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Théorie du tube de dentifrice PDF

202 Pages·2018·1.69 MB·French
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COPYRIGHTS Théorie du tube de dentifrice Peter Singer Traduit de l’anglais par Anatole Pons Titre original : Ethics into action : Henry Spira and the animal rights movement (Ed. Rowman & Littlefield, 1998) ISBN (versions numériques) : 979-10-96906-09-3 © 2018. Editions Goutte d’Or. 5 rue de Tombouctou. 75018 PARIS www.editionsgouttedor.com Conception graphique : www.agencemiracle.com Versions eBooks réalisées par IS Edition via son label Libres d'écrire, Marseille. Tous droits de traduction et d’adaptation réservés. Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur, de ses ayants-droits, ou de l’éditeur, est illicite et constitue une contrefaçon, aux termes de l’article L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. NOTE DES ÉDITEURS En février 2017, les Éditions Goutte d’Or publient leur premier livre, Steak Machine, le récit d’une infiltration dans un abattoir industriel. Dans le sillage de la sortie, l’un de nous (Geoffrey) s’entretient avec Brigitte Gothière et Sébastien Arsac – fondateurs de l’association de défense des animaux L214 – en vue d’écrire le portrait de ces deux activistes pour un hors-série du Canard enchaîné1. Leur trajectoire ressemble à un conte moderne. Le couple d’anarchistes a débuté sa lutte en vendant des sandwichs au pâté végétal dans des squats. Dix ans plus tard, Brigitte et Sébastien dirigent l’une des associations les plus influentes de France, en témoignent les millions de vues générées par leurs vidéos sur les réseaux sociaux, leurs 50 employés, leurs victoires contre l’industrie agroalimentaire (telle la fin programmée des poules élevées en batterie) ou encore les quelque trois millions d’euros de dons récoltés en 2017. D’où cette question posée au couple : « Quel est votre truc pour être aussi efficaces ? » Brigitte livre cette réponse intrigante : « Notre “truc”, ce sont les méthodes d’Henry Spira. » D’origine belge, Henry Spira fuit l’Allemagne nazie avec sa famille en 1938, à l’âge de 11 ans. Quelques années plus tard, il émigre aux États-Unis. Il devient d’abord marin, puis syndicaliste et enfin activiste à temps plein. Successivement inspiré par les socialistes, les anarchistes et Martin Luther King, ce défenseur des travailleurs et des Noirs américains se mue, à 45 ans, en militant de la cause animale. Or, il se trouve qu’un homme a écrit une biographie d’Henry Spira. Il s’agit de l’Australien Peter Singer, classé en 2005 par Time Magazine comme le philosophe vivant le plus influent au monde. Son ouvrage La Libération animale a été traduit dans une trentaine de pays et vendu à près d’un million d’exemplaires. À la lecture de cette biographie titrée Ethics Into Action, nous sommes immédiatement séduits par le pragmatisme et l’état d’esprit de Spira. À travers son histoire se dégagent des méthodes pour transformer, dans un même mouvement, le monde et sa propre personne : toujours privilégier le dialogue à la confrontation ; proposer une alternative crédible à ce que l’on dénonce ; ne jamais tromper les médias ou le public ; ne pas diviser le monde entre les saints et les pécheurs ; éviter l’entre-soi du militantisme… « Son travail, résume Peter Singer, peut nous enseigner comment transformer nos positions morales en actions, afin qu’elles puissent avoir un impact sur le monde. » Clara voit immédiatement dans ce livre une source d’inspiration concrète pour tout type d’activisme, à commencer par le féminisme. Johann, lui, estime que l’ouvrage est la pierre manquante du militantisme à la française. Quant à Geoffrey, il se met à évaluer les actions politiques et militantes en se demandant si elles sont « Spira » ou « pas Spira ». Le 5 avril 2017, nous envoyons un mail à Peter Singer pour savoir si les droits de traduction en français sont libres. Le jour même, nous découvrons deux messages du philosophe. Le premier commence par le mot « happy », le second nous met en contact avec son éditrice américaine de chez Rowman & Littlefield. Dans la foulée, nous présentons le livre à notre traducteur Anatole Pons et la semaine suivante, voilà Ethics Into Action en chemin pour devenir Théorie du tube de dentifrice. Le 12 septembre 1998, Spira s’est éteint à 71 ans, dans son appartement new- yorkais. Deux ans