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LE PROBLÈME DU POINT DE VUE DANS LE TEXTE DE THÉÂTRE Alain RABATEL PDF

28 Pages·2004·0.14 MB·French
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Le problème du point de vue dans le texte de théâtre Alain Rabatel To cite this version: Alain Rabatel. Le problème du point de vue dans le texte de théâtre. Pratiques: linguistique, littérature, didactique, 2003, n° 119-120, Les écritures théâtrales, pp.7-33. ￿halshs-00433139￿ HAL Id: halshs-00433139 https://shs.hal.science/halshs-00433139 Submitted on 22 Nov 2009 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. PRATIQUESN°119/120,Décembre2003 LE PROBLÈME DU POINT DE VUE DANS LE TEXTE DE THÉÂTRE Alain RABATEL IUFMdeLyon,ICAR,UniversitéLyon2, UMRCNRS6175 Existe-t-ilunpointdevuedanslestextesthéâtraux?Laréponsedépenddece qu'onentendparpointdevue(désormaisPDV),notionquirenvoie,danslelan- gage courant, à l'expression d'une opinion ou d'une perception et qui apparaît dansdescontextes–argumentatifounarratif–quelessciencesdulangageont tendanceàopposer.Sil'oninterprètelePDVausensd'opinion,dereprésentation personnelle ou doxique susceptible de faire se mouvoir les individus (Nonnon 1999)ou(dechaîne)d'argument(s),commeilenexistedanslesinteractionsver- balesargumentatives,alorslaréponseestoui,massivement. Sienrevanchel'onrestreintlePDVàunphénomènenarratif,àl'instardes«fo- calisations » (Genette 1972, 1983), la réponse est nettement moins assurée : d'abordparcequelafocalisationexternen'aaucunfondementlinguistique(Ra- batel1997a,b),ensuiteparcequelafocalisationzéroyapparaîttrèsproblémati- que,danslamesureoùletextethéâtralsecaractériseparl'absencedenarrateur primaire(1).EnsortequelaseuleinstancedisponiblepourunPDVestleperson- nage.Encorefaut-ilpréciserquenombred'exemplesdePDVdupersonnagerelè- vent de contextes narratifs à la troisième personne (Banfield 1995, Rabatel 1998), alors que les tours de parole des personnages renvoient à l'énonciation personnelle, ce qui limite énormément les PDV hétérodiégétiques, le texte de théâtre reposant rarement sur le plan d'énonciation historique, sauf dans quel- quesmonologuesnarratifs.Restedoncunefocalisationinterneàlapremièreper- sonne,cequisemblerestreindrelaportéeduphénomène. CesdeuxréponsescontrastéesinvitentàrevenirsurladéfinitionduPDV.Onle feraàpartirdesanatureradicalementpolyphonique,permettantaulocuteurd'ex- primersonPDV,oudesepositionnerfaceauxPDVdesesinterlocuteursoudes tiersdélocutés,telsqu'illesreconstruitdanssonproprediscours;ententantde (1) RappelonsqueGenettedonnetroisacceptionsdistinctesdelanotion,commeabsencedefoca- lisation(=absencedePDVdunarrateur),commePDVdunarrateur,oucommePDVomniscient résultantdelasommedetouteslesautresfocalisations:cf.Rabatel1997:62-68.Surlefond,on n'auratoutefoisgarded'oublierquelepersonnagepeutproduiredesrécitsseconds... 7 saisirlesrelationsentrePDVargumentatifetPDVnarratif(2).Notrethèseestque lePDV,dontlesénoncésenapparencelesplusanodinsont,dufaitdeleurdialo- gisme, une valeur argumentative directe ou indirecte, enrichit l'analyse interac- tionnelle, en donnant une incarnation linguistique aux dimensions psychologi- que, idéologique ou sociologique des personnages construites par l'interaction même.Autrementdit,lePDVaideàl'interprétationdutextethéâtralparlebiaisde l'enrichissementénonciatifdeladimensioninteractionnelle (3). 