ETUDES CARMËLITAINES LE C O E U R D E S C L-Ë E D E B R 0 U W E R LE .COEUR LES ÉTUDES CARMÉLITAINES CHEZ DESCLÉE DE BROUWER 1 SWAMI ADIDEVANANDA 1 GERMAIN BAZIN P. LOUIS BEIRNAERT 1 MICHEL CARROUGES 1 P. M.-D. CHENU CLAUDINE CHONEZ 1 PAUL CLAUDEL 1 LOUIS COGNET 1 P. PIERRE DEBONGNIE 8MILE DERMENGHEM ANDR8 D~UMAUX D• FRANÇOISE DOLTO JEAN DORESSE STANISLAS FUMET HENRI GOUHIER ANTOINE GUILLAUMONT ARMAND HOOG P. ANDR8 LEFÈVRE Prof. JEAN LHERMITTE JACQUES MADAULE LOUIS MASSIGNON P. PHILIPPE DE LA TRINIT8 GUY STRESSER-P8AN ·r MICHEL APl8 001 collaboré à oe1 ouvrage de la viogc-ncuvième année des ÉTUDES CARMÉLITAINES ACHEVE D'IMPRIMER LE 20 SEPTEMBRE 1950 1 Copyright by Dudu Dt Brou'IIJ<T & Git. - 1950. 1 1 l LIMINAI RE Qu'est-u q~ le cœur, ce muscle palpitant qui étonnait les Primitifs? Personne ne peut st passer de cœur, aussi co11f!enait-il d'interroger les esprits les plus di11ers - fussent-ils opposés - laissant à cha,;un la responsabilité de son explication ou de son tlrnoig1UJG•· Et le ma/leur sans doute n'a pas éti icrit. Pourtant il suffit de parcourir les tables pour st rendre compte que l'oUtJTage, s'il n'est pas exhaustif, ptt1t contenter le désir. Allant du cœur anatomiq~ au Sacri-Cœur, tra11ersant le temps et l'espace, nous n'® Ons pas dissocié la grâce de la nature en matiire si TJÎ'Va11te. Certes, aimer ®ec le mime cœur n'est pas toujours aimer aTJec le mime amOflr. Toutefois, le cœur a cette noblesse d'être le Centre : celui de /'humanisme comme celui de l'lncamatiotJ. Et c'est au cœur lranSTJerbéri et si profondément humain de Thérèse d'Avila, où rien ne s'est perdu, oil tout s'est u11ifié po11r la propulsion vivifiante, que , dédient cet ememble LES • ÉTUDES CARMÉLITAINES "· 9 • F1·t· 1. - SAINT FAANCOll XAVIU. StAT\.'11lH11011 DU x-v111• S:l~CU. Chapelle dt Ros.:irio il Ouro Prcco (UrfsiO (pboto Cum-.ln U1ûn; voir lc:xlc p. 349). 1'>11 LE CŒUR COMPTE Qui n'a suivi au coun d'un concert avec appréciation et sym p:ithie la mimique du chef d'orchestre? (Et peut-être même que pour en jouir complètement il serait préférabli d'être sourd!) C'est dommage que nous ne le voyions que de dos et que nous ne puissioos, comme ce peuple de ses sujets que nous tenons là dewnt nous, en rangs l'un detriètt l'autre, asservis à sa vociféra tion silencieuse, profiter de ce regard tour à tour inquiet, désespéré cr triomphant, sévère, suppliant, insistant, mellllçant, persuasif, qu'il promène des violons ~ la batterie et de la contrebasse aux cuivres! La main droite brandit comme un rais de foudre l'archet qui joue de l'iostrument huroain et la main gauche, impérieuse et bénissantc, de ses cinq doigtS déliés et de sa paume délicate et vibrootc, cnressc, comme u.ne chevelure, comme la robe d'un coursier m31 dompté, l'uùmal intelligent et multiple qui l'écoute et qui puise le son dans sa prunelle. La main droite avec autorité et douceur donne la mesure, mais la main gauche, dans le dérail le plus varié, donne le sentiment. Elle insinue le doigré. Et c'est tout ainsi que notre monture spirituelle en nous, le moteur de toute notre machine org"Jnique, en même temps qu'elle nous fournit la mesure, informe en nous, exprime et qualifie le senciment. Le cœur, cet appareil savant et compliqué de clefs, de soupapes et de tiroirs n'est pus seulement appelé à diriger en nous l'orchestre organique, i\ lui donner et mesurer la vie : en même temps qu'il bat, il écoute et ce n'est pas pour rien qu'on a donné à ses deux anses supérieures le nom d'orei/lclt•s. Ce n'est pas assez pour lui de donner une nouvelle impulsion à ce Bot conùnuel et cir culaire qu'il a reçu, traducteur du Soù'llle, avec Adam, de la bouche de l'~ternel : et qui ne cesse depuis sa mise en marche de vérifier dans les degrés les plus délic::ltS et les plus divers de son équilibre et de son suspens notre paradis mortel (ce paradis qui ne cesse pas en nous d'être