LE COMPLEXE MARX DU MÊME AUTEUR La question coloniale et la politique du parti communiste (Maspero, Paris, 1977). Conflits, pouvoirs et sociétéà la Libération (10/18, Paris, 1980) En collaboration: L'Europe d'après-guerre (Editions Europa, Montréal, 1982) À PARAÎTRE Repérages de l'imaginaire marchand (Hobbes, Locke, Rousseau, Proudhon) La balance et le testament Grégoire MADJARIAN LE COMPLEXE MARX Editions L'Harmattan 5-7, rue de l'Ecole-Polytechnique 75005 Paris CoJ]ection «Logiques sodales ~~ dirigée par Dominique Desjeux Ouvragesparœ danslacollection losé Arocena, Ledéveloppementpar l'initiative locale.Le casfrançais. 1987,227 p. brigine Brébant, Lapauvreté, un destin 71984, 284 p. Jean-Pierre Boutinet (sous ladir. de), Dudiscoursàl'action: lessciencessocialess'interrogent surelles.mêmes.1985, 406 p. Claude Courchay, Histoire âu Point Mulhouse. L'angoisse et le flou de l'enfance. 1986, 212 p. 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Stupéfiant destin d'un corpus théorique né en Europe et triomphant à l'exporta- tion, destiné à servir les mouvements ouvriers des pays indus- trialisés et se trouvant hissé à la hauteur d'une idéologie d'Etat dans des sociétés chez lesquelles prédominent ou prédominaient les structures agraires traditionnelles. Sa capacité à s'exporter loin des lieux et de la conjoncture qui ont vu sa production, son étonnante adaptabilité, sa faculté d'être interprété dans des directions si différentes, jusqu'à en être contradictoires, d'être revendiqué par des mouvements politiques si éloignés qu'ils ont pu en arriver à des oppositions violentes, sans parler des confrontations entre Etats qui s'en réclament, tels sont les traits les Plus immédiatement perceptibles de ce qui est devenu une doctrine. Si la puissance n'est pas critère de vérité, le poids politique du marxisme dans le monde contemporain justifie à lui seul une analyse de l'anatomie, des investissements et du fonctionnement de ce qui en est le corpus originel. Il s'agit tout autant de rendre compte. de la distance qui s'est creusée à l'égard de Marx à travers les expériences politiques récentes et de par le mouvement des valeurs. Marx symbolisait à sa manière une Europe du XIX' siècle conqué- 9 rante, confiante en la modernité et en sa supériorité. La foi dans leprog;rès et son expression théorique, l'évolutionnisme, a cédé la Place au relativisme, à l'incertitude des valeurs, à l'expérience vécue que les démocraties, loin d'être un acquis de civilisation, sont mortelles. Le besoin de communauté a perdu de son innocence, montrant qu'il pouvait basculer en totalita- risme. Le matérialisme légué par la philosoPhie des lumières a épuisé sa charge subversive, il n'est que l'arbitre des préjugés, la valeur usuelle de l'individu consommateur et qui asPire déjà )). Plus loin à vivre les «services Le nihilisme, qu'on a opposé au marxisme, n'est Plus lui-même courage de la pensée, mais refus de toute quête et aventure spirituelle, justification d'une indifférence à tout engagement, sinon sa dérision en un cy- nisme quotidien. Le corpus théorique des travaux de Marx, à partir duquel se constituent les configurations appelées marxisme, se présente comme une synthèse, l'épanouissement des valeurs et des repré- sentations théoriques des temps modernes, en même temps que leur critique. On retrouve à ce confluent les eaux de l'huma- nisme, de l'économie politique classique, du matérialisme, de la tradition égalitaire et communiste. Mais on ne peut guère déceler dans cecorpus l'affirmation d'une tradition théorique ou éthique qui ne soit affectée également d'un signe négatif. Ainsi coexistent sous tension l'humanisme et la dérision de l'homme abstrait,. le matérialisme théorique et l'antimatérialisme éthi- que,. le proPhétisme et le réalisme politique,. la valorisation et la dévalorisation, toutes deux radicales, de l'économique, du travail et de l'égalité,. la négation en même temps que la naturalisation de la propriété,. le refus épistémologique et politique de l'individualisme comme celui d'une domination de la communauté. L'ambition de notre travail qui ne doit rien aux circonstan- ces, mais à une entreprise qui a débuté ily afort longtemps sur les conditions et limites de validité du complexe Marx, c'est de rendre compte de l'hétérogénéité de ses investissements, effacée par les interprétations et mises en perspective unidimensionnel- les - du Marx romantique au Marx libéral. La superposition de différents champs ou niveaux de profondeur et lejeu de la valorisation relative des