UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL VIVRE, SURVIVRE ET MOURIR ACCOMPAGNÉ: AUX FRONTIÈRES DE LA « VIE MOINDRE » THÈSE PRÉSENTÉE COMME EXIGENCE PARTIELLE DU DOCTORAT EN SOCIOLOGIE PAR DAHLIA NAMIAN NIOVEMBRE 2011 UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL Service des bibliothèques Avertissement La diffusion de cette thèse se fait dans le respect des droits de son auteur, qui a signé le formulaire Autorisation de reproduire et de diffuser un travail de recherche de cycles supérieurs (SDU-522 - Rév.01-2006). Cette autorisation stipule que «conformément à l'article 11 du Règlement no 8 des études de cycles supérieurs, [l'auteur) concède à l'Université du Québec à Montréal une licence non exclusive d'utilisation et de publication de la totalité ou d'une partie importante de [son] travail de recherche pour des fins pédagogiques et non commerciales. 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DE LA PRISE EN CHARGE À L'ACCOMPAGNEMENT: GRAMMAIRES DE L'INTERVENTION, GRAMMAIRES DE LA VULNÉRABILITÉ 35 2.1 Quand l'accompagnement n'en finit plus de se « décliner» 36 2.2 De la prise en charge des « populations problématiques» à l'accompagnement des vulnérabilités individuelles 44 2. 3 Accompagner dans les limites de la vie sociale et biologique 54 2.3.1 Petits arrangements avec la vulnérabilité extrême et la singularisation : « vie moindre» et «couveuse » 57 CHAPITRE III . MÉTHODOLOGIE 67 3.1 Méthodes de collecte et d'analyse des données d'enquête 68 3.1.1 Construction de la problématique et échantillonnage du corpus empirique ............................................................................................................................. 68 3.1.2 La collecte de données 72 3.1.3 L'analyse des données 93 3.1.4 La présentation des données dans une description ethnographique 98 III 3.2 Présentation sommaire du terrain d'enquête: missions et lieux 100 3.2.1 D'une mesure palliative d'urgence à l'accompagnement social.. l0l 3.2.2 Des soins palliatifs à l'accompagnement social... 105 3.2.3 L'esprit des lieux 108 CHAPITRE IV . UNE MAISON « OÙ LA MORT VIT» 121 4.1 Entrer« en soi» 121 4.2 Intervention au singulier 134 4.3 Se rebâtir soi-même 144 4.4 Doser la proximité 158 4.5 Mourir sans partir, et vice versa 167 CHAPITRE V .. UN SYSTÈME « OÙ L'ERRANCE VIT » 181 5.1. Sortir du « système» 181 5.2 Investir la singularité 195 5.3 Malaise dans l'écoute 200 5.3 Se maintenir soi-même 204 5.4 S'en sortir sans sortir. 212 CHAPITRE VI .. ENTRE CONSISTANCE ET COUVEUSE: LA VIE MOINDRE DANS TOUS SES ÉTATS 223 6.1 Dans la consistance de la vie moindre: de qui, de quoi et d'où parle-t-on? .. 225 6.1.1 Lorsque presque rien ne va et que presque rien ne peut: un matériau humain grandement résistant... 238 6.1.2 Ni vie nue, ni vie perdue, mais un espace « autrement» protégé et aménagé 254 . . 6.2 Dans la couveuse de la vie moindre: avec qUi, avec quoI et jusqu'où agit-t-on 264 6.2.1 La personne sous « surbrillance », ou les techniques de soi 265 IV 6.2.2 L'épaisseur « psychosociale»: prise privilégiée des couveuses 281 6.2.3 Ce que sortir veut dire: quelles « sorties» possibles pour la vie moindre ? 305 CONCLUSION 314 RÉFÉRENCES 325 RÉSUMÉ Cette thèse poursuit un double objectif. Le premier consiste à interroger les dynamiques sociétales, qui, dans l'univers polymorphe de l'intervention sociale, tendent à ériger aujourd'hui « l'accompagnement» comme style de réponse privilégié aux difficultés et épreuves de la personne. Nous cherchons à montrer, tant théoriquement qu'empiriquement, que ces dynamiques puissantes et contradictoires, qui révèlent un processus d'individualisation relativement nouveau, sont à la fois porteuses de contraintes et de possibilités. Le deuxième objectif poursuivi est l'observation directe des pratiques d'accompagnement qui reconduisent et mettent au point ces dynamiques sociétales complexes dans le cadre de deux figures sociales limites: l'itinérance et la fin de vie. Réduit au plus essentiel, l'analyse transversale du registre de «l'action possible» déployé envers ces deux figures limites, que nous avons désignées comme des «vies moindres», pern1et de mettre au jour certains rapports constitutifs