Trajectoire historique, actualités et perspectives du panafricanisme Seydou OUEDRAOGO Maîtrise es sciences économiques Assistant de recherche à l’Académie Alioune Blondin Bèye pour la paix (ABBAP / Bénin) Bp 475 Calavi République du Bénin Tel : 00229 36 15 25 / 00229 28 73 45 Email : [email protected] Introduction Quoique exsangue après quatre siècles d’esclavage, l’Afrique a opposé au xixè siècle des mouvements de résistances anti-colonialistes impressionnantes. Incarnés par des leaders de carrure exceptionnelle, les luttes de résistances vont très vite se rendent compte de leur caractère émietté et donc inefficace devant la supériorité technique de l’envahisseur européen. Chaka, Samory, Dan Fodio et bien d’autres ont entrepris des projets intégrateurs qui ambitionnaient de ressusciter les vastes ensembles politiques « supratribaux » qui jadis existaient sur le continent avant la traite négrière. Ces tentatives d’intégration à vocation anti-colonialiste qui s’opèrent par une « violence intégratrice », vont être vaincues par le colonialisme à la fin du xixè siècle. Le mythe de l’Unité allait rejaillir dans la Diaspora africaine en Amérique. Le panafricanisme, fils de la Diaspora, est une idée motrice majeure qui a mobilisé durant plus un siècle les élites et les peuples noirs aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du continent. A l’heure ou le concept d’Etat-nation semble essoufflé, au moment de la constitution de grands ensembles politico-économiques comme entités opératoires dans les relations internationales ; l’Afrique cherche toujours la voie de son salut il apparaît important d’esquisser une lecture bilan du chemin parcouru par le rêve panafricain. La présente étude vise à retrouver les origines et les points saillants de la marche séculaire de l’Afrique vers son unité, à mesurer l’état actuel du mouvement puis à entrevoir des pistes d’évolution futures du panafricanisme. Un contexte historique précis a vu la gestation du panafricanisme (I) qui s’est façonné à travers l’apport des précurseurs dans les congrès panafricains tenus dans la première moitié du xxè siècle. 1 Au lendemain de la Seconde guerre mondiale le panafricanisme connaît une seconde phase dans son évolution marquée par une « cristallisation politique » et une offensive anti-coloniale (II) qui culminera avec la création de l’OUA en 1963. Les décennies d’après indépendances seront mises à profit pour expérimenter une flopée de projets d’intégration régionale sur le continent (III) qui se dérouleront en deux vagues. Enfin il est opportun de questionner la nouvelle Union africaine et son bras économique le NEPAD comme l’expression d’un renouveau du panafricanisme ou tout juste comme une parade néo-libérale (IV). I- Gestation du panafricanisme La vision du panafricanisme, aujourd’hui centenaire, origine au tournant des xixè et xxè siècles en Amérique. KI-ZERBO1 observe qu’elle a emprunté le même parcours géographique que l’esclavage. En effet il peut être établi un parallélisme entre le commerce triangulaire négrier et le chemin triangulaire dessiné par le panafricanisme dans sa quête d’affirmation ; autour des 3 continents africain, américain et européen. La vision s’est forgée dans des conditions objectives précises et a été façonnée par la réflexion et l’action d’éminents précurseurs. Les congrès panafricains organisés au dans la première moitié du siècle ont constitué de grands moments d’évolution du mouvement panafricaniste. 1-Le contexte historique démiurge du panafricanisme Un ensemble de facteurs historiques est à la base de la naissance de l’idéal du panafricanisme à la fin du xixè siècle.. -Le premier facteur est à rechercher dans le fond des cales des navires négriers. Des documents historiques de valeurs incontestables renseignent suffisamment de nos jours sur les conditions exécrables dans lesquelles les esclaves noirs ont été déportés de leur continent vers l’inconnu des Amériques. Enchaînés aux poignets et aux chevilles, entassées les uns contre et sur les autres, gisant dans le sang, les vomissements et les excréments ; les vivants et les morts se côtoient dans l’obscur des soutes des navires durant un long voyage de deux mois. L’enfer inhumain et traumatisant des négriers est le lieu de naissance d’un sentiment d’unité entre ces Africains de divers horizons.2 La communauté de traitements misérables que subissent ces esclaves Fon, Soussou, haoussa, Wolofs, Malinké, Ibo, Sérères etc., va engendrer une prise de conscience d’un sentiment d’unité entre ces esclaves qui font vite identifier le 1 Joseph KI-ZERBO, Histoire de l’Afrique noire, Editions Hatier, Paris, 1978, p.644. 