Jean- Luc Nancy Vérité de la démocratie " X"Y. X-i Galilée ©2008, t.()ITIONSGAI.1LH. 9. rue Linné. 75005 Paris EnapplK:2lion delaIoidu 11 mars 1957, iIesI int~rdil derq>roouirc ínlégralemcnt oupan:ídleffiC11lkpr6cnl ouvragc sansautoriution deI'édilcur ouduC.ame (ranç.;tis d'exploilalion du droi[ decopie (CFC),20, ruedesGrands-AuguSlins, 75006 Paris. ISBN978-2-7186-0772-6 ISSN0768-239\ S'il Yavait un peuple de Dieux, ilse gouverneroit Démocrariquemenr. Rousseau, Du Contrat social, livre 11I,ch. IV. DEDAlUS •Acervo· FFlCH I11III1II11II1 20900094906 Apres les dénonciations myopes ou apeu- rées de certains intellectuels, I'autorité qui pré- side à I'État français avoulu désigner Mai 68 « » comme l'origine d'un relâchement et d'un relativisme moral, d'un indifférentisme et d'un cynisme social dont seraient vicrimes et la vertu politique et celle d'un capitalisme sup- posé doué de scrupules. L'accusation est telle- ment ahurissante dans son propre cynisme et tellement ingénue dans sa roublardise mal déguisée qu'il est inutile de s'attarder à la ré- cuser. 11n'en reste pas moins à la fois inquié- tant et significatif qu'une charge aussigrossiere ait pu être simplement conçue. Inquiétant à cause des rigueurs auxquelles on veut ainsi nous préparer et significatif en raison de son angle d'attaque: accuser 68 d'immoralité, c'est garder intacts lavertu d'une bonne poti- tique et lescrupule d'un bon capitalisme, l'une et I'autre au service des ciroyens-rravailleurs- épargnants. Mais c'est à la potitique en elle- 9 même er au capiralisme en lui-même que s'adressair le mouvemenr profond de 68. C'esr à la démocrarie gestionnaire que s'en prenait sa véhémence et, plus avant encore, c'est une interrogation sur la vériré de la démocratie qui s'y ébauchait. Discerner et prolonger cette ébauche, tel est le propos des pages qui suivent. I 68-08 li y a un rapport três éeroie ee três profond enere l'évocaeion du quaranriême anniversaire de 68 ee l'elfervescence acruelle. done eémoi- gnene eanede publicaeions. aurour de la ques- eion de la démocraeie. 68 a de faieengagé. sans qu' on aiesu vraimene ou pleinemene le perce- voir sur le momene, la mise en queseion de I'assurance démocratique qui pouvaie alors sembler confortée par les progrês de la déco- lonisaeion, l'autorité croissanee des représen- eaeions de 1'«État de droie » eedes «droies de l'homme », en même eemps que par I'exi- gence roujours plus nerte d'une juseice sociale done les modêles ne fussent pas triburaires des présupposieions impliquées sous le terme II de« communisme " tel qu'on était réduit à l'entendre. Pour cette raison, il n'y a d'anniversaire de 68 qu'au sens ou on peur en effetcélébrer les quarante ans - une maturité encore capable d'être inquiete et aventureuse - d'un proces- sus, d'une mutation ou d'un élan qui ne fai- sait, en cette année du «22 mars ", que jeter . . . sesreur premlers slgnesavant-coureurs et qUI n'en est aujourd'hui encore qu'à un stade pour le mieux inicial. 11n'y a donc aucune raison de parler d'un «héritage» de 68 - qu'on se prononce, de maniêre assezridicule, pour saliquidation ou bien qu'on veuille lefairefructifier en préten- dant renouveler son supposé printemps. Il n'y a pas d'héritage, il n'y a pas eu de décês. L'esprit n'a cesséde souffier. 68 n'a été ni une révolution, ni un mouve- ment de réformes (bien que reut un train s'en soir suivi), ni une contesration, ni une rébel- lion, ni une révolte, ni une insurrection, bien qu'on puisse y trouver des ttaits de toures ces postures, postulations, ambitions et attentes. Ce qui fait la propriété la plus singuliêre de 68 et qui lui aconféré comme tour naturelle- ment le droit de porrer son monogramme 12 calendaire en guise de patronyme - comme avam lui 89, 48 ou 17 - ne peur être repéré qu'à travers la mise à I'écart, au moins par- tielle ou relative, de toures ces catégories. Ce qui avait précédé 68 et en avait donné la condition de possibilité fondamemale - les autres conditions étam fournies par des cir- constances plus limitées :archiismes en France, pesameur en A1lemagne, acharnemem des États-Unis au Vietnam, etc. - avait été, pour aller droit à I'essemiel, une déception peu vi- sible mais insistame, le semimem tenace d'un manque à regagner ce dom les lendemains de la seconde guerre mondiale avaiem cru pou- voir annoncer le retour triomphal: précisé- mem, la démocratie. Auram dire que 68 a été non seulemem possible mais nécessaire (dans la mesure ou il est permis d'invoquer ce concept en hisroire !) pour la raison suivame : ce dom la seconde guerre avait paru n'être qu'une imerruption regrettable - I'épanouissemem d'un relatif concert ou d'une concertation, sinon d'un consensus, du monde des nations démocra- tiques, et l'amorce d'un droit imernational- était loin de retrouver le cours d'une crois- sance et d'aifermir sescertitudes. Au comraire, 13 I'incenimde minait sourdemenr ce qui vou- lair en même remps se concevoir comme une grande «reconstrucrion »- pour uriliserlererme qui servir de motto à la rransformation de la CFDT - emblémarique de I'esprit démocratique du temps. II Inadéquate démocratie Ce temps ne se rendait pas compte du retard qu'insensiblement il prenait sur lui- même. Que!que chose dans l'histoire était en train de dépasser, de déborder ou de dérouter le cours principal des anentes et des lunes qui prolongeaient ce!les des deux demi-siecles écoulés. L'Europe ne discernait pas à que! point elle n'était plus ce qu'elle avait cru être ni peut-être non plus à que! point elle ne pouvait devenir ce qu' elle s'efforçait pourtant d'engendrer : I'« Europe » comme entité spirituelle et comme uniré géopolitique. L'enjeu de la guerre froide apparaissait comme ce!ui d'un affrontement de réponses aux défis de l'histoire du monde 15