le taux de reproduction effectif est donc repassé au- dessus de 1. L’agence sani- taire appelle à la vigilance avant les vacances d’été et les «événements ou regroupe- ments familiaux» : il est «in- dispensable que la population adopte rigoureusement les mesures de prévention». Laure Bretton C’ est (à peu près) la seule mesure de ­sécurité sanitaire qui a été respectée : diman- che, la mairie de Nice a ba- taillé pour expliquer qu’elle avait fermé les accès à la pro- menade des Anglais samedi soir une fois franchie la barre des 5 000 personnes, mas- sées en bord de mer pour écouter le concert du DJ The Avener. Et dont une infime minorité portait des mas- ques. Devant la polémique, le maire de Nice, Christian Es- trosi, a annoncé en fin de journée qu’il comptait impo- ser le masque lors des futurs rassemblements dans la ville et demandé à l’Etat de revoir le décret sur les grands évé- nements. Rien ne va dans le sens d’un port du masque obligatoire (à l’intérieur ou à l’extérieur) dans les décrets d’application de la loi de sortie de l’état d’urgence sanitaire, publiés samedi. Mais l’exécutif se ré- serve le droit de prendre des «mesures d’exception» par voie réglementaire jusqu’au 30 octobre. De leur côté, les médecins font monter la pression sur le gouverne- Rouge. Maintenant, on cherche juste à donner de quoi manger, on prépare des produits de première nécessité.» A la Source de Baduel, sur le ver- sant est de la colline, Judith, 40 ans, vit seule avec un bébé d’1 an. Elle doit déjà quatre mois de loyer (soit 400 euros) au pro­- priétaire. Mais le père, Haïtien comme elle, ne travaille quasiment plus depuis le confinement. Elle reste debout, accoudée à la porte branlante de sa petite pièce, à ­repasser d’une main son chemi- sier déchiré. Judith contient ses larmes à ­chaque question. Elle ne sait pas répondre, sans doute car les interrogations sont stu­- pides. «Comment allez-vous payer le loyer ?» – «Je ne sais pas.» – «Où pouvez-vous trouver de l’argent ?» – «Je ne sais pas.» – «Comment al- lez-vous nourrir l’enfant ce soir ?» – «Je ne sais pas.» C.Mc. (à Cayenne) La distribution est en soi un casse- tête. Comment atteindre un public largement sans papiers, ­installé dans des zones insalubres ? Les ­allées, au Mont Baduel, sont si étroites et bondées que l’idée de distanciation sociale n’est qu’une notion bien théorique. Le choix des béné­ficiaires, en bout de chaîne, est ­parfois controversé. Les listes ne ­reflètent pas toujours l’ampleur des besoins. «Mes capteurs, c’est les gens, je connais ma population, balaye Rodolphe Alexandre, l’hy- peractif président de la collectivité ­territoriale de Guyane. Dans les ­villages, on a des référents, dans les quartiers informels, on a aussi du monde.» L’élu tient à déballer sur son bureau le contenu des ­paniers fournis dans des sacs siglés de la collectivité. Riz, huile, sel, ­pâtes, sardines, haricots rouges… «Avant la crise, on distribuait des aliments de complément, plus coû- teux, précise le patron de la Croix- plus sociale mais «humanitaire», corrige Benoit Renollet, directeur territorial de la Croix-Rouge : «Nous sommes passés de 180 tonnes de dis- tribution alimentaire par an à 550 tonnes depuis le début de l’an- née. Et ce n’est toujours pas assez. On pense qu’entre 40 000 et 50 000 per- sonnes ont besoin d’aide en Guyane [soit entre 15 % et 20 % de la popula- tion du département, ndlr].» Nécessité La Croix-Rouge prépare désormais 3 000 colis par semaine, l’achemi­- nement est ensuite assuré par les ­collectivités territoriales ou les asso- ciations. «Nous sommes en train de penser des outils médicaux pour ­mesurer la malnutrition… Ça dit la situation alarmante à laquelle nous sommes confrontés, poursuit Benoit Renollet. Une crise est tou- jours un révélateur. Le Covid-19 met en exergue tous les manques du territoire.» travailler, mon frère ne rapporte presque rien non plus, explique-t- elle. On reçoit un colis alimentaire tous les quinze jours, mais ça ne suf- fit pas. Alors on mange une seule fois par jour.» De sa bicoque, on aperçoit tout Cayenne et ses 60 000 habi- tants en contrebas, et même l’Atlan­- tique sale, au loin. L’urgence n’est tuation s’est dégradée depuis les an- nées 90. Mais là, avec l’arrêt des chantiers et des transports publics, nous sommes comme qui dirait coincés.» Il tient cependant à dé- cerner un «bon point» aux autori- tés, qui ont fait installer trois points d’eau potable temporaires – pendant la crise sanitaire – dans le bidonville. «J’ai apprécié le geste, sincèrement, dit-il. Ça ressemble un peu plus à un territoire français.» Quelque 3 500 personnes vivent