2 Lansiné KABA, N’Krumah et le rêve de l’unité africaine, Editions Chaka, Paris, 1991 p 36. 2 dénominateur commun à eux tous : la couleur de leur peau. Ceux-ci vont manifester les premiers actes d’unité à travers les fréquentes révoltes à bord des navires. Ainsi le cauchemar du « middle passage » a généré une conscience d’unité autour du ciment de la race, que les leaders noirs de la diaspora « vont essayer de faire germer en une doctrine de régénérescence et d’unité culturelles et politiques »3. Les conditions sociales esclavagistes subies par les Noirs en Amérique vont renforcer cette conscience d’unité. Ils sont soumis aux même traitements dans les plantations des esclavagistes blancs. Les esclaves vont développer de fortes relations de solidarités pour supporter l’oppression et résister à la servitude. La lutte pour l’abolition constituera une épreuve d’endurcissement de cette conscience unitaire. -Un phénomène de contagion de pensée au xixè siècle va, à partir de l’Europe, gagner l’Amérique et contribuer à l’éclosion du panafricanisme. En effet, l’Europe entière est agitée au xixè siècle par le nationalisme et les problèmes d’unité. Lancée au moment de la révolution française l’idéologie nationaliste se développera particulièrement durant ce siècle sur le vieux continent. En Allemagne c’est l’heure du pangermanisme sous l’influence de penseurs comme FICHTE GOBINEAU et surtout de LIST. Le panslavisme est en vogue en Europe centrale et orientale. Le sionisme n’est pas en reste. Le débat politique, culturel et intellectuel, focalisé en Europe autour de ces concepts nationalistes va gagner les élites instruites de la Diaspora noire en Amérique ; par le contact de ceux-ci avec les migrants européens dans le nouveau monde. Déjà séduites par l’histoire des anciennes colonies britanniques qui ont donné naissance aux Etats-Unis, les élites noires trouvent dans les débats nationalistes européens l’inspiration qui va forger leur propre vision sur la condition de leur race. Ainsi naîtra très vite l’expression de « pan-négroisme » qui serra vite abandonnée au profit de celle du « pan-africanisme ». Du BOIS, un des plus éminents précurseurs du panafricanisme confirme cette influence des courants de pensés nationalistes européennes en établissant dans un article publié en 1919, le parallélisme suivant : « le panafricanisme signifie pour nous, les Noirs, ce que le sionisme doit signifier pour les Juifs, c’est à dire, la reconnaissance de notre identité dans la fierté, et le besoin d’œuvrer de toutes nos forces pour notre race »4. Sous l’impulsion de ces facteurs, des précurseurs essentiellement fils de la Diaspora vont façonner théoriquement et par leurs actions le panafricanisme. 3 Ibid., p 37. 4 Ibid., p 45. 3 2- Les précurseurs du panafricanisme et les congrès panafricains Le panafricanisme est véritablement enfanté par la Diaspora africaine. Ses premiers concepteurs sont en effet, les élites Noirs descendants des esclaves. Les Africains du continent ne rejoindront le mouvement qu’à la moitié du xxè siècle. Il peut être citer plusieurs noms aussi bien de la diaspora que du continent ; mais qu’il suffise que nous évoquions juste les principaux dont les pensées et actions ainsi que les différents congrès panafricains permettre de retracer l’itinéraire du panafricanisme jusqu’avant l’indépendance en 1957 du premier Etat noire ; le Ghana. « L’Afrique aux Africains » est le titre d’un livre écrit en 1895, curieusement par un pasteur britannique, BOOTH, en poste aux Nyassaland (Malawi). Ce livre influencera le nationaliste John CHILEMBWE qui après des études dans un séminaire aux Etats-Unis revient au Nyassaland ou il créa avec d’autres l’ « Union Chrétienne Africaine » en 1897 qui adopta justement le mot d’ordre « L’Afrique aux Africains »5. Cette organisation recevra le soutien des Noirs Sud- Africains comme Salomon KUMALO. -La première conférence panafricaine est organisée au seuil du xxè siècle, en juillet 1900 à Londres afin de susciter un élan de solidarité en faveurs des Noirs