plus tôt, un journaliste du New York Times écrivait2 à son sujet : « Tout l’élan du mouvement qu’Henry a créé repose sur ses épaules. Si Henry disparaît demain, il sera intéressant de voir ce qui aura survécu, ce qui sera étouffé dans l’œuf, ce qui sera perdu faute d’une personne prête à reprendre le flambeau. » La réponse de Peter Singer à cette inquiétude fut d’écrire cet ouvrage. À la fois biographie et manifeste, son livre est la preuve qu’un individu seul peut déplacer des montagnes. Geoffrey Le Guilcher, Clara Tellier Savary et Johann Zarca « Si vous repérez une situation injuste, vous devez faire quelque chose. » Henry Spira PRÉFACE Le 15 avril 1980, le New York Times diffuse une publicité saisissante en pleine page. Au milieu de la page, la photo d’un lapin blanc avec des bandages sur ses deux yeux, à côté de deux ballons de laboratoire. En haut de la page, trois lignes en gros caractères noirs posent une simple question : « Combien de lapins aveuglés par Revlon pour des produits de beauté ? » Le texte commence sous la photo : Imaginez que quelqu’un vous mette la tête dans un carcan. Alors que vous regardez devant vous, impuissant, incapable de vous défendre, on vous tire la tête en arrière. On vous saisit la paupière inférieure. Puis on vous verse des produits chimiques dans l’œil. Vous avez mal. Vous hurlez et vous gigotez en vain. Aucune fuite possible. Voilà le test de Draize. Le test qui mesure la dangerosité des agents chimiques par les dommages infligés aux yeux non protégés de lapins conscients. Le test que Revlon et d’autres entreprises de cosmétiques appliquent de force sur des milliers de lapins pour tester leurs produits. La publicité donne le compte précis des lapins utilisés par Revlon. Elle cite des scientifiques qui affirment que le test n’est pas fiable et qu’il est possible de développer des solutions de rechange sans recourir à des animaux. Le lecteur est ensuite invité à écrire au président de Revlon pour lui faire savoir qu’il n’utilisera plus de produits Revlon jusqu’à ce que la marque finance la recherche non testée sur les animaux pour mesurer les risques d’irritation oculaire. À la parution de cette publicité, Roger Shelley est le vice-président de Revlon chargé des relations avec les investisseurs. Il dira plus tard : Je savais que l’action allait chuter ce jour-là. Mais je savais surtout que nous avions un problème autrement plus important qui pouvait non seulement affecter la valeur du titre en bourse un jour donné, mais aussi atteindre le cœur de la société. De fait, si on ne traitait pas le problème avec le plus grand sérieux, il pourrait avoir un effet suffisamment délétère pour éliminer Revlon des comptoirs des pharmacies et des supermarchés. Shelley se voit rapidement confier la mission peu enviable de prendre le problème en main. Lui, le représentant d’une corporation qui joue de son image sophistiquée, avec sa voix posée, sa mise soignée et ses costumes élégants, se retrouve face à Henry Spira, un professeur de lycée new-yorkais à la chevelure broussailleuse qui parle avec un fort accent hérité de ses années sur les bateaux de la marine marchande et sur la chaîne de montage de General Motors dans le New Jersey. Shelley voit que les vêtements d’Henry sont froissés, qu’il porte rarement une cravate et que, lorsqu’il en porte une, il semble incapable de l’ajuster à son col. Mais ce n’est pas tout ce qu’il remarque : « Il n’y avait pas une once de produit sur son corps qui provenait d’un animal, et cela incluait sa ceinture, ses chaussures, tout (…). C’était un homme qui faisait ce qu’il disait qu’il allait faire. » Le fait de vivre en accord avec vos principes peut-il vous aider à gagner une bataille contre une multinationale évaluée à des milliards de dollars ? Existe-t-il un affrontement plus inégal que celui qui oppose un professeur de lycée opérant depuis son propre appartement à la figure de proue de l’industrie cosmétique ? En réalité, il suffit de se pencher sur les antécédents d’Henry pour ne pas sous- estimer ses chances de succès. À cette époque, il s’est déjà mesuré au directeur du FBI, J. Edgar Hoover, à des leaders syndicaux corrompus et à leurs hommes de main, à l’auguste musée d’Histoire naturelle de New York et à l’assemblée de l’État de New York. Il ne parvient pas toujours à ses fins, mais il se montre de plus en plus efficace. L’affaire Revlon va le confirmer. Avant