dans cette favela guyanaise, dont une bonne partie n’est pas comptée dans les recensements des autori- tés. Au moins autant sont installés de l’autre côté de la colline. Micher- lange, 25 ans, est coiffeuse à domi- cile. Ce vendredi, c’est elle qui se fait tresser : les nattes sont disposées sur le côté, mais il lui reste une volumi- neuse touffe de cheveux sur le des- sus de la tête, dans laquelle est planté un peigne rose. «Avec le con- finement, on ne m’appelle plus pour la Source de Baduel, un bidonville de Cayenne, le 7 juillet. Photo jody amiet. AFP «Une crise est toujours un révélateur. Le Covid-19 met en exergue tous les manques du territoire.» Benoit Renollet directeur territorial de la Croix-Rouge A Nice, un concert géant sur fond de relâchement des gestes barrières Samedi soir, dans la ville azuréenne, 5 000 personnes étaient massées. Seule une minorité portait un masque. UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws 6 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Lundi 13 Juillet 2020 une grande vulnérabilité sociale dans cette région.» Abyssales inégalités Devant son officine de mécanicien, restée ouverte mais avec les précau- tions d’usage, on croise Tenório, un sexagénaire aux allures de rockeur. Il fait partie de ces 30 % de Brésiliens évangéliques, les meilleurs alliés de Bolsonaro. Fataliste, Tenório s’en re- met à Dieu. «La vie Lui appartient, dit-il en récitant un passage bibli- que. C’est Lui qui la retire, quand Il veut et comme Il veut. La quaran- taine, c’est un luxe pour les riches, les politiques, pas pour le peuple.» Ici, comme dans toutes les banlieues, elle n’a été respectée qu’au tout dé- but, en mars, raconte Mariangela Rosa, coordinatrice de l’Unité de santé de base (UBS, en portugais), principale clinique publique du sec- teur. Femmes de ménage, vendeurs ambulants : «Beaucoup sont en si- tuation de sous-emploi ou dans le secteur informel. S’ils ne sortent pas travailler, ils n’ont pas de quoi man- ger», explique encore l’infirmière. Le fameux bal funk hebdomadaire qui agite les «perifas» des grandes villes ne se tient plus qu’une fois par mois. Assez, il est vrai, pour faire circuler la «grippette» dans la jeu- nesse. Même les églises ont rouvert (certes, avec des restrictions). Cer- taines n’ont jamais fermé. Le Covid-19 a mis à nu les abyssales dial après les Etats-Unis, avec plus de 1,8 million de contaminations confirmées et plus de 70 000 décès. Rue Vitoriano de Oliveira, la petite classe moyenne côtoie la misère. Depuis deux ans, Regiane, ACS, ra- tisse le secteur domicile par domi- cile, contre la grippe A ou la dengue (qui frappe chaque année). Avec le Covid-19, «on ne rentre plus dans les maisons». Regiane instruit les rive- rains depuis le palier, une mission plus ingrate que jamais. La faute, selon elle, à Jair Bolsonaro qui dé- mobiliserait la population. «Son dis- cours contredit le nôtre, déplore Re- giane. Les gens nous disent : “Pourquoi je me ferais du souci pour une grippette ?” Il y a un manque d’instruction, beaucoup de violence, São Paulo et ailleurs. Un cas d’école de l’entreprise de sape par le chef de l’Etat des efforts de prévention mis en place par les maires et les gou- verneurs à travers le pays, en tête desquels la quarantaine, dont il dé- nonce l’impact économique. Le lea- der d’extrême droite préfère laisser courir le virus au nom d’une immu- nité collective. Désormais lui-même rattrapé par la «grippette», comme il dit, il ne donne pour l’instant au- cun signe de changement d’appro- che, comme l’espéraient certains. Et le pays, autrefois exemplaire dans sa lutte contre d’autres épidémies comme le VIH ou le virus zika, ne parvient pas contrôler la propaga- tion du nouveau coronavirus, dont il est devenu le second foyer mon- sentiellement de femmes, sont un pilier du robuste système public de soins mis en place par le Brésil au sortir de la dictature (1964-1985). Mandatées par le réseau municipal de santé, elles déroulent une ban- derole devant les automobilistes : «Avez-vous vraiment besoin de sor- tir ?» Le rythme s’emballe. Le petit groupe danse, chante, lâche des youyous. «Eau et savon, alcool à la main !» scandent les ACS, en agi- tant des tambourins. Entreprise de sape Ce mardi, elles distribuent masques et savonnettes. «Merci !» lance un homme à vélo dûment masqué. «J’ai faim !» gémit un autre, qui re- fuse le kit. «Nous avons le plus grand mal à faire adhérer les gens au mas- que, soupire Juliana, une ACS. Ils ne le mettent que quand ils rentrent dans les commerces.» Et encore. Jair Bolsonaro vient de rendre facultatif le port du masque («Un truc de