ARCHIVES DÉPARTEMENTALES D’ILLE-ET-VILAINE Tony Vaccaro Photographies 1944-1945 2010 2 3 Avant-propos E n 1995, le Conseil général d’Ille-et-Vilaine organisait, en regard porté sur les événements est également empreint de partenariat avec le quotidien Ouest-France, une exposi- sensibilité et d’humanité pour ceux qui en ont été à la fois les tion consacrée aux photographies réalisées par le soldat acteurs et les victimes. américain Tony Vaccaro au cours de la campagne de la Libération, en 1944-1945. Cette manifestation, organisée dans le cadre du Des milliers de photographies prises par Tony Vaccaro, un grand cinquantenaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, mettait nombre ont disparu durant les opérations militaires, ce qui au jour une partie de la collection donnée au Département par donne d’autant plus de prix à celles qui sont présentées au- le photographe. jourd’hui. Alors que des conflits se déroulent toujours dans le monde, ces images montrent, par-delà les faits passés, le dé- Quinze ans plus tard, à la faveur des commémorations du 65e sastre des destructions ainsi que les vies brisées et perdues, anniversaire de la fin du conflit en Europe, la totalité de la col- contribuant ainsi à une prise de conscience collective plus que lection est cette fois-ci présentée au public. Les 129 clichés, jamais nécessaire —et au devoir de mémoire. dans leur diversité, constituent un ensemble exceptionnel à plus d’un titre. Il convient tout d’abord de souligner le grand intérêt J’adresse tous mes remerciements à Tony Vaccaro et à Dominique documentaire de ce travail, car c’est en témoin direct — et, si Monsaingeon, l’un de ses amis proches, pour avoir rendu possibles l’on peut dire, privilégié— que Vaccaro révèle la réalité du conflit cette publication et l’exposition qui y est associée. et le quotidien des combattants. C’est aussi en photographe déjà professionnel qu’il saisit l’instant le plus fugitif ou fait Jean-Louis Tourenne montre d’un sens inné de la composition de l’image. Enfin, ce Président du Conseil général d’Ille-et-Vilaine 4 5 Introduction M ichelantonio Vaccaro est né à Greensburgh, Pennsylva- Berlin, le GI Vaccaro multiplie les prises de vue, les approches et nie, en 1922. Son père a quitté l’Italie pour les États- les angles. Ses clichés montrent la réalité des combats, images Unis avant la Première Guerre mondiale, mais la famille soudaines où frappe la mort, instants suspendus de désolation et retourne dès 1926 dans le pays de ses origines, à Molines, au de destruction alors que le silence a fait suite au déchaînement de bord de l’Adriatique. À la suite de la disparition brutale de leurs la violence… Les photographies représentent aussi les moments parents, Tony et ses deux sœurs sont élevés par leur oncle; le de détente et de soulagement qui rythment le quotidien des jeune garçon mène une vie solitaire dans la campagne des troupes, la joie et la liesse partagées avec les populations libé- Abruzzes, entre une scolarité tardivement entreprise et de très rées. Vaccaro immortalise aussi avec humanité et empathie les longues courses à pied dans la poussière des sentiers. À l’aube camarades du rang qui l’entourent et dont il partage la vie, sans de la Seconde Guerre mondiale, Tony Vaccaro, citoyen améri- oublier les soldats de l’autre camp croisés au gré des opérations, cain, retourne aux États-Unis et poursuit ses études dans une aux visages marqués par la désillusion de la défaite. école de New Rochelle (État de New York), toujours aussi solitaire et isolé. C’est à la High School Isaac E. Youngqu’il découvrela À la fin des opérations militaires, Tony Vaccaro, démobilisé en photographie et commence son apprentissage, grâce au pro- septembre 1945, reste cependant en Allemagne où il travaille fesseur Lewis, muni du petit appareil moyen format dont il a notamment pour Weekend, supplément hebdomadaire du jour- fait l’acquisition. Ses premières réalisations sont des autopor- nal de l’armée américaine Stars and Stripes. En 1949, de retour traits, ainsi que des vues de grands personnages en carton-pâte, aux États-Unis, il rapporte du conflit un journal photographique installation de propagande antinazie au Rockefeller Center. En très précieux, un témoignage riche et sensible des années de cet hiver 1943, Vaccaro pose déjà un regard aiguisé et sensible guerre. Il poursuit sa carrière de photographe comme chef de sur un conflit qui lui paraît sans doute encore lointain, mais service du magazine Flair, travaille également pour d’autres pu- auquel il participera bientôt. blications comme Life, Look, Vogue ou Venture et les plus grandes revues de mode. Ses talents de portraitiste sont égale- L’attaque de la base navale de Pearl Harbour par l’armée japo- ment reconnus et très appréciés. Ses photographies ont fait naise le 7décembre 1941 marque l’entrée des États-Unis dans l’objet d’expositions dans le monde entier. la guerre. Tony Vaccaro est ainsi mobilisé à la fin de l’année 1943. C’est