Filiations, Reconnaissance et Régularité Monographie diffusée par l’Ordre Maçonnique Hermétique « Je ne suis d’aucune époque ni d’aucun lieu ; en dehors du temps et de l’espace, mon être spirituel vit son étincelle d’existence et, si je plonge dans ma pensée en remontant le cours des âges, si j’étends mon esprit vers un mode d’existence éloigné de celui que vous percevez, je deviens celui que je désire. Participant consciemment à l’Etre absolu, je règle mon action selon le milieu qui m’entoure. Mon nom est celui de ma fonction, parce que je suis libre ; mon pays est celui où je fixe momentanément mes pas. Datez-vous d’hier, si vous le voulez, en vous rehaussant d’années vécues par des ancêtres qui vous furent étrangers ; ou de demain, par l’orgueil illusoire d’une grandeur qui ne sera peut-être jamais la vôtre ; moi, je suis Celui qui Est. » Cagliostro « La filiation temporelle et historique est un souci de l’égo, toujours en mal de reconnaissance et d’appartenance. […] Ce par-Être doit disparaître. L’alignement naturel sur l’Être donne naissance à une axiocratie pour qui le temps, l’histoire, la personne et son « habitus » ne sont que des données de la situation, sans signification essentielle. » Rémi Boyer – « Eveil et Absolu » 2 Selon certains, une filiation historique ininterrompue dans le temps serait le critère de la régularité initiatique. Qu’en est-il réellement ? LES MYTHES FONDATEURS Cette idée repose sur le postulat d’une franc-maçonnerie originelle parfaite qui aurait transmis une sorte d’influx spirituel et de laquelle il faudrait impérativement descendre pour être régulier. On peut regrouper les mythes des origines de la franc-maçonnerie en plusieurs rubriques : - Le mythe de la destruction et de la reconstruction du Temple de Jérusalem. - Le mythe de la légende d’Hiram. - Le mythe de la chevalerie spirituelle. - Le mythe des constructeurs de Cathédrales. Il s’agit ici de simples mythes, le franc-maçon ne devant pas prendre ces histoires au premier degré1. Ces mythes ne doivent pas être pris au premier degré mais recevoir une interprétation ésotérique. 1 Dans une correspondance privée adressée au frère Marius Lepage, le Frère Oswald Wirth s’insurge contre une interprétation littérale de la Bible que peuvent avoir certains frères : « Je n’excommunie personne pour cause de Bible ! J’estime que nous devons enseigner la Franc-Maçonnerie pure, non christianisée ou teintée d’un particularisme quelconque. Evitons la superstition du Livre qui est la plus sotte de toutes. » (Lettre rapportée par Jean Mallinger dans son livre Des Initiations antiques aux Initiations modernes). 3 LES VERITABLES ORIGINES Que trouve-t-on réellement à l’origine de la franc-maçonnerie ? En réalité, il est impossible de remonter dans le passé au-delà du 18e siècle. La seule chose qui existait réellement en Angleterre au 18e siècle, c’était des réunions de bourgeois, qui dînaient dans des tavernes tout en parlant « affaires ». Le premier lieu de réunion se tenait dans l’auberge « L’Oie et le Grill » à Londres. Anderson avait donné à ces assemblées le nom de Loges. Le langage qui y était utilisé était emprunté aux anciennes guildes de bâtisseurs2. Mais il faut savoir qu’il n’existe aucune filiation directe entre les bâtisseurs de cathédrales et cette première franc-maçonnerie. La taverne « L’Oie et le Grill » Cette théorie est un mythe imaginé par les Anglais pour leur donner du prestige et assurer leur domination sur la franc-maçonnerie internationale. Mais elle ne repose sur aucun fondement historique. La vérité est que la Franc- Maçonnerie est une création ex-nihilo ! 2 Il existait au 17e siècle en Angleterre une guilde des tailleurs de pierre ayant son siège à York : la Fraternity of Freemassons. Les ouvriers s’appelaient frères, se donnaient le baiser de paix, se promettaient tolérance réciproque et aide mutuelle ; ils se faisaient reconnaître des chefs de chantier par un mot de passe et des attouchements. Mais cette guilde ne s’est pas transformée progressivement en ordre initiatique. Elle a simplement servi de modèle lorsqu’a été créée ensuite la Franc-Maçonnerie spéculative. 