SurréaliSme et politique – politique du SurréaliSme aVaNt-Garde CritiCal StudieS 22 editor Klaus Beekman associate editors Sophie Berrebi, Ben rebel, Jan de Vries, Willem G. Weststeijn international advisory Board Henri Béhar, Hubert van den Berg, peter Bürger, ralf Grüttemeier, Hilde Heinen, leigh landy Founding editor Fernand drijkoningen† SurréaliSme et politique – politique du SurréaliSme édité par Wolfgang asholt et Hans t. Siepe amsterdam - New York, NY 2007 the editors were unable to determine and acknowledge the copyright ownership of the cover photograph, “la révolution surréaliste” from 1924. Should authorisation be required, copyright owners may contact the editors. Cover design: aart Jan Bergshoeff all titles in the avant-Garde Critical Studies series (from 1999 onwards) are available to download from the ingenta website http://www.ingenta.com the paper on which this book is printed meets the requirements of “iSo 9706: 1994, information and documentation - paper for documents - requirements for permanence”. iSBN: 978-90-420-2296-6 editions rodopi B.V., amsterdam - New York, NY 2007 printed in the Netherlands TABLE DES MATIÈRES Wolfgang Asholt / Hans T. Siepe Introduction: Défense et illustration du surréalisme politique et de la politique du surréalisme 7 1. Le surréalisme entre la politique et le politique Carole Reynaud Paligot Ambitions et désillusions politiques du surréalisme en France (1919-1969) 27 Sven Spieker La bureaucratie de l’inconscient. Le début du surréalisme dans le bureau 35 Karl Heinz Bohrer Mythologie et non Révolution 45 Peter Bürger De la nécessité de l’engagement surréaliste et de son échec 57 Jacqueline Chénieux-Gendron Breton, Arendt: Positions politiques, ou bien responsabilité et pensée politique? 73 2. Politiques des surréalistes et politique du surréalisme Élena Galtsova Le politique et le théâtre surréaliste 97 Michael Sheringham Subjectivité et politique chez Breton 107 Sjef Houppermans René Crevel: politique, littérature et suicide 121 Irène Kuhn „L’effervescence du grand écart“. Maxime Alexandre ou l’impossible conciliation 135 Claude Bommertz „Que le vide explose où chavirent les soleils!“: le lecteur du poème automatique et l’expérience de la „Nuit des éclairs“ chez André Breton, Tristan Tzara, José Ensch et Anise Koltz 151 Hans T. Siepe „Ne visitez pas l’Exposition Coloniale“ – quelques points de repères pour aborder l’anticolonialisme des surréalistes 169 Effie Rentzou „Dépayser la sensation“: surréalisme ailleurs – repenser le politique 181 Henri Béhar Le droit à l’insoumission. Le surréalisme et la guerre d’Algérie 197 3. Positions politiques après le surréalisme José Vovelle Politique et/ou esthétique de deux post-magrittiens: Mariën et Broodthaers 217 Andreas Puff-Trojan L’art considéré comme „art de la guérison“. L’aura de l’objet trouvé chez André Breton, Joseph Beuys, Hermann Nitsch et Rudolf Schwarzkogler 235 Wolfgang Asholt La „vente Breton“ ou le fantôme du surréalisme 249 Adresses des auteurs 265 DÉFENSE ET ILLUSTRATION DU SURRÉALISME POLITIQUE ET DE LA POLITIQUE DU SURRÉALISME Wolfgang Asholt / Hans T. Siepe Dans une conférence restée célèbre, le 20 décembre 1945 à Haïti, Breton s’était montré convaincu que le mouvement surréaliste avait „répondu historiquement à la nécessité de réajustement de la condition humaine sous deux aspects: matériel et spirituel, dont mes amis et moi avons très vite aperçu la compénétration.“ (Breton 1999: 153) Vers la fin de son discours, il citait Blanchot qui venait de publier ses „Ré- flexions sur le surréalisme“ où il avait posé la question rhétorique: Comment la poésie se désintéresserait-elle de la révolution sociale? [...] car grâce à elle, elle comprend qu’il n’y a vraiment d’existence et de valeurs poétiques qu’au moment où l’homme [...] découvre le sens et la valeur de ce rien, objet pro- pre de la poésie et de la liberté. (Breton 1999: 167) Pour les contemporains, la liaison entre l’engagement politique et les exigences poétiques du surréalisme était donc évidente, et même pour un „anti-moderne“ (Compagnon) comme Julien Gracq, le surréalisme représentait à cette époque l’horizon d’attente: „Le surréalisme [...] n’en représente pas moins l’affirmation plus que jamais nécessaire, la réserve inentamée d’un formidable optimisme – d’un optimisme à toute épreuve, il est permis d’ajouter aujourd’hui.“ Cet optimisme qui veut „réinvestir l’homme de ses pouvoirs“ (Gracq 1989: I, 1030) nous manque (définitivement?) aujourd’hui et cela explique certaines réac- tions vis-à-vis des avant-gardes. Ainsi l’exigence surréaliste de lier l’engagement esthétique et l’engagement politique et social est plus difficile à comprendre d’un point de vue d’aujourd’hui. Non pas en ce qui concerne les faits, à partir de sa protestation contre le colonialisme et la guerre du Rif (avec le manifeste au titre significatif „Les Travailleurs intellectuels aux côtés du prolétariat contre la guerre du Maroc“) jusqu’à sa disso- lution officielle plus de 40 ans après sa création; le surréalisme en tant que mouvement s’engage clairement dans des questions d’ordre poli- 8 Wolfgang Asholt / Hans T. Siepe tique. Cet engagement semble pourtant désuet aujourd’hui et dater d’une époque révolue et, pire, le surréalisme, comme d’autres mou- vements d’avant-garde, est souvent critiqué et condamné