Rythme des langues et acquisition du langage Franck Ramus To cite this version: Franck Ramus. Rythme des langues et acquisition du langage. Neurosciences [q-bio.NC]. Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), 1999. Français. NNT: . tel-00242452 HAL Id: tel-00242452 https://theses.hal.science/tel-00242452 Submitted on 6 Feb 2008 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. École des Hautes Études en Sciences Sociales Année 1999 N(cid:6) attribué par la bibliothèque Thèse pour l'obtention du grade de Docteur de l'EHESS Discipline: Sciences Cognitives présentée et soutenue publiquement par Franck Ramus le 25 novembre 1999 Rythme des langues et acquisition du langage Directeur de thèse: Jacques Mehler Jury: Nick Clements Anne Cutler Núria Sebastián-Gallés Juan Segui ii Cette thèse restera disponible aussi longtemps que possible sous forme électronique à l'adresse Internet suivante: http://www.ehess.fr/centres/lscp/persons/ramus/these/,ouàdéfaut sur simple demande auprès de l'auteur: [email protected]. iii Cen'estpastouslesjoursqu'onalachancededisposerd'unepageentière d'un document o(cid:30)ciel pour remercier les gens qui le méritent. J'en pro(cid:28)te donc sans modération. Mes plus chaleureux remerciements vont tout d'abord à Jacques Mehler, bien entendu pour avoir assuré la direction de cette thèse, mais aussi et surtout pour m'avoir fait entrer dans le monde de la recherche et des sciences cognitives dans les meilleures conditions qui soient. Nick Clements, Anne Cutler, Núria Sebastián-Gallés et Juan Segui ont accepté de faire partie du jury; qu'ils en soient remerciés. Anne Christophe, Ghislaine Dehaene, Emmanuel Dupoux, Christophe Pallier, Sharon Peperkamp et tous les membres du lscp, permanents ou de passage, m'ont aidé, motivé, critiqué, et m'ont fourni un environnement de travail stimulant et agréable. Marina Nespor et Marc Hauser ont contribué à l'enrichissement de cette thèse au travers de fructueuses collaborations. CoryMiller,DylanMorris,ThierryFourneyronetSylvieMargulesontmis la main à la pâte en ce qui concerne le recueil de certaines de mes données. Les discussions et échanges divers jouent souvent un rôle important dans la formation et l'évolution des idées. C'est le cas de ceux que j'ai eus avec Laura Bosch, Anne Cutler, Lila et Henry Gleitman, Peter Jusczyk, Jim Mor- gan, Thierry Nazzi, Ani Patel, Núria Sebastián-Gallés, et Roger Wales. Jacques Mehler, Anne Christophe et Valérie Quiniou ont lu et annoté ma thèse dans son intégralité (un exploit qui sera sans doute rarement réédité!). Brigitte Brunet, Michel Dutat, Susana Franck, Xavier Jeannin et Vireack Ul m'ont apporté leur précieuse aide technique et administrative. Evelyn Hausslein m'a initié à l'expérimentation sur le nouveau-né; les pédiatres, les sages-femmes, et le personnel soignant de la maternité Port- Royal m'ont apporté leur collaboration. La dga et le cnrs m'ont apporté leur soutien (cid:28)nancier. En(cid:28)n, je n'oublie pas que la psychologie cognitive n'est rien sans les su- jets, et j'ai donc une pensée pour les 412 nouveau-nés et leurs 412 mamans assorties de quelques papas, les 268 étudiants et assimilés, et les 15 petits singes pas si bêtes qui ont bien voulu se prêter à mes drôles d'expériences. iv v Sommaire 1 Introduction: l'initialisation phonologique 1 2 Le rythme de la parole 39 3 La resynthèse de parole 65 4 Discrimination de langues par des sujets adultes 81 5 Discrimination de langues par des nouveau-nés 105 6 Discrimination de langues par des singes 147 7 Conclusion: le rôle du rythme dans l'acquisition du langage165 Annexes 181 A Méthodes pour l'étude des nourrissons 181 B Instructions et (cid:28)chiers d'exemple 187 C Expériences supplémentaires de discrimination