4 Cette franc-maçonnerie anglaise, plus « alimentaire » que philosophique, bénéficie ensuite d’une filiation ininterrompue depuis le 18e siècle. En effet, la Grande Loge de Londres (future Grande Loge d’Angleterre) a essaimé ensuite en Europe. En arrivant sur le continent, ces loges de filiation anglaise deviennent des lieux d’échanges et de débat. Ces débats sont souvent d’ordre politique entre républicains et royalistes ; parfois religieux entre croyants et agnostiques. Les rites pratiqués sont modifiés et réécrits à de multiples reprises en fonction de la pensée dominante qui l’emporte en Loge (notons que les rites égyptiens n’ont pas échappé non plus à ce travail de réécriture). Ces maçons du 18e siècle sont plus ou moins appréciés et définis parfois comme « des mystiques honteux et des occultistes postulants », dont le programme se caractérisait par « la pauvreté d’invention, l’absence de toute valeur intellectuelle et morale3 ». LA RUPTURE AVEC L’ANGLETERRE L’histoire des Ordres et des Rites Maçonniques n’est pas un long fleuve tranquille. La Révolution française met un terme aux activités maçonniques en France. Il faudra attendre l’Empire pour que les activités maçonniques reprennent, mais à ce moment-là, à cause de la guerre entre la France et l’Angleterre, les relations maçonniques avec l’Angleterre sont interrompues. En 1877, une des principales obédiences maçonniques françaises décida lors de son convent de supprimer toute référence au "Grand Architecte de l'Univers" pour prendre une orientation plus laïque. Cet événement provoqua le rejet définitif de la franc-maçonnerie française par la franc-maçonnerie anglo-saxonne. Cependant les francs-maçons français pourront encore être reçus comme visiteurs dans les Loges anglaises jusqu’en 1913. A cette date l’Angleterre suscite la création en France de la Grande Loge Nationale et Régulière pour la France et ses Colonies4 qu’elle reconnaît ensuite comme seule obédience régulière. Dans les faits, la régularité devient alors une question plus juridique que traditionnelle. L’histoire de la franc-maçonnerie nous montre également combien il faut être circonspect avant d’assimiler occultisme et franc-maçonnerie. En réalité, 3 R. Le Forestier , L’Occultisme et la Franc-Maçonnerie écossaise (Paris, Librairie académique Perrin, 1928). 4 Cette obédience deviendra ensuite la Grande Loge Nationale de France, seule obédience « reconnue » par la franc-maçonnerie anglo-saxonne. 5 comme nous allons le voir, il n’y a qu’une toute petite partie de la Franc- Maçonnerie qui relève de la philosophie occulte. L’INTEGRATION DE L’HERMETISME Au cours du 18e siècle certaines loges (notamment en Ecosse et en Italie) ont intégré à leur pratique des éléments d’hermétisme absents dans les loges anglaises au départ. Ces connaissances hermétiques venaient souvent du monde de la noblesse où des familles s’étaient transmis de génération en génération des savoirs ésotériques et alchimiques. Elles venaient aussi d'autres courants initiatiques très fermés tels que l'Ordre Pythagoricien ou l'Ordre Egyptien. Au 18e siècle, le choix a été fait d’abriter ces connaissances à l’intérieur de structures tolérées par l’Eglise : les loges maçonniques. Les espaces de liberté étaient plutôt rares à l’époque et les loges maçonniques constituaient le choix le plus satisfaisant. Il convient donc distinguer le contenant et le contenu. La loge maçonnique est le contenant, autrement dit un véhicule. Ce véhicule peut ensuite être utilisé pour quantité de choses (un club de réflexion sociale, politique, philosophique) ou pour transmettre un enseignement hermétique. La filiation horizontale dans le temps n’est pas importante. L’important est la filiation verticale, spirituelle. Si celle-ci est abandonnée les conséquences peuvent être dramatiques pour un mouvement traditionnel. Dans son étude remarquable intitulée « Filiation ou Reconnaissance », Denis Laboure explique les conséquences d’un tel abandon : « Les hommes étant ce qu’ils sont, une loge peut dévier et abandonner ses exigences. Dans ce cas, les filons hermétiques se retireront. La loge poursuivra son existence, mais elle sera devenue une coquille vide dans laquelle un bon travail intellectuel se poursuivra peut-être. Les opérativités auront disparu. De même, ses dirigeants ayant oublié leurs origines, une obédience hermétique pourra s’épuiser dans une recherche de reconnaissance sociale. Les filons hermétiques la laisseront flotter, vivre sa vie, vidée de ses opérativités. Un rite d’origine hermétique peut être réécrit au point de se voir privé de son contenu ou tout simplement disparaître. » (Denis Laboure) Une obédience dont la filiation horizontale est incontestable peut donc devenir vide de tout contenu initiatique, parfois même succomber à la tentation du pouvoir. Inversement, un rite dont la filiation a été interrompue durant plusieurs siècles peut reprendre force et vigueur et se remettre à fonctionner d’une admirable manière. 