ALPHONSE DAUDET TARTARIN SUR LES ALPES Nouveauxexploitsduhérostarasconnais ALPHONSE DAUDET TARTARIN SUR LES ALPES Nouveauxexploitsduhérostarasconnais 1885 Untextedudomainepublic. Uneéditionlibre. ISBN—978-2-8247-0611-5 BIBEBOOK www.bibebook.com À propos de Bibebook : Vousavezlacertitude,entéléchargeantunlivresurBibebook.comde lireunlivredequalité: Nous apportons un soin particulier à la qualité des textes, à la mise en page, à la typographie, à la navigation à l’intérieur du livre, et à la cohérenceàtraverstoutelacollection. Les ebooks distribués par Bibebook sont réalisés par des bénévoles del’AssociationdePromotiondel’EcritureetdelaLecture,quiacomme objectif:lapromotiondel’écritureetdelalecture,ladiffusion,laprotection, laconservationetlarestaurationdel’écrit. Aidez nous : Vouspouveznousrejoindreetnousaider,surlesitedeBibebook. http://www.bibebook.com/joinus Votreaideestlabienvenue. Erreurs : Sivoustrouvezdeserreursdanscetteédition,mercidelessignalerà: [email protected] Télécharger cet ebook : http://www.bibebook.com/search/978-2-8247-0611-5 Credits Sources: — FayardFrères — BibliothèqueÉlectroniqueduQuébec Ontcontribuéàcetteédition: — Association de Promotion de l’Ecriture et de la Lecture Fontes: — PhilippH.Poll — ChristianSpremberg — ManfredKlein Licence Letextesuivantestuneœuvredudomainepublicédité souslalicenceCreativesCommonsBY-SA Except where otherwise noted, this work is licensed under http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/ Lirelalicence CetteœuvreestpubliéesouslalicenceCC-BY-SA,cequi signifie que vous pouvez légalement la copier, la redis- tribuer,l’envoyeràvosamis.Vousêtesd’ailleursencou- ragéàlefaire. Vous devez attribuer l’œuvre aux différents auteurs, y comprisàBibebook. I CHAPITRE Apparition au Rigi-Kulm. - i? - Ce qu’on dit autour d’une table de six cents couverts. - Riz et pruneaux. - Un bal improvisé. - L’inconnu signe son nom sur le registre de l’hôtel. - P. C. A. L 10 1880, à l’heure fabuleuse de ce coucher de soleil sur les Alpes, si fort vanté par les guides Joanne et Baedeker, un brouillard jaune hermétique, compliqué d’une tourmente de neigeenblanchesspirales,enveloppaitlacimeduRigi(Reginamontium) et cet hôtel gigantesque, extraordinaire à voir dans l’aride paysage des hauteurs,ceRigi-Kulmvitrécommeunobservatoire,massifcommeune citadelle,oùposepourunjouretunenuitlafouledestouristesadorateurs dusoleil. Enattendantlesecondcoupdudîner,lespassagersdel’immenseet 1 TartarinsurlesAlpes ChapitreI fastueuxcaravansérail,morfondusenhautdansleschambresoupâmés surlesdivansdessalonsdelecturedanslatiédeurmoitedescalorières allumés,regardaient,àdéfautdessplendeurspromises,tournoyerlespe- titesmoucheturesblanchesets’allumerdevantleperronlesgrandslam- padairesdontlesdoublesverresdepharesgrinçaientauvent. Montersihaut,venirdesquatrecoinsdumondepourvoircela…Ô Baedeker!… Soudainquelquechoseémergeadubrouillard,s’avançantversl’hôtel avecuntintementdeferrailles,uneexagérationdemouvementscausée pard’étrangesaccessoires. Àvingtpas,àtraverslaneige,lestouristesdésœuvrés,lenezcontre lesvitres,lesmissesauxcurieusespetitestêtescoifféesengarçons,prirent cetteapparitionpourunevacheégarée,puispourunrétameurchargéde sesustensiles. Àdixpas,l’apparitionchangeaencoreetmontral’arbalèteàl’épaule, lecasqueàvisièrebaisséed’unarcherdumoyenâge,encoreplusinvrai- semblableàrencontrersurceshauteursqu’unevacheouqu’unambulant. Au perron, l’arbalétrier ne fut plus qu’un gros homme, trapu, râblé, quis’arrêtaitpoursouffler,secouerlaneigedesesjambièresendrapjaune