1. CADRE THÉORIQUE 1.1. Point de vue et polyphonie LePDVseraicidéfinid'unemanièresuffisammentgénéralepourpouvoirren- drecomptedelaconstructiond'unPDVindépendammentdufaitquecePDVap- paraisseencontextenarratifoudansunautrecontexte,argumentatif,informatif, etc.,commeindépendammentdesplansd'énonciationchoisis. On nommera PDV tout ce qui, dans la référenciation des objets (du dis- cours)révèle,d'unpointdevuecognitif,unesourceénonciativeparticulière (locuteur/énonciateur ou énonciateur,cf. infra, 1.2.) et dénote, directement ouindirectement,sesjugementssurlesréférents–d'oùl'importancedesdi- mensionsaxiologiquesetaffectivesduPDV. Si les points de vue sur les référents sont sensibles à travers les dimensions cognitives,axiologiquesetaffectivesquiémergentàproposdelaréférenciation, alorsiln'yanulleraison,surleplanthéorique,pourlimiterlaproblématiquedu PDVauxperceptions,etce,d'autantplusquel'expressionlinguistiquedesper- ceptionsneséparepasentreperceptionsd'uncôté,penséeet/ouéventuellement parolesdel'autre.IlestdoncplussatisfaisantdeconsidérerquelePDVestune formegénéraled'expressiondelasubjectivitéd'unsujet,tellequ'elles'exprimeà proposdelaréférenciationd'unobjetdudiscours,quipeuts'accommodertantôt decomptesrendusdeperceptions,tantôtdecomptesrendusdeparoles,tantôt decomptesrendusdepensées. Ainsienvisagé,lePDVestprochedudiscoursreprésenté/rapporté(DR);surle plansyntaxique,lePDVpeutemprunterlerapportdirect,indirect,indirectlibre, directlibre,voiresuivreunmoded'expressionparatactiquequi,enl'absencede lien hypotaxique, rend nécessaire la prise en compte de relations sémantiques entrelesénoncés(4): [1] Compterendudirectdeparole: Pierres'approchadelafenêtre,regardaleconvoietdit:«l'assistanceestnombreuse» (2) ComptetenuducaractèreinéditdecetteconfrontationdelaproblématiqueduPDVavecletexte théâtral,lechoixdesexemplesaétéguidépardespréoccupationsthéoriques,indépendammentdu souciderendrecomptedelaspécificitédeteloutelgenreousousgenre,selonlesépoques. (3) CommeRyngaert1999:1,nousnepartageonspaslescéno-centrismeselonlequellesanalyseslitté- rairesoulinguistiquesdutextethéâtraldevraitêtrerécuséespourcausedemanqueoriginelquine seraitcombléqueparlareprésentation.Nosanalysesénonciativesetinteractionnellesrelèventplu- tôtdutexto-centrisme,encequ'elless'appuientfondamentalementsurlestextes–etsurlecontexte, puisquenousnousréclamonsdelapragmatique–,etpassurleursmisesenscène,quandbienmême nosanalysesontdesimplicationsquelesmisesenscènesdoiventéprouver. (4) C'estcequisepasseraitsi[3]faisaitl'ellipseduverbedeperception,lelecteurdevantinférerle mouvementperceptifdePierredanslespropositionsauPS,etattribuerlecommentaireetla perceptiondansledeuxièmeplanàPierre,malgrél'absencedelienhypotaxique(quelesdeux pointsneremplacentpastotalement);cetteabsenceseraitplusfortesilesdeuxpointsétaient remplacésparunpoint.Leraisonnementestidentiqueen[10],[11]et[12]. 8 [2] Compterendudirectdepensée: Pierres'approchadelafenêtre,regardaleconvoietsedit:«l'assistanceestnom- breuse» [3] Compterendudirectdeperception: Pierre s'approcha de la fenêtre et regarda le convoi : l'assistance était nom- breuse/l'assistanceestnombreuse(5). [4] Compterenduindirectdeparole: Pierres'approchadelafenêtre,regardaleconvoietditquel'assistanceétaitnom- breuse [5] Compterenduindirectdepensée: Pierre s'approcha de la fenêtre, regarda le convoi et pensa que l'assistance était nombreuse(6). [6] Compterenduindirectdeperception: Pierres'approchadelafenêtre,regardaleconvoietremarquaquel'assistanceétait nombreuse. Pierrevitquel'assistanceétaitnombreuse. [7] Compterenduindirectlibredeparole: Pierres'approchadelafenêtre,regardaleconvoi.Ilattiral'attentiondeJean.L'as- sistanceétaitnombreuse! [8] Compterenduindirectlibredepensée: Pierre s'approcha de la fenêtre, regarda le convoi. Que l'assistance était nom- breuse! [9] Compterenduindirectlibredeperception: Pierres'approchadelafenêtre,regardaleconvoi.L'assistanceétaitvraimentnom- breuse! [10] Compterendudirectlibredeparole: Pierres'approchadelafenêtre,regardaleconvoi.Quel'assistanceestnombreuse! Cetteremarquefutaccompagnéed'unsourire. [11] Compterendudirectlibredepensée: Pierre s'approcha de la fenêtre, regarda le convoi.L'assistance est nombreuse. Cettepenséefugaceleréconforta. [12] Compterendudirectlibredeperception: Pierres'approchadelafenêtreetregardaleconvoi:assistancenombreuse,deux centspersonnesenviron/Pierres'approchadelafenêtreetregardaleconvoi.Spec- tacleréconfortantd'uneassistancenombreuse,deuxcentspersonnesenviron. [13] Compterendunarrativisédeparole(=discoursnarrativisé) PierrediscutauneheureavecCharles [14] Compterendunarrativisédepensée(=psycho-récit) PierreimaginalesbonnesraisonsqueCharlesalléguerait [15] Compterendunarrativisédeperception(=PDVembryonnaire) Pierres'amusaàvoirunCharleshésitantavantdeprendrelaparole Discuterlonguementcesexemplesnousdétourneraitinutilementdenotreob- jectif(7).Bornons-nousàremarquerlaparentédesrelationshypotaxiquesde[3] etdesexemples[10]-[12],quiexpliquequelesénoncéenitaliquespuissentlégiti- mement être interprétés, selon les données co-textuelles (en gras), comme un compterendudirectdeperception,ou,dufaitdel'absencededonnéescontex- (5) L'IMPrapprocheconventionnellementlePDVduDILetleprésentdudiscoursdirectlibre.Unetelle distinctionreposesurlasurvalorisationquasiexclusivedel'IMPdansleDIL,cequimérited'êtredis- cuté. (6) Cettepossibilitéesttrèsfréquentedanslesdiscoursrapportésorauxcommel'amontréuneré- centeanalysedeMarnette2002:218-220,selonlaquelle,enfrançaisparlé,lespenséesnesont pasrapportéesauDIL(seulement4%desformesrépertoriéesdanslescorpusduGARSinven- toriés),maismajoritairementauDI. (7) PouruneanalyseplusdétailléedesrelationsentrePDVetDR,cf.Rabatel2003b,f,h. 9 tuelles,commeuncompterendudirectlibredeparoleoudepensée.Demême,en [12],si«spectacle»orientel'interprétationversuncompterendudirectdeper- ception,enrevanche,«assistancenombreuse,deuxcentspersonnesenviron» dénoteuneperceptionintentionnelle,uneactivitécognitivepouvants'interpréter comme compte rendu de pensée, voire comme compte rendu de parole, si l'on considère que le mouvement de la pensée est (infra)verbalisé. Cette hésitation n'affaiblit pas l'analyse, elle exhibe au contraire les continuums existant sur les plansphénoménologiqueetcognitifentreperception,penséeetparole(Damasio 1994, 1999), tout comme sur le plan proprement linguistique (Rabatel 2001c, 2003b).Cetteparentélinguistiqueexplique,surleplanstylistique,l'extrêmelabi- litédesperceptions,despenséesetdesparoles,et,surleplansémiotique,lasi- militudedeleursvaleurstextuelles:cen'estpasunhasard,eneffet,silesvaleurs textuellesdeconstructiondelamimésis,delamathésisetdelasémiosis(Adam etPetitjean1989)sontsemblablespourlesdescriptionscommepourlesparoles depersonnage. LorsquelePDVindiqueuncompterendudeperceptiondéveloppédanslesecond plan,commedanslesitaliquesde[3],onparleradePDV«représenté»(Rabatel 1998:54);lorsquelePDVperceptifselimiteàdestracesdanslepremierplan(8), commeen[15],onparleradePDV«embryonnaire»(Rabatel2000,2001a).Lors- qu'ilestmêléàl'expressiondeparolesoudepensées,lePDVpeutêtredit«asser- té»ets'apparenteàtelleoutelleformeconventionnelledediscoursrapporté(Raba- tel2001c,2003c,f,h).Sil'onrepenseànotrequestioninitiale,onmesureàprésent quelaréponseouvreunvastechampdepossibles:lePDVreprésentéserencontre biendansletextethéâtral,lorsquelespersonnagesendossentunefonctionnarra- tiveetsontamenésàdécrirelecadrespatio-temporel,lesévénements,lesperson- nages,à(se)dénommer,(se)désigner,d'unemanièreplusoumoinsmimétique.Le PDVracontéapparaîtàchaquefoisquelelocuteurrapportecesmêmesobjetsdu discoursdefaçondiégétique,qu'ilssoientantérieursousimultanésparrapportau présent de l'énonciation. Le PDV asserté se manifeste dans toutes les