Claire DeLille Sexe, amour et autres contrariétés Ceux qui attirent - 4 Éditions Artalys 504 rue de Tourcoing – 59420 Mouvaux http://editions-artalys.com Illustration : AbigailDream ISBN 979-10-91549-38-7 Ceux qui attirent Épisode 1 : Escapade souterraine Épisode 2 : Petits jeux du sexe et du hasard Épisode 3 : La chambre des gourmandises Épisode 4 : Sexe, amour et autres contrariétés Épisode 5 : Passion sexuellement transmissible (à paraître) Bonus (à paraître) Sexe, amour et autres contrariétés Le vent d’hiver balayait la rue encore illuminée des lampions de fin d’année, brillant du faste des fêtes parisiennes. La nuit touchait à sa fin et la lumière montante donnait un aspect féerique et joyeux à ce petit matin frisquet. Le charme des jours de neige avec leur luminosité et leur fraîcheur vivifiante. Badauds, travailleurs pressés ou acheteurs compulsifs se bousculaient déjà, s’évitaient au dernier moment, s’ignoraient royalement. Stevan marchait au milieu de la foule et celle-ci, sans y penser, lui ouvrait le passage, comme s’il était Moïse traversant la mer Rouge. Hommes et femmes se retournaient sur lui. Nul ne le heurtait malencontreusement. Tous étaient subjugués par le personnage. Pourtant, même si chacun se souviendrait d’avoir croisé le chemin d’un être hors du commun, personne ne réussirait à dépeindre ses traits, à en faire une description détaillée. L’aura qu’il dégageait annihilait toute sensation autre que l’éblouissement. S’il l’avait pu, voilà ce qu’en aurait dit Ernie, le vieux SDF érudit qui déclamait sa prose au carrefour de la rue basse : « Un noir immense ! À la carrure d’athlète du triathlon. Avec des membres longs et finement musclés. Si, si, cela se voyait même à travers le tissu de son grand manteau de laine, façon pirate aristo du XIVème siècle. Avec des cheveux longs jusqu’aux épaules, habillement tressés et huilés. Avec des yeux turquoise à se damner, des lèvres sensuelles et finement ourlées, des bottes noires sur un jean moulant, mettant, ô combien, en valeur son postérieur et son bas ventre. Un mélange fascinant de virilité brute et de finesse, sensualité et délicatesse. Attirant comme un aimant dans une déchetterie. Et je dis cela alors que je ne suis pas sensible aux hommes en général ! » Stevan fendait la foule comme s’il glissait sur le sol, tant ses mouvements rapides et fluides s’évanouissaient dans l’air. Il ne souriait pas, ne regardait personne, ne donnait pas l’impression d’être réel. Il finit par arriver à l’entrée de la bouche du métro Gare du Nord. Son élan l’entraîna rapidement dans les entrailles de la terre où il rejoignit le tunnel de Caïn. Pas de mot de passe, pas de clé, il pénétra sans autre protocole dans le sanctuaire des Illa Attrahere et déclencha une vague d’émotion parmi ceux présents. La nouvelle fit rapidement le tour de la communauté : Stevan le banni était de retour ! *** Au commencement étaient trois frères. Trois dieux puissants devant une boule de glaise. Ensemble, ils créèrent la terre, l’aîné les paysages, le relief terrestre, le cadet les océans et fonds marins, le ciel et le benjamin peupla ces lieux merveilleux d’animaux divers et variés. Leur œuvre achevée, il ne leur restait plus qu’une petite quantité d’argile. Ils observaient leur monde, satisfaits, lorsque le premier remarqua qu’il manquait quelque chose. On s’ennuyait ferme dans ce petit paradis. Il décida donc d’utiliser ce qu’il restait de matière pour créer les Hominis. Cependant, ses frères intervinrent vivement. Ils voulaient prendre part à l’élaboration de cet ordre nouveau. Comme ils ne réussirent pas à se mettre d’accord sur la nature de ces nouveaux êtres vivants, chacun reçut un morceau de glaise en proportion de sa place dans