Frantz FANON Psychiatre et militant de l’indépendance algérienne dans le FLN [1959] (1972) Sociologie d’une révolution (L’an V de la révolution algérienne) Un document produit en version numérique par Émilie Tremblay, bénévole, Doctorante en sociologie à l’Université de Montréal Courriel: [email protected] Page web dans Les Classiques des sciences sociales. Dans le cadre de: "Les classiques des sciences sociales" Une bibliothèque numérique fondée et dirigée par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi Site web: http://classiques.uqac.ca/ Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.ca/ Frantz Fanon, Sociologie d’une révolution. (L’an V de la Révolution algérienne) 2 Politique d'utilisation de la bibliothèque des Classiques Toute reproduction et rediffusion de nos fichiers est interdite, même avec la mention de leur provenance, sans l’autorisation for- melle, écrite, du fondateur des Classiques des sciences sociales, Jean-Marie Tremblay, sociologue. Les fichiers des Classiques des sciences sociales ne peuvent sans autorisation formelle: - être hébergés (en fichier ou page web, en totalité ou en partie) sur un serveur autre que celui des Classiques. - servir de base de travail à un autre fichier modifié ensuite par tout autre moyen (couleur, police, mise en page, extraits, support, etc...), Les fichiers (.html, .doc, .pdf, .rtf, .jpg, .gif) disponibles sur le site Les Classiques des sciences sociales sont la propriété des Classi- ques des sciences sociales, un organisme à but non lucratif com- posé exclusivement de bénévoles. 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Seuil, coll. « Point/Essais », 1971. Pour la révolution africaine, Librairie François Maspero, coll. « Ca- hiers libres », 1964 ; rééd. La Découverte, coll. « Redécouverte », 2001. Les damnés de la terre. Préface de Jean-Paul Sartre (1961); Pré- face d'Alice Cherki et postface de Mohammed Harbi (2002). Paris: Éditions La Découverte/Poche, 2002, 313 pp. Paris: François Maspero, 1961, 1968. Frantz Fanon, Sociologie d’une révolution. (L’an V de la Révolution algérienne) 5 Cette édition électronique a été réalisée par Émilie Tremblay, bénévole, doctorante en sociologie à l’Université de Montréal Courriel : [email protected] à partir de : Frantz FANON Sociologie d’une révolution (L’an V de la révolution algérienne) . Paris : François Maspero, Éditeur, 1972, 175 pp. Petite collection Maspero, no 28. Première édition, 1959. Polices de caractères utilisée : Pour le texte: Comic Sans, 12 points. Pour les citations : Comic Sans, 12 points. Pour les notes de bas de page : Comic Sans, 10 points. Édition électronique réalisée avec le traitement de textes Micro- soft Word 2008 pour Macintosh. Mise en page sur papier format : LETTRE US, 8.5’’ x 11’’) Édition numérique réalisée le 6 décembre 2011 à Chicoutimi, Ville de Saguenay, Québec. Frantz Fanon, Sociologie d’une révolution. (L’an V de la Révolution algérienne) 6 Frantz FANON Psychiatre, intellectuel antillais et militant de l’indépendance algérienne dans le FLN Sociologie d’une révolution (L’an V de la révolution algérienne) Paris : François Maspero, Éditeur, 1972, 175 pp. Petite collection Maspero, no 28. Première édition, 1959. Frantz Fanon, Sociologie d’une révolution. (L’an V de la Révolution algérienne) 7 Table des matières INTRODUCTION DE 1959 Chapitre 1. L’Algérie se dévoile Annexe : Les femmes dans la Révolution Chapitre 2. « Ici la voix de l’Algérie » Chapitre 3. La famille algérienne Chapitre 4. Médecine et colonialisme Chapitre 5. La minorité européenne d’Algérie Annexe I. Geromini Annexe II. Bresson CONCLUSION Frantz Fanon, Sociologie d’une révolution. (L’an V de la Révolution algérienne) 8 [5] Sociologie d’une révolution (L’an V de la révolution algérienne) INTRODUCTION Frantz Fanon, juillet 1959 Retour à la table des matières La guerre d’Algérie entre bientôt dans sa sixième année. Personne parmi nous comme dans le monde ne soupçonnait, en novembre 1954, qu’il faudrait se battre pendant soixante mois avant d’obtenir que le colonialisme français desserre son étreinte et donne voix au peuple algérien. Après cinq ans de lutte, aucune modification politique n’est interve- nue. Les responsables français continuent de proclamer l’Algérie fran- çaise. Cette guerre a mobilisé le peuple dans sa totalité, l’a sommé d’investir en bloc ses réserves et ses ressources les plus cachées. Le peuple algérien ne s’est pas donné de répit, car le colonialisme auquel il est confronté ne lui en a laissé aucun. La guerre d’Algérie, la plus hallucinante qu’un peuple ait menée pour briser l’oppression coloniale. Ses adversaires aiment affirmer que la Révolution algérienne est composée de sanguinaires. Les démocrates dont elle avait la sympathie lui répètent quant à eux, qu’elle a commis des erreurs. Frantz Fanon, Sociologie