Ian Angus et Simon Butler UNE PLANÈTE TROP PEUPLÉE ? Le mythe populationniste, l’immigration et la crise écologique Traduit de l’anglais par Marianne Champagne Préface de Serge Mongeau Coordination éditoriale : Barbara Caretta-Debays Maquette de la page couverture : Catherine D’Amours, collectif Pointbarre Typographie et mise en pages : Folio infographie Conversion au format ePub : Studio C1C4 L’édition originale de ce livre a été publiée en 2011 par Haymarket Books (Chicago, IL) sous le titre Too Many People ? Population, Immigration, and the Environmental Crisis. © Ian Angus et Simon Butler, 2011 © Les Éditions Écosociété, 2014, pour l’édition française ISBN ePUB 978-2-89719-166-5 e Dépôt légal : 4 trimestre 2014 Nous remercions le Conseil des Arts du Canada de l’aide accordée à notre programme de publication. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition. Nous remercions le gouvernement du Québec de son soutien par l’entremise du Programme de crédits d’impôt pour l’édition de livres (gestion SODEC), et la SODEC pour son soutien financier. Au peuple ogoni du Nigeria, aux Cris de l’Alberta, aux tribus des forêts amazoniennes, aux fermiers de La Vía Campesina et aux millions d’autres humains des cinq continents qui se battent pour que cesse la destruction de leurs terres et de notre planète à tous. Vos luttes nous inspirent et montrent à l’humanité la voie qu’il lui faut suivre. P RÉFACE À L’ÉDITION FRANÇAISE B IEN QU’IL NE SOIT PAS ENCORE TOTAL, un consensus semble se dégager autour de l’idée que nous, les humains, consommons au-delà de ce que la Terre est en mesure de produire, et ce, au point de mettre en danger les mécanismes qui permettent l’existence humaine sur cette planète. En conséquence, bien des gens ont compris qu’il fallait diminuer notre consommation. Sans compter que, dans nos pays industrialisés, nous sommes de plus en plus nombreux à constater que notre fuite en avant dans la consommation ne contribue en rien à notre épanouissement, bien au contraire. Mais le système capitaliste, qui repose sur une croissance économique illimitée et sur une augmentation incessante de la consommation, n’accepte pas ce diagnostic. Celles et ceux qui tirent profit de l’ordre mondial actuel (ou du désordre, devrait-on dire) ne veulent rien y modifier, cherchant plutôt des moyens de le faire perdurer sans opérer de changements véritables. Nombre de propositions du développement durable vont dans ce sens : inventer des automobiles qui ont moins d’effets nocifs sur le climat, trouver de nouvelles sources d’énergie pour remplacer le pétrole, se débarrasser du carbone en l’enfouissant au fond des mers, etc. Naïveté inquiétante, considérant que la société actuelle est en train de nous dépouiller de notre humanité en nous transformant en esclaves de la production aussi bien que de la consommation. Beaucoup moins naïfs et sans doute plus dangereux sont les disciples de Malthus, qui font usage de la métaphore du banquet pour défendre leurs idées populationnistes : de leur point de vue, il y a tout simplement trop de convives à la table et si nous voulons qu’il y ait assez de victuailles pour chacun, il convient tout simplement de diminuer le nombre d’« invités ». Pour eux, il est beaucoup plus facile de désigner un bouc émissaire sur lequel rejeter la responsabilité des problèmes du monde et la surpopulation ne pouvait mieux remplir ce rôle, en cette époque si soumise aux chiffres. Si un individu est responsable de tant de kilos de gaz à effet de serre, dix individus en produiront dix fois plus ; et s’il y a trop de gaz à effet de serre, et bien il n’y a qu’à réduire le nombre d’individus sur Terre et le problème sera réglé ! Comme si tous les individus se comportaient de la même façon… Une planète trop peuplée ? est un livre fort bien documenté qui déboulonne de façon remarquable ce mythe de la surpopulation. Il démontre clairement que, même si on cessait dès demain d’avoir des enfants, cela ne diminuerait d’aucune façon le réchauffement climatique. En conséquence, mettre tous nos efforts pour réduire la population n’est qu’un moyen de détourner notre attention des problèmes réels et, surtout, de retarder l’adoption de mesures concrètes pour y remédier. La population mondiale vient d’atteindre les 7,2 milliards d’habitants. Sa croissance devrait se poursuivre pendant quelques années encore, avant de se stabiliser autour de 10 milliards peu après 2050. C’est presque uniquement le tiers-monde qui contribue à la croissance démographique. Et, selon les néomalthusiens, c’est sur ce plan qu’il faudrait agir. Certains populationnistes y vont de solutions radicales : cessons toute aide aux pays en développement, laissons la nature faire son œuvre et les tyrans jouer leur rôle. Évidemment, cela implique de fermer encore plus hermétiquement les frontières des pays riches aux déshérités de ce monde en quête d’un sort meilleur. D’autres suggèrent d’implanter des programmes massifs de contrôle des naissances dans les pays à forte croissance démographique ; mais à leurs yeux, de tels programmes ne devraient pas reposer sur l’éducation, qui est trop coûteuse et qui met trop de temps à produire des résultats concrets. Dans ces circonstances, l’exemple de la Chine, avec ses méthodes autoritaires, en fait saliver plus d’un. Mais… envisager de telles solutions n’est-il pas déjà un signe de notre déshumanisation ? Quelle société se lancerait dans de ce type d’actions et où s’arrêterait-on ? Certes, le raisonnement qui les sous-tend peut sembler rationnel, mais ne sommes-nous que des cerveaux ? À problème humain, il doit bien y avoir des solutions humaines… En réalité, à ce fameux banquet, il y a à l’heure actuelle des gens qui ne mangent pas à leur faim et d’autres à qui l’on n’a même pas fait de place à la table. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’un petit groupe de convives s’est arrangé pour que tous les mets soient placés à un seul bout de la table, là où ils peuvent se goinfrer et gaspiller sans remords une bonne partie de ce qui est devant eux. Dans les pays industrialisés, on jette aux ordures des tonnes d’aliments ; et les choix alimentaires comme la grande quantité de viande consommée monopolisent des ressources qui permettraient pourtant de nourrir un nombre beaucoup plus important d’individus. Également, les méthodes agricoles modernes, si elles permettent de cultiver de grandes surfaces en employant peu de main-d’œuvre, ne se comparent pas aux méthodes traditionnelles en termes de rendement à l’hectare. Avec une alimentation moins carnée et une agriculture plus intensive, nous pourrions en effet nourrir dès aujourd’hui plus de 10 milliards d’habitants. La question de la surpopulation est importante pour la gauche, mais celle-ci est divisée sur le sujet. Même des gens de bonne volonté se laissent mystifier par les formules simplificatrices des Ehrlich et autres théoriciens du populationnisme. Du coup, ils se retrouvent dans le même camp que la droite qui, sous prétexte de protéger l’avenir de l’humanité, travaille au renforcement des inégalités dans le monde en continuant d’assassiner les populations les plus pauvres et en fermant de plus en plus hermétiquement les frontières des pays riches. Ne cherchons pas : il n’y a pas d’autre moyen d’échapper aux catastrophes annoncées que de changer radicalement nos façons de vivre et toute notre organisation sociale. Cela permettra à toutes et tous d’avoir accès au minimum nécessaire pour mener une vie épanouissante, tout en respectant les limites imposées par la nature. SERGE MONGEAU Août 2014 P RÉFACE À L’ÉDITION ANGLAISE 1 par Betsy Hartmann C ET OUVRAGE REMARQUABLE d’Ian Angus et de Simon Butler arrive à point nommé. Le mythe de la surpopulation fait un retour en force, marqué par l’alarmisme et la recherche de boucs émissaires qui lui sont inhérents. Une influente coalition stratégique d’organisations et d’experts en population et en environnement diffuse des idées mensongères selon lesquelles la fécondité des femmes démunies est responsable des graves problèmes qui pèsent sur le monde, du changement climatique à la pauvreté en passant par l’instabilité politique. Profitant de la vague nouvelle, les nativistes ciblent les immigrants, censément à l’origine de la dégradation environnementale : c’est l’écologisation de la haine. Voilà maintenant plus de 30 ans que j’examine la question de la population. À titre de militante du mouvement international pour la santé des femmes, je me suis battue avec bien d’autres aux quatre coins du monde pour promouvoir et défendre les droits liés à la procréation, y compris le droit à l’avortement abordable et sans risque. Parallèlement, j’ai lutté contre la violation des droits de la personne qu’impliquent les programmes de contrôle démographique, allant d’une restriction des moyens contraceptifs à la stérilisation forcée. En tant que politologue, chercheuse et professeure, j’ai étudié le mythe de la surpopulation sous de multiples angles, montrant ses conséquences néfastes sur les programmes de santé et de planification familiale, sur les mouvements écologistes et sur la lutte pour la paix et la justice sociale. Cette idéologie est source de discorde et se nourrit de craintes racialisées autour des gens de couleur, dans le Nord comme dans le Sud. Malgré l’emploi sporadique d’un langage féministe, les tenants de ce mythe voient principalement dans la femme un simple utérus. Durant ces années de recherche sur la population, le tableau démographique de la planète s’est métamorphosé, les taux de natalité accusant partout un déclin. De nos jours, les démographes s’inquiètent généralement bien plus de cette baisse et du vieillissement de la population que d’une croissance rapide du nombre d’humains sur Terre. Au regard des chiffres actuels, la population mondiale devrait atteindre les neuf milliards d’individus en 2050 pour ensuite se stabiliser. Il est plus que jamais évident que le mythe de la surpopulation n’est pas fondamentalement une affaire de chiffres, mais un moyen de masquer les inégalités sociales, économiques et politiques qui sous-tendent les crises mondiales d’aujourd’hui, y compris la crise du changement climatique. Un moyen de préserver le pouvoir des nantis. Une planète trop peuplée ? porte un regard incisif sur toutes ces questions. Par leur style compréhensible et une analyse aussi rigoureuse que convaincante, Angus et Butler nous donnent les outils pour déconstruire avec méthode le mythe de la surpopulation. Ce faisant, ils esquissent aussi les contours d’une politique porteuse d’espoir et de justice en matière d’environnement et de procréation. À l’instar des publications hors pair qu’ils dirigent, Climate and Capitalism et Green Left Weekly, ce livre qui présente avec clarté une mine d’informations, d’idées et de thèses complexes s’adresse à un vaste lectorat : militant.e.s, étudiant.e.s, éducateur.trice.s, journalistes, responsables politiques et, en réalité, quiconque souhaite mieux comprendre le monde. Le mythe réactualisé de la surpopulation fait obstacle à la solidarité et au progrès mondial. Après avoir lu cet ouvrage, j’ai bon espoir que nous puissions rapidement balayer ce mythe une fois pour toutes afin de relever les défis
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