justement à cause de cet engagement. À la rigueur, on peut comprendre des partis pris comme celui de Blanchot ou encore la critique adressée au sur- réalisme dans son ensemble comme réaction immédiate, à un moment donné; mais même là, en mettant les choses au mieux, les concernés se seraient trompés d’époque ou d’appréciation de leur époque et / ou, en mettant les choses au pire, ils auraient trompé leurs contemporains en leur faisant croire qu’il s’agirait d’un engagement nécessaire et historiquement valable. Les représentants de cette condamnation radi- cale de l’avant-garde et du surréalisme comme Boris Groys ou Jean Clair voient dans les mouvements avant-gardistes, et surtout dans le surréalisme, des groupes totalitaristes correspondant aux totalitarismes politiques. Le surréalisme ne sera certainement pas sauvé par sa condamnation du futurisme italien, parce que les totalitarismes, comme le fascisme et le communisme le démontrent, se ressemblent et se concurrencent tellement qu’ils doivent nécessairement se com- battre. À côté de ces jugements sans appel existent aujourd’hui d’au- tres positions critiques: il y a un courant majoritaire représenté par le poststructuralisme et la déconstruction qui, tout en ne le disant pres- que jamais explicitement, reproche plus ou moins clairement au sur- réalisme et aux avant-gardes leur intention de vouloir briser la cir- culation indéfinie des signifiants détachés de la réalité pour reconduire l’art dans la réalité (selon la formule de Peter Bürger). Il y a une cer- taine sociologie de la littérature représentée par Pierre Bourdieu pour laquelle l’avant-garde est une position parmi d’autres dans le champ artistique et littéraire d’une époque. Et il y a des ‘traditionalistes’ qui critiquent les avant-gardes et le surréalisme pour avoir voulu rompre avec la modernité telle que Baudelaire l’avait définie, compromis ou équilibre entre l’esthétique fugitive du moment (donné) et la beauté éternelle. Jean Clair et Boris Groys émettent des jugements intransigeants, et ce n’est peut-être pas un hasard s’il s’agit de deux historiens de l’art. Groys (qui devance Clair de quelque 15 ans, fait que celui-ci curieu- sement ne mentionne jamais) tire un bilan accusateur de l’avant-garde russe qui peut être appliqué, toutes proportions gardées, à l’avant- garde française et au surréalisme. Il se consacre „au mythe de l’innocence de l’avant-garde“ (Groys 1990: 12), et par „innocence“ il entend la fonction historique dans la tradition de la Théorie de l’avant- garde de Peter Bürger. Groys apprécie comme „principe de base“ de Défense et illustration du surréalisme politique 9 l’avant-garde russe „sa volonté de passer de la représentation du monde à sa transformation.“ (Groys 1990: 21) Sans faire allusion au surréalisme, il voit une impulsion nouvelle de cette avant-garde dans son „affirmation radicale de la domination du conscient par l’inconscient et la possibilité d’une manipulation logique et technique de cet inconscient afin de construire un monde nouveau et d’inventer un nouvel homme pour ce monde.“ (Groys 1990: 29). Ne reste donc plus qu’à montrer que le stalinisme est caractérisé par la même impul- sion pour contaminer et condamner l’avant-garde (russe ou soviéti- que): „La culture stalinienne a mis à jour ce qui constituait les prémis- ses de l’avant-garde bien qu’elle ne l’ait pas dit explicitement dans sa pratique artistique.“ (Groys 1990: 171); le mythe de Staline prend donc sa source dans le mythe de l’avant-garde. Jean Clair, de manière beaucoup plus polémique, ne se consacre pas seulement aux rapports du surréalisme et du totalitarisme, il atteste au surréalisme la même intention de „destruction radicale de ce qui a donné à l’Occident sa suprématie“ qu’il retrouve chez Malévitch et il voit dans le 11 sep- tembre 2001 la réalisation de ces phantasmes (Clair 2003: 119 et 122). Comparant le surréalisme à l’expressionnisme, il semble s’adresser aux deux en constatant: „Il est violence dans son processus même. Et dans l’immédiateté dont il se réclame, et dans la brutalité dont il est l’expression.“ (Clair 2003: 103). Pratiquant de manière permanente l’amalgame entre communisme et national-socialisme d’un côté et surréalisme de l’autre, il tire la conclusion que la défense ou l’illustration du surréalisme aurait aujourd’hui „dans le fil de la doxa surréaliste, préféré in fine l’ivresse du terrorisme à la rigueur de la rai- son“ (Clair 2003: 190). Régis Debray a essayé de répondre au procès que Jean Clair a mis en scène à la manière des procès surréalistes. Mais il a tendu comme nul autre un filin entre la vie des formes et la vie de tous les jours, entre le rêve et l’action, ces termes qui ne cessent de se repousser l’un l’autre. (Debray 2003: 46) Il est cependant à craindre que son apologie du surréalisme confirme justement l’appréciation du mouvement par Clair de „crépuscule de la raison“ (Chap. 3). Comme „des affaires du monde, on ne lui demande ni avis ni conseil“, l’art n’a à répondre „à rien qui soit de l’ordre de l’immédiat“ (Clair 2003: 82/83). Position étonnante de la part d’un directeur du musée consacré au peintre de „Guernica“, mais position partagée par les représentants d’une critique de l’avant-garde au nom d’une anti-modernité se débarrassant définitivement de la notion de progrès.
Description: