Vaudou, un initié parle 'Editions y ai Eu CLAUDE PLANSON ŒUVRES VAUDOU, UN INITIÉ PARLE J’ai Lu RITUELS ET POSSESSIONS VAUDOU (Images de Jean-François VANNIER) En vente dans les meilleures librairies CLAUDE PLANSON Vaudou, un initié parle A la « mambo » Mathilda Beauvoir, dont le « Nom vaillant » est « Graine promenée », celle qui va porter la graine au loin. Son « enfant » par la grâce des feuilles. C.P. © Jean Dullis Éditeur, Paris, 1974 AVANT-PROPOS J’ai découvert le vaudou haïtien dans des conditions tout à fait surprenantes, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles n’étaient guère favorables. La cérémonie avait lieu à Paris, à deux pas de l’Étoile, dans une chambre de bonne, au septième étage d’un immeuble bourgeois. Y participaient, en tout et pour tout, quatre personnes dont moi-même qui, bien entendu, ne pouvais être autre chose qu’un figurant. A vrai dire, j’ignore encore si l’on m’avait invité par sympathie ou parce que j’avais pu prendre à ma charge les frais du service qui, d’ailleurs, n’allaient pas loin : on m’avait demandé d’apporter un coq rouge, vivant, que je m’étais procuré chez un marchand d’oiseaux, quai de la Mégisserie, une bouteille de vieux rhum, un gâteau recouvert de sucre glacé, un sac de bonbons et une poignée de cacahuètes. Ces « offrandes » furent déposées sur une table recouverte d’une belle nappe blanche où se trouvaient déjà une statuette en plâtre de saint Jean-Baptiste, un chromo représentant la Vierge noire, un paquet enveloppé de soie rouge surmonté d’un bouquet de plumes, une grosse pierre de forme étrange et un objet qui devait jouer un grand rôle au 5 cours de la cérémonie : une calebasse du type « gourde de pèlerin » recouverte d’une résille faite de perles de porcelaine et de ce que l’on m’indiqua être des vertèbres de serpent. J’appris plus tard qu’il s’agissait d’un « açon », hochet rituel dont se servent les prêtres vau dou pour diriger leurs « mystères ». Sous prétexte que la jeune Haïtienne qui était loca taire de cette chambre parvenait difficilement à payer un loyer exagéré, sa propriétaire lui avait, en plein hiver, coupé l’eau, le gaz et l’électricité. Il fallut donc aller chercher de l’eau sur le palier, dont on emplit une grande cruche qui fut posée au pied de la table. L’éclai rage était fourni par une lampe rudimentaire constituée d’une assiette blanche pleine d’huile dans laquelle trempait un brin de coton tordu en mèche. Cela don nait une lumière d’une extrême douceur qui faisait bouger les ombres sur les murs. Et le service com mença^ Devant l’« autel », trois jeunes filles noires se tenaient accroupies. Il n’y avait pas de tambour, ni d’ailleurs aucun autre instrument de musique. Elles chantaient en se balançant et en frappant dans leurs mains. Je serais bien en peine de rapporter aujourd’hui les détails de cette cérémonie qui débuta, me semble-t-il, vers huit heures du soir et se poursuivit jusqu’au petit jour, sans un instant d’interruption. Tout ce que je puis dire, c’est que j’en suis sorti dans un état qui, à ma grande sur prise, ressemblait assez au bonheur. Je me sentais d’une grande agilité d’esprit, et beaucoup de choses qui me paraissaient obscures étaient soudain devenues plus claires. Et la matinée me parut radieuse tandis que je m’en retournais chez moi, à pied. J’étais à l’époque directeur du Théâtre des Nations, et l’on devine que mes préoccupations tournaient essen 6 tiellement autour de questions de ce genre : qu’est-ce que le Théâtre ? Pourquoi apparaît-il dès qu’un groupe humain a conquis son « territoire » ? Comment se relie- t-il au Sacré ? En quoi est-il une thérapie ? Que