Vers une psychopathologie du comportement antisocial chez l’enfant Luis Hernan Mardones Navarro To cite this version: Luis Hernan Mardones Navarro. Vers une psychopathologie du comportement antisocial chez l’enfant. Psychologie. Université Sorbonne Paris Cité, 2016. Français. NNT: 2016USPCC186. tel-01721890 HAL Id: tel-01721890 https://theses.hal.science/tel-01721890 Submitted on 2 Mar 2018 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. Thèse de doctorat de l’université Sorbonne Paris Cité Préparée à l’Université Paris Diderot Ecole doctorale Recherches en Psychanalyse et Psychopathologie ED 450 Centre de Recherche Psychanalyse, Médecine et Société – CRPMS Vers une psychopathologie du comportement antisocial chez l’enfant Par Luis Hernan Mardones Navarro Thèse de Doctorat de Recherches en Psychanalyse et Psychopathologie Dirigée par François Richard Présentée et soutenue publiquement à Paris le 17 décembre 2016 JURY Président du jury : Christian Hofmann, Professeur Université Paris Diderot - Paris 7 Rapporteur : Vincent Estellon, Professeur Université Paul Valéry - Montpellier III Rapporteur : Luisa Paz Rodriguez, Professeur Universidad Zaragoza Directeur de thèse : François Richard, Professeur Université Paris Diderot – Paris 7 Membre invité : Jean-Bernard Chapelier, Maitre de conférences Université de Poitiers 1 Résumé Cette thèse a pour objectif d’éprouver la pertinence théorique d’un éclairage psychopathologique de la clinique du comportement antisocial chez l’enfant. Dans ce contexte, elle analyse à différents niveaux les contacts et rapports entre le psychisme de l’enfant et les discours théorico-cliniques autour de l’antisocial : psychiatrique, psychologique, sociologique, psychanalytique, phénoménologique et poétique. Dans la problématique du comportement antisocial chez l’enfant, le conflit entre la représentation du comportement de l'anti social et le récit associé à l’expérience psychique apparait comme essentiel. A l’interstice de ces deux manifestations psychiques opposées, le geste est un autre type de manifestation psychique entre l’acte et le récit. Ce conflit intrapsychique s’accompagne dans la relation clinique d’une contamination du contre transfert et au niveau social, d'une riposte sociale qui est à la base de la significativité du phénomène antisocial. Notre intention est de montrer comment les modèles psychanalytiques traitant de la clinique du passage à l’acte ont laissé la question de la complexité du fonctionnement psychique de l’antisocial en périphérie. Au vu de ce constat, nous soumettons deux hypothèses: Dans la première hypothèse, nous postulerons que l’absence de significativité du comportement antisocial n’est pas simplement un court-circuit entre acte et pensée. Court-circuit dont l'incidence laisserait indemne la nature intentionnelle du comportement. La significativité antisociale est le signe psychopathologique du comportement en même temps que son intentionnalité. Le geste antisocial sera à comprendre comme l’une des différentes figures morbides dans le développement psychologique de l’enfant. Dans la seconde hypothèse, nous posterons que le gérondif du geste est une aide à la compréhension du destin pulsionnel du geste antisocial. Ce processus de met en place tout au long du cheminement progressif du clinicien dans sa rencontre avec le phénomène antisocial. Mots clés : antisocial, psychopathie, comportement, acte, significativité, geste, geste antisocial, gérondif, jeu, gérondif du geste, représentation, pulsion, sujet. Abstract This research aims at underlining the theoretical relevance of the psychopathological aspect of the clinic of children's antisocial behaviour. We analyzed on different levels the contacts and relations between the child's psyche and the theoretico-clinical approaches of the antisocial: psychiatrical, psychological, phemenological, psychoanalytical and poetical. In this context, we review the importance of the conflict between the antisocial representation of the behaviour's process and the narration emerging from the experience of the antisocial psyche. With the meeting of those opposed psychic manifestations comes forward the gesture as another type of psychic manifestation between acting and thinking. In the clinical relationship, this intrapsychic conflict contamine counter-transference. At the social level, the social reaction stands at the core of the significativity of the antisocial phenomenon. Our intention is to show how the psycho-analytical models dealing with the acting out clinic overlooked the complexity of the way the antisocial's psyche works. Therefore, we propose two hypothesizes: First, the absence of