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Repenser l'Indépendance : la RD Congo 50 ans plus tard PDF

216 Pages·2011·2.55 MB·French
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PPPPoooolllleeee IIIInnnnssssttttiiiittttuuuutttteeee IIIInnnnssssttttiiiittttuuuutttt IIIInnnntttteeeerrrrccccuuuullllttttuuuurrrreeeellll ddddaaaannnnssss llllaaaa RRRRééééggggiiiioooonnnn ddddeeeessss GGGGrrrraaaannnnddddssss LLLLaaaaccccssss Repenser l’Indépendance : la RD Congo 50 ans plus tard Actes du Colloque du cinquantenaire organisé par Pole Institute Goma Juillet 2010 Repenser l’Indépendance : la RD Congo 50 ans plus tard - Actes du Colloque du cinquantenaire TABLE DES MATIERES Préface..............................................................................................................................................4 Thème I : Independance cha !cha ! Danser enfin le bon pas......................................................8 Chemin pour un nouveau destin africain : Donner un sens a la commémoration du cinquantenaire des indépendances africaines (Kä Mana) ...................................................8 Panafricanisme et indépendance : rôle des mouvements de libération dans le processus d’unité africaine (Moukoko Priso) .....................................................................................26 Une reforme nécessaire : dépasser une centralisation étouffante (Antoinette Kankindi)...38 L’Etat congolais, au-delà des ethnies (Jean Patrice Ngoyi) ..............................................50 Raconter l’Etat à partir des marges :l’expérience de la frontière Goma-Gisenyi. (Martin Doevenspeck)......................................................................................................................54 Gouvernance sans gouvernement? le rôle de l’état congolais dans la gouvernance urbaine semi-autonome; état des lieux et réflexions sur l’avenir. (Karen Buscher, Richard Bongenia)...........................................................................................................................60 Thème II : Indépendance et interdépendance : inventer des convergences porteuses..........67 Strategies chinoises de survie à Kinshasa, République Démocratique du Congo (Thierry Vircoulon)...........................................................................................................................67 L’ONU dans le processus de préservation de l’indépendance de la République Démocratique du Congo (Hilaire De Prince Pokam) .......................................................78 Thème III : Ressources naturelles : casser le cycle de la malédiction.....................................96 L’économie solidaire : une stratégie pour rebâtir l’espoir et susciter la confiance chez l’homme congolais du XXIe siècle. (Sebisogo M. Laurent)..............................................96 Le double Congo – économique et politique : approches parallèles et schizophrènes : cas de la table ronde économique de bruxelles (1960). (Aloys Tegera).................................112 Ressources naturelles et dépendance économique : cas de la GECAMINES en R.D.C. (Emmanuel Ndimubanzi) .................................................................................................118 L’or et le pétrole de l’Ituri, quelles retombées sur la vie de la population? (Alfred Buju) ..........................................................................................................................................125 Les richesses du Congo : casser la malédiction. réflexions sur la construction d'une « économie populaire » en RDC (Dominic Johnson).......................................................134 Thème IV : Refonder quoi à partir d’où ? Le défi culturel....................................................137 ©Pole Institute 2010 2 Repenser l’Indépendance : la RD Congo 50 ans plus tard - Actes du Colloque du cinquantenaire L’indépendance du Congo 50 après : inverser le destin prévu par le quatrième banquier belge ! (Enerst Folefack)..................................................................................................137 Congo : mythes, fantasmes et perceptions (Christian Kayser) .......................................144 Quand donc finiront les indépendances ? le désenchantement post-colonial à travers la littérature écrite africaine (Onesphore Sematumba) .......................................................156 Football - musique - sape = les trois piliers de la nation congolaise ? (Jean-Pierre Lindiro