ous la pression combinée de l’individualisme, du pluralisme et de l’économie néolibérale, les États-nations tendent vers une dépolitisation de leur identité. Comme il est de plus en plus difficile de se référer à une origine et à un avenir en commun, l’identité nationale se vide de son unité politique pour laisser place à des revendications multiples. À cette dépolitisation s’ajoute la tentation de l’apolitisme, que ce soit par un repli sur la seule culture ou sur l’intérêt individuel. Où se situe le Québec contemporain dans ce contexte où la vie politique marginalise l’histoire nationale? Que se trame-t-il dans les profondeurs de sa conscience historique?
Les progrès engendrés par la Révolution tranquille ont été le fruit d’une impulsion politique, d’un désir de faire société qui donnait force et cohérence à l’action de l’État et des mouvements sociaux. C’est l’affirmation volontariste d’une culture libérée des carcans que lui imposait la société canadienne-française de jadis qui a rendus ces progrès possibles. Faut-il en faire autant avec la culture issue de la Révolution tranquille? Que faire de l’histoire nationale dans une société pluraliste et multiethnique où le monopole que détenaient les Canadiens français sur l’écriture de cette histoire paraît moins légitime. L’introspection culpabilisante ne risque-t-elle pas d’emporter le destin national dans son sillon?
Si Jacques Beauchemin se porte à la défense de l’élan hérité de la Révolution tranquille, c’est parce qu’il craint que la dépolitisation entraîne la marginalisation, voire la folklorisation du Québec français. À ceux qui en appellent à un retour au Canada français, il rappelle le caractère apolitique d’une identité canadienne-française retranchée dans les limites de sa mission providentielle. La foi catholique hier, les succès internationaux des artistes et des entreprises aujourd’hui sont les manifestations d’une identité qui nie le politique. Les Québécois s’accrochent à une « éternité trompeuse », à cette idée que leur culture demeurera, quels que soient leurs choix politiques. En réaction à cette attitude émerge un « déclinisme » proprement québécois qui rage d’appartenir à une province, mais qui ne croit plus au réveil collectif et donc s’abîme lui aussi dans l’apolitisme. Figure incontournable de la sociologie politique québécoise et de la pensée souverainiste, Jacques Beauchemin est lucide quant à l’état de la conscience historique québécoise, mais il persiste à faire vivre en Amérique une société originale.