significativity in the antisocial behaviour is not only a rupture between acting and thinking. A rupture which would not alter the intentionality of this behaviour. The antisocial significativity is a behavioural psychopathological marker as well as its intentionality. The antisocial gesture has to be understand as one of the morbid figures in the child's psychological development. The second hypothesis of a gerund of the gesture throws some light on the impulsive antisocial gesture. The maturity of this process comes along with the clinician progressive approximation of the antisocial phenomenon. Key-words : antisocial, psychopathie, behavior, act, significativity, gesture, antisocial gesture, gerund, game, gerund of geste, representation drive, subject. 2 A ceux dont l’amitié n’est qu’une souffrance. A mes proches auxquels ma compagnie a fait défaut. 3 Cette thèse a été possible grâce à une bourse d’excellence académique de Master recherche et Doctorat financée par La commission Nationale de Recherche en Sciences et Technologie du Gouvernement Chilien (Conicyt-Chile) et L’ambassade de la France au Chili au nom du Gouvernement Français. 4 REMERCIEMENTS Je remercie le Gouvernement Chilien et le Gouvernement Français, qui ont rendu possible cette recherche à travers leur soutien financier et administratif. Je remercie le Professeur M. Jean-Bernard Chapelier d’avoir accepté de diriger ce travail de thèse, et de m’avoir soutenu avec bienveillance et confiance, dès le début jusqu’à la fin. Je remercie également le Professeur M. François Richard d’avoir été l’élan initial de cette expérience de recherche en France, ainsi que de m’accompagner pour la clôture de cette thèse. Je remercie les membres du jury d’avoir voulu juger cette thèse. Je remercie la chef de Service de pédopsychiatrie du Centre hospitalier Marc Jacquet Mme. Anne-Christine Zeegers de sa confiance sur mon travail clinico-théorique. Je remercie spécialement l’équipe professionnelle de l’Hôpital de Jour pour enfants du Centre hospitalier Marc Jacquet qui m’a permis de développer un contact plus proche des enfants au quotidien. Je remercie mes maîtres Ignacio Morlans, Rafael Parada et Edgardo Thumala. Je remercie Marco Araneda, Charles Delattre, et Alexandre Har de m’avoir accompagné amicalement, chacun à sa manière, dans cet effort. Je remercie spécialement le soutien ainsi que l’amitié de Juan Gomar. 5 REMERCIEMENTS, 5 SOMMAIRE, 6 INTRODUCTION, 8 METHODOLOGIE, 13. SOMMAIRE Partie I PROBLEMATIQUE DE L’ANTISOCIAL, 16 I. Preambule historique : etat de faits de l’antisocial, 19 II. Contact, rapport, tendance et comportement antisocial, 36 Contact antisocial, 37 Rapport antisocial, 66 Tendance antisociale, 79 Comportement antisocial, 96 Le narcissisme pathologique de Kernberg, 98 Discussion pour une hypothèse, 113 III. Addendum : Comportement antisocial et psychopathie, 124 Psychopathie, une compréhension française de l’antisocial, 126 Description, 127 Critique, 151 Le repère psychopathique de Flavigny, 155 Partie II ANALYTIQUE PHENOMENOLOGIQUE DU GESTE, 167 I. L’enfant aux toupies, 167 Contexte clinique, 169 Description clinique, 174 Cas (anti)social, 189 Esquisse d’un diagnostic, 190 II. Acte et phrase : un tout gestuel, 213 III. Signification du tout gestuel, 240 La référence de Ricœur et la signification de Derrida, 241 6 IV. Signification pré-psychopathologique, 277 V. Addendum : Prélude du geste, 302 Silence gestuel, 303 La grâce du geste, 307 L’idée de suicide, enjeux esthétiques, 319 Du suicide esthétique au geste, 321 Le geste dans le théâtre : la solution d’Artaud, 326 Partie III SYNTHETIQUE D’UNE METAPSYCHOLOGIE DU GESTE ANTISOCIAL, 329 I. Psychopathologie du geste, 329 Le passage à l’acte suicidaire et son geste, 332 Au-delà de la psychose : clôturer Artaud, 341 Le geste selon Kristeva, 348 L’abject de Kristeva, 354 Geste affectif, 369 II. Geste, jeu et gérondif, 381 Geste, 381 Le geste de Lacan, 382 Jeu, 398 L’enfant aux toupies avec Winnicott, 399 Gérondif, 419 Traces du gérondif dans la psychanalyse du sujet, 425 Sujet et gérondif, 441 Avec Richard, 453 Le paradigme du Nebenmensch selon Richard, 457 III. Addendum : Solitude antisociale, 481 CONCLUSION, 495 BIBLIOGRAPHIE, 500 7 INTRODUCTION « “Tom !” Pas de réponse […] Elle entendit un léger bruit derrière elle et se retourna juste à temps pour attraper un jeune garçon […] qu’est-ce que tu fabriquais là-dedans ? – Rien. Comment ça, rien ? Regarde tes mains. Et ta bouche ! Qu’est-ce que c’est que cette moustache ? – J’en sais rien, ma tante. Mais moi, je sais ! C’est de la confiture, voilà ce que c’est ! »1 Les aventures de Tom Sawyer, Mark Twain (1876). « Vous me connaissez