Rg Zeitschri des Max-Planck-Instituts für europäische Rechtsgeschichte Rechts geschichte Rechtsgeschichte www.rg.mpg.de 6 http://www.rg-rechtsgeschichte.de/rg6 Rg 2005 67–81 Zitiervorschlag: Rechtsgeschichte Rg 6 (2005) http://dx.doi.org/10.12946/rg06/067-081 Alain Supiot é Sur le principe de solidarit Dieser Beitrag steht unter einer Creative Commons cc-by-nc-nd 3.0 e t t a b e D GerdBender 12 Solidarität? GianGuidoBalandi 14 Sullapossibilitàdimisurarelasolidarietà FranzvonBenda(cid:1)Beckmann 29 »Nichtmehr«und»nochnicht« UmkehrungenvonTraditionundModernität aufderSuchenachderpassendenSolidarität fürsozialeSicherung JürgenBrand 40 SolidaritätundIdentität HaukeBrunkhorst 62 SolidaritätimKältestrom GanzohneEmphasegehtesnicht AlainSupiot 67 Surleprincipedesolidarité e h c r e h c e R MarieTheresFögen 84 Zufälle,FälleundFormeln ZurEmergenzdessynallagmatischenVertrags ManfredAschke 101 DieVerfassungdesExperimentsModerne JoachimRückert 122 DerGeistdesRechtsinJherings»Geist« undJherings»Zweck« Teil2 ThomasWeitin 143 DichterundRichter ProblemedesUrteilensim18.Jahrhundert AxelDoßmann 161 ViaAppia,RouteNationale,Autobahn… BewegungundBegrenzunginReferenzaufRom ThomasKrause 181 CriminalJusticeHistory NeuereBeiträgezurenglischenundirischenStrafrechts- undKriminalitätsgeschichte k i t i r K ThomasVesting 192 Griechenlandsmirakel TobiasReichardt,RechtundRationalitätimfrühen Griechenland AntonD.Rudokvas 195 RussianPandectisticsmeetTolstoj MartinAvenarius,RezeptiondesrömischenRechts inRussland.DmitrijMejer,NicolajDjuvernuaund IosifPokrovskij MarioAscheri 197 Ilparadisoperdutodeigiuristi? PatrickGilli,LaNoblesseduDroit. Débatsetcontroversessurlaculturejuridiqueetlerôle desjuristesdansl’Italiemédiévale(XIIe–XVesiècles) AchimLandwehr 199 SchmachundSchande MatthiasLentz,Konflikt,Ehre,Ordnung. UntersuchungenzudenSchmähbriefenundSchand- bilderndesspätenMittelaltersundderfrühenNeuzeit (ca.1350bis1600) LotharSchilling 202 GuteOrdnungalsTheorieundPraxis AndreaIseli,›Bonnepolice‹.Frühneuzeitliches VerständnisvondergutenOrdnungeinesStaates inFrankreich PaoloNapoli,Naissancedelapolicemoderne. Pouvoir,normes,société ThomasWetzstein 206 DeadManTalking RobertBartlett,TheHangedMan.AStoryofMiracles, MemoryandColonialismintheMiddleAges AchimSeifert 209 WörterohneGemeinschaft DenisAlland,StéphaneRials(Hg.),Dictionnairedela culturejuridique JakobTanner 211 Body-Shaping LudgerSchwarte,ChristophWulf(Hg.),Körperund Recht.AnthropologischeDimensionenderRechts- philosophie k i t i r K AlessandroSomma 216 Ilmanganelloelabilancia NicolaRondinone,Storiaineditadellacodificazione civile ChristineFranzius 218 BeredtesSchweigen MarenBedau,EntnazifizierungdesZivilrechts. DieFortgeltungvonNS-ZivilrechtsnormenimSpiegel juristischerZeitschriftenausdenJahren1945bis1949 Ernst(cid:1)WolfgangBöckenförde 220 StaatsrechtinderBonnerRepublik FriederGünther,DenkenvomStaather. DiebundesdeutscheStaatsrechtslehrezwischenDezision undIntegration1949–1970 FriederGünther 225 WächteraufAbruf HelmutVogt,WächterderBonnerRepublik. DieAlliiertenHohenKommissare1949–1955 ChristineHohmann(cid:1)Dennhardt 227 KralsruherWesen UweWesel,DerGangnachKarlsruhe.DasBundes- verfassungsgerichtinderGeschichtederBundesrepublik ManfredAschke 231 DDR-Geschichten FelixMühlberg,Bürger,BittenundBehörden– GeschichtederEingabeinderDDR DunjaMelcic 235 BeimAngeln SlavenkaDrakulić,Keinerwardabei. KriegsverbrechenaufdemBalkanvorGericht FabianSteinhauer 238 Souveränität/Powerpoint HorstBredekamp,GabrieleWerner(Hg.), BildtechnikendesAusnahmezustandes.Bildweltendes Wissens.KunsthistorischesJahrbuchfürBildkritik Bd.2.1 e i l a n i g r a M RainerMariaKiesow 244 Punktierkunst Abstracts 248 Autorenverzeichnis 253 Abbildungsnachweise 254 67 Sur le principe de solidarité Vieillenotionissuedudroitromain,lasoli- conceptallemanddeGemeinschaftdel’idéean- darité a connu une grande fortune depuis la fin glaise de community: l’un mobilise les ressorts du XIXème