Centre Jean Palerne Mémoires XLI Varium et mutabile. Mémoires et· métamorphoses du centon dans l' Antiquité Textes réunis par Florence GARAMBOIS-VASQUEZ et Daniel VALLAT Publications de l'Université de Saint-Étienne 2017 Collection « Antiquité » dirigée par Florence Garambois La collection Antiquité-Mémoires du centre Jean Falerne propose des publications portant sur les textes scientifiques et techniques mais aussi médicaux ayant marqué l' Antiquité et le lvioyen Âge. Elle offre également des études sur la syntaxe et la sémantique du grec ancien ainsi qu'une histoire del' Antiquité et de ses représentations. Dans la même collection Mémoires XL. L'Articella dans les manucrits de la Bibliothèque Municipale de Reims: entre philologie et histoire, 2016. Mémoires XXXIX. Peurs antiques, 2015. Mémoires XXXVIII. Poésie de la richesse et de la pauvreté, 2014. Mémoires XXXVII. Le Lierre et la Statue. La nature et son espace littéraire dans l'épi gramme gréco-latine tardive, 2013. Mémoires XXXV. Conserver la santé ou la rétablir: Le rôle de l'environnement dans la médecine antique et médiévale, 2012. Mémoires XXXIII. La Correspondance d'Ambroise de Milan, 2012. Mémoires XXXVI. Claudien: Mythe, histoire et science, 2011. Mémoires XXXIV. L'invention de la paléopathologie. Une anthologie de langue française (1820-1930), 2009. Mémoires XXXIII. Lycophron: éclats d'obscurité, 2009. Mémoires XXXII. L 'Ars Medica (Tegni) de Galien: lectures antiques et médiévales, 2008. Mémoires XXXI. Ératosthène: un athlète du savoir, 2008. Mémoires XXX. Musa docta. Recherches sur la poésie scientifique dans l'Antiquité, 2006. Liste des auteurs Martin BAZIL,U niverzita Karlova, Praha/Université Charles, Prague Maëlys BLANDENETE, NS Lyon Camille BoNNAN-GARÇONU, niversité Jean Moulin Lyon 3 Aline CANELLISU, niversité Jean Monnet Saint-Étienne Séverine CLÉMENT-TARANTINOU, niversité Charles-de-Gaulle Lille 3 Sandrine COIN-LONGERAYU, niversité Jean Monnet Saint-Étienne Franca Ela CoNSOLINO,U niversità degli Studi dell' Aquila Florence GARAMBOIS-VA SQUEZU, niversité Jean Monnet Saint-Étienne Florence KLEIN,U niversité Charles-de-Gaulle Lille 3 Florian LEPETIT,U niversité Paris 10 Nanterre Daniel VALLAT,U niversité Lumière Lyon 2 Étienne WOLFF, Université Paris 10 Nanterre Florence GARAMBOIS- V ASQUEZ Introduction Proin tu alium quaeras, cui centones sarcias « File chercher un autre gogo à qui refourguer ta friperie » Plaute, Épidique 455 Le terme « centon » est apparu dans l' Antiquité, associé, à l'origine, à une matière, le tissu ou plus précisément une étoffe rapiécée, cousue d'autres morceaux. On pourrait le rapprocher de notre« patchwork», si ce n'est que les bouts de tissu qui composent la pièce sont de peu de qualité ou de peu de valeur. Ce lien originel avec le tissu rencontre une des métaphores essentielles de la culture européenne, celle du tissage du texte1 • Le genre est né dans les premiers siècles de notre ère et l'on s'accorde généralement à situer son apogée aux ive et ve siècles, à une époque où se juxtaposent deux courants culturels, les traditions gréco-latine et judéo-biblique. Le genre ne s'est jamais vraiment éteint pendant la période médiévale mais connaît deux moments de renaissance, à l'âge baroque puis dans la deuxième moitié du xxe siècle où il devient un objet de curiosité, presque, selon des termes empruntés à Huysmans, « un aérolithe dans un champ de foire littéraire». Il connaît une réhabilitation dès les années 1970 sous l'influence des structu ralistes, puis une revalorisation à travers d'importantes études depuis les années 1980. Curieux, ce type de poème l'est pour le moins. En effet, le centon ne désigne pas seule ment un genre littéraire mais, aussi une technique d'écriture particulière, à partir de cita tions, ce qui pose le problème de la secondarité 2 en littérature: il s'agit de faire émerger, à partir de ce matériau, une nouvelle cohérence sémantique. Dès l'origine, le centon a aussi été perçu comme un métatexte 3 qui« offre la parti cularité de se construire presque exclusivement des œuvres d'un même auteur, [ ... ] il diffère donc de l'approche moderne la plus répandue, où il est composé d'extraits issus d'une série d' œuvres a priori illimitée4 ». Les sources antiques ont parfois jugé nécessaire d'expliquer ce métatexte pour le rendre plus accessible à leurs contemporains. Ausone, par exemple, accompagne le Centon nuptial d'une longue lettre qui en définit les règles de composition et qui commente l'utilisation qu'il fait du Mantouan. Proba, dans un 1. Pour voir les évolutions de cette métaphore dans la pensée européenne, voir GREBBER 2002. 