une annee de formation universelle

136 Pages·2017·5.14 MB·French

UNE ANNEE
DE FORMATION
UNIVERSELLE

« Instaurer un droit à la 2e chance pour tous »

Rapport - Mars 2017

Alexandre Jost, Béatrix Jounault, Gaël Brulé, Mélusine Harlé
en collaboration avec Serena Rosa de la Chaire Transitions
Démographiques, Transitions Economiques

Ce travail a bénéficié du soutien de la Chaire Transitions Démographiques, Transitions
Economiques.

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La Fabrique Spinoza, think-tank du bonheur citoyen
41 rue des Prairies, 75020 Paris ; Tél : [phone]
Email : [email protected] ; Site-web : www.fabriquespinoza.fr
La Fabrique Spinoza propose la création d’une Année de Formation Universelle (AFU).
Ce dispositif simple et visible permet à tout individu de 16 à 64 ans de suivre un parcours de
formation gratuit et rémunéré sur un temps long (en une fois ou fragmenté) afin d’opérer une
transition professionnelle librement consentie (reprise d’étude, emploi, entrepreneuriat), tout en
prenant en compte et en favorisant l’épanouissement personnel. Ce dispositif est universel, donc
ouvert à tous par définition, mais il s’adresse prioritairement aux décrocheurs1, aux demandeurs
d’emploi et aux « switchers », c’est-à-dire aux personnes en reconversion professionnelle.

Un accompagnement de la transition impératif mais imparfait
Ce projet part d’un constat simple et largement partagé. Le modèle économique actuel
a atteint ses limites. Le taux de chômage est historiquement élevé, en particulier pour les jeunes
et les séniors, victimes d’exclusions sociale et économique sur un marché du travail dual
opposant ceux qui ont un emploi, ou « insiders » à ceux qui n’en n’ont pas, les « outsiders ».
Le principe de fonctionnement peut se résumer ainsi : « the winner takes all », c’est à dire « le
gagnant prend tout ». Si 49 % seulement des personnes en emploi ont eu accès à la formation
professionnelle - avec un écart important du simple au double entre cadres et ouvriers - cette
proportion passe à 27 % pour les demandeurs d’emploi et 9% pour les inactifs.
Parallèlement, on voit apparaitre de nouveaux besoins sociétaux qui exigent le
développement en continu des apprentissages : besoins de sécurisation et de fluidité des
parcours professionnels (56% des actifs ont déjà changé de métier ou de secteur), quête de sens
et de bien-être au travail (35% des motifs de reconversion), nécessité de continuer à développer
ses compétences tout au long de la vie et impératif d’adaptabilité pour les entreprises et les
individus face à l’obsolescence des connaissances et à la transition numérique (jusqu’à 70% des
métiers qui apparaîtront dans le futur n’existent pas aujourd’hui).
Le système existant, les politiques publiques d’accompagnement et de formation
professionnelle doivent donc évoluer car elles ne répondent pas suffisamment aux attentes des
individus en termes de transition professionnelle : manque d’accessibilité et de lisibilité
(complexité administrative pour 40% des personnes interrogées), perte de confiance, faible
adaptabilité aux besoins et codes de certaines catégories de population (notamment s’agissant
des jeunes des quartiers défavorisés), peu de prise en compte du bien-être et du choix des
individus, mesures court-termistes (durée des formations divisée par 2 en 35 ans), et incapacité
à accompagner les mutations profondes du travail (62% des formations visant une simple
adaptation au poste de travail).

Devant le foisonnement des dispositifs existants, il s’agit de repenser la proposition de
politique publique à partir des dispositifs les plus prometteurs et les pratiques les plus
encourageantes observées en France et à l’étranger.

L’objectif que nous portons consiste à donner la possibilité à chacun de s’inscrire dans
une démarche de formation tout au long de la vie, à travers une dynamique émancipatrice et
garante du bon fonctionnement et du bien-être des individus et de la société.

1 Les décrocheurs sont désignés également par le terme anglais « Neet » : « Not in Education, Employment or Training » (ni
étudiant, ni employé, ni stagiaire).