de langues par des nouveau-nés 197 Bibliographie 205 Table des matières 221 Table des (cid:28)gures 227 Liste des tableaux 229 vi 1 Chapitre 1 Introduction : l'initialisation phonologique la naissance, les êtres humains sont incapables de parler et n'ont pas A l'air de comprendre ce qu'on leur dit. Pourtant, au bout de quelques années, ils maîtrisent (au moins) une langue, sa grammaire, sa prononciation, et ses quelques dizaines de milliers de mots. Comment y parviennent-ils? Si l'onencroitlesidéesreçues,l'apprentissaged'unelangueserésumeàapparier des sons et des objets, et éventuellement à (cid:19) se faire l'oreille (cid:20) aux sonorités de la langue. Nous allons voir au contraire que le langage est complexe, au point que son apprentissage puisse paraître véritablement mystérieux. Pour apprécier la di(cid:30)culté de la question, mettons-nous temporairement dans la peau du bébé qui cherche à apprendre le français. Pour un bébé, le français, c'est du chinois... Lorsque nous écoutons du chinois, ou toute autre langueinconnue,lapremièrechosequinousfrappeestquenousentendonsun son continu qui ne s'interrompt que lorsque le locuteur hésite ou reprend sa respiration; nous sommes parfaitement incapables de savoir quels mots celui- ciaprononcés.Cetteobservationmetenévidencele faitque,contrairementà l'écriture, la parole ne comporte pas de (cid:19) blancs (cid:20) qui indiqueraient le début et la (cid:28)n des mots. De même, lorsque le bébé entend (cid:19) Regarde le chien (cid:20), il entend en fait [J(cid:21)gaJdl(cid:21)Mj(cid:3)(cid:24)]1. Comment savoir quelles séquences de sons constituentdesmots?C'estcequel'onappelleleproblèmedelasegmentation dela parole en mots. Même en supposantce problème résolu, commentsavoir que la séquence [Mj(cid:3)(cid:24)] est un nom, qui fait référence à un animal, plutôt qu'un verbe, qui fait référence à une action? De toute évidence, il n'est pas si facile quecelad'apparierdessonsetdesobjets,neserait-cequeparcequ'ilfaudrait déjà savoir quels sons apparier à quels objets. 1.En alphabet phonétique international. 2 CHAPITRE 1. INTRODUCTION L'apprentissage du langage est en fait tru(cid:27)é de ce genre de problèmes. C'est ce qui a motivé l'émergence d'une nouvelle approche, appelée initialisa- tion phonologique. Le présent chapitre a pour but d'exposer cette approche, dans la mesure où elle sert de cadre théorique à toute la thèse. Nous allons commencer par expliquer plus en détail certains problèmes classiques ren- contrés par les théories de l'acquisition du langage, puis nous montrerons comment l'initialisation phonologique peut contribuer à les résoudre. 1.1 Quelques problèmes classiques de l'acquisi- tion du langage Pour mieux apprécier ces problèmes, il est important de considérer la manière dont le langage est structuré. Pour correctement maîtriser sa langue maternelle, l'enfant devra en fait en apprendre: la phonétique: l'ensemble des sons élémentaires de sa langue (les pho- nèmes); la phonologie: les principes selon lesquels ces sons élémentaires s'assem- blent en syllabes, et également les principes qui dé(cid:28)nissent l'accentua- tion, les tons, le rythme et l'intonation; la morphologie: les règles qui dé(cid:28)nissent les in(cid:29)exions sur les mots, telles les marques du genre, du nombre, du temps des verbes, etc... la syntaxe: les règles qui relient les mots entre eux, et qui permettent de déduire le sens d'une phrase du sens de ses mots; le lexique: les mots et leur signi(cid:28)cation (la sémantique). Bien entendu, ces di(cid:27)érents niveaux ne sont pas entièrement indépendants les uns des autres. Ainsi, la phonologie s'appuie sur la phonétique et en partie sur le lexique. Par ailleurs la morphologie, la syntaxe et le lexique sont étroitement liés. Pour comprendre l'acquisition du langage, il est donc important de déterminer comment et dans quel ordre ces di(cid:27)érents types de connaissance sont appris par l'enfant. 