d’une révolution. (L’an V de la Révolution algérienne) 9 Il est arrivé en effet que des citoyens algériens aient enfreint les directives des organismes dirigeants, et que des choses qu’il eût fallu éviter se soient déroulées sur le sol national. Presque toujours d’ailleurs, elles concernaient d’autres citoyens algériens. [6] Mais alors qu’a fait la Révolution ? A-t-elle fui ses responsabilités ? N’a-t-elle pas sanctionné ces gestes qui risquaient d’altérer la vérité de notre combat ? M. Ferhat Abbas, président du Conseil du G.P.R.A., n’a-t-il pas évoqué en public les mesures, parfois capitales, prises par la direction de la Révolution ? Et pourtant qui ne comprend psychologiquement ces subites violen- ces contre les traîtres ou les criminels de guerre ? Les hommes qui ont fait la campagne au sein de la Première Armée Française ont gardé des mois entiers le dégoût pour ces justiciers de la dernière heure qui dé- chargeaient leurs armes sur les collaborateurs. Ceux qui avaient fait l’ile d’Elbe, la Campagne d’Italie et le débarquement à Toulon étaient révoltés par ces règlements de comptes fratricides, illégaux et sou- vent honteusement menés. Nous n’avons cependant pas en mémoire de condamnation de maquisards pour exécutions sommaires précédées de tortures de civils désarmés. Le Front de Libération Nationale n’a pas craint, dans les moments où le peuple subissait les assauts les plus massifs du colonialisme, de proscrire certaines formes d’action et de rappeler constamment aux unités engagées les lois internationales de la guerre. Dans une guerre de Libération, le peuple colonisé doit gagner, mais il doit le faire pro- prement sans « barbarie ». Le peuple européen qui torture est un peu- ple déchu, traître à son histoire. Le peuple sous-développé qui torture assure sa nature, fait son travail de peuple sous-développé. Le peuple sous-développé est obligé, s’il ne veut pas être moralement condamné par les « Nations Occidentales », de pratiquer le fair-play, tandis que son adversaire s’aventure, la conscience en paix, dans la découverte illimitée de nouveaux moyens de terreur. Le peuple sous-développé doit à la fois prouver, par la puissance de son combat, son aptitude à se constituer en Nation, et par la pureté de chacun de ses gestes, qu’il est, jusque dans les moindres détails, le peuple [7] le plus transparent, le plus maître de soi. Mais tout cela est bien difficile. Frantz Fanon, Sociologie d’une révolution. (L’an V de la Révolution algérienne) 10 Alors que dans la région de Mascara, il y a exactement six mois, plus de trente combattants encerclés et ayant épuisé leurs munitions, après s’être battus à coups de pierres, étaient faits prisonniers et exécutés devant le village, un médecin algérien, dans un autre secteur, détachait une mission aux frontières pour ramener sans délai des mé- dicaments seuls capables d’enrayer la maladie d’un prisonnier français. Au cours du trajet, deux combattants algériens étaient tués. D’autres fois, des soldats sont affectés à une mission de diversion pour per- mettre à un groupe de prisonniers d’arriver indemnes au P.C. de la ré- gion. Les ministres français Lacoste et Soustelle ont publié des photos dans le souci de salir notre cause. Certaines de ces photos montrent des choses faites par des membres de notre Révolution. D’autres concernent quelques-uns des milliers de crimes dont se sont rendus coupables Bellounis et les harkis armés par l’Armée Française. Enfin et surtout, il y a ces dizaines de milliers d’Algériens et d’Algériennes vic- times des troupes françaises. Non, ce n’est pas vrai que la Révolution soit allée aussi loin que le colonialisme. Mais nous ne légitimons pas pour autant les réactions immédiates de nos compatriotes. Nous les comprenons, mais nous ne pouvons ni les excuser ni les rejeter. Parce que nous voulons d’une Algérie démocratique et rénovée, par- ce que nous croyons qu’on ne peut pas s’élever, se libérer dans un sec- teur et s’enfoncer dans un autre, nous condamnons, le coeur plein de détresse, ces frères qui se sont jetés dans l’action révolutionnaire avec la brutalité presque physiologique que fait naître et qu’entretient une oppression séculaire. Les gens qui nous condamnent ou qui nous reprochent ces franges obscures de la Révolution ignorent le drame atroce du responsable qui doit prendre une [8] sanction contre un patriote coupable par exemple d’avoir tué un traître notoire sans en avoir reçu l’ordre ou, chose plus grave, une femme, un enfant. Cet homme qui doit être jugé, sans code, sans loi, par la seule conscience que chacun a de ce qui doit se faire et de ce qui doit être interdit, n’est pas un homme nouveau dans le groupe de combat. Il a donné depuis plusieurs mois des preuves irrécusables d’abnégation, de patriotisme, de courage. Pourtant il faut le juger. Le