différentes valeurs véhiculées peuvent seuls expliquer la diversité des usages théoriques et surtout politiques qui en sont faits. Le fil directeur de notre ouvrage, 10 c'est le rapport entre l'œuvre de Marx et l'univers imaginaire et institutionnel de la société moderne. « Ce sont nos sociétés d'Occident, écrivait Marcel Mauss, qui ont très récemment fait de l'homme un "animal économique". L'homo aeconomicus n'est pas derrière nous, il est devant nous. L'homme a été très y longtemps autre chose et il n a pas bien longtemps qu'il est une machine, compliquée d'une machine à calculer. » Toute l'école de Karl Polanyi a œuvré dans le même sens que l'auteur de l'Essai sur le don, en travaillant à réduire l'universalisme supposé de l'échange et des catégories marchandes. Ce qui nous apparaît dans le marxisme de Marx, c'est le double mouvement, de réaction radicale à la société marchande industrielle et de transposition théorique à toutes les sociétés des catégories et des conditions phénoménales de cette même société. INTRODUCTION Le matérialisme de Marx se présente comme un bouleversement de l'approche des sociétés humaines, en ce qu'il.prend pour point de départ de leur compréhen- sion le rapport de l'homme à la nature, le rapport de l'homme aux choses, rapport universel et monotone dont la face technologique est la puissance productive et la face sociale, la propriété. Toutes les structures sociales et politiques, les hiérarchies et stratifications, les systè- mes de valeurs de même que les institutions sont consi- dérés comme des dérivés de ce rapport premier, maté- riel et économique. Le rapport des hommes aux choses détermine le rapport des hommes entre eux: ainsi peut-on énoncer sous sa forme la plus ramassée le matérialisme de Marx. Cette approche se donne une fonction critique: jusqu'au XIX.siècle, le pouvoir est surtout conçu comme politique ou militaire. A l'encontre de cette évidence, l'entreprise de Marx vise à éclairer la zone d'ombre de cette perspective traditionnelle: les rapports de pouvoir inclus dans les relations écoq.omiques, les formes de pouvoir qui surgissent de la distribution des conditions de la vie matérielle et de la place des hommes dans l'activité productive. Sous la toile des relations formelles entre individus au statut politique et civil identique, sous le réseau des relations d'échange entre individus libres et égaux quant à leur consentement, la critique sociale, prenant appui sur le modèle économique de 13 société, mettait à jour les contraintes inégales et les rapports de force qui obéissaient à des mécanismes extra-politiques. Ce qui paraissait évident dans le passé, c'était la domination politique et militaire. La domination éco- nomique faisait appel à des mécanismes qui paraissaient plus complexes, qu'il fallait dévoiler. La conception matérielle et économique des sociétés humaines dans les conditions de vie du xxesiècle a aussi montré ses limites critiques, sa capacité à entretenir un aveuglement contraire, sur les phénomènes politico-militaires, la fonction critique cédant la place dans un contexte dé- terminé à une fonction d'occultation. Témoigne de cette extraordinaire inversion l'aven- ture politique du concept d'impérialisme. Jusqu'à la fin du XIXesiècle, la constitution d'empires coloniaux ou non est un titre de gloire et de fierté pour les métropo- les, à l'image de ce que fut pour les Romains l'Empire qu'ils édifièrent et dont la Méditerranée devint la mer intérieure. La dévalorisation politique du projet impérialiste trouve des appuis dans la tradition libérale comme dans la tradition socialiste. Ce qui importe, c'est que l'impé- rialisme est jusqu'au libéral Hobson et au marxiste Lénine perçu comme un phénomène politico-militaire, l'établissement d'une dépendance directe d'un peuple à un autre. Les aspects économiques et les modalités de la dépendance indirecte, à travers les conditions de l'échange, focaliseront l'attention à partir de l'analyse léniniste de l'impérialisme. Cette analyse est en rupture avec la plupart de celles qui ont cours dans la social- démocratie, que ce soit celles de Bernstein ou de Kaut- sky, qui tendent à réduire l'impérialisme à sa réalité politico-militaire et à le considérer comme un phéno- mène de survivance des sociétés pré-industrielles plutôt que comme un produit du capitalisme (1). Fondamenta- lement, les principaux théoriciens de la social-démocra- tie partagent avec les libéraux l'idée que l'essor du capitalisme et des échanges est le progrès de la pacifica- tion du monde. 14