pédé», sic) dans les espaces publics fermés, alors qu’il est obligatoire à D écoupé dans du papier cou- leur, un coronavirus fronce les sourcils, prêt à l’attaque. Tel un accessoire, la petite boule à pustules qui fait frémir le monde depuis six mois orne le chignon des agentes de santé en tournée de pré- vention contre le Covid-19 dans ­Jardim Mitsutani, une banlieue ­défavorisée du sud de São Paulo, épi- centre de l’épidémie au Brésil. Sur une avenue bruyante, salons de coif- fure, boutiques d’artisanat et autres commerces non ­essentiels n’avaient pas attendu l’allègement de la qua- rantaine, en juin, pour rouvrir. Les ACS, acronyme en portugais de ces brigades de santé formées es- Événement A São Paulo, des brigades sur le terrain contre Bolsonaro Dans la plus grande ville du Brésil, des agentes de santé font de la prévention sur le Covid-19 et tentent de contrer la rhétorique du président d’extrême droite dans les quartiers défavorisés, premières victimes de l’épidémie. Campagne de sensibilisation et de prévention contre le Covid-19 dans le quartier Jardim Mitsutani, à São Paulo, le 30 juin. A la frontière du Brésil, le village de Saint-Georges-de-l’Oyapock, 4 500 habitants, vit sous cloche depuis cent vingt jours. Le confinement n’a pas pris fin dans cette loca- lité reliée à Cayenne par trois heures de route à travers la jungle. Un reportage de notre envoyé spécial en Guyane. LIBÉ.FR UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws Libération Lundi 13 Juillet 2020 u 7 fants du quartier pour des activités culturelles. Aujourd’hui, sa res- ponsable, Sheila Ferreira Seles, dis- tribue des dons alimentaires pour aider les familles qui ont perdu leurs revenus à cause de la paraly- sie de l’activité économique. «L’aide d’urgence du gouvernement ne suffit pas», explique-t-elle, fai- sant une analyse plus nuancée de l’humeur politique du quartier. Le «désaveu de la politique» qui a porté l’improbable Bolsonaro au pouvoir l’affecte désormais autant que les élus locaux, dont les ­erreurs face au nouveau coronavirus ont été masquées par l’ineptie prési- dentielle. «Certes, c’est aux infor- mels que parle Bolsonaro quand il s’attaque à la quarantaine, com- mente-t-elle. Mais les gens sont conscients des limites de son dis- cours : la capacité d’accueil de l’hô- pital. Et le seul établissement des environs était déjà débordé avant le Covid-19.» Chantal Rayes Correspondante à São Paulo Photos Victor MORIYAMA inégalités brésiliennes. A São Paulo, capitale économique et plus grande ville du pays, le taux de contamina- tion est près de trois fois supérieur dans les populeux quartiers pauvres que dans les districts aisés. Et le virus y est plus meurtrier. Si Jardim Mitsu- tani n’est pas parmi les plus touchés, «c’est parce que nous avons l’eau cou- rante, même dans les favelas, reprend Mariangela Rosa. Et la densité démo- graphique n’est pas très élevée». Sur les 34 000 patients qui dépendent de son UBS, un peu plus d’un millier ont présenté des symptômes, mais plus de la moitié n’ont pu être soumis au dépistage. Les tests manquent dans tout le Brésil, où le nombre réel de malades est estimé par l’Imperial College à plus de 4,7 millions, soit presque trois fois le bilan officiel. Se- lon une étude sérologique, à elle seule, la ville de São Paulo pourrait avoir compté 1,2 million de porteurs du virus, davantage que la France et l’Espagne réunies. Après les grandes villes, le virus se déplace désormais vers l’intérieur du pays, tout en maintenant un «ni- veau élevé de transmission qui peut se prolonger indéfiniment», met en garde la Fiocruz, l’équivalent brési- lien de l’Institut Pasteur. A l’UBS, «ça se stabilise mais il y a encore en- viron 35 cas par jour, poursuit Mari- angela Rosa. La situation politique du pays complique notre travail. Le conseil qui gère l’UBS est divisé, en- tre ceux qui adhèrent à l’approche du Président et ceux qui sont contre. Résultat, le conseil ne parvient plus à m’aider». Certains refusent de re- layer des mesures sur lesquelles ils ne sont pas d’accord. Membre du conseil, Lucilene Perreira est pas- teure évangélique. Les fidèles de son église bombardent la message- rie WhatsApp, très populaire au Brésil, de messages appelant à un «retour à la normale». La pasteure ne s’en cache pas, pour elle, la qua- rantaine, c’est la dictature. Et ce n’est pas Jair Bolsonaro qui politise le virus, ce sont ses adversaires. «Il a dit que la chloroquine était la solu- tion, mais les maires et les gouver- neurs ont tardé à l’autoriser dans le seul but de lui imputer les morts.» Pourtant, le bilan s’alourdit, alors que plusieurs Etats