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Une opportunité à forte valeur ajoutée
Face aux enjeux socio-économiques, aux besoins des individus, des entreprises et de la
société, la Fabrique Spinoza envisage la création d’une Année de Formation Universelle,
gratuite, rémunérée, diplômante et intégrant le bien-être des individus.

Notre approche repose sur des fondements à la fois théoriques et pragmatiques. Au total,
ce sont plus de 110 études scientifiques et rapports institutionnels ainsi que 150 dispositifs
existants qui ont été analysés et qui ont servi de base à l’élaboration de cette solution innovante.
À travers nos travaux, nous démontrons en particulier les effets positifs de la combinaison d’une
année de formation et de la prise en compte du bien-être des individus dans le parcours de
formation. Ces bénéfices sont mesurables tant vis-à-vis de l’individu qu’à l’égard de la société.

La durée longue de la formation est un critère essentiel pour permettre une transition
véritable (qu’elle soit linéaire ou modulable). L’analyse en particulier de programmes éducatifs
américains montrent que 80% des dispositifs les plus efficaces s’étalent sur une durée longue
supérieure à 9 mois.
Les travaux de recherche confirment également que les individus les mieux formés sont
plus en emploi (taux supérieur de 26 points pour les diplômés post-secondaires), en meilleure
santé (6 ans d’espérance de vie en plus), qu’ils sont plus efficaces dans leur travail
(augmentation du taux de productivité de 1% dès 11h de formation supplémentaire) et moins
vulnérables face aux crises économiques (deux fois plus de transitions vers le chômage pour les
ouvriers que pour les cadres).
Les études auxquelles nous nous référons mettent en avant le fait que la formation qui
intègre le bien-être dans sa pédagogie, dans son management et comme finalité, est vertueuse
en termes de transition. Ainsi, on estime qu’environ 20% de « l’indécision vocationnelle » d’un
individu dans ses choix d’études repose sur la variable bien-être. Par ailleurs, 50% des
programmes de développement de la jeunesse les plus efficaces comptent, parmi les modules
d’enseignements, des apprentissages liés au sentiment d’efficacité personnelle et à la résilience,
eux-mêmes très corrélés à la notion de bien-être. Enfin, une formation qui intègre
l’épanouissement des participants encourage les comportements pro-sociaux, altruistes et
citoyens sur le court et le long terme.
Nos recherches permettent de dégager les bénéfices du bien-être en termes de gain et de
coûts évités pour l’ensemble de la collectivité : absentéisme 3 fois moindre, productivité
supérieure de plus de 10%, espérance de vie supérieure de 5 à 10 ans, mais aussi des bénéfices
en termes de créativité, d’engagement, de capital social, etc.

Dans cette optique de meilleur fonctionnement et de bien-être accru, l’Année de
Formation Universelle constitue une chance donnée à chacun d’évoluer dans sa vie personnelle
et professionnelle. Pour les décrocheurs et les personnes peu qualifiées, c’est la possibilité
donnée de renouer avec les compétences de base et trouver des voies d’insertion. Pour les
salariés, il s’agit d’une opportunité offerte afin de migrer vers de nouveaux horizons et éviter
la « sédimentation » professionnelle.
Le dispositif de AFU concrétise ainsi le droit à une deuxième chance pour tous : le droit
de reconsidérer ses choix initiaux d’orientation, de vouloir changer de cap, de prendre le temps
d’apprendre à nouveau pour (re)trouver sa place dans la société.

La construction de l’AFU repose sur un parcours tout au long duquel les bénéficiaires
sont accompagnés et soutenus. La proposition s’inscrit dans une dynamique d’apprentissage
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tout au long de la vie et s’appuie sur les dispositifs actuels que sont notamment le compte
personnel d’activité, le conseil de formation et la validation des acquis d’expérience.
Elle favorise l’acquisition d’un socle et d’un répertoire de compétences transposables
pour faciliter l’accès aux diplômes et la mobilité d’un secteur d’activité à un autre.
Elle vise de manière explicite le développement du bien-être des individus par une
pédagogie positive, bienveillante, modulaire et personnalisée.