manifesta- tionsduDR,etplusparticulièrementdanslesénoncésembrayésduDD,queleslo- cuteursjugentdirectement,souslaformedecommentairesexplicites,ouindirecte- ment, à travers les stratégies de dénomination, indépendamment de toute chaîne explicited'argumentshiérarchiséspardesconnecteurs. AveclePDVasserté,onsentbienquePDVouvreàl'analysetoutlechampdes énoncésàviséeouà dimensionargumentatives(9).Dèslors,lePDVsortdudo- maineduDR,quiprésentepourtantuncadreprivilégiéàl'expressiond'unPDV: non seulement le PDV ne se cantonne plus à l'expression de perceptions, mais encore il ne se limite plus au DR. Le PDV peut exprimer des opinions ou juge- mentsdevaleur,sansquecejugementparaissesubjectif,etindépendammentde laprésencedemarqueurstraditionnelsdel'argumentation(arguments,connec- teurslogico-argumentatifs,dutype«lesgensétaientpresséslesunscontreles autres,parconséquentlafouleétaittrèsnombreuse»),carlechoixd'unedénomi- nation, dès le cadre de prédication, telle « foule », suffit pour orienter l'énoncé dansunsensdéterminé: [16] Lafouleétaitnombreuse. [17] Lesmanifestantsétaientvraimentnombreux. (8) Cequilerendprochedupsycho-récitoududiscoursnarrativisé. (9) Amossy2000distingueainsilesénoncésàviséeargumentativedirecteavecdes(chaînesd')ar- gumentsexplicites,desconnecteurs,activantuneforteactivitédéductive,tandisquelesénon- césàdimensionargumentative(indirecte)oriententlesinterprétationssanspasserparlesmar- questraditionnellesdel'argumentation(logos)etreposentsurdesstratégieslexicales,stylisti- ques,entraînantdescalculsinférentielsdenatureplusoumoinsimplicite,privilégiantdavan- tagelepathosetl'ethos. 10 [18] Lapopulacegrouillaitsurlepavé,sansaucunegêne. IlseraitsimplistedecroirequelePDVselimiteraitàunmodussubjectifauquel s'opposeraitundictumobjectif:c'estd'embléeauniveaududictum,àtraversno- tammentlasélection,lacatégorisationouencorelastructurationqu'opèrentles modalités,comme,en[18],lechoixde«populace»etlemodeindicatifquiindi- queunpointdevuesouslaformed'unfaitobjectif,doncnonsujetàdiscussion. Quantàlamodalisation,elleconcerneladistancedulocuteurenverssondire,à traverslesdédoublementsénonciatifs,lescommentairesréflexifs,etc.:cf.«vrai- ment»,«sansaucunegêne».Aussichacundesénoncésprécédentspeut-ilcom- prendreplusoumoinsdesubjectivèmes,quidonnentuntourplusoumoinssub- jectivantauPDV(10). Il faut insister sur le fait que les énoncés ne mentionnent pas toujours claire- mentl'origineénonciativeduPDV:lesmarquesouvrantesetfermantessontcer- tes aisément repérables dans le DD, moins dans le DI, parce que si on sait où commenceleDI,onnesaitpastoujoursclairementoùils'arrêteetoùcommence lePDVdulocuteurcitant.Lesbornesouvranteetfermantesontmoinsnettesen- coredansleDIL,leDDL,lediscoursnarrativiséoudanslePDVreprésenté.Sem- blablement,lesmarqueursdeportée(Charolles1988),tels«d'après»,«selon», etc.indiquentbienl'ouvertured'unespaceénonciatifautredanslediscoursdulo- cuteur, sans toujours préciser où s'arrête ce même PDV. Et le problème est en- corepluscomplexelorsquelePDVselimiteàl'inclusiondesubjectivèmesenl'ab- sencedebornesouvranteetfermante.Ainsi,danslesexemples[1]-[15],encon- textedeDR,lechangementdetiroirverbal,notammentdevisée,joueunrôlede bornageénonciatifenindiquantundébrayageénonciatifténu(Rabatel2003b). LePDVestdoncuneproblématiquetransversale,qu'onretrouvedanslesré- citscommedanslesargumentations,invitantainsiàanalyserlespasserellesen- trecesdeuxpôlesfondamentauxdel'activitélangagière(Rabatel2000et2004). Dans ces conditions, la réponse précédente à notre question initiale se voit complétéeparlefaitque,commeletextethéâtralmetauxprisesdespersonna- gesenconflit,dansdessituationsrituellesouordinaires,ilsargumententdirecte- mentouindirectement,ensortequelePDVserencontreauthéâtrederrièretou- teslesformesdirectesouindirectesd'argumentation. 