Kabirigi)...........................................................................................................................162 Femme congolaise : 50 ans sur le sentier de la démocratie. Le "lisolo" de ma petite-sœur (Thierry Nlandu Mayamba)..............................................................................................169 Mythologies blanches : découvreurs et sauveurs du Congo (Gabriele Dietze)...............178 Témoignages, d’hier à aujourd’hui..........................................................................................189 Le hip hop influence le quotidien congolais (Moses Bimanyu)..................................189 Le jeudi, 30 juin 1960 : à 27 ans, je hisse le drapeau du Congo indépendant (Sylvestre Kahindo Mapera).............................................................................................................191 Cinquante ans d’indépendance c’est cinquante ans de guerre, de souffrance et de misère (Thomas Kibira Katarungu).............................................................................................196 Le Congo de maman (Maryse Grari)...............................................................................199 A Goma, après le 30 juin 1960 le calme ne dura pas longtemps (Simon Nyiringabo).....205 Discours de Patrice Lumumba, premier ministre, le 30 juin 1960...............................................209 Déclaration conjointe des gouvernements congolais et belge......................................................212 La dernière lettre de Patrice Lumumba à Pauline, sa femme.......................................................212 Liste de participants.....................................................................................................................214 ©Pole Institute 2010 3 Repenser l’Indépendance : la RD Congo 50 ans plus tard - Actes du Colloque du cinquantenaire PREFACE A l’occasion du 50e anniversaire de l’indépendance du Congo, Pole Institute, Institut interculturel dans la Région des Grands Lacs, a organisé à Goma du 29 juin au 3 juillet 2010 avec l’appui de EED, NOVIB, DFID et de l’Ambassade d’Allemagne à Kinshasa un colloque international autour du thème « Repenser l’Indépendance : la RD Congo 50 ans plus tard ». L’objectif de ce forum était de jeter un regard critique et constructif sur l’évolution des cinquante dernières années, la situation actuelle et les perspectives pour l’avenir. Nous voulions fêter à notre manière ce jubilé, en analysant en toute lucidité la situation réelle de ce pays et les facteurs probables qui l’y ont conduit tout en puisant dans notre engagement sans cesse renouvelé pour un meilleur avenir et une vie plus digne pour tous les Congolais. Nous voulons nous attaquer à la résignation qui accepte la situation difficile et insoutenable dans laquelle vivent la plupart des Congolais comme une fatalité ou un sort malveillant. Nous voulons récuser les hypothèses haineuses, destructrices et infantilisantes qui tournent autour de la recherche d’un bouc émissaire, l’éternel « autre », qui causerait tous les malheurs du Congo. La quarantaine de participants, chercheurs et praticiens, sont venus des quatre coins de la RDC (Kinshasa, Bas Congo, Katanga, Ituri, Nord et Sud Kivu), ainsi que du Cameroun, du Kenya, du Bénin, du Nigeria, de l’Afrique du Sud, de la Belgique, du Luxembourg, de la France et de l’Allemagne. L’Institut a, de l’avis des participants, pu initier et faciliter un débat constructif sur les responsabilités des uns et des autres, les erreurs du passé, les trésors d’expérience enfouis et les pistes pour l’avenir. L’idée de penser ou de repenser l’indépendance en dehors des contextes de célébration de pouvoirs a été vue par tous comme une nécessité urgente et il y a de fortes attentes par rapport à la suite du colloque et des retombées qu’il aura. Trois témoins des moments historiques de juin 1960 nous ont parlé de leurs expériences et émotions en un temps ou baisser le drapeau belge pour hisser le drapeau congolais était un symbole fort qui signifiait que désormais tout était possible ! Puis arrivèrent les évènements traumatisants de l’assassinat de Patrice Lumumba et ce qui a été vu par beaucoup comme la prise en otage ou pire de la jeune indépendance. La relecture du discours de Lumumba fut un moment fort du colloque. Un participant du Cameroun rappelait à tous les amitiés panafricanistes entre Lumumba, Félix Moumié du Cameroun et Kwame Nkrumah du Ghana. De jeunes participants, étudiants et animateurs des média, ont été fascinés de pouvoir échanger avec les