contemporain avec sa propre création). Le po~tc e.n même temps qu'il fait, il écoute jusque dans le plus fin et le plus loinrain êcho, l'impact de la poussée ouvrière sur l'œuvre r<!alisée et de la force sur la fonction. Toute résistance, pour si nùnime qu'elle soit, tout retard, tout désordre se traduit au centre par une variation de ce pouls qu'ont si profondément étudié les Il PAUL CLAUDEL LE CŒllR COMPTE médecins chinois. Car écouter, pour lui, c'est puiser, c'est aspirer, il s'est appliqué, pour lui demander à boire et pour faire place au affectif et intelligible. Rejoins la source! Bats avec Moi l C'est beau, flux nouveau qu'à l'instant il va fournir, à chacun de nos organes. l'homme en plein courant de la durée usant pour vivre de cc triple Au foie, aux reins, aux entrailles, aux muscles jusqu'aux cxtr<! rythme entrecroisé', le ca:ur qui bat, la cervelle qui se contracte, mités du territoire corporel, il tire, il prend, il reprend le jus. Pas pour se la rendre consciente, sur un sentiment ou sur une idée, un moment il ne cesse de recueillir, de goGter et d'expertiser. et les poumons à larges coupées de souffiet qui échauffent, ven Mais ce n'est pas seulement à ce bétail superposé, à ces vivants tilent et animent tout cela! Unis à cette prosodie, la parole, le alambics, à ces automates synchroniques à son battement, à œs chant et la danse élhtent l'édifice de l'action de grftœs. animau.x de viande, à toute la boucherie, qu'il extirpe, souverain Oo est en acte comme Dieu, comme la Trinité! juge et arbitre, uo témoignage. Jusque dans les replis de la sainte cervelle, support de !'lime et élaboratrice de la pensée, il puise, Pnul CLAllDEt. il fouille, il requiert, il trouve mati~re, il emprunte, il soutire à 1·ame de quoi l'apporter, de quoi la mettre d'un seul coup, co une seule onde, en un seul battement instantané, eo état de contact et d'échange avec toutes les provinœs de son royaume. L'4me, abreuvée de sang, unie à la cervelle et aux sens, connait, discerne, assimile tout cc qui lui arrive du dehors, aussi bien dans le domaine physique que dans celui des réalités spirituelles. Tout cela, elle le livre à cet organe ou milieu de nous qui est chargé de continuer et de relancer en nous notre être par une propulsion sans cesse renouvelée. De tout ce que l'esprit par le moyen des sens apprend, le ca:ur prend compte. li répond à chaque modifica tion de notre forme extérieure qui est la connnissance, par une variation de la balance et de l'équilibre intérieurs et de cet acte en nous circulaire qui est de naitre. De cet acte l'esprit à son tour 1 prend épreuve et de cc dessin paniculier de la conscience qw 1 répond à un moment particulier de la connaiMance. La connais sance se transforme en conscience, l'impression en cxprcssioo, 1 le motif en émotion, la sensation intelligente en un rythme. La 1 pensée prête à bondir sent frémir et 'palpiter en elle ce tremplin. 1 Elle éooutc le contre-coup. Et parfois la passion entre en jeu et 1 c'est le ca:ur alon qui prend l'initiative. Il demande à l'esprit de 1 quoi alimenter ce branle, cette phrase de désir, de douleur et de contemplation qu'il a entreprise et à qui en un mètre accélérê 1 ou ralenti, il fournit impulsion, résilience, ictu:. C'est ainsi que dans la voix des grands orateurs et des vrais po~es on sent battre 1 n y 1 un ca:ur dont le temps se communique au nôtre. a mille hom 1 mes à la fois qui boivent à la mEme parole et qui s'arrangent intérieurement pour la produire en même temps qu'ils l'en 1 tendent. 