ebook img

Regards sur les Hmong de Guyane française: Les détours d'une tradition PDF

344 Pages·1997·11.116 MB·French
Save to my drive
Quick download
Download
Most books are stored in the elastic cloud where traffic is expensive. For this reason, we have a limit on daily download.

Preview Regards sur les Hmong de Guyane française: Les détours d'une tradition

REGARDS SUR LES HMONG DE GUYANE FRANÇAISE Les détours d'une tradition Collection Recherches Asiatiques dirigée par Alain Forest Dernières parutions Jean DEUVE, La guerre secrète au Laos contre les communistes (1955-1964), 1995 LU Dong, MA Xi, François THANN, Les maux épidémiques dans l'empire chinois, 1995. Raoul JENNAR, Chroniques cambodgiennes (1990-1994), 1995 Patrice MORLAT, Les Affaires politiques de l'Indochine (1895- 1923), les grands commis: du savoir au pouvoir, 1995. Claude BALAIZE, Villages du sud Viet-Nam, 1995 Michel BODIN, La France et ses soldats, Indochine, 1945-1954, 1996 Monique CHEMILLIER-GENDREAU, La souveraineté sur les archipels Paracels et Spratleys, 1996 Henri LOCARD, Le "Petit livre Rouge" de Pol Pot ou lesparoles de l'Angkar, 1996. Henri STERN, L'Inde desfamilles, leRajasthan, des royaumes à l'Etat, 1996. Gabriel DEFERT, L'Indonésie et la Nouvelle-Guinée Occiden- tale, 1996. Frédéric DURAND, Littérature et bandes dessinées fantastiques sur le monde malais. 1996. Luc LACROZE, Les grands pionniers du Mékong, 1996. Henri LOCARD, Le Petit livre rouge de Pol Pot ou les Paroles de l'Angkar, 1996. Catherine DESPEUX et Frédéric OBRINGER (dir.), La maladie dans la Chine médievale - La toux, 1997. Sous-section "Travaux du Centre d'Histoire et Civilisations de la Péninsule Indochinoise" NGUYEN Thê Anh et Alain FOREST (eds), Notes sur la culture et la religion en Péninsule indochinoise, 1995 Bernard GAY, La nouvelle frontière lao-vietnamienne, 1995 P.B. LAFONT, Initiation à lapéninsule indochinoise, 1996. @ L'Harmattan, 1997 ISBN: 2-7384-5178-0 Marie-Odile Géraud REGARDS SUR LES HMONG DE GUYANE FRANÇAISE Les détours d'une tradition Editions L'Harmattan L'Hannattan INC 5-7,ruedel'Ecole-Polytechnique 55,rue Saint Jacques 75005Paris Montréal (Qc) -Canada H2Y Cet ouvrage est le texte remanié d'une thèse de docto- rat d'ethnologie (nouveau régime) soutenue en décem- bre 1993 devant un jury composé de M. le Pr Jean Benoist, M. le Pr Georges Condominas, M. le Pr Richard Pottier et Mme le Pr Danièle Vazeilles. INTRODUCTION Les Hmong de Guyane française ont été installés à partir de 1977 dans ce département par le gouvernement français sur la proposition d'associations d'aide aux réfugiés et de certains des missionnaires qui avaient évangélisé cette popu- lation en Indochine. Originaires du Laos qu'ils avaient fui en 1975, après l'arrivée au pouvoir des communistes, pour se rendre dans les camps de Thaïlande, ils furent l'objet de divers projets de réinstallation dans des pays occidentaux. C'est ainsi qu'en septembre 1977 les premières familles hmong arrivèrent en Guyane, dans le village de Cacao, où elles devaient se livrer à la riziculture. Leur destinée s'écarta de ce projet initial: les Hmong sont en effet devenus maraî- chers et jouent un rôle déterminant dans l'approvisionnement en fruits et légumes des marchés ur- bains de Cayenne et Kourou. Loin de vivre dans des villages isolés, perdus dans la forêt, comme l'ont laissé entendre les média métropolitains, les Hmong entretiennent des rapports réguliers avec les villes guyanaises: ils s'y rendent fré- quemment et reçoivent la visite des citadins qui ont promu les villages hmong au rang d'attraction touristique locale'. Malgré cela, les Hmong de Guyane restent entourés d'un relatif mystère, dont témoignent les rumeurs diverses que véhiculent les Guyanais, et notamment les Créoles, à leur sujet. On parle d'un «secret de la réussite des Hmong », on les imagine immensément riches, en proie à un goût immo- déré pour l'argent, tout en se félicitant qu'ils restent entre eux, quand on ne leur reproche pas de refuser de se mêler aux Guyanais. Si le sens commun local ne sait que peu de choses sur cette population, le discours savant n'en dit guère davantage. Les Hmong de Guyane n'ont jusqu'à présent jamais fait l'objet d'une étude anthropologique. On dispose pourtant 1.Un deuxième village, Javouhey, à 250 km deCacao, fut créé en 1979, ainsi qu'un troisième en 1988, Rocoucoua. 