ont adhéré au protocole défendu par son cham- pion. «Dans les favelas, la distancia- tion sociale est difficile», observe de son côté Juliana, ACS. Ineptie présidentielle Les gens sont habitués à vivre en- semble, à partager la cigarette, le narguilé. Dans un squat, même pas une favela, un amas de taudis for- més de planches de bois assem- blées à la hâte, Priscilla Benevides, stature imposante et voix forte, Le Covid dans le monde n L’épidémie de Covid-19 ne ralentit pas en Amérique latine. Le Chili a dépassé les 11 000 morts, de même que le Pérou (11 682 décès et 322 710 contaminations détectées). En Colombie, le bilan a franchi samedi le seuil des 5 000 victimes. De nouvelles mesures sont imposées à partir de lundi à Bogotá, qui concentre un tiers des cas. Des quarantaines strictes seront ordonnées par zones. Le gouvernement de droite avait assoupli le confinement, imposé le 25 mars, afin de limiter les conséquences économiques. n En Iran, le Guide suprême, Ali Khamenei, a exhorté «chacun à jouer son rôle de la meilleure façon pour rompre la chaîne de transmission à court terme et sauver le pays». Samedi, le Président, Hassan Rohani, avait exclu de suspendre toutes les activités économiques, tout en invitant la population à «respecter les protocoles de santé». La République islamique est durement touchée par la pandémie, qui s’est aggravée ces dernières semaines. Selon les chiffres officiels, 257 303 cas d’infection ont été enregistrés dans le pays, et 12 829 décès : le plus lourd bilan de la région. n Une nouvelle manifestation a rassemblé samedi soir des milliers de personnes à Belgrade, la capitale de la Serbie, pour protester contre la gestion de l’épidémie par le Président, Aleksandar Vucic. Le chef de l’exécutif est critiqué pour avoir brutalement mis fin à deux mois de confinement, autorisant les matchs de foot et surtout les élections législatives du 21 juin, boycottées par l’opposition et remportées haut la main par le pouvoir en place. Les chiffres des contaminations sont repartis à la hausse au lendemain du scrutin. n Aux Etats-Unis, Disney World a rouvert ses portes, alors que la Floride enregistre des milliers de nouveaux cas quotidiens. De son côté, la Californie va libérer jusqu’à 8 000 détenus supplémentaires pour enrayer la propagation du Covid dans les prisons. on recycle par nécessité. «Il faut y aller tôt le matin, pour trouver quel- que chose.» L’autre jour, ça lui a rap- porté dix reais (1,70 euro). «J’ai acheté du pain et de la mortadelle.» Benedita sourit. Elle va enfin pouvoir sol- liciter l’aide d’ur- gence, d’un mon- tant de 100 euros mensuels, que le gouvernement verse pour six mois à quelque 65 millions de tra- vailleurs du secteur informel qui ont vu leurs revenus s’effon- drer avec la quarantaine. Ces subsides imposés par le Parle- ment permettent au Président de maintenir sa popularité (autour de 30 %), en compensant chez les pauvres le terrain perdu parmi les couches instruites en raison de sa gestion désastreuse de la crise sani- taire. En temps normal, l’ONG Turma da Touca accueille des centaines d’en- nous reçoit en pyjama, et sans mas- que. La leader des sans-logis, c’est elle : «On a occupé ce terrain privé il y a un an. Il était 3 heures du ma- tin.» Ici vivent 112 familles, incapa- bles de payer plus longtemps un loyer, fût-ce dans un bi- donville. L’économie brésilienne, parmi les dix plus grandes au monde, commen- çait à peine à se re- lever d’une longue récession quand le virus est entré au Brésil, fin février, par le biais d’un sexagé- naire pauliste revenu de Lombardie, premier cas con- firmé dans le pays. Ici, la quaran- taine a été respectée. «Forcément, lâche l’activiste. Les gens étaient déjà au chômage avant.» Selon elle, ici, «personne ne rentre, personne ne sort». Enfin presque. Benedita est affalée sur une chaise au soleil. Elle a 49 ans, mais en fait beaucoup plus. Les ménages l’ont usée. Elle fait les poubelles, parce qu’au Brésil 500 km BOLIVIE VEN. PÉROU PAR. ARG. Brasilia BRÉSIL Océan Atlantique Amazone São Paulo «Beaucoup sont en situation ­de ­sous-emploi, dans le secteur informel. S’ils ne sortent pas travailler, ils n’ont pas de quoi manger.» Mariangela Rosa infirmière Le discours désinvolte du président Bolsonaro a compliqué la tâche des soignants. A São Paulo, les quartiers pauvres sont trois fois plus touchés par l’épidémie que les districts aisés. UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws 8 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Lundi 13 Juillet 2020 Donald Trump samedi devant la Ç a ressemble à une histoire à faire peur. Et si, au soir du 3 