élémentaires qui permettent en dernière instance aux individus de «se tenir» dans la socialité courante actuelle. Mots clés: Intervention sociale, accompagnement, singularisation, itinérance, fin de vie. INTRODUCTION Entre presque rien et rien, il y a tout un monde! Qu'elle soit destinée aux malades, aux toxicomanes, aux itinérants, aux « fous» ou aux mourants, la gestion des individus qu'on a coutume de désigner globalement aujourd 'hui comme « vulnérables», constitue, dans les sociétés libérales, une préoccupation centrale pour l'organisation du vivre-ensemble. Entendue au sens large, cette forme de gestion, qu'on peut regrouper sous le terme synthétique de « l'intervention sociale », consiste à intervenir (prévenir, pallier, gérer, encadrer, soigner, etc.) auprès de personnes qui incarnent (socialement, physiquement et/ou psychiquement) un ensemble divers et variables de « problèmes sociaux» et qui, pour cette raison, sont sujettes au travail d'un ensemble divers et variables de dispositifs qui tentent d'y remédier. Mais comme toute institution, l'intervention sociale est traversée historiquement par des recompositions pratiques et idéologiques qui affectent tant la nature de ce qui est identifié, dans une époque et une société donnée, comme problème social, que les modalités privilégiées pour y répondre. Ces recompositions sont constituées, de façon intriquée et complexe, à la fois de dynamiques «internes », qui relèvent de l'histoire des pratiques et des savoirs, et de dynamiques «externes », qui procèdent de mutations normatives, culturelles et sociales globales. Au Québec, comme dans d'autres sociétés démocratiques libérales, les institutions de prise en charge «totales» se sont largement transformées, faisant place, 1 Nous paraphrasons l'expression d'Alfred de Musset: «Entre presque oui et oui, il y a tout un monde ». 2 depuis les quatre dernières décennies envIron, à d'autres modalités d'intervention sociale auprès des «populations» qui mettent à l'épreuve les limites de la socialité et de la vie. L'univers de l'intervention sociale s'est, en effet, significativement transfonné depuis les années 1970. Son paysage actuel rend compte non seulement d'une pluralité de dispositifs d'intervention à vocation diverse (soins, hébergement, écoute, etc.), mais aussi d'une pluralité de populations désignées et ciblées comme «problématiques» (ou « à risque », «sensibles », «vulnérables », etc.), c'est-à-dire de groupes d'individus considérés plus ou moins homogènes (les itinérants, les toxicomanes, les malades, les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale, etc.) en raIson d'une problématique spécifique (maladie, itinérance, toxicomanie, etc.) Or, en dépit de cette pluralité de dispositifs et de populations en présence, il est possible de dégager deux grands traits transversaux et indissociables qui caractérisent le socle commun du paysage contemporain de l'intervention sociale: 1) d'une part, le style de réponses aux difficultés de la personne, en dépit des populations désignées comme problématiques, prend de moins en moins la forme d'une prise en charge, que celle d'un accompagnement. 2) D'autre part, le sujet ciblé de l'intervention sociale, en dépit de ses problématiques spécifiques, est de plus en plus définit par sa capacité à agir par et sur lui-même, que ce soit au regard de son propre redressement, de son propre épanouissement, ou de sa propre transfonnation. Nouvelles modalités de pratique et nouvelles figures du sujet de l'intervention sociale fonnent l'équation à laquelle nous nous sommes intéressée dans cette thèse, à la fois dans ses implications sociologiques globales et empiriques. Dans un premier' temps, nous avons cherché à cerner de quelle manière ce socle commun est lié à des dynamiques sociétales transversales irréductibles au champ de l'intervention sociale. Nous posons comme hypothèse que cette équation, qui signale une métamorphose des pratiques et du sujet (de l'intervention sociale), est 3 intimement liée à un processus structurel global observable dans un ensemble de sphères de la vie sociale irréductibles à l'univers de l'intervention sociale, allant de la famille, aux relations