7 d'une abondante littérature ethnologique sur les Hmong en contexte traditionnel et maints témoignages de missionnaires, voyageurs ou administrateurs2, tandis q\}e les «Hmong de la diaspora» installés en France ou aux Etats-Unis ont suscité de nombreuses recherches3. Mais ceux qui vivent en Guyane depuis maintenant plus de dix ans n'ont donné matière qu'à des rapports relatifs au projet d'installation, et à des bilans d'étape où médecins et agronomes se sont penchés sur quel- ques aspects très précis de la situation des Hmong4. Seuls deux courts articles ont tenté d'approcher cette communauté de façon plus globale, et présentent l'avantage de rompre avec certains clichés5.Cette pauvreté des sources à propos des Hmong de Guyane est d'autant plus inexplicable que les populations dites minoritaires de la région - Amérindiens, Marrons, Javanais notamment - ont depuis longtemps attiré l'attention des ethnologues6. 2. Parmi les témoignages français les plus anciens sur les Hmong en Indochine, on pourra consulter Lunet de Lajonquière (1906), Bonifacy (1919), Abadie (1924) et le Père Savina (1930). Pour avoir un aperçu de l'importance des travaux consacrée aux Hmong en contexte traditionnel, on peut se reporter à la bibliographie quedonne J. Lemoine (1978: 910- 922) ouencore àcelles deLe Bar, Hickey etMusgrave (1964). On trouvera par ailleurs une bibliographie actualisée ainsi qu'une note critique sur les sources dans l'ouvrage de Tapp (1990). 3. Pour les Hmong réfugiés en France, citons par exemple deux thèses de doctorat, celles de J.-P. Hassoun (1984) et de Yim Bong-Ki! (1985). 4. On peut citer par exemple les rapports deDupont-Gonin (1977, 1980) et de Ducros (1980). L'LN.R.A. de Kourou a également mené plusieurs études ponctuelles sur l'activité maraîchère, notamment à Javouhey. 5. Cf. Belorgey (1985) et Toulemonde (1987). 6. On peut citer parmi lestravaux sur les Amérindiens ceux de Jean-Marcel Hurault, dont Français et Indiens en Guyane: 1664-1972 vient d'être réédité (Hurault 1989), etbien sûr les ouvrages dePierre et Françoise Gre- nand (notamment Grenand P. 1982, Grenand F. 1982, Grenand F. et P. 1979).Un numéro de larevue Ethnies a par ailleurs été consacré à la ques- tion amérindienne en 1984. Je signalerai enfin la brochure d'Eric Navet sur Camopi, qui pose l'épineux problème du rôle des structures administratives modernes, communales en l'occurrence, dans l'intégration des Amérin- diens (Navet 1984). Les populations marronnes ont également fait l'objet de nombreuses recherches. Je me bornerai à signaler celles de Bastide (1967), deJ.-M. Hurault, quia beaucoup publié sur les Bonis de Guyane (par exemple Hurault 1961, 1965) etde Richard Price (1976, 1979, 1983) qui atravaillé sur lesMarrons dans les Guyanes. D'autres populations ont été placées aucoeur d'études plus ponctuelles, comme les « Javanais» (Indonésiens) (Chalifoux 1977), les Chinois (Calmont 1978) et les HaÏ- tiens (Gorgeon 1987, Calmont 1988). 8 Ce n'est pourtant pas pour combler cette lacune que j'ai entrepris cette recherche, même si l'originalité du sujet a aiguisé mon intérêt. Mais mon but premier n'a jamais été de dresser l'état des lieux d'un espace encore inexploré de la carte ethnique de la Guyane. L'étude que je présente ne sera pas à proprement parler une synthèse ou un bilan de la si- tuation des «Hmong de Guyane », - une désignation d'ailleurs bien peu pertinente, comme j'espère le montrer au fil des pages de ce travail. Je ne livrerai pas davantage une réflexion sur les Hmong en général, ni une tentative d'interprétation de leur système de pensée: le Laos, la Thaï- lande, voire la Chine auraient été des terrains d'enquête bien plus appropriés à cette démarche. Les Hmong de Guyane offrent l'exemple d'une commu- nauté transplantée artificiellement et insérée de fait dans une société moderne, amenée à réagir et à se redéfinir dans ce contexte très particulier: il m'a semblé que ces phénomènes de changement social et culturel devaient être placés au cœur même de l'étude. Le cas des Hmong de Guyane fournissait bien davantage, selon moi, matière à un travail sur ce qu'il est convenu d'appeler un processus d'acculturation, et sur la manière singulière qu'une communauté a de s'y engager, de s'y retrouver et de s'y perdre, plutôt qu'à une étude de la diaspora hmong in se, saisie dans sa version guyanaise. Pour questionner un tel objet, il était nécessaire de rompre avec un certain nombre de prénotions. Il ne s'agit pas tant des idées reçues que véhicule le sens commun sur les Hmong, qui ne résistent pas à la simple confrontation avec la réalité, pour autant que l'on soit disposé à se départir de certains clichés et à porter sur autrui un regard