mémoires vivantes du passé tout en expliquant à quels sons et émotions vibrent les jeunes Congolais. Les travaux se sont fait en quatre temps : • Indépendance Cha ! Cha ! Danser enfin le bon pas Nos indépendances tant en RDC qu’au Cameroun ou au Sénégal relèvent de schèmes profonds : 1) Les fêtes d’indépendances se caractérisent par des défilés comme moments essentiels devant des présidents bien assis sur leur pouvoir entourés d’autres présidents et épaulés par des conseillers venus de divers horizons. Derrière cela se cache un projet incarné par un homme et son pouvoir. Nous célébrons notre ignorance de ce qu’être indépendant signifie. Nous vivons une désorientation globale. ©Pole Institute 2010 4 Repenser l’Indépendance : la RD Congo 50 ans plus tard - Actes du Colloque du cinquantenaire 2) Nous fêtons l’indépendance avec nos musiciens et nos musiques. Cette ivresse nous donne de la joie et de l’énergie. Mais nous noyons cette énergie dans l’alcool. Hélas nous dansons pour ne pas réfléchir. Cette mentalité calamiteuse a envahi les peuples. 3) Nous souffrons de l’étourderie de l’intelligentsia africaine qui se comporte en courtisans des hommes au pouvoir. 4) Des forces de résistance et de révolte par rapport à cette situation existent mais elles sont marginalisées. En chaque Congolais il y a Mobutu qui nous a marqués et qui a créé une culture, le pays s’effondre pendant que nous dansons. Mais il y a aussi Lumumba et Kimbangu qui représentent d’autres approches. Comment les renforcer en nous ? Comment réussir une indépendance qui ouvre le chemin au développement et nous permet à chacun d’assumer notre liberté ? Comment repenser de nouvelles indépendances en cassant avec les orientations politiques de fond ? Comment changer nos révoltes en révoltes constructrices selon un concept du Bustani Ya Mabadiliko de Pole Institute ? Comment créer une nouvelle dynamique éducative fondamentale pour que les générations futures aient d’autres bases pour construire ? Enfin : il y a un lien très fort entre l’indépendance du Congo au centre du continent et celles des autres pays. Dans les années cinquante et soixante les enjeux des indépendances étaient liés aux aspirations panafricaines. Qu’en est-il aujourd’hui ? Mais le Congo n’est pas un cas isolé. La relecture et l’analyse des romans du grand Amadou Kourouma a fait réfléchir plus d’un sur le sort commun des anciennes colonies et les velléités de leurs dirigeants. Au fil du colloque a émergé l’hypothèse forte que l’Indépendance est aussi et surtout un état d’esprit qui permet de s’assumer et de s’intégrer dans un système de gouvernance tout en demandant des comptes aux décideurs quels qu’ils soient. • Indépendances et interdépendances : inventer des convergences porteuses ! La majorité des Congolais et des Africains aujourd’hui vivent parfois sans Etat mais surtout en dépit de l’Etat. Et pourtant depuis longtemps au Congo il y a une attente que l’Etat se construise ou fonctionne comme par miracle. L’Etat existe bel et bien mais il ne rend pas les services de base aux populations. La sécurité, l’éducation, la santé, le développement économique, tous ces éléments vitaux sont laissés au hasard, à l’inventivité des populations ou au bon vouloir des interventions de pouvoirs extérieurs cherchant évidemment leurs propres intérêts. Le triste constat est que l’Etat congolais existe mais que depuis les temps coloniaux jusqu’à ce jour il a été et est privatisé ou pris en otage par des individus ou des petits clans. L’ONU, la MONUC ou la MONUSCO sont encore et toujours présents représentant des intérêts divers et parfois contradictoires. De toutes les façons elles ne peuvent donner de solution à moyen ou long terme pour la stabilisation du pays. L’ONU et ses organisations doivent-elles systématiquement défendre le pouvoir en place considéré comme légitime ? Quelles sont les bases de légitimité d’un gouvernement ? Les élections seules ne semblent pas suffire au vu des perceptions et réactions des populations à plusieurs moments de l’histoire congolaise. ©Pole Institute 2010 5 Repenser l’Indépendance : la RD Congo 50 ans plus tard - Actes du Colloque du cinquantenaire Comment ré-introduire les Congolais dans le jeu ? Ils sont les seuls à pouvoir assumer leurs responsabilités. • Ressources naturelles : casser le cycle de la malédiction La violence, l’ignorance et la destruction sont les racines de l’économie coloniale et restent les bases de l’économie officielle « formelle » d’aujourd’hui. Le scandale du pillage des ressources congolaises