pas déjà si vous avez pas lu un livre dénommé Les aventures de Tom Sawyer, mais ça fait rien. Ce livre c’est Mr. Mark Twain qui l’a écrit, et il a dit la vérité presque toujours, avec des choses exagérées. […] La veuve Douglas a procédé à mon adoption et s’est mis dans l’idée de polir mon caractère, mais la vie à la maison était pas commode du matin au soir, vu que cette femme était si horriblement stricte sur tout. A la fin, j’en ai eu assez, j’ai mis les voiles. »2 Aventures de Huckleberry Finn, Mark Twain (1884-1885). Tout le comportement antisocial chez l’enfant se joue dans ces deux passages. Dans le premier passage, on perçoit un dialogue entre un enfant et un adulte. Il semble que l’enfant a mangé de la confiture sans la permission mais, lorsqu’il est interrogé sur le méfait, il ne peut pas rendre compte des faits, puis il se sauve. C’est tout le début du livre sur Tom Sawyer, le camarade de Huckleberry Finn. Le deuxième passage correspond à la suite du premier livre où le héros est Huckleberry, le camarade de Tom. On perçoit dans le premier passage que le récit de Tom est laconique mais la scène est bien décrite pour nous faire imaginer le type de bêtises que l’enfant fait. Ainsi, on complète l’expérience grâce à la réaction de l’adulte qui finit par interpréter ce qu’a fait l’enfant. Dans le passage de Huckleberry, c’est lui-même qui s’adresse au lecteur. Il questionne de façon ironique ce qu’a écrit Twain dans le premier bouquin. D’après nous, ces deux passages sont étroitement 1 Twain M. (1876), Les aventures de Tom Sawyer, la pléiade Gallimard, Paris, 2015, pp. 11-12. 2 Twain M. (1884-1885), Aventures de Huckleberry Finn (Le camarade de Tom Sawyer), la pléiade Gallimard, Paris, 2015, pp. 875-876. 8 solidaires. Dans le premier, l’enfant ne rend pas suffisamment compte de ce qu’il a fait où ce que dit l’adulte est mis en question par le seul fait de ne « rien savoir ». Dans le deuxième, l’enfant construit un récit questionnant la parole de l’auteur du livre, c’est-à-dire revendiquant la position de l’enfant par rapports aux faits passés. En plus, Huck se montre opposé à l’idée que quelqu’un veuille « polir son caractère ». Il faut préciser que dans la version originale le personnage parle dans un anglais issu d’une espèce de dialecte ou d’argot où il ne dit pas « polir mon caractère », il dit « sivilize »3, littéralement « civilize », « civiliser » en français. Il semble que pour la version française « polir le caractère » est synonyme de « civiliser ». Autrement dit, il s’agit ici d’une imposition culturelle via l’éducation. L’opposition à cette dernière peut s’exprimer par le comportement antisocial. Et si ces deux passages évoquent de la grâce, parce qu’ils sont humoristiques, ce n’est dû qu’à l’art de l’écrivain. La médiation, par l’humour écrit, permet de tolérer quelque chose qui est, à la base, dur à tenir. En effet, les deux personnages, qui ont environ 11 ans, n’ont pas de mère et passent la plupart du temps à l’extérieur de la maison. Enfin, les deux ont des aventures issues de leurs bêtises (mentir, désobéir, voler, etc.). Hors de la littérature ces aventures peuvent, surtout si celles-ci sont confrontées au jugement de l’adulte, être considérées comme des résistances contre l’éducation et rentrer, sans problème, dans la sphère des comportements antisociaux, dits difficiles. De ce fait, observer la délicatesse du comportement antisocial est tout sauf évident. C’est justement cette délicatesse qui est voilée par le passage à l’acte au sens large du terme. Pour la repérer comme il faut, le comportement antisocial chez l’enfant semble être la voie la plus optimale à parcourir. Chez l’adulte les traces antisociales ne sont plus nettes car leurs expressions sont, pour ainsi dire, trop sensées. En effet, celles-ci répondent, la plupart du temps, à une subjectivité déjà consommée socialement où le passage à l’acte est déduit selon le contexte où il se manifeste. Alors que chez l’enfant, le contexte est, peut-être, moins différencié, c’est-à-dire qu’il répond à l’adaptabilité de l’enfant au social où l’expression agressive ne suit pas nécessairement une logique évidente. Le comportement de l’enfant, brusque, parce que pulsionnel, ne se fait intelligible que par l’interprétation ultérieure. Ainsi, s’il frappe violement un camarade parce qu’il a obtenu une bonne note, il serait juste d’interpréter cette réaction comme de la jalousie. Mais à l’origine, ce comportement est incompréhensible et son 3 « She would sivilize me ». Twain M. (1884-1885), Aventures de Huckleberry Finn, Oxford University Press, New York, 2010, p.17. 9
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