siècle, notamment dans le vocabu- les plus profonds du vivre-ensemble tandis que lairesociologique,maisc’estdepuispeuqu’ellea l’autreévoqueplutôtuncercledevieillesdames étéconsacréecommeprincipejuridiqueàvaleur seretrouvantpourunbridgeàl’heureduthé. constitutionnelleparlaChartedesdroitsfonda- Mais la diversité des langues (et donc des mentauxdel’UnioneuropéenneadoptéeàNice manièresdevoirlemonde),doitêtreperçuenon en décembre 2000. Cette Charte ne s’estpas en pas comme un obstacle au projet communau- effet bornée à élargir aux droits fondamentaux taire, mais tout au contraire comme un moteur un horizon juridique communautaire initiale- de son développement. Ce projet vise en effet à ment cantonné à l’institution d’un marché uni- faire partager aux européens un sens commun que.Elleaaussiinnovéenajoutantlasolidarité qui se nourrisse de la diversité de leurs cultures àlalistedesprincipes,parailleurssanssurprise, aulieudechercheràlessoumettreàladomina- qui y figurent (dignité, liberté, égalité, citoyen- tiondel’uned’entreelles.Lefaitquelanotionde neté, justice). Il ne s’agit pas d’une première solidarité n’ait pas le même sens ni la même puisque– lefaitmérited’êtresouligné – c’estla portéedanstouslespayseuropéens,n’étaitdonc Charte Africaine des Droits de l’Homme et des pas un argument convaincant pour l’exclure du Peuples du 27 juin 19811 qui a la première re- Traité. C’en est un en revanche pour ne pas connulasolidaritécommeunprincipejuridique réduire la solidarité qui émerge ainsi au plan fondamental. Mais il s’agissaitbien d’une inno- communautaire au sens qu’elle a acquis dans vation à l’échelle européenne, dont l’adoption n’importe lequel des pays membres et pour n’estdurestepasalléesansmal. admettre qu’il s’agit d’une notion ouverte à Selon le témoignage autorisé d’un membre l’interprétation, appelée donc à évoluer. Pour éminentde la Convention chargée de rédiger ce estimer ces possibilités d’évolution et se risquer texte,ledéléguébritanniquefiteneffetvaloirque àuneapprocheprospectivedelasolidarité(II),il la notion de solidarité au sens continental était faut commencer par en prendre une vue rétro- inconnue dans son pays, et que le mot anglais spective(I). solidarityn’avaitpasdutoutlemêmesensqueles motscontinentauxsolidarité,Solidarität,solida- ridad, solidaritet, solidarieta, solidariteit ou so- I. Rétrospective lidariedade.2 L’objection n’était sans doute pas dépourvue de fondement, et l’on sait combien Alors que la renaissance médiévale de l’é- des mots européens peuvent recouvrir des sens tude du Droit en Europe avait été marquée par différentssousunemorphologiesemblable.Ad- l’aspirationàuniuscommune,letraitmarquant mettre une telle objection conduirait toutefois à desdeuxdernierssièclesdanslapenséejuridique disqualifier l’idée même de »communauté euro- demeurera sans doute son caractère national. péenne«. On sait en effet l’abîme qui sépare le Cettepériodedenationalismejuridiqueestsans 1 Art.29.V.textereproduitin: commentairesdeGuyBraibant, PhilippeArdant,Lestextessur Paris:Seuil2001,40. lesdroitsdel’Homme,2èmeéd., Paris:PUF1993,92;présentation sommairein:FrédéricSudre, Droitinternationaleteuropéen desdroitsdel’homme,5èmeéd., Paris:PUF2001,n°76etsuiv. 2 Cf.GuyBraibant,LaChartedes droitsfondamentauxdel’Union européenne.Témoignageet e tt a b e D AlainSupiot 68 doute en train de se clore sous nos yeux et ancrage national n’a pas empêché pourtant que ressurgit l’aspiration à des principes juridiques le principe de solidarité fasse irruption dans le susceptibles de transcender la diversité des na- droitcommunautaire(C). tions.Maiscetteaspirationnesignifienullement un retour au Moyen-Âge, car elle doit tenir A. Pourquoipaslafraternité? compte des catégories juridiques apparues du- rant ces deux siècles de juxtaposition de droits Parmi les trois éléments de la devise de la nationaux,quifurentaussidanstouslesdomai- République, la fraternité occupe une