novembre, Donald Trump perdait le scrutin présidentiel face à Joe Biden, mais refusait de reconnaître sa défaite ? Va-t-il tweeter toute la nuit sur des élections «frauduleuses» et entraî- ner dans son délire ses partisans les plus fanatisés, qui ont su répon- dre présent, AR-15 en bandoulière, lors de ces mois de pandémie de Covid-19 galopante ? Que se passe- ra-t-il en cas de résultats très ser- rés, si des recomptages dans des swing states sont obtenus au for- ceps judiciaire, laissant des jours, voire des semaines, sans qu’un vainqueur soit désigné ? Trump a toujours cherché à saper la légitimité des élections et «systé- matiquement attribué ses défaites électorales à des complots infon- dés», souligne le professeur de droit Lawrence Douglas, auteur de Will He Go ? (1). Battu par Ted Cruz lors de la première primaire de 2016 dans l’Iowa, il avait accusé le sénateur du Texas d’avoir «volé» le scrutin. Pendant la campagne pour l’élection générale, il avançait déjà que le vote serait «truqué» et avait refusé de s’engager à recon- naître sa défaite si Hillary Clinton l’emportait, lors de son dernier dé- bat face à la candidate démocrate. Après sa victoire, Trump avait con- tinué d’affirmer, toujours sans preuve, que des «millions» de per- sonnes avaient participé «illégale- ment» à l’élection. Une façon de justifier pourquoi il n’avait pas remporté le vote populaire, avec un écart de 3 millions de voix en fa- veur de sa rivale. Jusqu’à l’an dernier, la perspective d’un Trump s’accrochant aux co- lonnes de la Maison Blanche sem- blait plutôt tenir de la science-fic- tion. Mais à quatre mois de la présidentielle, la donne a changé. «Quoi qu’on en ait pensé par le passé, il y a aujourd’hui une possibilité que Donald Trump refuse d’accepter le résultat de l’élection», s’alarme Ca- roline Fredrickson, avocate et prési- dente émérite de l’American Consti- tution Society, un groupe progres- siste spécialisé sur les dossiers constitutionnels. processus électoral déjà bouleversé Le président américain, fortement critiqué pour sa gestion catastrophi- que de la pandémie de coronavirus, et du mouvement historique de co- lère face au racisme et aux brutalités policières, est au plus mal dans les sondages. Au niveau national, ils montrent un retard marqué et cons- tant de Trump face à son rival dé- mocrate Joe Biden – près de neuf points d’écart selon le baromètre de RealClearPolitics. Même s’il reste près de quatre mois de campagne, et que le précédent de 2016 appelle à la prudence, les sondages menés dans les Etats susceptibles de faire basculer l’élection indiquent une tendance similaire, notamment dans le Michigan, la Pennsylvanie et le Wisconsin, qui avaient permis à Trump d’arracher la victoire en 2016. Surtout, impossible d’anticiper d’ici à novembre l’évolution de la pan­démie de coronavirus, qui a mis l’économie américaine à ge- noux, tué plus de 130 000 person- nes dans le pays, et continue d’y battre des records de contamina- tion. Elle a déjà profondément bouleversé le processus électoral : primaires décalées, convention dé- mocrate repoussée (avec la majo- rité des événements en ligne), et son pendant républicain déplacé, pour l’heure, de la Caroline du Nord à la Floride, pour cause de gouverneur démocrate refusant de lever le pied sur les règles de dis- tanciation ­sociale malgré la pres- sion exercée par Donald Trump. Les Etats ont dû développer large- ment, dans l’urgence, des procédu- res de vote par correspondance, pour éviter de faire du scrutin de novembre un cluster géant. Une transformation dans la douleur, comme en attestent les dysfonc- tionnements observés de la Géor- gie au Kentucky, lors de leurs pri- maires au printemps. Et qui donne du grain à moudre à Trump. Le président américain a fait du vote par correspondance sa nouvelle bête noire. Fin mai, il le juge «sub- «20 % de bulletins frauduleux». Cela représenterait environ 20 millions de voix. Un scénario impensable, soulignent les experts. «La fraude est rarissime, et vient dans la majorité des cas du vote physique, et non par correspon- dance, insiste Barry Burden, pro- fesseur de science politique à l’uni- versité de Wisconsin-Madison, et directeur du Elections Research Center. Les Etats ont renforcé leurs mesures de sécurité cette année, avec notamment des codes-barres pour la traçabilité des bulletins.» Il juge «insensées» les allégations de Trump. «C’est sans doute une façon pour lui d’avoir un nouvel ennemi, et de lui permettre d’apparaître sous un jour meilleur, avance ­Burden. En instillant l’idée, s’il perd l’élection, que celle-ci n’était pas ­légitime.» Ajouté à cela, le