amoureuses, au travail, aux aspirations personnelles, etc., lesquelles rendent toutes compte à leur façon d'un processus d'individualisation relativement nouveau, affectant la manière dont les individus peuvent et désirent aujourd'hui « être tenus» dans la socialité contemporaine. Ce processus, que certains auteurs désignent sous le terme de la singularisation ou du « singularisme » (Martuccelli, 2010), marque une mutation dans la manière de se lier et de faire société dans la mesure où, de plus en plus, les individus, au-delà de leurs positions et statuts inégalitaires, sont contraints et demandent à être traités (pris en compte, reconnus, aidés, etc.) comme des individus, c'est-à-dire comme des singularités individuelles qui, en quelque sorte, « se rebiffent contre les cases sociologiques» (Martuccelli, 2010). Or, si ce processus structurel global implique de se tourner de plus en plus vers l'individu pour interroger aujourd'hui à nouveau frais les manières « d'être tenus» dans la société, son processus n'équivaut pas à une déliaison, à un effritement du lien social ou à sa dévitalisation. Il renvoie plutôt à un changement significatif du décorum social, c'est-à-dire à une transformation profonde de « l'esprit des institutions» et des règles sociales (Ehrenberg, 2010) qui ne sont pas a priori aliénantes ou libératoires, mais permettent bel et bien de donner sens, d'orienter et de baliser l'expérience concrète des êtres en société aujourd'hui. En d'autres termes, ce nouveau décorum social, que nous avons nommé, par économie conceptuelle, «décorum singulariste », signale que l'individu, la société et les manières (institutionnalisées) de les lier se sont significativement transformés. Dans l'horizon de ce nouveau décorum, la montée en popularité des pratiques d'accompagnement peut ainsi être liée à la « montée structurelle des singularités» (Martuccelli, 2010). La valeur sociale inédite accordée à l'individu dans la socialité 4 contemporaine fait émerger d'autres styles de réponses aux difficultés et problèmes de la personne, lesquels visent moins, comme jadis, à la prendre en charge, qu'à l'accompagner dans les méandres et les aléas que ces difficultés tracent dans sa trajectoire individuelle et singulière. Au-delà d'un simple changement de vocabulaire, l'accompagnement constitue la figure typique de l'intervention sociale au temps du « singularisme », et demeure, par le fait même, un terrain fertile d'interrogation et d'observation des nouvelles dynamiques sociétales transversales et liantes qui lui sont associées. Nous montrerons, dans cette thèse, que les dynamiques complexes du singularisme, loin d'être unidimensionnelles, doivent être pensées comme fondamentalement ambivalentes et consistantes: étant à la fois contraignantes et habilitantes, désirées et imposées, puissantes et contradictoires, inclusives et inégalitaires. Elles entraînent dans cet esprit des processus éthiques de reconnaissance, de dignité, de respect, tout en reconduisant ou en creusant des dynamiques inégalitaires profondes; elles rendent compte d'un allégement des modalités de gestion des problèmes sociaux, mais elles révèlent en contrepartie une exigence d'action et de responsabilisation accrue de la part des individus envers leurs propres comportements défaillants. La prise en compte de ces dynamiques complexes ou de ce «jeu des consistances sociales» comme dirait Martuccelli (2005), est centrale dans notre thèse. Afin de cerner, justement, ce jeu des consistances sociales, nous avons tourné notre regard dans un deuxième temps vers ses manifestations empiriques possibles, en choisissant un terrain d'enquête aussi inhabituel que peu fréquenté: un terrain où les pratiques d'intervention sociale - d'accompagnement - se confrontent à deux figures sociales limites, en terrain d'extrême vulnérabilité: l'itinérance et la fin de vie. Nous avons en effet réalisé une enquête-terrain par observation directe dans deux dispositifs d'accompagnement à Montréal, l'un s'adressant à des hommes en situation d'itinérance, l'autre à des personnes (hommes et femmes) en fin de vie et/ou gravement malades, atteints du VIH/Sida.
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