UNIVERSITÉ PARIS XII - VAL DE MARNE FACULTÉ DE DROIT ACADEMIE JURIDIQUE D’ÉTAT DE L’OURAL L'ORDRE PUBLIC EN DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ COMPARÉ FRANÇAIS ET RUSSE THÈSE POUR LE DOCTORAT EN DROIT (arrêté du 30 mars 1992) Présentée et soutenue publiquement le 21 décembre 2005 par Sergey Krokhalev Directeurs de recherches : Catherine Krief-Semitko Maître de conférences à la Faculté de droit de l’Université de Paris XII (France) Vladimir Yarkov Professeur à l'Académie juridique d'État de l'Oural (Russie) 2 L'Université Paris XII - Val de Marne n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans les thèses. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs. 3 Principales abréviations Accord de Kiev Accord interétatique de Kiev du 20 mars 1992 relatif à la résolution des litiges liés à l'activité commerciale (acte régional de la CEI) Bull. civ. Bulletin des arrêts des chambres civiles (chambres civiles, commerciale et sociale) de la Cour de cassation Convention EDH Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme de 04.11.1950 Convention de Convention de Minsk relatif à l'aide mutuelle juridique en Minsk matière civile, familiale et pénale du 22 janvier 1993 (acte régional de la CEI) CEDH Cour européenne des droits de l'homme CJCE Cour de Justice des Сommunautés européennes, renommée en Cour de justice de la Communauté européenne CIJ Cour internationale de Justice CPC Code de procédure civile russe du 14 novembre 2002 CPEco Code de procédure économique du 24 juillet 2002 (qui régie la procédure dans les Tribunaux économiques) D. Recueil Dalloz DH Recueil hebdomadaire Dalloz (jusqu'au 1941) DP Recueil périodique et critique mensuel Dalloz (après 1941) Encyclopédie Encyclopédie Dalloz, Répertoire du droit international Dalloz, Rép. dr. int. Gaz. Pal. Gazette du Palais J.-Cl. dr. int. Jurisclasseur de droit international JCP Jurisclasseur périodique (La semaine juridique) JDI Journal du droit international (Clunet) après 1915; Journal de droit international privé (1874-1914). JOCE Journal officiel des Communautés européennes NCPC Nouveau code de procédure civile français 4 Rec. Cours Acad. Recueil des cours de l'Académie de Droit international de la La Haye Haye (RCADI) Rev. crit. DIP Revue critique de droit international privé (depuis 1947); Revue critique de droit international (1934-1946); Revue de droit international privé (1922-1933); Revue de droit international privé et de droit pénal international (1905- 1921) S. Sirey, Recueil général des lois et arrêts Trav. com. fr. DIP Travaux du Comité français de droit international privé (TCFDIP) 5 Plan sommaire PREMIERE PARTIE : ASPECTS THÉORIQUES DE L'ORDRE PUBLIC EN DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ TITRE 1. PROBLÉMATIQUE DE L'ORDRE PUBLIC Chapitre 1 : L'ordre public, concept légal indéterminé Chapitre 2. Problèmes d'interprétation et d'application de l'ordre public TITRE 2. LE RÉGIME DE L'ORDRE PUBLIC Chapitre 1. Le contenu de l'ordre public et ses sources Chapitre 2. Le mécanisme de l'ordre public DEUXIÈME PARTIE: ASPECTS PRATIQUES DE L'ORDRE PUBLIC EN DROIT PROCESSUEL INTERNATIONAL TITRE 1. LE DOMAINE D'UNE APPLICATION LIMITÉE DE L'ORDRE PUBLIC Chapitre 1. Compétence internationale et ordre public Chapitre 2. L'application de l'ordre public dans le domaine de l'entraide judiciaire TITRE 2. LE DOMAINE D'APPLICATION NATURELLE DE L'ORDRE PUBLIC Chapitre 1. L'exequatur des jugements étrangers Chapitre 2. La reconnaissance et l'exécution des actes des autorités publiques étrangères 6 Il est peu d'expressions qui apparaissent aussi souvent dans les textes législatifs et dans les décisions judiciaires que celle de l'ordre public. Et pourtant, en dépit d'études remarquables, la notion conserve son mystère; celui qui l'aborde éprouve rapidement une impression de découragement. Elle ne se laisse, en effet, de definir, ni circonscrire et l'on s'essouffle à la suivre dans sa diversité, dans l'apparente fantaisie de ses évolutions. Jean Vincent1 Introduction 1-6. De manière générale, en droit privé russe comme en droit privé français, la notion d’ordre public apparaît essentiellement sous la forme d’une exception à une règle, permettant de déroger aux normes applicables en la matière. Cette exception est inscrite dans les traités internationaux et dans les actes codifiés sans précision aucune quant au sens qu’il faut donner à ces termes d’ordre public. On comprend immédiatement que ces termes à eux seuls ne suffisent pas à une application concrète de l’exception d’ordre public. Il faut d’abord définir ce qu’on entend