la fratrie. Ainsi furent créés les humains, nombreux mais fragiles, qui recouvrirent la Terre en un rien de temps. Leur créateur leur avait insufflé l’énergie vitale nécessaire à leur essor et à leur reproduction. Puis apparurent les Illa Attrahere, conçus en nombre beaucoup plus limité, mais plus résistants et vivants au crochet des premiers. Ils se nourrissaient de l’énergie des Hominis. Enfin, vit le jour un homme unique, créé par le troisième frère et comparable aux suceurs de vie. Le benjamin était très déçu d’avoir été laissé pour compte, lui qui avait créé tant d’espèces déjà. Il avait conscience que tout seul, sa création était condamnée d’avance. Il décida donc de la doter d’un pouvoir particulier : celui de se reproduire facilement avec les humaines. Cela fonctionna pendant plusieurs siècles. Cependant, les Illa Attrahere commencèrent à voir d’un mauvais œil cette communauté qui prospérait en nombre et les dépasserait bientôt. Ils déclenchèrent alors une guerre contre ceux qui se faisaient appeler les Ipse Solus « les hommes seuls ». Pourchassés et massacrés, ces derniers, dont il ne restait qu’une poignée, se tournèrent vers leur dieu qui entra dans une colère sourde contre des créatures de son frère. Il réunit les derniers représentants de sa race, augmenta leur puissance, réduisant par là leur capacité de reproduction, et les marqua du signe tribal qui signifiait « vengeance ». Puis il les dissémina à travers le monde. Désormais les Illa Attrahere seraient les plus nombreux des suceurs de vie. Après tout, ils avaient gagné la guerre. Mais ils devraient aussi vivre cachés, car ils auraient un ennemi impitoyable et insaisissable, capable de frapper sans prévenir et de les tuer un par un au moment où ils s’y attendraient le moins. Telle était la légende. *** L’alarme de son mobile sonna : « You’re beautiful », de James Blunt, et Réno ouvrit un œil. Pas cette chanson, non ! Il se retint de balancer son téléphone contre le mur. Il était son seul lien avec elle désormais. Le casser serait plus qu’il ne pourrait en supporter. Il se contenta donc d’appuyer sur la touche arrêt et traîna sa carcasse vers la salle de bain. Qu’avait-il fait cette nuit, déjà ? Cinéma, verre dans un Starbucks… Ah oui, et il avait levé cette petite miss à la sortie du café. Les mains sur le lavabo, le regard noir, il s’observa un moment. Quelle sale gueule ! Une barbe de trois jours sur des joues creusées, des cernes sous les yeux, cette mèche, blond cendré, qui l’horripilait mais qu’il ne couperait pour rien au monde. Putain, mais comment pouvait-il encore attirer des nanas ? Des images sulfureuses s’imposèrent à lui dans le miroir. La petite brune à genoux devant sa braguette, lui pompant la queue en rythme tandis qu’il lui tenait les cheveux, la tête renversée vers le ciel noir. Le cul ferme, dodu et frissonnant qu’il avait léché et malaxé avec rage. Le capot de la voiture contre laquelle il l’avait acculée, la pénétrant sans ménagement, lui mordant les seins avec une espèce violence contenue. La bouche pulpeuse et en demande dans laquelle il avait enfoncé sa langue, enfin, lorsqu’elle avait joui, pour lui prendre son énergie mais surtout, ne pas l’entendre crier son prénom… Il se faisait horreur. Pourtant, il y retournerait ce soir. Il trouverait une autre fille prête à accepter ses doigts en elle dans des toilettes publics. Il lui sucerait sûrement les seins puis l’entrecuisse, elle couinerait de plaisir et le supplierait d’aller jusqu’au bout, de lui mettre bien profond. Il la baiserait donc et l’abandonnerait là sans scrupule. C’était la seule solution qu’il avait trouvé pour échapper à sa douleur. Pour évacuer la violence qu’il ressentait envers les Illa Attrahere