souffrant du colonialisme. Elle est organisée par Sylvester WILLIAMS avocat de Trinidad et est placée sous un double signe. D’abord celui de la religion puisque y participent des membres du clergé américain dont un représentant (l’évêque Alexander WALTERS) va présider la conférence. Le discours d’ouverture étant dit par l’évêque de Londres. Cette proximité ou même cette connexion avec la religion notamment chrétienne va être très présente dans les milieux et rencontres panafricains durant plusieurs pratiquement les deux premières décennies du xxè siècle. La conférence est incontestablement politique ; elle dénonce la politique britannique en pleine guerre des Boers en Afrique du Sud et l’intensification du racisme contre les Noirs dans ce pays et interpelle la Reine Victoria. La conférence à l ‘instar de celles qui la suivront jusqu’à l’après Seconde guerre mondiale, est dominée par la présence des Noirs de la Diaspora (vingt et quatre contre quatre représentants du continent). Cette première conférence enregistre la participation de celui qui allait être considéré comme le « père du panafricanisme » ; W.E.B. Du BOIS. Du BOIS est chargé d’adresser un message aux nations du monde au cours de la conférence Il déclare que « le problème crucial du xxè siècle est celui de couleur et de race, c’est à dire, les rapports entre les gens de la race blanche et ceux des races foncées »6. Du BOIS va porter un demi-siècle durant l’idéal panafricaine et 5 Joseph KI-ZERBO, op.cit, p 645. 6 Lansiné KABA, op. cit., p 46. 4 restera le personnage central de toutes les rencontres panafricaines jusqu’après la Seconde Guerre mondiale. Il fonde et anime l’Association Nationale pour la Promotion des gens de Couleur (NAACP). Aristocrate et analyste froid, son rôle de leadership intellectuel du mouvement panafricaniste va être appuyer par celui de leader du courant populaire joué par Marcus GARVEY ; quoique les deux personnalités de tempérament différent, sont fortement opposées. GARVEY, Jamaïcain d’origine, est avant tout, un fin organisateur des masses, tribun passionné et imprévisible. Il va populariser l’idéal panafricain dans les ghettos des villes et des campagnes des Etats-Unis. Son influence déborde jusqu’en Afrique occidentale et centrale et dans les milieux africains en Europe. Il prône avec son organisation l’Association Universelle pour la Promotion des Noirs, « le retour en Afrique » des esclaves affranchis. GARVEY et Du BOIS représentent deux dimensions du panafricanisme naissant. L’un, bouillant et radical leader, représente le courant populaire ; tant que l’autre, aristocrate et fin analyste, représente le courant intellectuel du mouvement. Le panafricanisme durant cette première conférence est dominé par la participation des Africains de la Diaspora, et est très proche des milieux religieux chrétiens ; mais aussi il est amorce déjà un élan politique en dénonçant la conditions des Noires des colonies -A la suite de cette première conférence se tiendra une autre à la fin de la Première Guerre mondiale en juillet 1919 à Paris où les Alliés vont discuter des modalités de la paix. En dépit des énormes tracasseries en leur encontre, les militants panafricanistes réussissent à faire le déplacement de Paris. Une quarantaine de délégués de la Diaspora rencontre une douzaine d’Africains de neuf pays présents en Europe. Cette deuxième conférence confirme l’anti-colonialisme certes encore timorée de la première. La conférence réclame la participation des colonisés aux affaires de leurs pays, ainsi que le droit à l’enseignement en faveurs de ceux-ci. Egalement l’établissement d’un « code de lois et un bureau international pour la protection des noirs » est demandé cependant que l’Afrique du Sud est encore indexée pour son occupation de la Namibie et le racisme contre des peuples Noirs. -A la troisième conférence qui se tiendra en 1921 à Londres, Bruxelles et Paris ; l’anti-colonialisme du mouvement monte d’un cran et explique d’ailleurs les déplacements de la conférence entre ces trois villes. Les capitales occidentales soupçonnent le mouvement de collusion avec le bolchevisme qui vient de parvenir au pouvoir en Russie à l’issue de la Révolution d’octobre 1917. A la suite de cette conférence une pétition écrite par Du BOIS sur l’apartheid est publiée comme document officiel par la Société des Nations. 