commesacasquette,desonpasse-montagnetricoténelaissantguèrevoir duvisagequequelquestouffesdebarbegrisonnanteetd’énormeslunettes vertes,bombéesenverresdestéréoscope.Lepiolet,l’alpenstock,unsac sur le dos, un paquet de cordes en sautoir, des crampons et crochets de feràlaceintured’uneblouseanglaiseàlargespattescomplétaientlehar- nachementdeceparfaitalpiniste. SurlescimesdésoléesduMont-BlancouduFinsteraarhorn,cettete- nued’escaladeauraitsemblénaturelle;maisauRigi-Kulm,àdeuxpasdu chemindefer! L’Alpiniste,ilestvrai,venaitducôtéopposéàlastation,etl’étatde sesjambièrestémoignaitd’unelonguemarchedanslaneigeetlaboue. Unmomentilregardal’hôteletsesdépendances,stupéfaitdetrouver àdeuxmillemètresau-dessusdelamerunebâtissedecetteimportance, desgaleriesvitrées,descolonnades,septétagesdefenêtresetlelargeper- rons’étalantentredeuxrangéesdepotsàfeuquidonnaientàcesommet demontagnel’aspectdelaplacedel’Opéraparuncrépusculed’hiver. 2 TartarinsurlesAlpes ChapitreI Mais si surpris qu’il pût être, les gens de l’hôtel le paraissaient bien davantage, et lorsqu’il pénétra dans l’immense antichambre, une pous- séecurieusesefitàl’entréedetouteslessalles:desmessieursarmésde queuesdebillard,d’autresavecdesjournauxdéployés,desdamestenant leur livre ou leur ouvrage, tandis que tout au fond, dans le développe- mentdel’escalier,destêtessepenchaientpar-dessuslarampe,entreles chaînesdel’ascenseur. L’hommedithaut,trèsfort,d’unevoixdebasseprofonde,un«creux duMidi»sonnantcommeunepairedecymbales: «Coquindebonsort!Envoilàuntemps!…» Ettoutdesuiteils’arrêta,quittasacasquetteetseslunettes. Ilsuffoquait. L’éblouissement des lumières, le chaleur du gaz, des calorières, en contrasteaveclefroidnoirdudehors,puiscet appareilsomptueux,ces hautsplafonds,cesportierschamarrésavec«reginamontium»enlettres d’or sur leurs casquettes d’amiraux, les cravates blanches des maîtres d’hôteletlebataillondesSuissessesencostumesnationauxaccourusur uncoupdetimbre,toutcelal’étourdituneseconde,pasplusd’une. Ilsesentitregardéet,sur-le-champ,retrouvasonaplomb,commeun comédiendevantleslogespleines. «Monsieurdésire?…» C’était le gérant qui l’interrogeait du bout des dents, un gérant très chic,jaquetterayée,favorissoyeux,unetêtedecouturierpourdames. L’Alpiniste,sanss’émouvoir,demandaunechambre,«unebonnepe- titechambre,aumoins»,àl’aiseaveccemajestueuxgérantcommeavec unvieuxcamaradedecollège. Ilfutparexemplebienprèsdesefâcherquandlaservantebernoise, quis’avançaitunbougeoiràlamain,touteraidedanssonplastrond’or et les bouffants de tulle de ses manches, s’informa si monsieur désirait prendrel’ascenseur.Lapropositiond’uncrimeàcommettrenel’eûtpas indignédavantage. —Unascenseur,àlui!…àlui!… Etsoncri,songeste,secouèrenttoutesaferraille. Subitement radouci, il dit à la Suissesse d’un ton aimable : « Pedi- bussecumjambisse,mabellechatte…»etilmontaderrièreelle,sonlarge 3 TartarinsurlesAlpes ChapitreI dostenantl’escalier,écartantlesgenssursonpassage,pendantquepar toutl’hôtelcouraituneclameur,unlong«Qu’est-cequec’estqueça?» chuchotédansleslanguesdiversesdesquatrepartiesdumonde.Puisle secondcoupdudînersonna,etnulnes’occupaplusdel’extraordinaire personnage. Unspectacle,cettesalleàmangerduRigi-Kulm. Six cents couverts autour d’une immense table en fer à cheval où des compotiers de riz et de pruneaux alternaient en longues files avec des plantes vertes, reflétant dans leur sauce claire ou brune les petites