toute sa campagne, au cours de laquelle il a côtoyé le danger et la mort, qui fait l’objet des photographies présen- Claude Jeay tées dans cet ouvrage. Des plages de Normandie aux ruines de Directeur des Archives départementales 6 7 Un GI photographe U n GI dans un ba- le porta toujours dans le dos!). La bague de mise au point ne ré- taillon d’infanterie sista pas au choc. Sans bague de mise au point Tony dut trou- de l’armée améri- ver une astuce et même deux: avec une aiguille récupérée Dieu caine avait peu de loisirs sait où, il réussit à faire tourner le mécanisme portant l’objec- pendant la campagne de tif, mais il n’avait plus de repère de distance. Il étalonna 3feet 1944-1945. Même s’il (environ 90 cm) sur sa ceinture : c’était la distance minimale était PFC, c’est-à-dire de mise au point de son appareil. Quand celui-ci était vide, il soldat de 1re classe ouvrait le dos et mettait son œil à la place de la pellicule: ayant comme Tony Vaccaro. mis un repère à trois pieds de distance grâce à sa ceinture, avec Et pourtant, celui-ci a l’aiguille il tournait l’objectif jusqu’à avoir la netteté maximale trouvé le moyen non seu- et essayait de noter la position de la lentille! lement de faire « clic- Voilà pour l’appareil. clac » avec son appareil Pour les produits, le problème était chronique. Quand il pouvait photo mais surtout de trouver un appareil photo allemand, il « libérait » sa pellicule. résoudre tous les problèmes annexes au maniement d’un ap- Dans les ruines des villages normands ou bretons, il recherchait pareil. Trouver de la pellicule, trouver des produits, faire des les pancartes Kodak ou Agfa (il ignorait Lumière) et fouillait bains pour révéler et fixer, faire des tirages papier représen- dans les décombres à la recherche de papier photo et de produits tait une occupation importante qui passait forcément après chimiques. Comme il ignorait les équivalences DIN et ASA la vie quotidienne du combattant dont l’unité n’était pas en – cette dernière échelle de sensibilité était la seule qu’il deuxième ligne. connaissait– il devait tâtonner. La pellicule était beaucoup Sans raconter toutes les péripéties de l’appareil photo Argus plus rare que les produits. perdu en cours de voyage et miraculeusement récupéré avant Au moment où le 331earrivait aux abords de Saint-Malo, plus que Tony n’embarque dans le Liberty shipqui allait le déposer de pellicule du tout. Le capitaine Flemming commandant un à Omaha Beach, il faut quand même savoir que, dès le premier bataillon d’artillerie, le voyant totalement désemparé, passa un contact avec l’ennemi dans le bocage normand fin juin, Tony, message à un patrouilleur américain pour demander du film faisant connaissance avec les obus de 88 allemands, fit un plat- 35mm! ventre alors qu’il portait son appareil sur la poitrine (dès lors il Alors que le combat au bord de la Varde se poursuivait, le com- 8 mandant du patrouilleur fit mettre un canot à la mer et deux Pour le développement, il empruntait les casques lourds (en matelots vinrent déposer dans la nuit une boîte de films de acier) de quatre copains pour y préparer les bains, réservant son 100pieds. Vaccaro était sauvé. Mais ayant développé ses pre- propre casque à l’hyposulfite (à cause de l’odeur!). Son profes- mières photos avec cette pellicule aimablement fournie par seur de sciences à l’université l’avait initié aux premiers élé- l’US Navy, le résultat était catastrophique (voir la photo de ments du travail de labo photo; il se souvenait en gros des l’entrée à Paramé). Tony se demanda si ce n’était pas seule- dosages de produits et estimait les quantités «à la hauteur de ment l’amorce du film. Il fit plusieurs essais. Les 100 pieds la poudre au-dessus du bord de la cuillère ». C’était vraiment étaient inutilisables. Le capitaine Flemming reprit un contact une estimation «au chapeau». radio avec le patrouilleur… Celui-ci revenait de deux ans dans Il avait un carton garni de papier noir et une glace épaisse pour le Pacifique et la pellicule était envahie de moisissures. Enfin, faire des tirages papier par insolation directe. après une dernière navette nocturne d’un youyou, Vaccaro eut Voilà avec quels moyens du bord Tony Vaccaro a réalisé les pho- un petit stock de films utilisables. tos exceptionnelles que nous pouvons admirer aujourd’hui. Pour toute la campagne, de juin1944 à mai1945, il n’eut que Son appareil photo Argus ayant rendu l’âme, Vaccaro réussit à deux cartouches, ce qui l’obligeait à développer les films au fur retrouver le même appareil avec un numéro de série très voisin et à mesure pour pouvoir les recharger. À la fin de la guerre, les quand il rentra aux États-Unis après la guerre. Il l’a donné à la garnitures de velours des cartouches étaient tellement usées Ville de Saint-Briac à l’occasion d’une visite organisée par qu’il devait charger son appareil dans le noir! France3au début de l’année 1994. Dominique Monsaingeon
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