depuis que Caïn avait réveillé la malédiction. Sa damnation… Celle qui l’empêchait désormais de revoir Anelyse. Le flacon de parfum vola en éclat contre le mur et l’odeur lui monta au nez. Une envie folle de hurler lui tordit le ventre et il s’engouffra sous la douche, laissant l’eau bouillante le purger de ses fautes. Il serait encore en retard au boulot ce matin. À cette cadence, il ne ferait plus long feu. Mais peu lui importait d’être renvoyé. Son avenir n’avait jamais été aussi flou et funeste qu’en ces jours de fête et de renouveau. *** Il était allongé sur le dos. Ne portait qu’une serviette autour de la taille. Alangui et paisible. Heureux, tout simplement. Elle le caressait de ses mèches de cheveux, de la pointe de ses seins chauds, du bout de ses lèvres soyeuses. Il avait envie de plus, bien sûr. De voir son joli visage et son sourire, d’abord. De sentir ses yeux se planter dans les siens, amoureusement, ensuite. De la prendre dans ses bras pour la serrer contre lui, enfin. Mais il savait n’être qu’au milieu d’un rêve et qu’au premier geste de sa part, elle s’évanouirait, échapperait à sa réalité. Il se réveillerait et son absence lui apparaîtrait encore plus douloureuse. Alors il ne bougeait pas. Laissait juste le songe le réjouir encore un moment. « Stevan le banni est de retour, mon chou ! » Caïn sursauta et faillit tomber de son lit. Frieda. Encore. Elle commençait à bien prendre ses aises avec lui en ce moment. Toujours fourrée dans ses appartements, à essayer de partager son lit. Il était temps d’y mettre le holà. Les mains sur les yeux pour se protéger de la lumière, il reposa la tête sur l’oreiller et essaya de se rendormir. Trop tard. Anelyse avait disparu. « Merde… — Je ne te le fais pas dire, chéri. Cela faisait quelques décennies que nous n’avions plus entendu parler de lui. Je croyais même qu’il avait renoncé à rentrer. — Quoi ? Pardon, tu parles de qui ? — Plaît-il ? Caïn ! Je te parle de Stevan le banni, tu n’as pas entendu ? À quoi rêvais-tu donc ? Je te trouve très bizarre en ce moment. — Stevan le banni… Tu crois qu’on va avoir une bonne nouvelle un de ces jours ? » L’incube s’assit sur son lit. Frieda loucha tranquillement sur son torse musclé, à la fine toison noire et ne put s’empêcher de passer la langue sur ses lèvres. Le maître des souterrains ne lui accorda pas un regard. Il était plongé dans la plus grande perplexité. Il faisait le compte des évènements des dernières semaines : la découverte d’Anelyse et de sa puissance, celle, ô combien plus grave de Réno le Tatoué, le Marqué, ennemi héréditaire des siens, et maintenant le retour de ce diable de Stevan, le dissident qui avait failli causer la perte de la communauté… Que pouvait-il arriver de pire ? *** Anelyse sortit de la salle de bain, parée pour une nouvelle journée. Elle était sur le terrain aujourd’hui, donc tenue décontractée de rigueur : jean moulant, quelque peu délavé, son préféré, bottes noires à petits talons, pull chaussette gris vert. Ses cheveux étaient tirés en arrière, retenus par une grosse pince qui laissait négligemment tomber quelques mèches de chaque côté de son visage. Exactement comme elle l’aimait. Elle s’était maquillée discrètement, comme d’habitude, accentuant juste un peu le contour des yeux pour cacher les signes de fatigue et de chagrin. Il lui restait dix minutes avant de réveiller les enfants. Elle alluma la radio et s’assit sur le canapé, le téléphone à la main. Pas de message ce matin… encore. Les mains crispées sur le petit boîtier de plastique, elle hésitait. Il ne l’avait pas contactée depuis six jours. Il avait vraiment l’air mal en point la dernière fois qu’elle lui avait parlé. Elle reconnut la musique dès les premières notes et son cœur