6 Dans son étude, Denis Laboure a le mérite d’aborder la question des filiations d’un point de vue initiatique et non humain : « L’idée selon laquelle la filiation historique est le garant de l’efficacité initiatique est erronée. Elle provient de notre identification maladive à une linéarité temporelle, que toute initiation authentique brise. C’est une tentative de forcer l’Esprit à couler à travers des pipe-lines fabriqués par une histoire trop humaine. La véritable filiation ne se situe pas là. C‘est un courant souterrain qui transcende toutes les formes. » (Denis Laboure). Les éléments chronologiques ne sont donc pas des critères sérieux pour juger de l’authenticité d’un mouvement initiatique. Ne retenir que des éléments historiques conduit à une vision essentiellement réductionniste absolument incompatible avec la véritable nature de la tradition initiatique. C’est ce qu’exprime aussi Rémi Boyer quand il écrit : « La chaîne initiatique est ininterrompue, non parce qu’elle survit formellement à travers un temps linéaire mais parce qu’elle demeure toujours essentiellement ici et maintenant, libre de tout temps. » (Rémi Boyer). Ne peut se faire piéger par la question de la « régularité » qu’un Maître maçon non accompli. Si le concept de régularité maçonnique doit s’appliquer, il concerne uniquement la démarche individuelle. C’est la sincérité de son engagement qui fait la régularité d’un franc-maçon et non une reconnaissance administrative. Si un maçon se demande si c’est sa loge qui est régulière, c’est qu’il s’est trompé de démarche et n’est pas en mesure de comprendre que le véritable Temple est en l’homme. En ce sens, l’unité fondamentale de la franc- maçonnerie est la Loge (reflet du Temple intérieur) et non l’obédience. Cette question a depuis longtemps été expliquée par nos anciens Maîtres, comme Oswald Wirth5 : « La loge autonome est le seul organisme fondamental de la vie maçonnique. Ce sont les loges travaillant maçonniquement qui constituent la maçonnerie universelle, dont les Grandes Loges et les autres juridictions ou puissances maçonniques ne sont parvenues, depuis 1717, qu’à compromettre l’existence, en multipliant les dissensions et les schismes » 5 Oswald Wirth : « La Franc-maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes. » 7 Le Vieux Serpent semble unir en ses anneaux toute la chaîne d’associations occultes qui, à travers les âges, se sont transmis des usages et des méthodes dont la connaissance devait être dérobée au vulgaire, aux masses charriées par le Fleuve. Le mystère n’a jamais cessé d’avoir ses hiérophantes et ses fidèles, les uns et les autres trop souvent réduits à ne rien discerner au milieu des ténèbres sacrées. Tel fut longtemps le cas de la Franc-Maçonnerie, issue de corporations du moyen âge qui prétendaient se rattacher aux plus anciens groupements constructifs. Dès le XVIIe siècle, un esprit nouveau pénétra peu à peu la très vieille organisation qui semblait vouée à disparaître. C’est alors que l’or, dédaigné par l’enseignement officiel (le Passeur), tomba dans la crevasse où somnolait le Serpent. Celui-ci se hâta de faire siennes les doctrines humanistes de la Renaissance, qui auraient dangereusement agité le Fleuve. Puis, ainsi préparé, il rejoignit les Feux Follets, autrement dit les Encyclopédistes et les beaux esprits raisonneurs, jamais à court d’explications sur tout ce qui semblait mystérieux. Ces rationalistes, dont le domaine est la verticale (abstraction, théorie, transcendance), éblouissent la pauvre Couleuvre, condamnée à ramper horizontalement, sur le sol du positivisme, du concret et du réalisable. Cependant, comme elle demande aux Flammes légères de la renseigner sur la provenance de l’or, qu’elle suppose tombée directement du ciel, les Feux Follets