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Une affaire de famille PDF

355 Pages·2010·1.36 MB·French
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CHARLES STROSS UNE AFFAIRE DE FAMILLE Les Princes-Marchands 1 Traduit de l’américain par Patrick Dusoulier ROBERT LAFFONT « AILLEURS ET DEMAIN » Collection dirigée par Gérard Klein DU MÊME AUTEUR Chez le même éditeur Le Bureau des atrocités, 2004 Titre original : THE FAMILLY TRADE © Charles Stross, 2004 Traduction française : Éditions Robert Laffont, S.A., Paris, 2006 ISBN : 2-221-10538-9 (édition originale : ISBN 0-765-34821-7, Tor/Tom Doherty Associates LLC, New York) Première partie LETTRE DE LICENCIEMENT La météo Dix heures et demie avant qu’un chevalier monté sur un destrier et armé d’une mitraillette n’essaye de la tuer, Miriam Beckstein, journaliste spécialisée en techno, perdit son job. Avant la fin de la journée, sa lettre de licenciement allait entraîner une série d’événements qui conduiraient à la chute de gouvernements, déclencheraient des guerres civiles, et provoqueraient la mort de milliers de personnes. Ce serait le plus beau scoop de sa carrière, de la carrière de n’importe quel journaliste – plus fort que le Watergate, plus fort que le 11- Septembre – et ce serait l’histoire de Miriam. Mais à sept heures du matin, cette histoire n’était encore que dans son avenir : tout ce qu’elle savait, c’était qu’on était en octobre, un lundi matin pluvieux, qu’elle avait son boulot à faire et un article à écrire, et qu’il y avait un comité de rédaction prévu à dix heures. Le ciel était de la couleur d’un écran de portable éteint, gris argenté et plein de pluie. Miriam bâilla et émergea de son sommeil au son du baratin matinal des infos sur son radio- réveil. « … les bombardements se poursuivent en Afghanistan. Pendant ce temps, sur le plan de l’économie, le marché chute de quarante-sept points suite à l’annonce que Cisco va licencier trois mille autres employés, dit le speaker. Depuis le 11- Septembre, en plus de l’effondrement du secteur point-com, leurs plus gros clients se recroquevillent. Tom, pouvez-vous nous dire ce que… » — Ta gueule, grommela-t-elle en éteignant le poste. Je n’ai vraiment pas besoin d’entendre ça. La majeure partie du secteur technologique était en train de prendre une raclée. Ce qui voulait dire que les lecteurs de La Météo de l’Industrie – des investisseurs en capital-risque et des industriels high-tech, sans compter les boursicoteurs à la petite semaine – allaient prendre une raclée eux aussi. Son secteur à elle, la biotechnologie, était robuste, mais l’effondrement du secteur de l’Internet provoquait des vagues. S’il ne se passait pas quelque chose pour venir enrayer la chute des ventes du journal, il y aurait de gros problèmes. Problèmes. Lundi. « Je t’en foutrai, moi, des problèmes », marmonna-t-elle, avec un sourire qui aurait effrayé quelques- uns de ses lecteurs, s’ils avaient pu le voir. « Les problèmes, c’est mon truc. » Pour une journaliste confirmée de La Météo de l’Industrie, les problèmes, ça voulait dire de bons sujets d’articles. Elle enfila sa robe de chambre en frissonnant au contact du tissu froid, puis elle traîna les pieds sur le parquet en pin jusqu’à la salle de bains pour faire ses ablutions matinales, et passer deux minutes avec sa brosse à dents électrique. Debout devant la glace, sous l’éclairage impitoyable des spots, elle frissonna devant ce qu’elle vit : chaque minute de ses trente- deux années, au niveau de détail le plus cruel. « Il faudrait abolir le lundi matin et le vendredi après-midi », marmonna-t- elle en essayant avec sa brosse de redonner un peu de vie à ses cheveux, qui s’entêtaient à rester noirs et menaient un combat acharné contre les reflets blonds qu’elle leur infligeait une fois par semaine. Elle abandonna au bout de deux minutes et descendit l’escalier quatre à quatre pour aller à la cuisine. Celle-ci était peinte en jaune clair, une pièce confortable et à l’abri de la tristesse d’un matin d’automne. Soulagée, Miriam brancha le percolateur et se servit un bol de Granola – ce que Ben appelait toujours son petit déjeuner de lapin. De retour à l’étage, revigorée par un mug de café incroyablement gigantesque, il lui fallut