1.1.1 Apprendre le lexique Nous avons expliqué ci-dessus que le premier problème de l'acquisition du lexique consistait à segmenter la parole en mots. On pourrait objecter que les mères ne font pas des discours philosophiques à leurs enfants, mais au contraire leur disent des phrases très courtes et le plus souvent réduites à un seul mot. C'est à la fois vrai et faux. S'il est vrai que les phrases adres- sées par les mères à leurs jeunes enfants sont plus courtes que la moyenne, 1.1. PROBLÈMES DE L'ACQUISITION DU LANGAGE 3 elles ne se réduisent quasiment jamais à un seul mot (Ratner, 1996; van de Weijer, 1998). Encore pire, même lorsqu'un expérimentateur demande à des mères d'apprendre un mot particulier à leur enfant, elles ne le prononcent pas pour autant en isolation (Aslin, Woodward, LaMendola, & Bever, 1996). Le problème de l'extraction des mots du (cid:29)ux de parole est donc bien réel. Supposons maintenant qu'il soit déjà résolu. Cela n'est pas su(cid:30)sant pour apprendre le lexique. En e(cid:27)et, un lexique ne se résume pas à un catalogue de formes sonores, encore faut-il attacher un sens aux sons. Cette tâche peut sembler en apparence très simple: par exemple, la mère de l'enfant pointe le chien du doigt et dit (cid:19) Regarde le chien! (cid:20) (cf. par exemple Locke, 1690). Soulignons quelques problèmes qui se posent à l'enfant avant de pouvoir apprendre le mot (cid:19) chien (cid:20): (cid:21) Même en supposant que l'enfant a réussi à segmenter la phrase en les trois mots qui la constituent, encore faut-il qu'il associe le sens de (cid:19) chien (cid:20) au son correspondant, plutôt qu'au son de (cid:19) regarde (cid:20) ou de (cid:19) le (cid:20). Ce qui suppose qu'il sache à l'avance que ces sons ne peuvent pas désigner un chien, ou bien qu'il soit déjà capable d'une analyse syntaxique primaire de la phrase: (cid:19) regarde (cid:20) est un verbe, (cid:19) le (cid:20) est un déterminant, (cid:19) chien (cid:20) est le seul nom de la phrase, donc c'est le seul mot qui puisse désigner un objet ou un être. (cid:21) Déduire le sens même du mot (cid:19) chien (cid:20) en observant la situation est également problématique, comme l'a fait remarquer Quine (1960). Car autant que l'enfant sache, sa mère pourrait très bien être en train de désigner le mur derrière le chien, le canapé sous le chien, la queue du chien, le mouvement de la queue du chien, le caniche, ce chien particu- lier, ou au contraire tous les animaux à poils noirs bouclés. (cid:21) Pire encore, tous les noms n'ont pas la qualité du mot (cid:19) chien (cid:20) de référer à un objet visible dans le monde. Ce problème est exacerbé dans lecasdesenfantsaveugles,pourlesquelsaucun motneréfèreàunobjet visible dans le monde, et qui malgré tout acquièrent un lexique aussi important et avec la même rapidité que les enfants voyants (Landau & Gleitman, 1985). Sans aller chercher ce cas extrême, il est tout de même courant de parler de choses qui ne sont pas dans la pièce ou dans le champ visuel, même à un enfant. L'apprentissage des verbes présente les mêmes problèmes en pire. En ef- fet, un grand nombre de verbes fréquents ne correspondent à aucune action visible (notamment les verbes référant à une activité mentale: penser, croire, vouloir...) ou e(cid:27)ectuée au moment de l'énonciation (les verbes à l'impératif réfèrent typiquement à des actions souhaitées plutôt qu'observées). En(cid:28)n, la nature même des verbes et des actions qu'ils décrivent rendent l'interpréta-
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