faut-il entendre lorsque les Tragiques grecs parlent de la venue des dieux sur scène? Toujours est-il que, cette nuit-là, dans cette humble chambre de bonne, les « dieux », effectivement, s’étaient mêlés à nous, que j’avais éprouvé, au sens fort, les bienfaits de cette « catharsis » que les hellénistes ont si laidement traduite par « purga tion », qu’enfin j’avais ressenti une émotion esthétique qui ne devait rien aux « artistes », et encore moins aux techniques, qui jaillissait avec la même spontanéité et la même fraîcheur qu’une source. Depuis, j’ai assisté à bien des services vaudou (cer tainement à plusieurs centaines), y compris des cérémo nies d’un accès difficile, sinon impossible, aux non- initiés. Je dois ce privilège au fait que, voici plusieurs années déjà, je suis devenu l’époux d’une authentique « mambo », c’est-à-dire d’une prêtresse du vaudou, ce qui n’est certes pas de tout repos, mais offre l’avantage de vous ouvrir bien des portes. Je n’ai pas l’intention de la trahir, pas plus qu’aucun des sages qui m’ont accordé leur confiance (je songe au « houngan » Gros Roche de la Plaine du Cul-de-Sac, à Mme Nerva, mambo de Jacmel, à d’autres qu’il n’est pas besoin de nommer). D’ailleurs, beaucoup de secrets ne m’ont pas été révélés et ne me le seront sans doute jamais et, en particulier, le « Secret » que seuls détiennent les meilleurs parmi ceux qui ont reçu le « açon ». Mais il y a beaucoup de choses qu’il m’est permis de dire, et j’ai l’intention de les dire aussi forte ment que je le pourrai. De même, je ferai état des enseignements de certains maîtres africains, tel le 7 prince Justin Aho, qui fut l’une des plus hautes autori tés de l’animisme dahoméen dont, précisément, le vaudou haïtien est issu. Je ne suis pas particulièrement naïf ni crédule, et je me contente de présenter un dossier, aussi complet que possible, sans chercher à convaincre. D’ailleurs, j’ai appris de mes amis haïtiens que la notion même d’apos tolat était intraduisible en termes vaudou. Non seule ment les vaudouisants ne cherchent pas à convaincre, mais encore ils multiplient les obstacles entre les pro fanes et eux, et il faut accepter de lourds sacrifices — et des épreuves assez pénibles — pour devenir l’un des leurs. Malgré les persécutions les plus odieuses, ils ont rarement, sauf en temps de guerre ou d’occupation, répondu à la violence par la violence et, malgré le mépris qu’affectent à leur égard leurs adversaires, ils respectent toutes les religions, et plus particulièrement le christianisme qui, par l’intermédiaire, de ses églises, ne les a pourtant guère ménagés. Mais, autant le dire tout de suite, ce livre n’est pas « neutre ». Je pense, en effet, que nous avons beaucoup à apprendre de ce petit peuple haïtien qui a su résister à toutes les pressions et conserver vivante une tradition qui remonte à la nuit des temps. Il me semble qu’à ce titre, au moins, on peut le considérer comme exem plaire. Plusieurs voyageurs et ethnologues nous ont déjà parlé du vaudou et certains, tels Roger Bastide et Alfred Métraux, avec compétence et chaleur. Il s’agit, cette fois, de le considérer de l’intérieur, d’examiner dans quelle mesure il pourrait apporter des solutions à nos problèmes, nous libérer de certaines de nos angoisses et aider à notre réconciliation avec un monde dont l’absurdité nous paraît chaque jour plus évidente. 8 Cela suppose une grande disponibilité d’esprit et, en tout cas, une renonciation sans réticence à cet ethno centrisme qui nous fait naïvement imaginer que notre expérience est la seule valable et qu’il n’existe pas d’autre voie. Mais il faut d’abord nous expliquer.