2. Au sens étudié par DEREMETZ 1995. 3. Voir, pour la réception du centon, HocH 1997, p. 4; BAZIL 2009. 4. TRONCHET 2010, § 1. 10 Florence Garambois-Vasquez centon virgilien destiné à montrer que Virgile a chanté l'histoire sainte, propose une paraphrase personnelle de la Bible et insiste également sur la dimension correctrice et modalisante du centon. Le centon s'affirme donc comme une forme littéraire dont l'existence même est fon dée sur la notion d'intertextualité (telle qu'elle a été théorisée au xxe siècle5 Il est une ). production inspirée d'un modèle, écrite avec les « morceaux » du modèle mais dont le sens est essentiellement différent de celui du modèle. Nous sommes donc là devant le cas d'écriture imitative le plus abouti puisque déjà, comme le rappelle A. Thill ( 1979, p. 275), « la langue poétique, à mesure que l'on avance dans le temps, devient peu à peu une sorte de centon des poètes des siècles précédents». Toutefois, afin d'être accessible au lecteur, le centon doit remplir certaines conditions quant à sa réception. L'une d'elles, déterminante, est celle de la notoriété de l'hypotexte 6 auprès du public et également, afin d'en permettre le déchiffrement, le degré de connaissance et de maîtrise de cet hypo texte. C'est pourquoi le centon antique ne cherche pas à « dissimuler » l'imitation mais exhibe le texte-source dans une « marquetterie » serrée supposant un habile travail de suture et de combinaison. A la différence de certains centons modernes, les centons antiques ont tous pour matériau un hypotexte connu des récepteurs, Homère et Virgile pour l'essentiel, qui rend possible la confrontation entre la source et le texte produit pour en mesurer la multi plicité des sens et les variations que le centoniste opère. Le centon est donc une forme extraordinairement moderne en ce qu'elle pose le lecteur comme condition nécessaire à la concrétisation du texte, comme le fait Ausone et comme l'ont fait les théories post structuralistes. C'est en effet à lui qu'il incombe de « voir » le texte-source et son traite ment, c'est de lui que relève, en dernière instance, l'accomplissement du sens. A ce jour, nous sont parvenus des centons grecs homériques en nombre impor tant, souvent anonymes et un peu moins de trente centons de langue latine. Pour ce qui concerne les centons latins qui nous ont princ:ipalement occupés dans notre étude, il est possible d'esquisser la typologie suivante: nous pouvons d'abord dégager un groupe constitué des douze poèmes du codex Salmasianus. Ceux-ci, datés des IV-VIe siècles peuvent se subdiviser ainsi: une tragédie, la Médée d'Hosidius Geta7 deux centons sont ; consacrés à la vie quotidienne, le de Alea racontant des parties de dés8 et un poème de , 11 vers, le de Panificio9 consacré au travail de la pâte à pain et sa cuisson; le groupe sui , vant comprend un poème de « circonstance », au moins apparemment, l' Epithalamium 5. GIGNOUX2 006, § 2: « Le terme d'intertextualité est généralement daté de 1967. Dès sa naissance, le dia logisme défini par M. Bakhtine est constitué de deux facettes. Il est, d'une part, inhérent à l'écriture: tout énoncé, par sa dimension linguistique, renvoie à d'autres textes, il est nécessairement intertextuel puisque tout mot a déjà servi. D'autre part, il appartient à telle ou telle esthétique, et procède, dans la Satire Ménippée comme dans le roman, d'un choix formel. Cette bivalenœ ne trouve pas vraiment de résolution chez les suc cesseurs de Bakhtine. [ ... ] L'article de L. Jenny, qui fait date, entre dans la pratique textuelle et propose un modèle d'interprétation poétique de l'intertextualité. Enfin, G. Genette s'attache avec exhaustivité à étudier tous les faits d'intertextualité, qu'il a rebaptisée du nom plus large de transtextualité. La poétique, selon lui, ne doit pas se borner au texte, mais étudier la transtextualité. » 6. Voir GENETTE 1982, p. 235. 7. Voir LAMACCHIA1 981. 8. Pour une analyse du poème voir CARBONE2 002. 9. Cf. CLÉMENT-TARANTINO20 06.