5 -La quatrième rencontre tenue en à Londres et Lisbonne en 1926, se situe dans la même ligne en focalisant l’attention sur la situation en Afrique du Sud. -La cinquième conférence est celle de l’internationalisme et d’une radicalisation de l’inclinaison politique du mouvement. Le congrès quitte le vieux monde et se tient dans le nouveau ; à New York en août 1924. Il condamne l’exploitation des richesses africaines par les étrangers et la politique Etasunienne en Amérique centrale. Il réclame « L’Afrique aux Africains » et lance un appel bien panafricaniste aux dirigeants des Caraïbes à former une fédération pour assurer leur développement. Fait assez remarquable, le congrès remercie l’URSS pour sa politique anti-colonialiste et son soutien aux mouvements anti-colonialiste. -Le congrès de Manchester en octobre 1945 adopte le socialisme comme philosophie ; ce qui réjouit N’KRUMAH7 qui avec George PADMORE ont été la cheville ouvrière de cette conférence qui les consacre comme leaders panafricains de premier plan. Si GARVEY et Du BOIS forment un couple de leaders panafricains opposés, PADMORE et N’KRUMAH sont au contraire un binôme d’amis et de collaborateurs proches. Le premier journaliste de Trinidad et communiste va influencer largement le second qui allait devenir le leader panafricaniste le plus en vue sur le continent noir. A cette conférence les Africains du continent sont pour la première fois majoritaires mais il s’agit essentiellement de l’Afrique anglophone. On enregistre entre autre la présence de AKINTOLA, AWOLOWO, Jomo KENYATTA, Wallace JOHNSON, Hastings BANDA et de N’KRUMAH bien évidemment. Ceux-ci permettent d’orienter résolument les débats sur le colonialisme et la montée du nationalisme. Le congrès affirme ainsi dans un document officiel rédigé par Du BOIS et N’KRUMAH à l’adresse des « puissances impérialistes » ; la « détermination des peuples colonisés d’obtenir leur liberté » et dénoncent « le monopole du capital privé et l’emploi des richesses à des fins personnels »8. Les congressistes «adoptent le nationalisme panafricain pour réveiller la conscience populaire et créer un mouvement de masse en faveurs de l'indépendance »9. Ce congrès est donc celui de la mutation du contenu raciale du pan-nègrisme vers une affirmation et revendication politique précise. Cependant durant ce temps « l’idée pan-negriste restera confinée chez les Africains francophones essentiellement à la notion littéraire de la Négritude qui 7 Lansiné KABA, op. cit., p53 8 Ibid., p52. 9 Kwame N’Krumah, cité par Lansiné KABA, Ibid, p53 6 aboutira en 1956 au Premier Congrès mondial des Ecrivains et Artistes, réuni à la Sorbonne»10. Deux autres conférences allaient suivre mais désormais sur le continent africain en 1953 à Kumassi et en 1958 à Accra. La seconde se déroulait dans une phase de cristallisation politique » et d’offensive anti-coloniale. Le panafricanisme, parti de la conscience unitaire née chez les esclaves noires durant le « middle passage », va trouver dans les conditions sociales ségrégationnistes en Amérique l’humus de son éclosion et en Europe l’environnement de son expansion dans les milieux africains. Son retour sur le continent marque une phase de cristallisation politique » et d’offensive anti- coloniale. II- Le panafricanisme : « cristallisation politique et anti-colonialisme » Le panafricanisme sur le continent va traverser les gouvernements mais aussi les mouvements de masse. 1) le panafricanisme d’en haut Le panafricanisme rejoint la terre mère africaine avec l’accession à l’indépendance du premier Etat noir, le Ghana en 1957 sous le leadership d’un panafricaniste reconnu Kwame N’KRUMAH. Le mouvement panafricain marque alors un tournant décisif vers une « phase ascensionnelle de cristallisation politique et d’offensive contre le colonialisme »11. A la faveur du « choc inouï » qu’à constituer la Seconde Guerre mondiale, le panafricanisme va devoir donner une réponse politique à la colonisation séculaire de l’Afrique. Déjà le Congrès panafricain de Manchester en 1945, préludait cette cristallisation politique. Si le panafricanisme a réussi à donner l’image d’un mouvement unitaire durant toutes les grandes rencontres panafricaines au cours du demi-siècle en dépit de l’opposition GARVEY-Du BOIS ; la lutte sur le terrain politique en Afrique va présenter de fortes divergences de vue dans le courant panafricaniste. N’KRUMAH va mettre à profit l’indépendance nouvellement acquise de son pays, pour créer à Accra un carrefour offert aux hommes politiques et leaders 10 Joseph KI-ZERBO, op. cit., p 646. 