1.2. Les instances du point de vue Selon la distinction opérée par Ducrot 1984 : 204, on distinguera locuteur et énonciateur(11),quientretiennentdesrelationspouvantêtreformaliséescomme suit: [1]INSTANCES:Lelocuteur(L)(12)estl'instancequiprofèreunénoncé, selonunrepéragedéictiqueouanaphorique.L'énonciateur(E),prochedu sujetmodaldeBally,assumel'énoncé.Dansunénoncémonologique,lelo- cuteurestaussiénonciateur;onnoteraparunemajuscule,suivieduchif- fre1,celocuteurprimaireetceténonciateurprimaire,etparunebarreobli- que le syncrétisme de L1 et de E1. Dans un énoncé dialogique combinant deux PDV, le deuxième n'est pas nécessairement exprimé par un l2 cité, maisparune2:ainsides«discours»narrativisés,des«discours»indirect libreàlatroisièmepersonne,desmentionséchoironiques,oudesPDVre- (10) Cf.Rabatel2003h,pouruneexemplificationdegradientsdemimétisme. (11) CharaudeauetMaingueneau:2002,220-224,226. (12) Sanscompterle sujetparlant,ouproducteurempiriquedel'énoncé,dontladéfinitionnefait pasdébat,parrapportaulocuteuretàl'énonciateur. 11 présentés ou embryonnaires en contexte hétérodiégétique, toutes formes quirelèventàuntitreouàunautred'uncertaineffacementénonciatif(Vion 2001,Rabatel2003e). [2]STRUCTURES:Dansuncadredialogaloudialogique,onnoterarespec- tivement, par une minuscule suivie du chiffre 2, l2 et e2 les locuteurs et énonciateursenchâssés(oucités)dansl'énoncédulocuteurcitant,etdans lepointdevueoriginelàpartirduquelsemarquentlespositionsénonciati- vesdivergentes.Encesens,LetEsont: –linguistiquementpremiers,parrapportàletàequioccupentuneposture seconde, puisque la deixis est calculée par rapport à L1, impliquant les transformationsidoinesdanslediscourscitédel2; – hiérarchiquement supérieurs à l et à e, sur le plan pragmatique, dans la mesureoùL1rendcomptedesPDVdel2enfonctiondesespropresintérêts delocuteurprimaire. [3]LIENSSEMANTIQUES :lesrelationsentreL1/E1etl2/e2relèvent: –tantôtdelaresponsabilitéoudelanonresponsabilité,lorsquelesrela- tionssontexplicites; –tantôtdelaconsonance oudeladissonance(Cohn1981),lorsqueces lienssontimplicites.Danslesdeuxcas,ceslienssontgraduels. Ainsi,lesitaliquesde[3]correspondentauPDVdee2,Pierre:lediscordanciel énonciatif entre premier et second plan, le choix d'une forme de visée sécante, le rapportsémantiqueentrelaperceptiondanslepremierplan(fait,perceptionappré- hendéecommeuntout)etdansledeuxièmeplan(commentaire,perceptionappré- hendéedanssesparties)renvoieàlaperceptiondePierre,malgrél'absencedemar- quagehypotaxique.CePDVreprésenté,quipourraitaisémentsedévelopperdans unfragmentdescriptif,estdifférentduPDVembryonnairede[15]oùPierre,exprime sonPDVsurCharlesdansunpremierplan,sansdévelopperdecommentairesdans un deuxième plan. Dans les deux cas, le PDV est celui du sujet saillant, Pierre, commedanstouslesexemplesprécédents;àdéfaut,lePDVseraitceluidunarra- teur;mais,danslecontexte,L1,quirapportecePDV,faitentendreaudestinataire quelePDVestfiable,enl'absencedemarquededistanceexplicite. Cemodèlethéoriqueestparticulièrementrentablepourletextenarratif,prisen chargeparunlocuteurnarrateur(qu'ilfautthéoriquementdisjoindredusujetpar- lant).Quelleestsapertinencepourletextethéâtral,caractériséparl'absencede narrateur?Ubersfeldremarqueàjustetitreque SiE1(13)construitlediscoursqu'assumelepersonnageE2etdontcelui-cis'affirme auteuretresponsable,lescripteurE1dégagesaresponsabilitédecediscours;etil estvaindeleluiattribuer.Non,Alceste,n'estpasleporte-paroledeMolière,pas plusquePhilinte,d'ailleurs.Iln'yapasd'auteur-scripteurdontlavoixsefasseen- tendredirectementdansledialoguedethéâtre;l'auteurE1estresponsabledelato- talitédutextedethéâtre(fable+parolesdetouslespersonnages+didascalies), nondelaparoledechacun–tandisquel'énonciateur-personnageE2est«respon- sable»delatotalitédesesrépliques(Ubersfeld1996:11). Celaposeleproblèmedesavoircommentrepérerdessegmentstextuelsréfé- rant, sinon explicitement, du moins implicitement au PDV du scripteur. L1 (14), danslecadredutextethéâtralécrit,n'estpoursapartresponsablequedutitre, (13) Ubersfeld,commeKerbrat-Orecchioni,utilisentElàoùnousparlonsdelocuteur.Cf. infra. (14) L1,auteurdudrame,n'estpasunlocuteur-narrateur,maisunlocuteur-dramaturge. 