par la notion d’ordre public avant de pouvoir dire comment cette notion peut tenir le rôle que les traités internationaux veulent lui donner. Les variations de la conception de l’ordre public d’un pays à l’autre et à l’intérieur d’un Etat, d’une époque à l’autre ont conduit la doctrine russe à voir dans ces variations une caractéristique générale de la notion d’ordre public2. Du coup, pour celui qui tente d’en cerner la nature et le contenu, l’inquiétude devant la tâche à accomplir risque de l’emporter. Cela dit, l’optimisme doit rester de mise car l’enjeu est fondamental compte tenu de l’importance croissante des relations internationales et, par voie de conséquence, de la notion d’ordre public qui est au centre de la problématique en matière d’exequatur. Pour la Russie, l'absence d'expérience pratique en matière d'application de cette notion, l’insuffisance des recherches la concernant, placent la question de 1 J. VINCENT, "La procédure civile et l’ordre public", Mélanges Roubier, 1961, p. 303. 2 Cf. par ex.: L.A. LUNTS, Kours mezdunarodnogo chastnogo prava: v 3 t., Moskva, Spark, 2002, s. 271 (L.A. Lunts, Cours du droit international privé, en 3 volumes, Moscou, Spark, 2002, p. 271). 7 l'ordre public au premier plan d’autant plus que la jurisprudence récente montre une évolution très nette quant à son utilisation. En outre, elle n'est pas dénuée de contradictions confirmant ainsi, s’il en était encore besoin, l'actualité de notre problématique qui doit, à notre avis, se placer dans une perspective à la fois théorique et pratique. Néanmoins, quant à l’intérêt de notre étude, certains pourraient objecter qu’on assiste à une disparition progressive de l’exception d’ordre public des textes internationaux. De sorte que notre thèse s’inscrirait dans la perspective d’une bataille d’arrière-garde. Qu’est-ce à dire ? Serions-nous penché sur une notion dépassée, vieillotte et sans intérêt ? Certes, pour ce qui concerne l’Europe occidentale, aujourd’hui un petit pas a été franchi vers la suppression progressive de l'exception d'ordre public, à travers la question de l'intégration économique et juridique européenne3. Certes, pour ce qui concerne l’Europe orientale, l'Accord interétatique de Kiev du 20 mars 1992 relatif à la résolution des litiges liés à l'activité commerciale4 n’intègre plus la question de la contrariété à l'ordre public parmi les motifs de refus de reconnaissance des décisions des Tribunaux économiques rendus dans les États-membres de la CEI. Mais assistons-nous pour autant à une disparition programmée de l’exception d’ordre public ? La prudence reste de mise quant au choix de la réponse appropriée à cette question. En effet, d'une part il existe des fondements du système juridique et des valeurs fondamentales affirmées par la Constitution et protégées par l'exception d'ordre public. D’autre part nous ne pouvons négliger les intérêts relatifs à l'intégration croissante et à la coopération entre les États-membres de la CEI. C’est, d’ailleurs, la raison pour laquelle, des controverses doctrinales sont apparues quant à la possibilité d’appliquer l'exception d'ordre public malgré son absence dans les textes. L’intérêt de certains problèmes que pose l'ordre public apparaît également à propos du système juridique français. En effet, l'intégration croissante qui caractérise le développement de l'Union Européenne associé à l'élargissement de la confiance mutuelle entre les tribunaux des États-membres a permis d’envisager la revalorisation de certains principes fondateurs de la reconnaissance et de 3 Cf. Règlement (CE) n°805/2004 du Parlement européen et du Conseil du 21.04.2004. 4 Qui lie actuellement la Russie, la Bélorussie, l'Ukraine, l'Uzbékistan, le Kirghizstan, le Kazakhstan, l'Arménie, le Tadjikistan et le Turkménistan. 8 l'exécution des jugements étrangers et du régime contemporain de l'application de l'exception d'ordre public. Ainsi le projet de circulation d’un titre exécutoire européen, qui abandonne l'exception d'ordre public, est devenu une réalité. Il a été marqué par l'adoption du Règlement (CE) n° 805/2004 du Parlement européen et du Conseil du 21.04.2004 que nous évoquions précédemment5. Ce règlement porte création d'un titre exécutoire européen pour les créances incontestées. Mais l'analyse approfondie de cette norme européenne montre qu'ayant abandonné l'exception d'ordre public a posteriori, c’est-à-dire au stade de la reconnaissance et de l'exécution, les rédacteurs du Règlement l’ont néanmoins prévu sous la forme d’un contrôle a priori pour la délivrance du titre. Ce contrôle est désormais