Une mise en œuvre locale, accessible et « soutenante »
A partir des analyses que nous avons menées à la fois des dispositifs existants et des
principaux écueils des politiques d’accompagnement, nous avons envisagé l’AFU autour des
principes opérationnels visant à renforcer son impact auprès des publics en voie de transition :
L’AFU mise sur un ancrage territorial : compte tenu de la richesse des solutions
mises en place, l’AFU dispose d’un important réseau territorial de transition sur lequel
s’appuyer, en particulier via les Missions Locales, les Ecoles de la 2e Chance (E2C), les écoles
de l’EPIDE, les agences de Pôle emploi, les micro-lycées ou encore via les initiatives locales,
etc. Grâce à la synergie avec les dispositifs implantés sur l’ensemble du territoire, l’AFU pourra
intégrer un large panel de bénéficiaires, mettre à profit des partenariats économiques locaux
pour développer des opportunités professionnelles, mettre en congruence les opportunités
d’emploi de proximité, et construire sur un même territoire un réseau de soutien.
L’AFU offre une double prise en charge financière : l’un des principaux freins à la
mobilité repose sur le manque de moyens financiers pour poursuivre un projet de transition.
L’AFU est donc construite sur une double proposition : prendre en charge les frais financiers
de la formation suivie et garantir aux bénéficiaires le versement d’une rémunération pendant la
formation en lien avec les frais de vie.
L’AFU vise l’accessibilité et la modularité : le dispositif est construit autour de points
de présence physique mais fait également appel à des plateformes et outils numériques
permettant de bâtir et d’accompagner chaque individu dans son projet professionnel
individualisé. L’AFU est envisagé de manière modulaire tourné vers d’autres dispositifs,
apprentissages et expériences vers lesquels les individus sont aiguillés.
Enfin, l’AFU offre un environnement soutenant : il s’agit d’un cadre accompagnant
et d’un environnement bienveillant notamment humainement et au plan pédagogique. À travers
ce principe, l’objectif est de (re)donner confiance, renforcer le capital social et humain de ceux
qui en ont le plus besoin, favoriser l’épanouissement et la capacité d’agir de chacun ainsi que
de donner le maximum de chances aux projets d’évolution professionnelle.

Vers un marché de l’emploi bien portant et un bien-être individuel et collectif
L’AFU vise à encourager, donner confiance, valoriser, guider puis former toutes les
personnes désireuses de réaliser une transition, afin de trouver leur place juste et heureuse dans
notre société. Financée par différentes sources, notamment par un redéploiement de fonds de
formation professionnelle, l’AFU pourrait permettre à une large part d’individus de profiter
d’une deuxième chance de transition. Plus sécurisé en particulier sur le plan matériel, mieux
accompagné et soutenu dans sa démarche, mieux armé pour s’engager dans de nouvelles voies
professionnelles, chacun pourrait envisager de manière plus sereine une transition
professionnelle, gage d’emploi et de bien-être individuel et collectif.

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SOMMAIRE

Introduction ................................................................................................................................ 8

I. Méthodologie de l’étude : une approche exploratoire, intégrative et dynamique .............. 9

II. L’Année de Formation Universelle – Présentation .......................................................... 11
1. Les grands principes ..................................................................................................... 11
a. Une formation en vue d’une transition ..................................................................... 11
b. Le temps d’une année ............................................................................................... 11
c. Un accès universel, simple et visible ....................................................................... 12
d. Une formation gratuite et rémunérée ....................................................................... 13
e. Une formation libre et individualisée ....................................................................... 14
f. Le bien-être au cœur de la transition ........................................................................ 14
2. Portrait-robot en 9 critères : ......................................................................................... 15
a. Un ancrage territorial fort, en réseau et compétent .................................................. 15
b. Une approche « Tout au long de la vie » .................................................................. 15
c. Un environnement soutenant .................................................................................... 15
d. La personnalisation du parcours et des méthodes .................................................... 16
e. La modularité ........................................................................................................... 16
f. Les compétences et les connaissances ..................................................................... 17
g. Le développement et le renforcement de la capacité d’agir ..................................... 17
h. Le capital social et les relations positives ................................................................ 18
i. Le diplôme, la qualification ..................................................................................... 18