12 des avant-textes éventuels (préface, avis au lecteur, avant-propos, dédicace, etc.),delalistedespersonnagesassortiedeleursrelationsetdesdidascalies. Certes,L1estaussil'auteurdesproposdesl2,etilpeut,surleplandeslienssé- mantiques,êtreplusoumoinsprochedeteloutel,mais:enl'absencedetrame narrative,deverbesdudiscoursattributifs,dedescriptionsoudecommentaires du narrateur (Lintvelt 1981), il n'y a pas de lien explicite de (non)responsabilité (saufceuxquifigurentdanslespéri-textes),etl'onsetrouvefaceàdesliensde consonanceoudedissonance,nettementpluscomplexes,surleplaninterpréta- tif.C'estlàunedesdifficultéssupplémentairesdutextedethéâtresurletextenar- ratif, la nature particulièrement « lacunaire » (ou paresseuse) du texte théâtral obligeantlelecteur(15)àunsurcroîtdetravailinterprétatif. Maingueneau(aprèsIsacharoff1985)utiliseleconceptd'archi-énonciateurpour rendrecomptedecefait.L'archi-énonciateurseraituneinstance(distinctedecelle del'écrivain)subsumanttouteslespositionsénonciativesetprenantenchargeun réseauconflictueldepositionsénonciatives(Maingueneau1990:141-2).Mêmesi l'archi-énonciateurn'estpasl'écrivain,onsentbienqu'ilestprochemalgrétout d'uneinstancetextuelleénonciativesupérieure,quelquechosecommel'écrivain textualisé. Cela souligne la complexité de la question herméneutique et de son substraténonciatif,sansréglerleproblèmedelanaturedesrelationsénonciati- ves de consonance ou de dissonance entre le locuteur-dramaturge (L1) et ses personnages(l2),cequenoustenteronsdepréciseràtraverslesconceptsdeco- énonciation,desur-énonciationoudesous-énonciation,enrevisitantleconcept dedoubleénonciation. 1.3. Point de vue et double énonciation Ces données complexifient le cadre communicationnel du texte théâtral pré- senté comme un phénomène de « double-énonciation » (Kerbrat-Orecchioni 1984).Rappelonsquecettedoubleénonciationdédoubléeopposed'uncôtédeux émetteurs, le locuteur-dramaturge L1 et les personnages l2, avec, deux récep- teursdistincts:l'allocutairedeL1estlespectateur(16)oulelecteur,tandisque lesallocutairesdel2sontlespersonnages–leplussouventsouslaformed'unal- locutaire destinatairedirect,maisaussid'undestinataireindirectouencored'un récepteuradditionneldontlaprésenceéchappetotalementàlaconsciencedulo- cuteur.Ladoubleénonciationsignifiequelacommunicationneselimitepasaux interactionsentrelesl2,maisintègrelefaitquelediscoursduscripteur(c'est-à- dire la somme des interactions des l2) s'adresse par-dessus les l2, au specta- teur/lecteur.Sil'onintègreladimensionscénique,lespôlesémetteuretrécepteur nesontplusdoubles,maistriples:d'uncôté,lescripteur+lepersonnage+l'ac- teur,del'autrelepersonnage+l'acteur+lespectateur(Ubersfeld1996:9-10).Si l'onprendencomptelamontéeenpuissancedumetteurenscène,ilfautrajouter unequatrièmeinstancedansceschéma,aveclemetteurenscène,d'uncôté,et, del'autre,undestinatairequiappartiendraitauchampdelacritiquethéâtrale. Contrairement à une idée reçue la double-énonciation n'est pas propre au théâtre,quandbienmêmecedernierinstitutionnaliseetparlà-mêmeobjectivise cerapportcommunicationneldémultiplié.Onleretrouveaussiavecletextenar- ratif,carlenarrateur(etaussi,dansunemesurevariable,l'écrivain)s'adresseà unlecteurmodèle,ouàdeslecteursréels,par-dessuslesinteractionsentreper- (15) Cesurcroîtestmoindresidesmédiationsaidentàcomblerlesvides:éditionsscolairesdesœu- vres,oumisesenscène.Ilendécoulequ'engénéral,oncomprendplusfacilementuntexte grâceàsareprésentationqueparsaseulelecture cf.Ryngaert2000etPetitjean2004. (16) Cespectateur,commeUbersfeldlerappelle,sescindeen«undestinataireimaginaireD2'etun réelD2,avectouteslesbéancespossiblesentrelesdeux»(Ubersfeld1996:11). 