est connu et commenté mais le fait que même lors de l’Indépendance ses ressources restaient aux mains d’actionnaires privés pour la plupart belges est moins connu. Quand Mobutu a nationalisé ces entreprises en 1973 lors de la « zaïrianisation », il les a en fait privatisés au profit de lui-même et de son entourage. Et jusqu’à ce jour les contrats autour de ces entreprises manquent de transparence. Comme le formulait un participant, nous sommes en train de dire aux investisseurs : « Nous vous donnons le sous-sol pourvu que vous bitumiez la surface ». L’économie informelle congolaise fonctionne comme un contre-pouvoir construit par les populations, mais l’Etat actuel, c’est-à-dire l’administration fonctionne comme un frein et un obstacle à cette économie qui constitue la base de la survie des populations. L’appareil d’Etat se transforme en rançonneur des petites et moyennes entreprises et les empêche de prospérer dans le contexte national, régional et international. L’arrivée des Chinois non seulement au niveau des grands chantiers mais aussi comme petits et moyens entrepreneurs aggrave cette situation. Ce n’est pas la maximisation des recettes de l’Etat mais celle des recettes des populations qui fait la richesse d’un pays. Les études sur les frontières comme lieux qui divisent mais qui lient également, comme espaces de conflits mais aussi sources de survie ont illustré la nécessité d’un commerce transfrontalier transparent et équitable. • Refonder quoi à partir d’où ? Le défi culturel Le Congo a de tous temps été une surface de projection de tous les fantasmes possibles et imaginables: à commencer par Stanley, Joseph Conrad, en passant par André Gide, Georges Simenon jusqu’à Che Guevara, Angelina Jolie et tous les sauveteurs autoproclamés, humanitaires, « criseurs » et pacificateurs. Les représentations de l’homme congolais et africain vu de l’occident : le « nègre » païen, bananier, au cœur des ténèbres, l’Africain victime attendant le salut de l’Occident. La continuité historique du mythe négatif de l’homme noir n’a jamais changé depuis le combat de Las Casas de l’indien américain avec une âme, donc semblable à l’image du blanc et de la question du noir sans âme à rendre esclave pour les travaux forcés dans l’économie des plantations des Amériques. Il revient à l’Africain de briser cette continuité historique négative par les mythes porteurs : d’un Congo qui est non pas un ventre mou mais le cœur de l’Afrique, le poumon de l’humanité, voire le cerveau, un Congo de la résistance riche de ses héros, un Congo de ©Pole Institute 2010 6 Repenser l’Indépendance : la RD Congo 50 ans plus tard - Actes du Colloque du cinquantenaire créativité, d’énergie et d’invention de l’espoir dans lequel la multiculturalité est une opportunité et source d’alliances positives. L’identification du Congo et des Congolais au football, à sa musique et à la sape ne suffit pas en elle-même si elle n’est pas complétée par une identité congolaise inclusive et qui s’invente constamment à travers ses sacrifices, sa volonté de vivre ensemble et la mémoire du passé et du présent assumées. Le paraître comme le fort du Congolais devenu non seulement la marque de la classe politique mais aussi celle du peuple devrait impérativement céder la place à la créativité et à l’énergie d’une responsabilité et d’une gouvernance à construire à tous les niveaux. La dimension culturelle souvent négligée nous semble très importante pour une transformation sociale. Il s’agit de la création de mythes constructifs, d’une solidarité entre porteurs d’espoir du Sud et du Nord au lieu de l’éternelle victimisation et exclusion de l’Autre. Le Colloque a été vécu comme un moment de respiration et d’ouverture sur base d’une vision commune. Des liens se sont forgés entre les différents intervenants et participants venus d’horizons divers. Après ce début prometteur Pole Institute se charge d’animer les contacts et de rendre les travaux accessibles à un plus large public. Goma, 2/7/2010 Onesphore Sematumba / Christiane Kayser Pole Institute ©Pole Institute 2010 7 Repenser l’Indépendance : la RD Congo 50 ans plus tard - Actes du Colloque du cinquantenaire THEME I : INDEPENDANCE CHA !CHA ! DANSER ENFIN LE BON PAS « La République du Congo a été proclamée et notre pays est maintenant entre les mains de ses propres enfants. Ensemble, mes frères, mes sœurs, nous allons commencer une nouvelle lutte, une lutte sublime qui va mener notre pays à la paix, à la prospérité et à la grandeur. Nous allons établir ensemble la justice sociale et