11 Ibid., p 644. 7 des mouvements de masses africains. Les fêtes de l’Indépendance du pays rassemblent les représentants des Etats nouvellement indépendants et les déléguées des mouvements nationalistes. La préoccupation est de conduire l’ensemble de l’Afrique à l’indépendance ; mais reste l’interrogation centrale de l’unité avant l’indépendance ou le contraire. Cette question va constituer la première pomme de discorde entre leaders politiques africains. En janvier 1959 les leaders de quatre Etats (Dahomey, Haute-volta, Sénégal, Soudan) de l’Afrique Occidentale Française se rencontrent à Dakar pour baliser la voie de l’indépendance dans l’unité. Ils posent les jalons de la Fédération du Mali qui devrait s’articuler autour d’un pouvoir Exécutif fédéral avec un chef d’Etat et un chef de gouvernement (gouvernement composé de deux ministres par Etat), d’une Assemblée législative composée de douze députés par Etat élue pour un mandat de cinq ans, et d’un pouvoir Judiciaire incarné dans une cour fédérale indépendante de l’Exécutif et du Législatif. Mais le serment des fédéralistes n’allait résister pas à la diplomatie franco-ivoirienne. En effet le Conseil de l’Entente, considéré par nombre d’auteurs comme l’«’anti-Mali », est crée cinq mois plus tard à Abidjan avec le Dahomey, la Haute-Volta (qui se sont retirés de la Fédération du Mali), le Niger et la Côte d’Ivoire bien entendu. A la Fédération du Mali était « opposée » le Conseil de l’Entente qui n’est pas une fédération politique mais une organisation intergouvernementale de coordination. La nature différente de ces regroupements annonçait déjà une divergence de vue sur l’unité africaine. Cette divergence de vue se précise un peu plus à l’échelle continentale des à la seconde Conférence des Etats africains indépendants à Addis-Abeba en 1960. Bien que les conférenciers s’accordent sur la rupture des liens diplomatique avec le régime de l’apartheid et les actions contre celui-ci devant la Cour Internationale de Justice, ils s’opposent sur le sens à donner à la marche de l’Afrique vers son intégration. Le Ghana de N’KRUMAH propose l’unité politique que récusent la Côte d’Ivoire et le Libéria rejoint par le Nigeria. Ces derniers proposent la Coopération dans le cadre de structures comme des banques régionales. Cependant, c’est la crise qui s’installe au Congo dès les premières heures de l’indépendance qui va révéler au grand jour la division de l’Afrique. a) La crise congolaise : la fracture africaine Le Congo dès les premières années de son indépendance, est au cœur de la diplomatie africaine et constitue même un foyer ardent de la Guerre Froide. Quelle position l’Afrique va telle adopter dans la situation anarchique qui prévaut au Congo ? Soutenir LUMUMBA et ses camarades nationalistes partisans farouches de l’unité nationale ou au contraire se ranger du coté de KASAVUBU et des mouvements politiques ethniques et tribalistes ? La 8 question trouve deux réponses opposées qui dessinent une démarcation entre deux Afriques : une Afrique révolutionnaire, dure, ou militante qui opte pour le soutien à LUMUMBA et opposée à une Afrique modérée, molle ou une Afrique du « réalisme » qui soutient KASAVUBU. Cela correspond à deux visions de la marche de l’Afrique vers son unité ; deux panafricanismes opposés sur le contenu même de l’Unité. -En octobre 1960 sur l’initiative de président HOUPHOUET-BOIGNY, les pays du Conseil de l’Entente, de l’ex AEF (Afrique Equatoriale Française) en plus du Cameroun, du Sénégal et de la Mauritanie ; onze pays francophones en tout, se réunissent à Abidjan et décidèrent de soutenir KASSAVUBU. Ils adoptent également une « position souple » sur le problème algérien. En décembre 1960, le groupe est rejoint par Madagascar à Brazzaville ou ils créent l’Union Africaine et Malgache (U.A.M.) sur la base de principes clés dont la non-ingérence réciproque dans les affaires intérieures des pays, la coopération économique et la diplomatie concertée. Le désormais groupe de Brazzaville (plus tard successivement groupe de Monrovia et de Lagos), bloc francophone, est qualifier par le Mali