III. Approche scientifique : Les études académiques et institutionnelles en soutien de l’AFU
.......................................................................................................................................... 19
1. La formation : un cercle socio-économique vertueux ...................................................... 19
a. Les bénéfices individuels de la formation ................................................................ 20
b. Les bénéfices économiques et sociaux de la formation ........................................... 25
c. Les limites actuelles : un engagement social et citoyen en chute ............................ 26
2. Les avantages d’une formation longue, peu onéreuse pour les bénéficiaires et intégrative
...................................................................................................................................... 28
a. Impacts de la durée de formation ............................................................................. 28
b. L’accès gratuit et le soutien matériel ........................................................................ 30
c. L’impact d’une approche intégrative de la formation .............................................. 33
3. Le pari du bien-être ...................................................................................................... 35
a. La formation, vecteur de bien-être ........................................................................... 35
b. Le bien-être vecteur d’un meilleur fonctionnement ................................................. 36
c. Le bien-être dans la formation ................................................................................. 38

IV. Approche terrain : L’apport des bonnes pratiques et dispositifs innovants pour étayer
l’AFU ....................................................................................................................................... 43
1. Faciliter l’accès pour un meilleur taux de réussite ....................................................... 43
a. Un nécessaire maillage territorial ............................................................................. 43
b. Un espace inspirant .................................................................................................. 46
c. Un accès facilité financièrement .............................................................................. 47
d. Un soutien d’organisation de vie .............................................................................. 48
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2. L’importance d’un accompagnement bienveillant, constant et individualisé .............. 50
a. Accompagnement social et environnement soutenant ............................................. 50
b. Un co-accompagnement entre les bénéficiaires ....................................................... 51
c. Un accompagnement bienveillant qui favorise le bien-être ..................................... 53
d. Un accompagnement jusqu’à la fin et après ............................................................. 55
3. Centrer la formation sur la construction d’un projet de vie ......................................... 57
a. Le socle de la connaissance de soi ........................................................................... 57
b. Rebâtir la confiance .................................................................................................. 59
c. Faire émerger un projet ............................................................................................ 61
d. Prendre en compte les opportunités réelles .............................................................. 62
4. Miser sur une formation longue, modulaire et connectée à la vie ................................ 64
a. Un temps long d’apprentissage et de formation ....................................................... 64
b. Des temporalités variables et adaptables selon les options choisies ........................ 64
c. Un parcours individualisé avec un esprit de groupe................................................. 65
d. Une pédagogie positive pour répondre aux défis actuels ......................................... 68
e. Des maisons de formation tout au long de la vie ..................................................... 69

V. Approche structurelle et conjoncturelle : un contexte favorable à l’émergence de l’AFU ..
.......................................................................................................................................... 71
1. Des mutations macroéconomiques nécessitant de sécuriser les parcours professionnels
et d’acquérir de nouvelles compétences tout au long de la vie ............................................ 71
a. Les mutations socioéconomiques : persistance d’un chômage de masse et passages
fréquents par le chômage .................................................................................................. 71
b. Les mutations technologiques : se préparer aux métiers de demain et au
développement continu des nouvelles technologies ......................................................... 76
c. Vers une complexification des parcours professionnels .......................................... 81
2. La souffrance humaine un enjeu de santé publique ..................................................... 89
a. La souffrance au travail et hors du travail un enjeu de santé publique .................... 89
b. Les coûts économiques du mal-être : stress et productivité ..................................... 90
c. Le bonheur est le premier outil de prévention santé ................................................ 91
3. Des mutations des besoins des individus nécessitant un redesign des parcours .......... 91
a. Les motifs de changements professionnels : de l’insatisfaction salariale ….à la
recherche de sens .............................................................................................................. 92
b. La nécessité de parcours personnalisés permettant de prendre en compte la diversité
des profils et de redessiner les pratiques d’accompagnement .......................................... 95
c. Un besoin accru d’accès à l’information et de soutien financier pour réaliser la
transition ........................................................................................................................... 97
4. Un paysage de la transition professionnelle : entre dispositifs foisonnants, parfois
inadaptés, et recherche d’un cadre ..................................................................................... 100

VI. Grands enseignements et premières esquisses de l’AFU ............................................... 109
1. Premier type d’enseignement : les facteurs de réussite des dispositifs insérés et
constitutifs de l’AFU .......................................................................................................... 109
a. Adéquation parcours/dispositifs ............................................................................. 109
b. Pédagogie apprenante et positive ........................................................................... 110
c. Environnement soutenant ....................................................................................... 111
d. Diplômant / certifiant ............................................................................................. 111
e. Des partenariats avec le monde économique et les acteurs du terrain ................... 112
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2. Deuxième type d’enseignement : les facteurs de réussite individuelle des participants de
l’AFU ................................................................................................................................. 112
a. L’engagement / le sens ........................................................................................... 112
b. Relations sociales positives .................................................................................... 113
c. Locus de contrôle / empowerment ......................................................................... 113
d. Gestion du stress / résilience .................................................................................. 113
3. Troisième apprentissage : les étapes essentielles de l’AFU .................................. 114
a. Accrochage ............................................................................................................. 114
b. Ouverture des possibles .......................................................................................... 114
c. Connaissance de soi ............................................................................................... 115
d. Construction du parcours professionnel ................................................................. 115

VII. Estimation de l’impact attendu de l’AFU ...................................................................... 116
1. Le nombre de bénéficiaires ........................................................................................ 116
2. Le coût par personne et coût global ........................................................................... 117
3. Le financement ........................................................................................................... 117
4. Effets attendus ............................................................................................................ 118
5. Premières estimations quantitatives ........................................................................... 120

Annexes .................................................................................................................................. 122
1. Annexe 1 : Corpus ...................................................................................................... 123
2. Annexe 2 : Liste des dispositifs examinés ................................................................. 133
3. Remerciements ........................................................................................................... 136
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UNE ANNEE DE FORMATION UNIVERSELLE
Introduction
« Permettre à tout individu de pouvoir réaliser son
rêve, découvrir son rêve, se réaliser, à chaque instant
de sa vie, doit être possible. Lui permettre de se
réorienter, de rebondir est fondamental pour lui et
pour la société. »
Jean-Paul Delevoye2

La transition numérique constitue un défi majeur pour la société et l’individu dans un
contexte de mutation du travail et de l’emploi. L’obsolescence croissante des connaissances,
des compétences et l’exigence permanente des individus pour un travail qui « fait sens » pose
avec acuité la question de la formation professionnelle. Deux chiffres permettent de résumer
ces enjeux. En premier lieu, selon une estimation haute, jusqu’à 70%3 des métiers qui seront
exercés dans la prochaine décennie n'existent pas encore. Dès lors, la formation est amenée à
prendre une place décisive et prépondérante dans les prochaines années. En second lieu, il est
important de souligner l’accès à la formation professionnelle est très inégal : 49 % des
personnes en emploi bénéficient d’une action de formation professionnelle, avec un écart
important du simple au double entre cadres et ouvriers. Cette proportion passe à 27% pour les
demandeurs d’emploi et 9 % pour les inactifs. De ce fait, on voit bien que la question prioritaire
réside avant tout dans un accès véritablement égalitaire à la possibilité de se former pour mettre
fin à une situation dans laquelle les « insiders » peuvent évoluer et se reconvertir tandis que les
individus privés d’emploi ou faiblement qualifiés sont condamnés à « la sédimentation
professionnelle » ou au chômage de longue durée.
L’Année de Formation Universelle constitue une réponse pertinente à ces défis, à
condition que sa mise en œuvre soit efficace.
Ce rapport présente les principaux éléments de ce nouveau dispositif, en démontrant son
intérêt ainsi que les principes gouvernant sa mise en œuvre. Parmi les principaux
questionnements que nous avons soulevés, nous avons cherché à répondre aux interrogations
suivantes : l’idée de proposer une Année de Formation Universelle, gratuite et rémunérée à tous
les citoyens est-elle pertinente pour les individus et pour la société ? Si oui, à quelle échelle de
temps (court, moyen et long terme) et pour quelle efficacité ? L’AFU permettrait-elle vraiment
d’améliorer le bien-être des individus et celui de la société dans son ensemble ? Quelle place
pour le bonheur au sein des formations proposées ?
Pour répondre à ces questions, la Fabrique Spinoza a mené des recherches dans plusieurs
champs d’expertises, analysé la littérature scientifique, institutionnelle et effectué des
recherches sur des dispositifs inspirants. Au total, ce sont plus de 110 études, rapports et
recherches ainsi que 150 dispositifs qui ont été étudiés, analysés et dont les enseignements ont
été mis à profit dans ce rapport.