fonctionnement même d’une élection présiden- tielle aux Etats-Unis, jugé archaï- A mesure que le scrutin de novembre se rapproche et que l’avance de Joe Biden dans les sondages se confirme, les doutes s’amplifient sur l’acceptation par le président américain d’un éventuel échec dans les urnes. Un péril majeur pour les institutions du pays. stantiellement frauduleux» dans un tweet signalé comme trompeur par le réseau social, une première. De nombreux membres de l’admi- nistration Trump, jusqu’au Prési- dent et sa famille, ont pourtant uti- lisé ce mode de scrutin à plusieurs reprises ces dernières années. Ce qui ne l’a pas empêché de remettre des pièces dans le juke-box, affir- mant que le vote par correspon- dance allait «mener à l’élection la plus corrompue de l’histoire des Etats-Unis», et que des «millions de bulletins de vote» allaient être «im- primés par des pays étrangers». Son fidèle procureur général William Barr est allé dans son sens, affir- mant sur Fox News que ces «dizai- nes de milliers» de bulletins contre- faits seraient «difficiles à détecter». En contradiction totale avec les dé- clarations de gouverneurs de toute obédience politique, qui ont mis en place des procédures de sécurité élaborées. «Ils vont perdre l’élec- tion, et je pense qu’ils vont invoquer la fraude», anticipe le gouverneur de New York, le démocrate Andrew Cuomo. Avec pour conséquence «l’érosion de la confiance des élec- teurs dans nos élections, une route dangereuse à emprunter», a dé- noncé Barb Byrum, greffière d’un comté du Michigan. Codes-barres pour la traçabilité Pourquoi une telle croisade contre le vote par correspondance ? «Les zones où les citoyens risquent d’y re- courir le plus sont les zones urbai- nes densément peuplées, où la po- pulation sera davantage réticente à s’exposer aux risques sanitaires en allant voter en personne. Or, ces zo- nes tendent à voter majoritaire- ment ­démocrate. Cela inquiète Do- nald Trump, qui cherche à entacher en amont la crédibilité du scrutin», analyse le professeur Lawrence Douglas. Vendredi, à nouveau sur Twitter, le président républicain a renouvelé ses attaques, qualifiant le vote par courrier de «mauvais, malhonnête et lent». C’est «juste une formule pour truquer une élection», a-t-il écrit, suggérant que le scrutin de novembre puisse connaître Par Isabelle Hanne correspondante à New York ÉLECTIONS Pour Trump, le chaos démocratique plutôt que la défaite ? Monde «La fraude vient dans la majorité des cas du vote physique et non par correspondance.» Barry Burden politologue UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws Libération Lundi 13 Juillet 2020 u 9 Maison Blanche. Le Président a cherché, à plusieurs reprises, à saper la légitimité des élections, comme avec Ted Cruz et Hillary Clinton en 2016. Photo Yuri Gripas. Reuters que et discriminatoire, mis encore plus sous tension par le coronavi- rus. Dans les Etats qui n’encoura- gent pas le vote par correspon- dance, à l’instar du Texas, mais où le nombre de bureaux sera drasti- quement réduit à cause de la pan- démie (lieux trop confinés et jugés dangereux, pénurie d’administra- teurs de bureaux de vote…), les fi- les d’attente pour voter pourraient s’allonger, les électeurs risquent d’attendre des heures avant de mettre leur bulletin dans l’urne, et des recours d’urgence en justice se multiplieront pour prolonger les horaires d’ouverture, comme on l’a vu fin juin lors des primaires dans le Kentucky. «Quels dégâts pourrait-il causer ?» Sans compter l’arithmétique com- plexe du collège électoral, aggravée par la prise en compte des bulletins de vote par correspondance, bien plus nombreux que d’habitude. Un scénario avec des recomptages à ral- longe, qui promet d’alimenter la ma- chine à mensonges présidentiels. «On peut s’attendre à obtenir des résultats très lents en novembre, prévient Barry Burden. Avant de connaître le vote de certains Etats clés comme le Michigan, le Wiscon- sin, la Pennsylvanie, ou l’Arizona, on pourrait devoir attendre des jours, voire des semaines. La nuit de l’élec- tion ne sera sans doute que le début d’un long processus.» Le scénario le moins chaotique, mais pas le plus probable à ce jour, serait une victoire écrasante de l’un ou l’autre candi- dat, «avec une telle avance que la marge soit suffisante dans assez d’Etats pour remporter le collège électoral, et donc déclarer rapide- ment un vainqueur», dit Burden. Les experts questionnent l’attitude de Trump, s’il perdait l’élection, pendant les deux mois et demi qui séparent le jour du scrutin de l’in- vestiture du président élu, fin jan- vier. Caroline Fredrickson se dit «très inquiète» : «Il est possible que Trump refuse d’accepter sa défaite, de quitter la Maison Blanche et de transmettre ses pouvoirs. Quels dé- gâts pourrait-il causer, quels pou- voirs pourrait-il s’arroger ? Ce sont des questions effrayantes.» Pour Lawrence Douglas, «son refus de la défaite pourrait créer une crise constitutionnelle profonde et mettre en péril notre démocratie, comme jamais depuis les horreurs de la guerre de Sécession» entre 1861 et 1865. Cette élection n’est rien de moins que la «bataille pour l’âme de l’Amérique», répète Joe Biden, l’ad- versaire démocrate de Trump en novembre. Ces hypothèses de chaos post-électoraux, si elles se réalisent, trancheront.