1 Quand donc le Maitre nous dit : Donne-Moi ton cœurl cela 1 veut dire : Mon fils, donne-Moi ce qui au centre de toi-mê11.1e est 1 ta cause, le principe régulateur de ta vie, de ton rythme sensible, 1 12 13 1 1 LE CŒUR DANS S ES RA PPORTS AVEC LES ÉTATS AFFECTIFS A lire ssos avertissement l'énoncé du problème que nous nous proposons d'exposer et, sinon de ro!soudrc, du moins d'éclaircir, le lecteur risqucr:iit de 1112Difcstcr quelque surprise. • Comment peut-on songer, se dc1112ndcr:iit-il, à discuter aujourd'hui si Je =ur ' 1 peut être coosi~ré comme le siège des passions et des sentimena alors que personne ne doute plus que chacun des éléments dont se compose la tr:imc de notre vie psychologique prend sa source et s'éP3nouit au sein de la substance cérébrale. • En réalité, les choses ne sont P3S si simples que le commun le suppose, et notre propos vise, précisément, à faire voir que si, depuis bien des siècl.es, le co:ur est pris couramment pour synonyme de courage, de gfoérosité ou d'amour, c'est que, à cet usage, il y a quelque raison. Avant de pénétrer au vif de nocrc sujet, examinons donc la manière dol)t les premiers psychophysiologistes, ceui;: qui étaient nppclés : c les philosophes de lu nature • et les médecins, se sont imaginé le rOle du co:ur dans la genèse des passions, des émo tions, en langage actuel, de nocre comportement passionnel et de notre c expérience affective •. Sous cette dernière dénomination, il faut entendre ce qui est véritoblement vécu dans une expérience sensible, et donc cc qui ne peut ecre perçu que par une conscience de soi. Qu'on veuille bien nous excuser de présepter en un bref rac courci quelques opinions et quelques théories qui ont été soulevées et tour à tour défendues et combattues par les plus grands esprits, au cours des longs sîècles qui ont précédé l'essor de la science contemporaine. Sans une connaissance au moins sommaire des mouvements des idées qui se sont fait jour à propos de nacre objet, il est impossible, croyons-nous, de saisir exactement la ponée du problème qu'il nous faut aborder. Molgré la confusion qu'ils avaient faite entre les vaisscaœ< sanguins, les nerfs et les tendons, il semble bien que les médecins de la Haute l!gyptc, grke à uoe certaine connaissance anatomique ,-qu'ils devaient à la pr:itique des embaumements, aient été les pre miers à remarquer les tractus qui irr:idient du ca:ur dans tous les 1 organes du corps, et que de cette observation ils aient conclu que 1 le co:ur est l'organe fond2mental de la vie et que, d'autre pan, cer- 1 1 17 1 L~ <:a:~t. - ;z, 1 P' JEAN UŒR/>UTT! lE C<EUlt DANS SES RAPPORTS AVEC lES ÉTATS ArnCTIFS tains états psychiques, tels que la colère, le chagrin, le dégo61 peu vent être expliqués précisément par cette disposition anatomique. Nous saisissons, ici, une des premières démarches de l'esprit Quant à l'état de la science grecque à l'époque d'Homère, par 'lesquelles les philosophes grecs s'efforçaient de rottochcr laquelle était beaucoup moins rudimentaire qu'on ne s'est plu à le la source de cc que nous appelons aujourd'hui l'affectivité, croire pendant longtemps, il appar-..11 clairement, comme y insiste à quelque modification de la • crase sanguine •. Et tout au long Darcmbcrg, que les phY$iologistes de cette époque tenaient des si~es, cette idée sc rcuouvcra parmi les multiples théories le diaphragme et les organes qui lui sont contigus, et plus panicu qui furent irnai;inécs dans le dessein d'appréhender et de com lièrcment le ca:ur, pour le substrat des sentiments et des passions. prendre le pourquoi du bouleversement, tout ensemble physique Et ceci pour la raison que les émotions, et d'une manière générale, et psychique, qui caractérise chaque état affectif ou passionnel. les • grands mouvements qui agitent !'Ame • sont prêcisémc'm C'est ainsi que, selon Hippocrate, les fonctions du cerveau j perçus dans la poitrine. En sorte que le terme de ca:ur fut employé (, •réceptacle de la pensée >, et donc de l'intelligence, se découvrent à la fois dans Je sens psychologique et dans le sens anatomique. 