flammesdroitesdeslustresetlesdoruresduplafondcaissonné. Commedanstouteslestablesd’hôtesuisses,cerizetcespruneauxdi- visaientledînerendeuxfactionsrivales,etrienqu’auxregardsdehaine oudeconvoitisejetésd’avancesurlescompotiersdudessert,ondevinait aisément à quel parti les convives appartenaient. Les Riz se reconnais- saientàleurpâleurdéfaite,lesPruneauxàleursfacescongestionnées. Cesoir-là,lesderniersétaientenplusgrandnombre,comptaientsur- toutdespersonnalitésplusimportantes,descélébritéseuropéennes,telles quelegrandhistorienAstier-Réhu,del’Académiefrançaise,lebaronde Stoltz,vieuxdiplomateaustro-hongrois,lordChipendale(?),unmembre duJockey-Clubavecsanièce(hum!hum!),l’illustredocteur-professeur Schwanthaler, de l’Université de Bonn, un général péruvien et ses huit demoiselles. ÀquoilesRiznepouvaientguèreopposercommegrandesvedettes qu’unsénateurbelgeetsafamille,MmeSchwanthaler,lafemmedupro- fesseur,etunténoritalienretourdeRussie,étalantsurlanappedesbou- tonsdemanchetteslargescommedessoucoupes. C’est ce double courant opposé qui faisait sans doute la gêne et la raideur de la table. Comment expliquer autrement le silence de ces six cents personnes, gourmées, renfrognées, méfiantes, et le souverain mé- prisqu’ellessemblaientaffecterlesunespourlesautres?Unobservateur superficiel aurait pu l’attribuer à la stupide morgue anglo-saxonne qui, maintenant,partouspaysdonneletondumondevoyageur. Mais non! Des êtres à face humaine n’arrivent pas à se haïr ainsi à première vue, à se dédaigner du nez, de la bouche et des yeux faute de présentationpréalable.Ildoityavoirautrechose. 4 TartarinsurlesAlpes ChapitreI RizetPruneaux,jevousdis.Etvousavezl’explicationdumornesi- lence pesant sur ce dîner du Rigi-Kulm qui, vu le nombre et la variété internationaledesconvives,auraitdûêtreanimé,tumultueux,commeon sefigurelesrepasaupieddelatourdeBabel. L’Alpiniste entra, un peu troublé devant ce réfectoire de chartreux enpénitencesousleflamboiementdeslustres,toussabruyammentsans quepersonneprîtgardeàlui,s’assitàsonrangdederniervenu,aubout delasalle.Défublémaintenant,c’étaituntouristecommeunautre,mais d’aspectplusaimable,chauve,bedonnant,labarbeenpointeettouffue, lenezmajestueux,d’épaissourcilsférocessurunregardbonenfant. RizouPruneau?onnesavaitencore. Àpeineinstallé,ils’agitaavecinquiétude,puisquittantsaplaced’un bond effrayé : « Outre!… un courant d’air!… » dit-il tout haut, et il s’élançaversunechaiselibre,rabattueaumilieudelatable. Il fut arrêté par une Suissesse de service, du canton d’Uri, celle-là, chaînettesd’argentetguimpeblanche: «Monsieur,c’estretenu…» Alors,delatable,unejeunefilledontilnevoyaitquelachevelureen blonds relevés sur des blancheurs de neige vierge dit sans se retourner, avecunaccentd’étrangère: «Cetteplaceestlibre…monfrèreestmalade,ilnedescendpas. —Malade?demandal’Alpinisteens’asseyant,l’airempressé,presque affectueux…Malade?Pasdangereusementaumoins?» Ilprononçait«aumouain»,etlemotrevenaitdanstoutessesphrases avecquelquesautresvocablesparasites«hé,qué,té,zou,vé,vaï,allons, etautrement,différemment»,quisoulignaientencoresonaccentméri- dional, déplaisant sans doute pour la jeune blonde, car elle ne répondit queparunregardglacé,d’unbleunoir,d’unbleud’abîme. Le voisin de droite n’avait rien d’encourageant non plus; c’était le ténoritalien,fortgaillardaufrontbas,auxprunelleshuileuses,avecdes moustachesdematamorequ’ilfrisaitd’un doigtfuribond,depuisqu’on l’avaitséparédesajolievoisine. Mais le bon Alpiniste avait l’habitude de parler en mangeant, il lui fallaitcelapoursasanté. 5
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