13 sonnages,quipeuventêtreincarnésàl'écranpardesacteurs.Ausurplus,l'ex- pression«double-énonciation»renvoieàuneacceptiondel'énonciateurquien faitl'équivalentdulocuteur.UbersfeldreproduitceschémaenparlantdeE1(le scripteur)etdeE2(lepersonnage)làoùnousparlonsdeL1etdel2.Ilestcertain quedanslesénoncésmonologiques,ilyabiensyncrétismeentreL1etE1,entre l2ete2,maisonsaitquecesénoncésmonologiquessontfinalementassezrares, saufsurdecourtesportionsd'énoncés,etque,pourrendrecomptedesénoncés dialogiques,onabesoindedistinguerentrelocuteureténonciateur,dèslorsque l'énoncécomportedesPDVdifférents,sansquecesderniersnerenvoienttousà deslocuteursenchâssésspécifiques.Iln'yapasd'intérêtàplaquerl'énonciateur surlelocuteur,danslamesureoùcelalaissepenserquetouteco-énonciationre- posesurdelaco-locution.Orlethéâtreestprécisémentungenrequiinstitution- nalisecettedéliaisondesinstances,cariln'yapasco-locutionentrelescripteur –oulemetteurenscène–etlelecteur–oulepublic–(etréciproquement)(17):il yacertesdela«communication»entreeux,par-dessuslatêtedespersonnages, maisellereposesurunphénomènedesur-oudesous-énonciationsansco-locu- tion(cf.infra):carenbonnelogique,unallocutaireestuneinstanceencapacité puissantielledeparoleresponsive,adresséeàL1,ensituationdecoprésenceou en situation de communication à distance (spatiale ou temporelle). Or, si cette qualitéestbienlepropredesallocutairesdel2,cen'estpaslecasgénéraldesal- locutaires de L1 : certes, le public peut réagir, le lecteur s'indigner ou s'enthou- siasmer,ilparlealorsàproposde,maisilneparleplusàL1,qui,souvent,n'est pluslàdepuisbellelurettepourluirépondre(18).Cettesituationinégaleestdéci- sivepourl'herméneutiquedutextethéâtral;ellejouedavantagepourl'auteurque pourlemetteurenscène,qui,lui,peutajusterselonlesréactionsdupublic:ence sens,lesrelationsmetteurenscèneetspectateurnesecontententpasderedou- blercellesentreauteuretlecteur. Enfin,ilconvientdedistinguerentrelecteuretspectateur,car,cesdeuxco-é- nonciatairesnesontpastoujoursdanslamêmesituationcognitiveparrapportà l'œuvre. Une didascalie initiale extradiégétique, de nature proleptique, apporte desindicationspourlelecteur(etlemetteurenscène)maispaspourlespecta- teur,etn'adoncpaslemêmestatutquelesdidascaliesintradiégétiquesquipré- sententauspectateurunapportd'informationsaufildutexte.C'estcequemontre fortbienladidascalieextradiégétiquedeL'AffaireDucreux,quicomprend infine uneindicationproleptiquedontlespectateurn'auraconnaissancequedansles derniersmomentsdelamiseenscène: [19] Unefemmedanslasoixantaine,anciennedomestique. Elleestd'abordassiseàlatabledesacuisine,unelettredevantelle,qu'ellecon- sulteàintervallesirréguliers. Lalettreestpleinedequestionsqu'ellelitsoitsansvoix,soitàvoixbasseetauxquel- leselleimprovisedesréponsesàhautevoix. C'estunefemmequiparaîtmaîtressed'elle-mêmeaudébutdelascène.Maison s'aperçoit progressivement qu'elle ne domine pas sa nervosité et qu'elle perd la tête.[...] Ilyauraenfindumonologueunevoixoff,impérative,quiremplacelesquestions luesetàlaquelleelleréponddefaçonsincohérente.