assurer que chacun reçoive la juste rémunération de son travail. Nous allons montrer au monde ce que peut faire l’homme noir quand il travaille dans la liberté et nous allons faire du Congo le centre de rayonnement de l’Afrique tout entière. » (Patrice Emery LUMUMBA, 30 juin 1960) CHEMIN POUR UN NOUVEAU DESTIN AFRICAIN : Donner un sens à la commémoration du cinquantenaire des indépendances africaines Par Kä Mana* Résumé Partout où ont été commémorées les cinquante années d’indépendances de l’Afrique, les mêmes manifestations se sont rythmées dans une ambiance euphorisante dont les harmoniques de fond se rassemblent étrangement : défilés majestueux, soirées splendides de fête, colloques solennels, cérémonies religieuses magnifiques et débats médiatiques de haute tension. Que signifie cette ressemblance des manifestations du cinquantenaire dans leurs apparences comme dans leurs structures profondes ? Globalement, elles sont des catalyseurs de nouveaux rêves et des révélateurs de nouvelles réalités essentielles pour l’Afrique. On doit voir en elles l’émergence d’une nouvelle volonté africaine de bâtir des sociétés unies, intégrées dans leurs diversités, solidairement prospères et réellement indépendantes. Mais on doit aussi voir en elles le dévoilement des obstacles que l’Afrique a accumulés contre elle-même face aux exigences d’invention de sa nouvelle destinée. Ces obstacles sont légion : corruption, étourderie, mal- gouvernance, culture d’autodestruction, mentalités prévaricatrices, identités meurtrières et anéantissement de l’esprit créateur. Aujourd’hui, les enjeux de la nouvelle indépendance africaine exigent la destruction de ces obstacles par des révoltes constructrices et par l’élaboration de mythes porteurs de sens pour changer l’Afrique et son destin, à partir d’une mise en valeur des atouts gigantesques et du potentiel extraordinairement riche dont disposent les pays africains face aux impératifs de l’avenir. C’est là le chemin du nouveau destin africain : la route de la grande Afrique de l’espérance. Introduction Cérémonies de commémoration Depuis le début de l’année 2010, j’ai observé avec passion les cérémonies de commémoration du cinquantenaire des indépendances africaines. ©Pole Institute 2010 8 Repenser l’Indépendance : la RD Congo 50 ans plus tard - Actes du Colloque du cinquantenaire J’ai commencé mes observations au Cameroun, pays qui inaugura dès le 1 janvier 1960 le festival des auto-déterminations octroyées à l’Afrique par la France. Dans ce pays où je vis, cinq manifestations ont particulièrement attiré mon attention par leur charge symbolique et leur puissance de signification globale. Il y a eu d’abord le défilé grandiose et nimbé de fastes éblouissants organisé devant le Chef de l’Etat et ses prestigieux invités par les forces vives de la nation : les militaires, les militants des partis politiques, les hérauts zélés de la mouvance présidentielle, les jeunes et les grandes organisations de la société civile. Il y a eu ensuite une féerique nuit musicale, un espace festif où furent rassemblées les grandes stars des cinquante dernières années face à un public de hautes personnalités de la nation. La nuit brilla de mille feux dans le décor enchanté du Palais des Congrès, l’un des bâtiments les plus emblématiques de la fierté du Cameroun indépendant. Il y a eu aussi la rencontre des forces politico-intellectuelles pour penser la renaissance africaine, toujours au Palais des Congrès, avec les grandes figures de l’intelligentsia camerounaise et quelques représentants de la pensée africaine trillés sur le volet. Il y a eu également des cérémonies religieuses de grande envergure organisées par les principales confessions de foi en présence des autorités politiques et administratives. Il y a eu enfin des débats médiatiques des hommes de science que personne n’avait associés aux festivités officielles de l’indépendance, mais qui ont imposé dans les journaux et sur les écrans de télévision leur présence ainsi que leur propre vision de l’Afrique et du Cameroun dans la gestion de cinq décennies de liberté. Ces manifestations qui ont frappé mon esprit au Cameroun, je me suis rendu compte qu’elles ont pratiquement rythmé de la même manière toutes les commémorations du cinquantenaire de l’indépendance en Afrique. Particulièrement au Sénégal, au Congo, au Gabon, en RDC et au Bénin, nations dont j’ai suivi avec chaleur les festivals des fêtes de l’indépendance dans tous leurs élans grandioses et dans tous leurs éblouissements pathétiques. En réfléchissant à