place sin- nes deux siècles de transformations d’une am- gulière.Tandis que la liberté etl’égalitéfondent pleursansprécédentàl’échellehistorique. l’autonomie des individus, la fraternité au con- Lapériodeprésentesetrouvedoncmarquée traire les saisit comme membres d’une même par la projection sur un plan transnational des famille. Dans cette trilogie républicaine, elle catégories de pensée qui ont porté l’essor du seulereprésentel’idéedeliensocial,etdemême capitalismedanschacundespaysdits»dévelop- que la liberté et l’égalité se trouvent à la base pés«.D’oùuneconfrontationdesconceptsjuri- constitutionnelle des droits civils et politiques, diquesissusdesdifférentesculturesnationales,et onauraitpus’attendreàtrouverlafraternitéàla notamment, au sein de l’Union européenne, des baseconstitutionnelledesdroitssociaux.Maisil traditionsdecommonlawd’unepartetdedroit n’en a rien été. Tandis que liberté et égalité ont continental (romano-canonique) d’autre part. formé de bonne heure en Droit français un C’estlàdurestequesetrouveleprincipalenjeu couplelégitimequiamisaumondedenombreux durégimelinguistiquedel’Union,carl’adoption enfants, la fraternité est demeurée frappée de de l’anglais comme seule langue de travail dans stérilitéjuridique. les institutions européennes conduirait inélucta- Au coursdesa longue histoire,la fraternité blement à l’extinction de la tradition juridique avaitpourtantpuservirlescauseslesplusdiver- continentale. ses.EllevientauxlèvresduGardedessceauxdu Commetouteslesnotionsjuridiquesquiont RoiLouisXVIà l’ouverturedesÉtatsgénéraux accompagné l’essor du capitalisme industriel, la lorsqu’ilveutdéfinirl’harmoniequi,sousl’égide solidarité est née et s’est développée dans un d’un monarque paternel, doit présider à la so- cadre juridique national, et c’est dans ce cadre ciété hiérarchisée d’Ancien Régime, mais on la qu’il faut donc se situer pour comprendre sa retrouve quelques mois plus tard sur celles des place dans les montages juridiques de l’État sans-culottes aspirant à une égalité réelle entre providence. Dans le cas français, on aurait pu tous les citoyens. Elle est toute de paix et de s’attendre à ce que ce soit la fraternité qui douceurchezSaintFrançoisd’Assisequivoulait fournisse, aux côtés de la liberté et de l’égalité, l’étendre même aux oiseaux du ciel, ou encore le principe fondateur d’une République »soci- chez Lamartine dans sa version de 1848, mais ale« (A). Il n’en a rien été et ceci éclaire le sens ellerespirelesangetlaterreurdanssaversionde acquisparlasolidaritédanscequ’onappelleen 1792: »la fraternité ou la mort!«.3 Dans l’his- France le »droit social«, notion large qui, à la toiredutravail,lanotiondefraternitéapuêtre différence du Sozialrecht allemand, englobe le employée en même temps par les corporations droit du travail et de la sécurité sociale (B). Cet unissantlesmaîtresetlescompagnons,etparles 3 Cf.GéraldAntoine,Liberté, égalité,fraternitéoulesfluctua- tionsd’unedevise,2èmeéd.Paris: UNESCO1989,136.Pourune comparaisonaveclesEtats-Unis, v.WilsonC.McWilliam,The IdeaofFraternityinAmerica, Berkeley&LosAngeles:Univer- sityofCaliforniaPress1973. 5 0 0 2 / 6 g R Surleprincipedesolidarité 69 confréries unissant les compagnons contre les Le modèle familial inhérent à l’idée de fra- maîtres. C’est du reste pourquoi elle servit au ternitéacertesinfluencéledroitsocialnaissant, XIXèmesiècledetraitd’unionentrelesidiomes maisiln’estpasparvenuàs’yimposeretc’estcet corporatifsetrévolutionnaires,entreles ancien- échec qui a permis l’émergence juridique de la nes confréries et les nouveaux syndicats.4 Elle solidarité. Concevoir le groupement sur le mo- semblait donc pouvoir se prêter à un nouveau dèle familial conduit à y voir une communauté »recyclage«etoffriraudroitsocialnaissantl’un pérenne, hiérarchisée et soudée par un intérêt desprincipesdirecteursdontilavaitbesoin. commun.Unetelleanalysecorrespondaitbienà S’iln’enarienétéc’estpeut-êtreparcequela