1 sous la dépendance du jeu du ventricule gauche vide de sang, L'on disait aussi bien, le ca:ur lui manque, cc qui veut dire en car cette cavité contient quelque superfluité pure et lumineuse, langage physiologique actuel, que le myocnrdc subit par le fait laquelle émane d'une sorte de secréùon sanguine. d'une émotion ou de quelque autre cause, une inhibition ou une Débarrassé de ses impuretés, le sang livre donc à l'encéphale défaillance, que • se ronger le ca:ur " ovoir joie dans le ca:ur, les esprits animaux qui circulent à travers tout le système nerveux. avoir Je cœur ému, courroucé ou affiigé. Aujourd'hui encore, Selon cette vue, c'est encore la pièce essentielle de la circulation nous ne nous exprimons guère autrement pour exprimer méta sanguine, le ca:ur, que l'on voie figurer au premier rang parmi les phoriquement nos sentiments de joie ou de tristesse. . . facteurs qtû conditionnent la vie de l'esprit, et, par conséquent Avec Démoaite et Alcrnéon (de Crotone), la localisanon du nottc affectivité, comme oorre entendement. ' substrat de nos pulsions, de nos passions et de nos sentiments Nous ne croyons pas qu'il y ait eu dans la Grèce antique un esprit s'efforce d'être plus précise, et déjà l'on voit s'affirmer cette en qui ait germé une intuition plus profonde et une connaissance doctrine que le cerveau est le support ou le réecptaclè de la pensée, mieux éclairée de ce que l'on doit considérer comme le substrat tandis que la colère a pour siège le ca:ur et le désir le foie. Le fonde de notre vie psychique, que l'auteur inconnu de la Maladie 1 ment de ces idées, nous le dtcouvrons dans l'observation des faits Sacrie (l'épilepsie). • C'est par le cerveau que nous pensons, 1 objectifs d'une part, et dans cette remarque que tout êuc conscient que nous entendons, écrit cet admirable précurseur de la science 1 de soi peut faire : que les émotions pénibles • remuent la bile • moderne, c'est p:ar cet organe que nous COI1Il3Ïssons le bc3u 1 ou entrainent des douleurs dans la région hépatique, tandis que et le laid, le mal et le bien, l'agréable et le désagréable, le plaisir ' Ja joie, le plaisir, l'amour foDl battre le ca:ur et s'accompagnent et le déplaisir. Mais si le cerveap n'est pas sain, c'est par lui que d'un sentiment agréable de dilatation de ln poitrine. 1 nous délirons, que des craintes ou des terreurs nous assiègent, Dois-je faire remarquer que les émotions pénibles cnuaincot .l que des songes et des soucis nous tourmentent. Quant au dia les sensations opposées, cc que les premiers psycbophysiologistes I' phragme, il n'a rien à faire avec l'intelligence et l'affectivité, avaient parfaitement retenu. Mais, comment sc élit-il que le non plus d'ailleurs que Je ca:ur. • plaisir, ln joie, les émotions agréables nous fournissent cc sentiment Sans doute, p3r l'effet d'une joie vive, et d'une peine profonde, de plénitude pectorale? Parce que, répondent Parmérudc, le ca:ur se contrnete comme le diaphragme et tressaille à cause et Empédocle, •si nous pensons les choses parce que celles-ci sont des soubresouts (qui sont nos extra-systoles), mais ni l'un ni composées d'éléments identiques à ceux dont est composé notre l'autre n'a part à l'intelligence ni aux fonctions supérieures. corps, c'est dans Je sang, et plus particuli~cmcnt dans le sang ltvidcmment, l'auteur de la Maladi1 saa-ie insiste en premier du ca:ur que la • crase • de ces éléments sc trouve le miew< lieu sur l'indépendance des fonctions du ca:ur d'avec celles tempérée >. de l'intelligence ; et il le fallait bien à cenc période historique Organe essentiel, aussi bien à la vie matériclle qu'à la vie où l'on tenait pour assuré que Je ca:ur se trouve à la source de toute de l'esprit, l'on comprend oinsi que cc soit cet organe (le ca:ur) notre vie. M.uis notre auteur ne néglige pas pour autant de consi qui, dans l'embryon, se développe en premier lieu. dérer les passions, les affections et les sentiments, que ceux-ci apparaissent marqués de joie ou de tristesse. Sur cc point encore, 18 19