s’emballa brutalement. James Blunt, « You’re beautiful », leur chanson. Celle qu’elle ne pouvait pas entendre sans penser aussitôt à sa peau sous ses lèvres, à leurs étreintes et leurs baisers, à leurs regards accrochés l’un à l’autre. Elle ne savait pas s’il en avait seulement conscience, mais c’était sur cette chanson qu’ils avaient fait l’amour la première fois, ainsi que les deux suivantes. Et cela valait pour elle tout l’or du monde. Un souvenir merveilleux, à chérir pour l’éternité. D’une certaine manière, c’était amusant. Ces soirées s’étaient passées presque de la même manière. Il lui avait demandé si elle voulait qu’il mette un peu de musique, ce qu’elle voulait entendre, quel style elle souhaitait. Elle avait répondu qu’elle aimerait quelque chose de doux, de calme. Et il avait mis son album de James Blunt. À chaque fois, comme un rituel immuable. Lorsqu’ils étaient à deux, tout était si simple ! Ils buvaient un verre, mangeaient une pizza, parlaient boulot ou photo dans les bras l’un de l’autre, comme un couple tout ce qu’il a de plus normal, et laissaient la douceur et la chaleur les envahir. Ils riaient beaucoup, se taquinaient, passaient de longues minutes, parfois, à ne faire que se regarder, à se caresser machinalement le dos, les cheveux, perdus dans des pensées secrètes. Puis ils finissaient par s’embrasser, par s’embraser, et la soirée virait à la volupté la plus profonde, sous fond de « You’re beautiful », immanquablement. Pour elle, c’était devenu un hymne à leur amour clandestin, sans qu’elle ne s’en ouvre jamais à lui de peur de passer pour une midinette. Ils n’étaient pas un vrai couple, comme dans la chanson, et le seraient-ils un jour ? « But’s time to face the truth, I will never be with you {*}». « Pourquoi tu pleures, maman ? » Elle sursauta. Camille la regardait, grave et inquiète, ses grands yeux bleus déjà remplis de larmes. À cinq ans, elle était une véritable éponge à émotions et ne supportait pas de voir quelqu’un de triste. Anelyse passa bien vite les mains sur ses yeux pour effacer sa peine et sourit à sa fille, histoire de la rassurer. « Ce n’est rien ma chérie. Je ne me sens pas très en forme aujourd’hui, mais ça va passer, ne t’inquiète pas. Tu es déjà réveillée dis donc, qu’est-ce qui t’arrive ? — C’est parce que je ne veux pas être en retard. Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de Jules à l’école ! — Je comprends mieux. Bien, si nous allions réveiller Samuel et Thomas toutes les deux ? — Non ! Non ! J’y vais toute seule ! Je vais leur faire des chatouilles ! » Anelyse regarda sa fille s’éloigner en courant et se leva à son tour. Elle tenait toujours son portable à la main. Son cœur continuait à battre à cent à l’heure bien que la radio diffuse un tout autre titre à présent. Déjà, les cris d’indignation de ses aînés retentissaient dans leur chambre. Ce n’était pas le genre de réveil qu’ils affectionnaient. Bientôt la maison résonnerait de mille bruits quotidiens et familiaux, et il faudrait qu’elle soit au rendez-vous, maman fidèle au poste. Anelyse soupira, elle devrait donner le change toute la journée. « Pensée pour toi, Réno. Tu me manques… <3 » tapa-t-elle vivement. Puis elle rangea l’appareil dans son sac à main et rejoignit les enfants à la cuisine. Petit déjeuner, toilette rapide, habillage… Dans quarante-cinq minutes, ils devraient être dans la voiture, en route pour l’école. Une fois les enfants déposés, Anelyse s’autorisa une pause avant de gagner son bureau. Elle était à fleur de peau ce matin. Elle se gara sur le parking d’un supermarché et ressortit son mobile. Elle tremblait de découvrir qu’il n’avait pas répondu. Elle avait besoin de sa « dose » de lui. Il lui fallait du baume pour son