ces manifestations et à la manière dont elles se sont structurées partout en Afrique, j’ai compris que leur déroulement n’a pas jailli du hasard ni surgi d’une imagination désordonnée. Il a obéi à une logique de profondeur où sont mis en musique des schèmes d’intelligibilité des indépendances africaines et de leur signification dans nos sociétés aujourd’hui. Schèmes de fond Dans la présente réflexion, j’aimerais mettre en lumière ces schèmes de profondeur et les prendre comme socle pour repenser les indépendances africaines et ouvrir la voie à une vision fertile de la liberté des peuples africains aujourd’hui. Mais de quels schèmes d’intelligibilité s’agit-il ? J’en vois essentiellement cinq, qui correspondent aux manifestations dont ils organisent le sens et les enjeux pour toute personne qui réfléchit aujourd’hui sur l’avenir de la liberté en Afrique. Il s’agit, en fait, des structures logiques ©Pole Institute 2010 9 Repenser l’Indépendance : la RD Congo 50 ans plus tard - Actes du Colloque du cinquantenaire suivantes : - le schème idéologique de la construction d’une certaine conscience populaire par des célébrations rythmées en symbiose avec les pouvoir en place ; - le schème ludique de la mise en ivresse de l’être pour que la société dans son ensemble échappe un temps à l’étouffante crise qui brime la vie des pays africains ; - le schème utopique de la liberté comme mise en musique vitale de nouveaux rêves et de nouvelles espérances pour transformer positivement et profondément l’Afrique ; - le schème métaphysique de l’usage de la religion dans l’orchestration politique du cinquantenaire, avec en prime, l’instrumentalisation des forces spirituelles par les maîtres de l’ordre politique régnant; - le schème scientifique qui recherche une compréhension profonde des indépendances africaines sans complaisance ni manipulation de l’imaginaire populaire par des pouvoirs en place. Mon souci dans la réflexion que vous allez lire est d’analyser un à un ces schèmes et d’interroger les visions, les impératifs et les enjeux d’avenir ils comportent. Défilés, parades et exhibitions en honneur de la liberté A mes yeux, le défilé grandiose de Yaoundé, avec ses fastes déployés devant les autorités politiques et administratives, n’a pas été une simple cérémonie festive à la gloire de l’indépendance du pays. Il a, si l’on peut dire, visibilisé quelque chose de plus profond et de plus décisif pour la réflexion sur la destinée africaine : un schème d’intelligibilité de l’indépendance que je qualifie de schème idéologique. Je désigne par ce terme la construction imaginaire d’une réalité à laquelle les forces sociales dominantes et les classes dirigeantes donnent une percussion particulièrement vitalisante, pour faire adhérer à leur projet de société et à leur forme de gouvernance l’ensemble de la population. Ces populations qu’elles cherchent à fasciner par un rituel sacralisé de commémoration dans une symbolique nationale fastueuse et somptueuse. A cette population éblouie, on propose une certaine image du pays, une certaine représentation de sa réalité et une certaine idée de son destin. Dans cette dynamique idéelle gestuellement rythmée par les énergies les plus représentatives de la société, l’indépendance est présentée comme la célébration des victoires du pouvoir en place et la théâtralisation de sa puissance pour conduire le peuple vers la réalisation de ses rêves les plus torrides. Ce que les forces dominantes et les classes dirigeantes cherchent dans les cérémonies de commémoration de l’indépendance, c’est en fait de concrétiser de manière particulièrement saisissante l’une des fonctions qu’assume l’idéologie dans toute société : la fonction d’intégration, pour parler comme Paul Ricœur. La commémoration est ici un rite de légitimation du pouvoir et de ses choix. Elle joue le rôle de mise en scène de l’autorité et de mise en branle des émotions et des pulsions pour que le peuple embrasse la vision que les dirigeants ont du passé, du présent et du futur de la nation. On crée et valide ainsi une union sacrée où sont solennisées les plus belles des aspirations de toute la nation. Celle-ci trouve un moment dans les cérémonies proposées quelque chose comme une âme commune, un même souffle de vie et de ©Pole Institute 2010 10

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La sécurité, l'éducation, la santé, le développement Aujourd'hui, après les illusions euphorisantes de la fête, il est urgent de recadrer la vision de.
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