l’affirmation progressive du rôle protecteur de fraternité véhicule une conception du lien de l’Etat et de la figure de l’emploi salarié, c’est-à- droitquirépugnaitprofondémentaupositivisme dire à un modèle de protection dans la dépen- scientifique naissant. La fraternité, qu’elle soit dance.Eteneffet,delanotiondepatronatàcelle invoquée par les chrétiens ou par les francs- d’affiliationàlasécuritésociale,laréférenceaux maçons,parlesconservateursouparlesrévolu- liensdefiliationestprésenteendroitsocial.Mais tionnaires, implique toujours une relation ter- elle n’y occupe qu’une place marginale car ce naire et dogmatique. Ternaire parce que le lien droitestceluiquiinstituelemarchédutravail.Il quiunitdeuxfrèresdécouledesliensdechacun n’a donc pas écarté les catégories du droit des d’eux à un même Père. Dogmatique parce que obligations qui président aux échanges mar- cettepaternitén’estjamaisunfaitdémontrable, chands, mais a eu tout au contraire pour objet maistoujoursunpostulatfondateurdel’identité de les adapter aux problèmes spécifiques qui individuelle. Malgré les progrès biotechnologi- surgissaient de leur application au travail hu- ques récents, le droit de la famille lui-même n’a main. L’individualisme abstrait du Code civil pasréussiàévincercettenaturedogmatiquedela avaitconduitledroitdesobligationsàuntriple filiation, et tant qu’on continuera de distinguer refoulementdeladimensionphysiquedutravail l’homme de l’animal, la »vérité biologique« ne humain,delahiérarchieinhérenteausalariatet pourra pas effacer complètement les vérités lé- du fait collectif. Le droit social a été le lieu du galesquirésultentdumariageoudel’adoption. retour de ce refoulé sur la scène juridique, et le Aquelqu’autreniveauqu’ellesetrouveaffirmée recours à l’idée de solidarité a permis que ce (entrelesmembresd’unemêmenation,religion, retournesoitpasunretourenarrière,maisfasse clan,profession,voire dumêmegenrehumain), au contraire surgir de nouvelles manières de la fraternité postule toujours un ancêtre com- penseretd’organiserleliensocial. mun, mis en scène dans un récit fondateur, mythiqueoureligieux.C’estcetterelationtrans- B. L’essordelasolidaritéendroitfrançais cendanteàunauteurcommunquigarantitlelien immanententrefrères.Autrementditlafraterni- A lire le Code civil en effet, entre l’État et téfondeleliendedroitsurunecroyanceparta- l’individu il n’y a rien, et la société civile est un gée. De ce point de vue elle cadrait mal avec la ensemblehomogènedeparticulescontractantes, tendance à la »sécularisation« du droit, où les identiques et indépendantes les unes des aut- sciences sociales ont cru voir une loi de l’his- res, un univers d’atomes sans aucune molécule. toire.5 Cetindividualismenepeutsurprendrepuisquele 4 Cf.WilliamH.Sewell,Work formesousl’influencedeconsidé- andRevolutioninFrance.The rationsrationnellesenfinalitéet LanguageofLabourfromtheOld quiestdépourvudetoutcontenu Regimeto1848,Cambridge: sacré«(MaxWeber,Sociologie CambridgeUniversityPress1980, duDroit,préf.dePhilippeRay- trad.fr.Gensdemétieretrévolu- naud,introd.ettrad.parJacques tions,Paris:Aubier-Montaigne Grosclaude,Paris:PUF1986, 1983,279–280. 234–235). 5 Cf.laconclusiondeMaxWeber: »Estinévitablelaconceptionselon laquelleleDroitestunappareil techniquerationnelquisetrans- e tt a b e D AlainSupiot 70 Code civil est sur ce point fidèle à l’inspiration Le concept de solidarité nous vient en effet révolutionnaire qui avait conduit dès 1791 à dudroitdesobligationsetnonpasdudroitdes l’anéantissement des corporations et des corps personnes. Héritée du droit romain,7 la solida- intermédiairesparlaloiLeChapelier.6Danscet ritédésignaitdanslecodecivil(art.1197etsuiv.) universjuridique,seregrouperenvuede défen- une technique juridique destinée à régler les dre ses intérêts communs était constitutif d’un hypothèses de pluralité de créanciers (solidarité délit, le délit de coalition, prévu et réprimé par