attentif et ouvert. Ces prénotions se rapportent bien plutôt à des schè- mes d'analyse que l'anthropologie elle-même met parfois en œuvre, et qui, loin d'éclairer la compréhension du réel, peu- vent constituer de véritables obstacles. J'ai cherché à me dégager de ces conceptions, sans doute parce que j'ai un temps subi leur influence et que seule leur appréhension critique m'a permis de pousser la recherche au delà des ap- L'abondance et la richesse des travaux sur ces populations contrastent avec larareté des études visant à entreprendre une analyse globale dela société guyanaise et du monde créole. A l'exception notable des travaux deMarie- José Jolivet (1982, 1985, 1986, 1987, 1989) et de Bernard Chérubini (1986, 1988), il faut pour cela se tourner vers les historiens (par exemple Serge Mam Lam Fouck 1985, 1987) ou parfois les linguistes (Fauquenoy- Saint-Jacques 1972). 9 parences. Aussi, en faisant la critique de ces idées reçues, c'est mon propre parcours intellectuel que je serai amenée à retracer brièvement. Parmi les idées couramment admises, la représentation des sociétés comme simple juxtaposition de groupes ethniques, dans le cadre d'un socius «pluri-ethnique» ou «poly- ethnique », revêt dans le cas de la Guyane une prégnance particulière. Cette grille d'analyse se trouve être un des élé- ments constitutifs du discours des élites administratives et politiques locales. Une première remarque s'impose: quand bien même l'idée de société pluri-ethnique aurait une valeur heuristique, à des conditions qui restent d'ailleurs à préciser, elle ne pourrait rendre compte de la situation des Hmong de Guyane. Ces derniers ont certes à se définir en interaction avec d'autres groupes, mais ceux-ci, on le verra, ne vivent pas nécessairement en Guyane. Les considérations sur une «poly-ethnicité» guyanaise sont somme toute d'un usage social récent: c'est ce ~ue révèlent les travaux de la sociolo- gue Marie-José Jolivet, dont l'argument peut être résumé ainsi: après s'être placés dans une logique d'assimilation, dont la France constituait le phare, et qui rejetait dans la sau- vagerie les populations dites tribales, les intellectuels et de manière générale la bourgeoisie créoles ont réagi dans les années 1960 en inversant la polarité civilisélbarbare pour faire l'apologie de l'indigénité et de la créolité, de la négri- tude et de l'autochtonie9. Depuis les années 1980, les lois sur la décentralisation ont comblé en partie les aspirations auto- nomistes des Guyanais et surtout consacré la prééminence politique de la bourgeoisie créole, alors même que des flux d'immigration importants venaient modifier la composition du tissu social guyanais (les Créoles ne représentent plus que 40 % de la population) et engendraient nombre de problè- 7. On pourra consulter son ouvrage sur la société créole (Jolivet 1982) mais plus spécialement ses articles consacrés aux différentes étapes dela construction identitaire créole (Jolivet 1986,1987,1989). 8. Créole désigne en Guyane les descendants d'esclaves africains. Il n'existe pas à proprement parler de couche créole blanche comme aux Antilles, les échecs de l'économie de plantation ayant découragé l'installation de colons d'origine métropolitaine. 9. Notons que pour se revendiquer comme indigènes, certains Créoles n'hésitèrent plus à afficher leur ascendance indienne. Le développement de revendications proprement amérindiennes (notamment dans la mouvance de l'Association des Amérindiens de Guyane française, cf Ethnies 1984) a renvoyé lesCréoles àleur statut de descendant demigrants, et leur arendu plus délicate l'affirmation de leur autochtonie. 10 mes sociaux (immigration clandestine, sous-prolétarisation, délinquance, etc.). Le terme d'« ethnie» connut alors une fortune nouvelle: les couches dominantes créoles constituè- rent en representation tout groupe social comme «ethnie» (toutes ces ethnies, y compris les Créoles, étant placées sur un pied d'égalité), dans un vaste mouvement de dénégation des conflits sociaux, économiques ou politiqueslO. Cette vision du social va prochainement être instituée et célébrée avec la création d'un «Musée de l'Homme guya- 11, nais» où chaque communauté sera représentée par des objets jugés caractéristiques de sa culture. La bourgeoisie créole, pourtant prompte à dénoncer la domination de la Métropole et la politique passée d'assimilation, tend à l'heure où elle vient d'accéder au pouvoir, à dissimuler sa propre situation dominante, notamment au plan politique, au moyen d'un discours très ambigu et parfois contradictoire: soit on valorise la créolité pour asseoir les positions socio- politiques créoles sur une légitimité culturelle, soit on se ré- fère à une guyanité poly-ethnique où les Créoles, loin de prédominer, ne font qu'entrer en «interaction» de la façon la plus impréciseavecd'autres «ethnies» (cf Crestig 1989). Dans les deux cas, la définition sociale des groupes en ques- tion passe essentiellement par l'ethnicité, les critères socio- économiques étant le plus souvent oblitérés. Or pour ma part, j'espère montrer que les Hmong connaissent des formes de différenciation sociale et qu'en l'occurrence les acteurs so- ciaux sont bien plus déterminés eux-mêmes par leur position dans une structure sociale de type moderne, fût-elle tropicale, que par leur appartenance ethnique. Il sera cependant question de pluri-ethnicité dans ce tra- vail: si l'anthropologie doit considérer cette notion de ma- nière critique, c'est sans doute pour mieux comprendre les conditions de production et les fonctions sociales d'un t~l. discours, partagé désormais par bon nombre d'acteurs so- ciaux. Les Hmong ont parfois intériorisé à leur manière ces conceptions qui, on le verra, jouent un rôle important dans la manière dont ils se donnent à voir aux autres groupes, et plus récemment encore dont ils se perçoivent eux-mêmes. Mais on aura compris que mes intentions dans cette étude ne sont 10. Le problème se posait également pour les Créoles guyanais de se distinguer d'autres populations créoles socialement défavorisées, comme certains groupes d'origine haïtienf'~. Il. Le projet de Musée a été depuis abandonné dans des circonstances qu'ont récemment relatées Richard et Sally Price (1995). 11 pas d'apporter la pièce hmong qui contribuerait à l'achèvement du patchwork d'une guyanité pluri-ethnique. Le contact avec les réalités du terrain m'a amené égale- ment à m'interroger sur la construction de mon objet, et en général sur l'objet de l'ethnologie dans les sociétés que l'on dit acculturées. Il arrive en effet que les ethnologues considè- rent que les sociétés en transition sont aussi, de ce fait même, des sociétés en perdition, et les rejettent hors du champ des objets légitimes de la discipline. Tout au plus conviera-t-on le sociologue à se pencher sur de telles communautés pour prendre acte des changements qui les concernent: l'anthropologie ne saurait s'attacher à l'étude d'objets aussi dégradés. .. Cette position devient de plus en plus difficile à tenir, car rares sont les sociétés que l'on puisse encore quali- fier de réellement traditionnelles, au sens consacré du terme. De nombreuses recherches ethnologiques en revanche partent de positions méthodologiques plus nuancées, mais qui ne parviennent que rarement à se départir d'une ten- dance à considérer la modernisation comme pollution cultu- relle. On fera souvent le constat de la coexistence d'éléments de tradition et de modernité, mais en conférant implicitement à la société étudiée le double visage de Janus, une face tour- née vers la tradition, l'autre résolument moderne. Les deux cohabiteraient sans s'altérer réciproquement, n'entreraient en tous cas rarement en contradiction, ne susciteraient au- cune tension insurmontable. Les acteurs sociaux seraient eux-mêmes clivés, tantôt modernes, tantôt respectueux des usages coutumiers, faisant tantôt appel aux valeurs occiden- tales tantôt se reportant au savoir des Anciens. L'ethnologue pourrait alors choisir de ne s'intéresser qu'au seul versant traditionnel, et minimiser, voire occulter celui d'une moder- nité qui se surajouterait à la coutume sans réellement la mo- difier. Il peut s'attacher également à observer le social comme un véritable damier puisque les populations concer- nées pensent et agissent alternativement selon l'un ou l'autre de ces deux registres. Fallait-il pour ma part que j'envisage le cas des Hmong en ignorant leur implication dans une économie de marché, oubliant que plus de la moitié d'entre eux avaient été con- vertis au christianisme, bref en considérant les bouleverse- ments de leur histoire récente comme une parenthèse vite refermée? J'aurais pu choisir par exemple de m'intéresser aux pratiques religieuses liées au culte des ancêtres en faisant comme si elles revêtaient encore pour la communauté la même importance que jadis au Laos, ou de dresser un cata- 12

See more

The list of books you might like

Most books are stored in the elastic cloud where traffic is expensive. For this reason, we have a limit on daily download.