décider de ce qu’elle allait mettre. Elle plongea dans son placard et se retrouva à déchirer avec les dents l’emballage en plastique qui protégeait l’un de ses trois tailleurs qu’elle avait fait nettoyer à sec le vendredi d’avant – tout ça pour se rendre compte que c’était sa tenue spéciale pour les interviews, pas du tout le genre de chose à mettre un lundi matin quand la pluie inonde les rues – ou en tout cas pas pour faire des interviews par téléphone depuis son bureau. Elle recommença, et finit par se composer une tenue. Des bottes noires, un pantalon, une veste, un pull à col roulé et un imperméable, le tout aussi noir que son humeur du lundi matin. Je ressemble à un gangster, se dit-elle en pouffant. « Les gangsters ! » C’était justement de ça qu’elle devait s’occuper aujourd’hui. Un coup d’œil à sa montre, elle vit qu’elle n’avait pas le temps de se maquiller. De toute façon, ce n’était pas comme si elle avait besoin d’impressionner qui que ce soit au bureau. Ils savaient fichtre bien qui elle était. Elle se glissa derrière le volant de sa Saturn, un modèle vieux de quatre ans qui, Dieu merci, démarra du premier coup. Mais la circulation était difficile, un de ses essuie-glaces avait besoin d’être remplacé, la radio s’était mise récemment à grésiller par intermittence, et elle ne pouvait pas s’empêcher de bâiller. Ah, le lundi, pensa-t-elle. Mon jour favori ! Non, et puis quoi encore… Au moins, elle avait une place de parking qui l’attendait – une des rares places réservées aux journalistes confirmés qui devaient se déplacer et interviewer des cadres dirigeants de la nouvelle économie. Ou des gangsters blanchisseurs d’argent, les nouveaux riches du monde pharmaceutique. Vingt minutes plus tard, elle entrait dans un parking bondé situé derrière un immeuble de bureaux anonyme à Cambridge, juste à côté de Somerville Avenue, avec des antennes paraboliques sur le toit et des câbles épais qui serpentaient jusqu’au sous-sol. Le quartier général de La Météo de l’Industrie, magazine de la communauté du capital-risque technologique, et l’employeur de Miriam ces trois dernières années. Elle passa son badge dans la fente, prit l’ascenseur jusqu’au deuxième étage et pénétra dans le chaos de l’espace paysager. Des bureaux avec des PC et des flots de papier qui débordaient jusqu’à terre. Deux Portoricains vidaient des poubelles dans un chariot chargé de sacs, avec en toile de fond des téléphones qui sonnaient et des présentateurs qui jacassaient sur CNN, Bloomberg et Fox. Il y avait partout des fauteuils Aeron noirs, tout en plastique et en fils, les chaises électriques d’un futur entièrement câblé. — Salut, Emily, fit-elle en passant devant la secrétaire du département. — Salut ! Je suis à toi dans une seconde. (Emily retira son doigt du bouton « Muet » et retourna à sa conversation, le regard de nouveau vitreux.) Oui, je vous les enverrai aussitôt que… Le bureau de Miriam était nickel : la pile de coupures de presse était impeccable, l’écran de son ordinateur était propre comme un sou neuf, et il n’y avait pas de gobelets en plastique vides traînant partout. Selon les normes des journalistes techniques, cela faisait d’elle une obsessionnelle du rangement. Elle avait toujours été comme ça dans son travail, même toute petite. Elle aimait avoir ses craies de couleur bien alignées, et dans l’ordre. Il lui arrivait de rêver de pouvoir gérer ses tâches ménagères de la même façon, mais pour une raison quelconque, ce talent ne semblait pas être transférable. Mais ici, c’était son travail, et ça, elle avait toujours su gérer. Je me demande où en est Paulie ? — Salut ma belle ! Presque comme au signal, c’était Paulette qui passait la tête hors de son box. Petite, blonde, pétillante, même un lundi matin pluvieux ne pouvait altérer son enthousiasme. « Comment ça va ? Tu es prête à donner une bonne leçon à ces malfrats ? » — « Malfrats » ? Miriam haussa un sourcil. Paulette se glissa dans le box de Miriam et s’affala dans l’autre fauteuil disponible, obligeant Miriam à se pousser pour lui faire de la place. Paulie semblait manifestement s’amuser beaucoup : c’était un des rares avantages d’être une assistante de recherches. Miriam attendit. — Les malfrats, dit Paulette avec délectation. Tu veux un café ? On risque d’en avoir pour un moment. — Du café. (Miriam réfléchit.) Ça serait pas mal. — Bon, d’accord. (Paulette se leva.) Lis ça, ça nous fera gagner du temps. Elle montra à Miriam une pile de listings et de photocopies qui faisait cinq bons centimètres, et elle se dirigea tout droit vers la cafetière du service. Miriam poussa un soupir et se frotta les yeux en commençant à lire la première page. Paulie avait une fois de plus fait son boulot avec une redoutable efficacité : Miriam n’avait travaillé avec elle que sur deux enquêtes auparavant – la plupart du temps, le travail de Miriam ne nécessitait pas le genre de recherches documentaires qui étaient la spécialité de Paulette – mais à chaque fois, elle en était sortie avec une impression de vertige. Des contrôles d’émission de gaz d’échappement automobile en Californie ? Miriam plissa les yeux et tourna la page. Des voitures qui ne satisfaisaient pas aux tests, une chaîne d’ateliers de réparation qui les rachetait cash et qui les expédiait au Mexique ou au Brésil pour les revendre ou les faire ferrailler. « Qu’est-ce que ça a à voir… (Elle s’interrompit.) Aha ! » — Lait écrémé, et une sucrette, dit Paulie en déposant un mug de café à portée de sa main gauche. — C’est sacrément intéressant, marmonna Miriam en feuilletant quelques pages. (Comptes d’exploitation. Une chaîne d’ateliers qui…) J’espérais que tu trouverais quelque chose parmi les petits actionnaires. Ces gars-là sont impliqués pour combien ? — Ils achètent pour dix ou onze millions de dollars d’actions chaque année ! (Paulette haussa les épaules, puis souffla sur son café et fit une grimace.) Ce qui est complètement dingue, parce que leur chiffre d’affaires annuel n’est que de quinze millions à peu près. Quel genre d’entreprise mettrait quatre- vingts pour cent de son chiffre d’affaires dans un fonds de pension ? La réponse est : le genre d’entreprise qui a acheté deux cent soixante-quatorze voitures l’an dernier, à cinquante dollars pièce, qui les a expédiées au sud de la frontière, et qui a engrangé en moyenne quarante mille dollars pour chaque véhicule vendu. Et les deux propriétaires répertoriés à qui j’ai téléphoné n’ont pas souhaité me parler. Miriam releva brusquement la tête : « Tu leur as téléphoné ? » — Oui, j’ai… oh… ne te fais pas de bile, je leur ai dit que j’étais un concessionnaire à Las Vegas, et que je faisais juste une petite vérification. — Une vérification. (Miriam poussa un grognement.) Et s’ils ont le moyen d’identifier le numéro d’appel ? — Tu crois qu’ils vont essayer de remonter à la source ? demanda Paulette, l’air inquiète. — Paulie, on parle de onze millions de dollars qui sont blanchis à travers cette compagnie automobile, et tu crois vraiment qu’ils ne vont pas se redresser dans leur fauteuil quand quelqu’un commence à leur demander d’où viennent ces épaves, et comment ça se fait qu’elles rapportent plus qu’une Lexus neuve au sud de la frontière ? — Oh. Oh, merde. — Oui. « Oh, merde », comme tu dis. Au fait, comment as-tu fait pour tomber sur cette histoire de voitures d’occasion ? Paulette haussa les épaules et eut l’air un peu gêné. — Tu m’as demandé de vérifier les actionnaires de Proteome Dynamics et Biphasé Technologies. Cette boîte, Pacific Auto Services, m’a paru bizarre – pourquoi une société de voitures d’occasion aurait-elle investi plusieurs dizaines de millions de dollars dans un fonds de pension lié à une industrie de pointe, la recherche sur les protéomes ? Et il y en a une dizaine d’autres comme celle-là. Des petites compagnies de rien du tout qui exportent beaucoup dans le Sud, et qui détiennent des actions pour des dizaines de millions de dollars. J’en ai étudié une autre – tu tournes la page ? — D’accord. Dallas Used Semiconductors. Ils achètent des vieux ordinateurs IBM ? Ce n’est pas notre… et ils le revendent à… oh, merde. — Oui. (Paulie fronça les sourcils.) J’ai regardé les prix dans le catalogue. Le type en Argentine qui achète ces ordinateurs vieux de cinq ans les paie quatre-vingt-dix pour cent du prix d’origine, en liquide et en billets verts – là-bas, c’est pratiquement la même chose que leur monnaie légale. Mais ici,

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