active)oudedébiteurs(solidaritépassive)d’une les articles 414 et 415 du code pénal. Le fait même obligation. Alors que le droit civil n’ap- collectif n’était donc pas ignoré, il était refoulé. préhende généralement le rapport d’obligation Enabrogeanten1884laloiLeChapelier,laloi quesurunplanindividuel,lasolidaritépermet- Waldeck Rousseau n’a pas seulement ajouté la taitdelepensersurunplancollectif(collectivité liberté syndicale à la liste deslibertés reconnues de créanciers et de débiteurs), en l’absence de par la République, elle a donné le jour à une tout lien communautaire et de tout consente- scène juridique nouvelle sur laquelle un certain mentindividuel(cequipermettra à lasolidarité nombred’»acteurs«viennentreprésenterlesem- sociale de s’émanciper du contrat d’assurance). ployeurs et les salariés. Ce retour à la vie ju- A la différence de la fraternité, la solidarité se ridique du fait collectif ne s’est pas opéré sous présente comme une pure technique purgée de la forme de »communautés professionnelles« toute référence dogmatique. Elle semble procé- fondant un lien d’appartenance qui s’impose à derdesfaits(l’indivisibilitédel’objetd’uneobli- leurs membres, mais sous la forme de »groupe- gation ou la coresponsabilité des auteurs d’un ments professionnels« (intitulé du Livre IV du dommage)etn’a pasbesoindes’appuyersurla codedutravail)fondéssurlalibreadhésiondes croyance en une ascendance commune entre les individus. Le modèle français de relations col- personnesqu’ellelie.Cetteobjectivitéapparente lectives a en effet englobé, et non écarté, les du concept a été renforcée par son emploi dans valeurs d’égalité et de liberté individuelle du le vocabulaire de la biologie et de la sociologie Code civil. Ceci s’exprime dans la notion typi- naissantes pour désigner l’interdépendance des quement française de »droit ou liberté indivi- parties à l’égard du Tout, dans l’organisme vi- duelles’exerçantcollectivement«,quipermetde vantoudanslecorpssocial.Onsaitenparticu- qualifier aussi bien la liberté syndicale que le lierlaplacecentralequ’elleoccupedansl’œuvre droit de grève ou le droit à la négociation col- deDurkheim,etl’influencedecetteœuvresurles lective. Car ces droits et libertés sont au service juristes soucieux de justice sociale.8 Ceci a con- d’une même ambition: rétablir au plan collectif féré à la solidarité la capacité sulfureuse de dé- l’égalité entre employeurs et salariés qui fait signer aussi bien une norme découverte par la défautauplanindividuel.Ilfallaitdoncaudroit sciencequ’unprincipedejusticesociale.Confon- socialunconceptquiluipermettedereprendreà dantlesdeuxfigures–scientifiqueetjuridique– soncomptedesvaleurscommunautaireshéritées de la normativité elle répondait idéalement aux du droit de la famille tout en s’ancrant solide- idéauxdelapenséepositiviste,quiattribuentàla mentdansledroitdesobligations.Etc’étaittout Science la source ultime de la vérité légale jadis l’intérêtduconceptdesolidaritéquedepermet- occupéeparlareligion,etincitentàl’effacement treunetellesynthèse. deladistinctionduseinetdusollen. 6 Cf.lescélébrissimesdécrets éd.,Paris:Rousseau1911,738et lesymboliseetétudierlepremierà d’AllardeetloiLeChapelier(texte suiv. traverslesecond.Cesymbolevi- rééditéavecuncommentairede 8 Durkheimattachaitdurestela sible,c’estledroit«(ÉmileDurk- F.Soubiran-Paillet,in:Jean plusgrandeimportanceauDroit heim,Ladivisiondutravailsocial, PierreLeCrom[dir.],DeuxSiè- dansl’analysedesformesdela 10èmeéd.,Paris:PUF1978,28). clesdeDroitduTravail,Paris:Éd. solidarité:»Lasolidaritésociale, del’Atelier1998,17s.).Surce écrit-il,estunphénomènetout tournanthistorique,v.StevenL. moralqui,parlui-même,nese Kaplan,Lafindescorporations, prêtepasàl’observationexacteni Paris:Fayard2001. surtoutàlamesure(…)ilfaut 7 Cf.PaulF.Girard,Manuelélé- doncsubstitueraufaitinternequi 5 0 mentairededroitromain,5ème nouséchappeunfaitextérieurqui 0 2 / 6 g R Surleprincipedesolidarité