• (1) «Will he Go ? Trump and the Looming Election Meltdown in 2020», Ed. Twelve, mai 2020, 160 pp, 18 € environ. Trump, haut le masque Il aura tenu longtemps. Après avoir refusé ostensiblement pendant des mois de porter un masque, le président américain, Donald Trump, est apparu pour la première fois en public le visage couvert, alors que les Etats-Unis sont le premier foyer mondial de l’épidémie de coronavirus (plus de 3,2 millions de cas et près de 135 000 décès). Samedi soir, le Président rendait visite à des militaires blessés au combat à l’hôpital Walter Reed de Bethesda, dans la banlieue de Washington. La veille, le pays enregistrait 65 000 nouveaux cas de Covid-19. «Lorsque vous parlez avec des soldats qui sortent tout juste de la table d’opération, je crois que c’est quelque chose de très bien de porter un masque, s’est-il justifié. Je n’ai jamais été contre les masques, mais je suis convaincu que cela dépend du moment et de l’endroit.» Tant et si bien que Donald Trump a largement participé à faire du port du masque, fortement recommandé par les autorités sanitaires américaines, un sujet de discorde, une ligne de fracture politique, en rassemblant des meetings de partisans à visage découvert, et moquant son adversaire démocrate dans la course présidentielle Joe Biden pour sa prudence masquée. Emboîtant le pas à Donald Trump, des anti-masques ont défendu à coups de poing et de gueule le droit de ne pas se couvrir le visage dans les lieux publics comme une liberté individuelle fondamentale. V.D. UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws 10 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Lundi 13 Juillet 2020 Le général Jean-Marc Vigilant jeudi I l y a ceux qui ont ricané : «Il a le nom de sa fonction !» Ceux qui ont relevé en connaisseurs : «Un aviateur à la tête de l’Ecole de guerre, pas courant.» Enfin un troi- sième constat, à la fois plus immé- diat et plus clivant : le général de brigade aérienne Jean-Marc Vigi- lant est noir. A ce niveau de com- mandement, c’est un fait rare, alors même que l’armée française est particulièrement diverse en bas de la hiérarchie, où nombre de mili- taires du rang et de sous-officiers viennent des outre-mer ou sont is- sus de l’immigration. Le général Vigilant se dit conscient de ce dé- calage : «Quand je suis arrivé au ministère à Paris, j’ai été frappé de voir beaucoup plus de Noirs en gé- néral, mais pas dans les mêmes pro- portions parmi les cadres supé- rieurs.» Il ajoute aussitôt : «Ce n’est pas propre aux armées.» Dans son bureau sobrement décoré d’un ca- lendrier de l’armée de l’air et de quelques trophées, il insiste sur- tout sur les vertus d’une armée qui lui a offert une carrière exception- nelle. Né dans l’Est de la France à Châ- lons-en-Champagne, qui s’appelait encore Châlons-sur-Marne en 1967, il a grandi dans une petite ville des Deux-Sèvres, où son père, sous-offi- cier dans l’armée de terre, avait été muté. Vigilant fils n’a pas connu la Martinique natale de ses parents, et ne suivra pas exactement la voie pa- ternelle. Lui rêve d’être pilote, puis pilote de chasse. Il lui faut donc ­entrer à l’école de l’air de Salon-de- Provence, un concours très compé- titif, qu’il réussit en 1986 après un passage en prépa. Il obtient son brevet de pilote en 1990. La guerre froide n’est pas encore tout à fait terminée, comme il le constatera dans les airs. Affecté à Cambrai, dans le Nord, le jeune of- ficier Vigilant est pilote de «défense aérienne». «Je devais décoller en moins de sept minutes pour inter- cepter un avion au comportement suspect dans le ciel de France. C’était passionnant, avec un gros rythme de travail», se remémore-t-il. Si les ­pilotes jouissent d’un certain pres- tige au sein des armées, ceux qui se spécialisent dans le combat aérien sont réputés les meilleurs : eux ne visent pas des objectifs au sol, mais sont formés pour affronter leurs ­alter ego ennemis dans les airs. «Du