s’esclaffent, tout en se secouant pour faire pleuvoir des pièces d’or, qu’ils s’amusent de voir dévorées par le Serpent. Devenu lumineux en cette compagnie folâtre, celui-ci se hâte de regagner la montagne et de se faufiler dans la crypte dont le secret l’intrigue. Exégèse du Serpent Vert de Goethe par Oswald Wirth 8 RECONNAISSANCE ET PERTE D’IDENTITE Se donner une valeur par une reconnaissance extérieure, c’est ressentir qu’on n’en a pas à l’intérieur ou, du moins, qu’on n’a pas été capable de la trouver. Le besoin de reconnaissance sociale, c’est-à-dire profane, est un piège dans lequel certains Ordres sont tombés. Un Ordre Egyptien, pour être reconnu par de grandes obédiences est généralement contraint à abandonner les clefs qui rendaient son rite opératif. Dans l’histoire de la franc-maçonnerie plusieurs obédiences « égyptiennes » en quête de la reconnaissance de la part de telle ou telle grande obédience, ont gommé pour l’obtenir ce qui constituait l’originalité de leurs loges en les débarrassant des éléments hermétiques et alchimiques. Ainsi certains Ordres qui se prétendent « Egyptiens » rejettent Cagliostro, d’autres encore introduisent dans leur Charte des articles condamnant l’occultisme alors que les Rites Egyptiens ont par essence une dimension occulte. On ne peut pas à la fois se réclamer de l’Egypte et rejeter avec plus ou moins de mépris les sciences d’Hermès telles que : la magie, l’alchimie, l’occultisme. Il faut bien sûr oublier la propagande de l’inquisition qui assimilait les sciences occultes aux forces obscures. Le mot "occulte" veut dire simplement caché. Les sciences occultes sont cachées au grand nombre afin d'éviter une utilisation mauvaise ou égoïste de celles-ci. "Occulte" signifie aussi selon le dictionnaire "qui échappe à l'observation, qu'on ne découvre pas sans essai ni expérimentation". Une telle définition peut d'ailleurs s'appliquer à toute recherche scientifique. L’exemple le plus frappant de perte d’identité est celui de la Grande Loge Symbolique de Memphis-Misraïm de Robert Ambelain. Un nouveau Grand Maître en soif de reconnaissance a renié l’hermétisme qui constituait pourtant l’essence de son Ordre afin d’obtenir une reconnaissance de la part des organisations maçonniques institutionnelles. L’Ordre, privé de sa source, a ensuite implosé en janvier 1998, se fractionnant alors en une multitude de minuscules obédiences si bien qu’une momie aurait du mal à y retrouver ses bandelettes. Tout Ordre Maçonnique Egyptien est confronté à un moment de son histoire à ce choix : cesser d’être reconnu par « les lignées hermétiques » pour être reconnu par les obédiences maçonniques à vocation sociale ou abandonner le désir d’être reconnu par ces obédiences pour l’être toujours par les lignées 9 traditionnelles. RECONNU ? PAR QUI ? A la question : Êtes-vous reconnu ? Il faudrait répondre : mais par qui ? Par la franc-maçonnerie anglo-saxonne ? Par les obédiences classiques laïques, elles-mêmes non reconnues par la Grande Loge Unie d’Angleterre ? Par les courants hermétistes internes ? Toutes ces histoires de patente et de régularité font sourire. Même le Vatican reconnaît depuis Benoît XVI toutes les liturgies orientales, pourtant fort différentes du rite catholique romain. C'est désolant de trouver parfois plus d'intolérance chez certains Francs-Maçons dans les Eglises ! Ironiquement, cette question de régularité est toujours posée par des obédiences qui au regard de leur propre histoire devraient se considérer elles- mêmes comme les plus irrégulières qui soient, puisqu’issues de multiples scissions d’organisations maçonniques antérieures. L’analyse de l’histoire de la franc-maçonnerie, quel que soit le rite envisagé, démontre simplement une chose : aucune obédience ne peut se prévaloir de la primauté sur les autres et les irréguliers d’hier sont souvent les réguliers d’aujourd’hui. Notre frère Papus, dans son ouvrage « Ce que doit savoir un maître maçon » expose clairement la situation. Nous lui laisserons le mot de la fin : "Chaque Rite a la singulière prétention d'être seul régulier. De là les querelles et des excommunications sans fin. Il est évident que chaque Puissance maçonnique constituée verra toujours d'un mauvais oeil la naissance ou 10
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