la fin de l’année, Revlon accepte de faire une donation de 750 000 dollars à la Rockefeller University pour un projet de recherche sur trois ans visant à trouver des substituts non animaux au test de cosmétiques sur les yeux des lapins. C’est la première étape avant de faire figurer l’inscription « non testé sur des animaux » sur les produits cosmétiques. Au moment où Henry s’attelle au problème, les associations antivivisection font campagne depuis plus d’un siècle contre les expériences sur des animaux sans avoir le moindre impact. Tout le monde les voit comme une bande d’hurluberlus. Tandis qu’ils distribuent leurs tracts condamnant les expérimentations animales, le nombre d’animaux utilisés pour la recherche est passé de quelques centaines par an à un nombre estimé à vingt millions. Or, lors de sa toute première campagne, Henry met un terme à une série d’expériences parmi lesquelles figure l’étude du comportement sexuel de chats mutilés. De là, il poursuit en s’en prenant à des organisations comme Revlon, Avon, Bristol- Myers, la Food and Drug Administration3 et Procter & Gamble. Passant ensuite à la question encore plus délicate de la souffrance des animaux utilisés à des fins alimentaires, il prend pour cible l’éleveur de volaille Frank Perdue, plusieurs grandes entreprises d’abattage, le ministère de l’Agriculture et McDonald’s. En vingt ans, ses méthodes de campagne uniques ont fait davantage pour réduire la souffrance animale qu’aucune autre action entreprise au cours des cinquante années précédentes par des organisations bien plus larges, disposant de millions de dollars. Indirectement, j’ai joué un rôle dans ces événements. C’est mon article « Animal Liberation » [La Libération animale] paru dans la New York Review of Books en 1973 qui a poussé Henry à réfléchir sérieusement au fait que les animaux constituaient un groupe ayant besoin que quelqu’un agisse en son nom. Plus efficacement que quiconque, il a façonné à partir de mes idées une arme pour réduire la douleur et les souffrances que subissent les animaux. J’ai écrit ce livre pour montrer comment il s’y est pris. Le récit des campagnes menées par Henry tout au long de sa vie peut servir de manuel aux militants de la cause animale ainsi qu’à quiconque se soucie d’éthique au sens large. Mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle je trouve que la vie d’Henry mérite d’être racontée. Elle offre un contre-exemple à deux postulats répandus et démoralisants sur ce que nous sommes en mesure de faire de notre existence. Le premier de ces postulats est que la société est devenue trop vaste et trop complexe pour qu’un individu puisse changer les choses – à moins peut-être que cet individu ne dispose de richesses extraordinaires ou qu’il ne parvienne à la direction d’une organisation majeure. Après tout, nos sociétés sont constituées de dizaines ou de centaines de millions de personnes. Nos gouvernements sont assujettis à la bureaucratie et à la peur de perdre des voix aux prochaines élections. Les multinationales, avec leurs milliards de dollars de profits annuels et leur gigantesque budget publicité, exercent un pouvoir si formidable sur l’opinion publique que les associations de consommateurs ne peuvent espérer rivaliser. Dès lors, comment un individu seul peut-il faire advenir un réel changement ? Pour triompher de Revlon, Henry n’a pas eu besoin de beaucoup d’argent ni du soutien d’une vaste organisation. Il s’est appuyé sur les enseignements tirés de quatre décennies à travailler aux côtés des faibles et des exploités, à s’inspirer d’autres stratégies ayant fait leurs preuves et à les reproduire. Ces connaissances- là sont source de pouvoir. Elles peuvent être transmises à d’autres qui les utiliseront de la même manière, en y apportant leur grain de sel et en les adaptant aux circonstances. Le deuxième postulat décourageant mais très répandu duquel la vie d’Henry constitue un contre-exemple est que nos vies sont essentiellement vides de sens. Les croyances religieuses étant aujourd’hui largement discréditées, il semble que nous ne puissions tirer nos valeurs que des présupposés de la culture qui nous entoure. Notre culture étant basée sur une course effrénée à la consommation et à la dépense, nous partons du principe que la poursuite de nos intérêts propres est le seul objectif raisonnable, et nous comprenons nos intérêts propres en