combat avion contre avion, de la chasse pure», dit-il. Chevaleresque. En bon officier général, Jean-Marc Vigilant parle aujourd’hui d’une «saine rivalité» avec ses camarades chasseurs bombardiers. De Reims à Bagdad Il découvre le commandement cinq ans plus tard, à Reims, où il prend la tête d’une escadrille, et franchit en 2000, encore assez jeune, la marche indispensable pour aller vers les étoiles (le grade de général) : entrer à l’Ecole de guerre. Les officiers qui réussissent le concours sont ensuite promis aux plus hautes fonctions. Jean-Marc Vigilant a passé cette année-pivot loin de Paris. «Je voulais aller à l’étranger, par goût du voyage et de la découverte. Au départ, je visais un pays anglophone, car je parle an- glais comme tous les pilotes. La con- currence était très forte pour les Etats-Unis, le Canada et le Royau- me-Uni. Un de mes chefs m’a con- seillé de me porter candidat pour un pays dont je ne parlais pas nécessai- rement la langue.» Ce sera l’Espagne et des journées très chargées pour apprendre le cas- tillan tout en suivant les cours. La suite a tenu ses promesses : l’officier prend le commandement d’un es- cadron, puis un poste à Paris, à la délégation aux affaires stratégiques (aujourd’hui fondue dans la Direc- tion générale des relations interna- tionales et de la stratégie), sa pre- mière expérience «opérationnelle au niveau stratégique politico-mili- gagées sur la féminisation du haut commandement : «Le moment du concours de l’Ecole de guerre est par- ticulièrement exigeant d’un point de vue familial, il faut préparer un con- cours qui est très difficile. Souvent, les femmes, qui sont les piliers dans les familles, sont confrontées au choix entre la famille et la carrière. Par Pierre alonso Photo Frédéric Stucin taire». «On préparait pour la mi- nistre [Michèle Alliot-Marie] des fi- ches d’analyse et d’éléments de lan- gage pour toutes les opérations où la France était engagée dans un ca- dre multinational (Otan, UE, ONU).» A l’époque : l’Afghanistan, la fin des opérations de l’UE au Ko- sovo, le Tchad. «C’était passion- nant, on n’exécutait pas les opéra- tions, mais on concevait et proposait des options à nos autorités», se sou- vient-il. Vient l’Otan, au collège de défense à Rome pour un an de scolarité, puis comme directeur de cabinet du gé- néral français le plus haut placé de l’Alliance, le Commandant suprême allié Transformation. Basé à Nor- folk, en Virginie, il est en contact étroit avec l’allié américain, dont la France n’a cessé de se rapprocher depuis 2007 sous l’impulsion de Ni- colas Sarkozy, poursuivie par Fran- çois Hollande. Sa dernière affecta- tion, avant le retour à Paris en 2019, sera Bagdad, au sein de la coalition contre l’Etat islamique. D’Irak, il passe en visio les entretiens pour di- riger l’Ecole de guerre. Avec succès. «Reflet de la société» A-t-il senti des freins, voire des dis- criminations ou du racisme lors de sa carrière en raison de sa couleur de peau ? Le général Vigilant ré- pond par une démonstration : «J’ai choisi une voie hypersélective. Un élève pilote doit s’investir énormé- ment pour dominer la machine. Un instructeur peut très facilement le faire échouer en lui mettant la pres- sion. En revanche, il est très difficile de tirer quelqu’un vers le haut et d’en faire un officier pilote fiable et per- formant. Au sein de l’armée de l’air, je n’ai croisé que des gens qui vou- laient me tirer vers le haut, au même titre que mes camarades. Je n’ai ja- mais vécu de brimade ou un coup d’arrêt à cause de ma couleur.» Il ap- puie : «Si j’avais été confronté à [des discriminations] de manière fron- tale, j’aurais chuté. Le simple fait que j’ai pu être breveté pilote de chasse montre que dans l’armée de l’air je n’en ai pas souffert.» A la tête de l’Ecole de guerre, il pourra poursuivre les réflexions en- JEAN-MARC VIGILANT Un plafond de verre en moins à l’Ecole de guerre Le général de brigade aérienne, pilote de chasse de formation, s’apprête à prendre la direction de l’Ecole de guerre, prestigieuse institution académique destinée aux officiers. Une carrière brillante, qui souligne toutefois la sous-représentation des personnes noires dans le haut commandement. france «Si j’avais été confronté à [des discriminations] de manière frontale, j’aurais chuté. Le simple fait que j’ai pu être breveté pilote de chasse montre que dans l’armée de l’air je n’en ai pas souffert.» UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

See more

The list of books you might like

Most books are stored in the elastic cloud where traffic is expensive. For this reason, we have a limit on daily download.