[...] Alafindelascènelacamérasedirigeverslatableetsefixesurlalettre.Onconstate quecen'estqu'unefeuilleblanche,sansriend'écrit(PingetL'AffaireDucreux,Mi- nuit,1995:9). (17) Lecasestunpeudifférentpourlarelationacteur/public,lorsquelepersonnages'adressedirec- tementaupublic.Maiscettecommunicationrestetrèsinégale,lepublicn'estpascensérépon- drepardesactesdediscoursconcernantladiégèse;quiplusest,cetterelationtrèsinégalitaire n'existequelorsqueletexteestmisenscène,ellenesemanifestepaslorsqueletexteestlu. (18) Saufdanslescasoùlacritiquegénétiquedisposed'échangesentrel'auteuretcertainsdeses lecteursprivilégiés,autourdutexteendevenir. 14 Ainsi, à la différence du lecteur, c'est seulement au tomber de rideau que le spectateurapprendquelafeuilleestunefeuilleblanche.Cettesituationmontrela profondedissymétriedansladoubleénonciation,entrelecteurd'uncôtéetspec- tateurdel'autre.Ilenestbiend'autres. 1.4. La prise en charge énonciative des points de vue : faits de co-énonciation, sous-énonciation et sur-énonciation dans la double énonciation Comme on l'a dit, le concept d'archi-énonciateur, trop en relation avec l'ins- tanceécrivain,n'offrepasassezdejeupourrendrecomptedesphénomènesde prise en charge énonciative entre locuteurs et entre énonciateurs eux-mêmes. Lesinstancespartiesprenantesdela«doubleénonciation»sonttoutessuscepti- blesd'entretenirdesrelationsrelevantdelaco-,sur-etsous-énonciation.Dequoi s'agit-il?UnPDVpeutêtredominantsanspourautantquelelocuteurparlebeau- coup,commec'estlecaspourlesautoritésdontlaparoleestrare,etdontlePDV estexpriméparceuxquisontsoussacoupe,sansque,nécessairement,ilslepar- tagent:danscecas,lePDVinteractionnellementdominantrenvoieàceluid'un sur-énonciateur (Rabatel2003a,c,d),etlePDVinteractionnellementdominéà unsous-énonciateur(Rabatel2002,2003e);quantauxco-énonciateurs,ilssont interactionnellement co-producteurs d'un PDV véritablement commun, partagé –cefaisant,notreconceptiondelaco-énonciationdiffèredecelledeJeanneret 1999dontlesexemplesdeco-énonciationseréduisentpourlaplupartàdelaco- locution(Rabatel2003c). 1.4.1.Relationsentrepersonnages:nousnouslimiteronsiciàunerapideexem- plificationdecespostures. 1.4.1.1.Co-énonciation: [20] Rodrigue: Omiracled'amour! Chimène: Ocombledemisères! Rodrigue: Quedemauxetdepleursnouscoûterontnospères! Chimène: Rodrigue,quil'eûtcru? Rodrigue: Chimène,quil'eûtdit? Chimène: Quenotreheurfûtsiprocheetsitôtseperdît? Rodrigue: Etquesiprèsduport,contretouteespérance, Unoragesipromptbrisâtnotreespérance? Chimène: Ah!mortellesdouleurs! Rodrigue: Ah!regretssuperflus!(Corneille,LeCid,III,4). Cette célèbre stichomythie correspond à la co-énonciation d'un PDV commun : certainstoursdeparolesréunisdesdeuxamantsformentuneintervention(qu'ilfaut distinguerdesrépétitionssyntaxiquescaractéristiquesduchantamoebée),comme lorsqueChimèneetRodrigueévoquentleurbonheursiproche,aveclerôledessub- ordonnantsentêtedevers.Dansleco(n)-texte,ceténoncécommunconstruitbien uneréférencepartagée,quiestlamarquemêmedel'unissonamoureux.Maisiln'en vapastoujoursainsi,etl'onpourraitaisémentopposerdessituationsamoureuses oùl'onvoitunamoureuxco-produireunénoncéamorcéparl'amantedanslesensat- tenduparlabelle,sansêtrepourautantsincère:c'estlafigurebienconnuedusé- ducteur,quidevineàl'avancelesmotsqu'ilfautdire,etsaitletonqu'ilfautemployer: malgrésonapparencemonologique,l'énoncéestenréalitédialogique,derrièrel'ap- parence d'accord et de fusion, et la situation dramatique repose sur cette discor- danceénonciativeetépistémique,l'amantesecroyantaiméecependantquelesé- ducteur,commelepublic,saitqu'iln'enestrien. 15

Description:
tantôt de la consonance ou de la dissonance (Cohn 1981), lorsque ces liens sont consonance ou de dissonance, nettement plus complexes, sur le plan interpréta- tif. C'est là CRDP de Basse-Normandie, 89-100. — (2003b)
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