2 Ancien Président du Conseil Economique Social et Environnemental (CESE).
3
« Quels emplois pour demain ? » - Rapport d'information n° 583 du sénateur Alain Fouché, fait au nom de la Délégation
sénatoriale à la prospective.
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I. Méthodologie de l’étude : une approche exploratoire,
intégrative et dynamique

Notre approche de l’AFU est à la fois théorique et pragmatique puisqu’elle s’appuie sur
la littérature scientifique (plus de 110 sources étudiées) et sur une cartographie à date des
dispositifs existants (plus de 150 examinés) pour proposer une solution concrète et réaliste.

Trois termes permettent de définir la méthodologie que nous avons utilisée : exploratoire,
intégrative et dynamique.

 Notre approche est exploratoire. Elle traite, en effet, d’un objet nouveau et inexistant
dans la littérature, qu’elle soit institutionnelle ou scientifique et s’appuie délibérément
sur une analyse du terrain.
 Notre proposition a une portée intégrative dans la mesure où elle est à la fois
systémique et individuelle. Notre objectif consiste à trouver un système qui fonctionne
pour le plus grand nombre d’individus.
 Notre démarche fait l’objet d’un processus dynamique qui repose sur des aller-retours
permanents entre la théorie et le terrain pour valider les hypothèses émises et centrer la
proposition sur un dispositif impactant. Ce sont ces échanges itératifs qui ont façonné
l’Année de Formation Universelle telle qu’elle est présentée ici.

Le croisement de la littérature et des dispositifs constitue un principe majeur de notre
démarche.

Les travaux de recherche permettent de dégager les effets possibles, tant sur l’individu
que sur le corps social, de solutions déjà mises en place tandis que l’observation des dispositifs
existants fait émerger des enseignements concrets sur la manière dont les individus réagissent
aux situations et aux expérimentations qu’ils connaissent. Les réflexions et analyses que nous
avons menées à la croisée des chemins entre les résultats théoriques et les remontées du terrain
ont permis la création d’un dispositif qui, d’une part, répond aux besoins fondamentaux des
individus (physiologiques, psychologiques, sociaux, etc.) et d’autre part, présente des aspects
réalistes et réalisables en termes d’efficacité et d’impact.

Les champs de recherches et d’analyses sont larges et hétérogènes. Le corpus émane des
principaux acteurs institutionnels intervenant dans le domaine des politiques publiques de
l’économie, de l’emploi et de la formation professionnelle : rapports de l’OCDE, de la Cour des
comptes, du Conseil d’Orientation pour l’Emploi, de France Stratégie etc. Quant aux sources
scientifiques, elles relèvent essentiellement de la sociologie, de l’économie, de la psychologie
organisationnelle ou encore de l’ingénierie pédagogique et de la pédagogie positive. La
diversité et la nature des sources permettent d’aborder et de rendre compte d’une même réalité,
à travers des prismes différents mais complémentaires. Les travaux institutionnels mettent en
avant principalement les mécanismes de réussite ou d’échec d’un dispositif donné tandis que
les études scientifiques étudiées invitent à appréhender la perception et les impacts d’un
mécanisme ou d’une question spécifique sur les acteurs en présence.

La conception de l’Année de Formation Universelle repose par ailleurs sur un repérage
et une sélection des dispositifs prometteurs et efficaces ainsi que sur un benchmark de ces
programmes, en France et à l’étranger. A partir des remontées du terrain et des recherches, nous
avons dégagé des bonnes pratiques et des principes de fonctionnement fondamentaux pour
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impulser et créer une dynamique de transition professionnelle bienveillante à grande échelle.
Notre conviction repose sur une double combinaison d’une Année de Formation Universelle et
de la prise en compte du bien-être individuel et collectif dans la démarche proposée.

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