termes étroitement matérialistes. Dans cette quête de richesse matérielle, certains réussissent et d’autres échouent. Ceux qui échouent et qui trouvent que leur vie n’est pas épanouissante partent (assez naturellement) du principe qu’ils sont malheureux parce qu’ils ne sont pas riches. Or le plus remarquable est que ceux qui parviennent à acquérir des richesses sont souvent aussi peu épanouis que les autres. Henry n’est pas religieux et il est dépourvu de la plupart des possessions matérielles que beaucoup d’entre nous considèrent comme essentielles. Pourtant, il trouve la vie épanouissante et agréable. Au fil des années, lorsque j’ai séjourné dans son appartement new-yorkais à loyer modéré, je ne l’ai jamais vu blasé, déprimé ou désœuvré. Au contraire de nombreux New-Yorkais de ma connaissance, il n’est jamais allé voir de psychanalyste ou autre thérapeute. Je n’avais pas réalisé à quel point c’était un fait remarquable jusqu’à apprendre, lors de mes recherches pour ce livre, que sa mère avait souffert de troubles mentaux pendant l’essentiel de sa vie et que, sur les cinq membres de sa famille nucléaire, trois avaient tenté de mettre fin à leurs jours, dont deux avec succès. Dès lors, la vie d’Henry nous montre comment trouver un sens à notre existence tout en conservant nos valeurs. À une époque où les gens que nous admirons sont mannequins, sportifs, millionnaires autodidactes ou stars de cinéma, nous avons besoin de modèles différents. Henry en est un. Mais ce n’est pas tout. Le travail d’Henry peut nous enseigner comment faire de nos positions morales plus que de simples mots – comment les transformer en actions, afin qu’elles puissent avoir un impact sur le monde. Difficile d’imaginer un projet plus essentiel. CHAPITRE 1 : LES PRÉMICES C’est comme de rassembler les pièces d’un grand ouvrage. Mais l’ouvrage doit suivre, sans quoi l’expérience préliminaire sera perdue. Jusqu’à maintenant, ça a été une vie riche, mais c’était comme le premier acte d’une pièce, les prémices. Margit Spira, lettre à Henry Spira, 1954 LES RACINES EUROPÉENNES Henry Spira naît à Anvers, en Belgique, en juin 1927. Il est le premier enfant de Maurice et Margit. La famille est juive, les deux grands-pères d’Henry sont des érudits rabbiniques. En plus de son nom français (écrit « Henri »), il reçoit un nom hébreu, Noah, celui de son arrière-grand-père. Ses parents auront ensuite deux filles : Renée, cinq ans après sa naissance, et Susan, quatorze ans plus tard. Maurice Spira est né en Belgique de parents immigrés, arrivés vers la fin du xixe siècle. Le père de Maurice est originaire de Pologne et sa mère de Hongrie. Aîné de dix enfants, Maurice travaille avec son père dans le commerce de diamants. Henry décrit la vision du monde de son père comme « cynique, quelque peu nihiliste ». Sa mère dira plus tard que l’enseignement de Maurice à son fils était : « Rien ne vaut la peine, personne n’est bon. Les seules valeurs positives sont le succès et l’argent4 ». Henry, lui, voit son père différemment avec le recul : un esprit indépendant, si écrasé par les circonstances et les traditions qu’il n’était pas en mesure de tirer beaucoup de plaisir de la vie. La mère d’Henry est née en Hongrie. Quand elle est encore enfant, la famille déménage en Allemagne, où son père, Samuel Spitzer, devient grand rabbin de Hambourg. Elle fait des études pour devenir institutrice et commence même à enseigner comme stagiaire, mais à l’âge de 20 ans elle épouse Maurice Spira, part en Belgique et arrête définitivement de travailler. Le mariage, conformément à la tradition juive, est arrangé par une entremetteuse. La vision du monde de Margit contraste avec celle de Maurice. Dans une longue lettre qu’elle adresse à Henry en 1954, elle écrit : « Je continue de croire à la part de bien chez les hommes. Peut-être suis-je naïve, comme le dit papa ; peut-être est- il plus réaliste. » La suite de la lettre suggère à Henry qu’il tient d’elle sa croyance dans la possibilité de changer les gens. Henry, cependant, est tout sauf

Description:
"À une époque où les gens que nous admirons sont mannequins, sportifs, millionnaires ou stars de cinéma, nous avons besoin de modèles différents. Henry Spira en est un." Seul et sans organisation, Henry Spira a fait plier des géants comme McDonald's, le puissant directeur du FBI John Edgar Ho
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