de Modibo KEITA et la Guinée de Sékou TOURE de « survivance du colonialisme». Le groupe de Brazzaville va réagir à cette critique à la conférence de Monrovia en s’élargissant au-delà des zones linguistiques par l’arrivé le Nigeria, le Libéria, la Sierra Léone, la Somalie, la Libye, le Togo et la Tunisie. Pour ce bloc politique l’Unité ne signifie pas l’intégration politique mais « l’unité d’aspiration et d’action » et il insiste sur la non ingérence réciproque dans les affaires intérieures. -Face au groupe de Brazzaville ou de Monrovia ; l’Afrique dure se constitue en groupe de Casablanca. En janvier 1961, à l’invitation du Roi MOHAMED V, le Ghana, la Guinée et le Mali, discutent de la charte de Casablanca qui met en relief les problèmes politiques. Pour ce groupe il s’agit de « faire triompher les libertés dans toute l’Afrique, réaliser son unité et cela dans le cadre du non- alignement, de la liquidation du colonialisme et du néo-colonialisme sous toutes ses formes »12. Le groupe de Casablanca apporte son soutien à LUMUMBA même s’il est mis en minorité à l’ONU par le groupe de Brazzaville qui soutient avec les Etats- Unis KASSAVUBU. Des soldats ghanéens et guinéens combattront au coté des nationalistes congolais mais ces expéditions militaires finiront en queue de poisson. A l’instar du groupe des modérés, l’Afrique révolutionnaire s’organise et crée en avril 1961 à l’Union des Etats africains (Mali, Guinée, Ghana) qu’elle veut embryon des Etats-Unis d’Afrique. Mais en raison des structures nationales idéologiques et socio-économiques très élaborées et implantées dans ces pays et aussi de la personnalité très forte des leaders ; le groupe de Casablanca ne 12 Ibid., p 651. 9 connaît pas les mêmes réussites que son rival dans la pérennité de ses organisations. Pour l’Afrique militante, l’unité africaine n’est pas l’unité à tout les prix et pour n’importe qui. Elle signifie plutôt un regroupement anti-impérialiste sous une direction politique unique pour la libération et le progrès de l’Afrique. Les leaders du groupe de Casablanca sont très virulents vis à vis leurs pairs qu’ils traitent de néocolonialistes et de relais de l’impérialisme. Mais les leaders des mouvements d’opposition allaient s’opposer aux premiers notamment sur des débats stratégiques et tactiques. Pendant que les uns, sans responsabilités gouvernementales, optaient pour l’élimination des régimes réactionnaires, les autres, responsables d’Etats, estimaient nécessaires des compromis avec les Etats réactionnaires pour la liquidation du colonialisme en Afrique. Cette opposition entre les militants au pouvoir et les opposants révolutionnaires et une sorte de détente entre le groupe de Casablanca et celui de Monrovia annonçaient des fissures dans les deux blocs. En effet, le premier coup d’Etat militaire post colonial en Afrique, opéré contre le président Sylvanus OLYMPIO au Togo en janvier 1963 allait diviser l’Afrique au-delà de la ligne de démarcation entre les deux blocs. Le GHANA reconnaissait curieusement avec le Sénégal et le Dahomey le nouveau régime. Cependant que tout aussi curieusement la Côte d’Ivoire et le Nigeria partageaient la position de la Guinée en réclamant une enquête sur l’assassinat du président OLYMPIO. La real politique prenait le pas sur les clivages politico-idéologiques. La nouvelle donne favorisera la recherche d’un consensus politique continental en mai 1963 à Addis-Abeba. b) L’OUA : le compromis d’Addis-Abeba La Conférence d’Addis-Abeba qui se tient du 22 au 26 mai 1963, réussit la prouesse inédite de réunir une trentaine de chefs d’Etats et de gouvernements africains. L’Ethiopie soumet un projet de charte africaine qui doit remplacer les chartes de Lagos et de Casablanca. L’empereur Haîlé SELASSIE annonce les couleurs dans son discours d’ouverture. Il affirme l’impératif de la libération de tout le continent et tout en reconnaissant « que l’avenir du continent réside en dernier lieu dans une union politique » il ne nie pas les obstacles à l’intégration. Il affirme cependant avec fermeté : « Cette conférence ne peut pas se terminer sans l’adoption d’une charte unique. Nous ne pouvons pas nous séparer sans créer une seule organisation africaine »13. Il venait ainsi de condamner au consensus les participants. 13 Ibid., p 654. 10
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