exercé par le tribunal qui rend le jugement: il est chargé de vérifier le respect des exigences fondamentales de l'ordre public de la procédure telles qu’elles sont fixées par le Règlement, pour la délivrance du titre exécutoire européen. L'ordre public se dote-t-il d'un nouveau visage ? Non plus un motif de refus mais un motif d’admission. Il faut également noter, qu'actuellement, les juges nationaux européens se sentent de moins en moins libres quant à l'application de l'exception d'ordre public. En effet, dans l'un de ces arrêts, la Cour de justice de la communauté européenne a indiqué qu'il « n'appartient pas à la Cour de définir le contenu de l'ordre public d'un État contractant »6. Néanmoins, selon la Cour, il lui incombe « de contrôler les limites dans le cadre desquelles le juge d'un État contractant peut avoir recours à cette notion pour ne pas reconnaître une décision émanant d'une juridiction d'un autre État contractant » (§23) 7. On outre, dans la définition du contenu de l'ordre public, les tribunaux nationaux sont soumis à l'ambitieux « ordre public européen » tel qu’il est défini par la Cour européenne des droits de l’homme qui ne laisse aucune marge de manœuvre8. L’étude de toutes ces tendances devient ainsi inévitable lorsqu’il s’agit de tendre vers une application efficace de la notion d'ordre public tout en ne négligeant pas les aspects prospectifs de la notion. 5 Cf. Supra 6 CJCE, 28.03.2000, aff. n°C-7/98, Dieter Krombach c/ André Bamberski - les arrêts sont accessibles sur le site de la Cour : http://www.echr.coe.int. 7 CJCE, 28.03.2000, affaire Dieter Krombach c/ André Bamberski précitée; Cf. aussi: CJCE, 11.05.2000, aff. n° C-38/98, Régie nationale des usines Renault SA c/ Maxicar SpA (§ 28) - les arrêts sont accessibles sur le site de la Cour : http://curia.eu.int. 8 Cf. Infra n° 208 et s. 9 Toutes les questions que nous venons d’évoquées reflètent l’importance à la fois théorique et pratique de la notion étudiée. La complexité et la multitude des questions abordées montrent également l’intérêt d'une conciliation entre la doctrine et la jurisprudence. A cet égard des résultats pratiques ne peuvent être obtenus que sur l’autel d’une telle conciliation. 7-8. La définition de nos perspectives de recherche devient maintenant nécessaire. De manière générale, pour le juriste français, l’ordre public se présente comme une notion commune, interdisciplinaire, qui pénètre dans toutes les sphères de la réglementation juridique. En droit russe, la catégorie de l’ordre public, dont la présence est le plus évidente en droit international privé, ne se limite cependant à ce domaine. Comme l’a justement montré Mme Catherine Krief-Verbaere, « la notion d’ordre public qui n’est nulle part visée dans la législation de la Fédération de Russie relevant du droit interne, constitue néanmoins un concept juridique efficient »9. On l’aura dans doute déjà compris, c’est l’ordre public dans le domaine des conflits de juridictions, dans le domaine de la procédure civile internationale, qui constitue l’objet immédiat de nos recherches. Néanmoins, nous devrons également nous attacher à l’étude de l’ordre public dans le domaine des conflits de lois et dans celui du droit privé interne, dans la mesure nécessaire à l’éclairage de l’ensemble des questions étudiées. 9. Dans une perspective très générale, l’étude de l'ordre public suppose la confrontation des aspects théoriques et pratiques. Les termes d'ordre public, à eux seuls, sont insuffisants. Ils ne sont pas aptes à être appliqués tel quel sans aucune explication. En premier lieu, à notre avis, la recherche des fondements de l'ordre public permettrait d’établir une direction générale quant à la précision de son contenu et de son mécanisme d’application. C’est par l’étude de ces fondements que nous commencerons la présentation de nos travaux (Première partie). En second lieu, l'application de la notion d'ordre public doit absolument être concrète. Cela suppose que l’on évalue son application in concreto en prenant en considération toutes les circonstances de l'espèce. Pour la question de l'application de l'ordre public nous devons nous attacher à l'analyse de la 9 C. KRIEF-VERBAERE, "Recherches sur la notion d'ordre public en droit interne russe à l'aune du droit français (Étude de droit privé sur l'ordre public en droit comparé français et russe)", Revue internationale de droit comparé, 2003, p. 164, n° 41. 1 0 jurisprudence, c’est-à-dire que nous envisageons de la vérifier et de la systématiser (Deuxième partie).
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