' ' '<!! est-ce qu une {), théorie scientifique ? Marion Vorms Préface de Paul Humphreys Collection « Philosophie des sciences » dirigée par Thierry Martin Dans la même collection, chez le même éditeur Jean Bricmont et Hervé Zwirn, avec les contributions de Bernard d'Espagnat, Jan Lacki, Soazig Le Bihan et Bernard Walliser, Philosophie de la mécanique quantique, coédition SPS, 128 p. Paul Gochet et Philippe de Rouilhan, avec le concours de Serge Bozon, Mikaël Cozik, Paul Egré, François Rivenc et Gabriel Sandu, Logique épistémique et philosophie des mathématiques, coédition SPS, 128 p. Thierry Martin et al. -L'unité des sciences, nouvelles perspectives, coédition SPS, 160 p. -Les sciences humaines sont-elles des sciences ?, coédition SPS, 192 p. Leny Oumraou, préface de Jacques Dubucs, Pourquoi les mathématiques sont-elles difficiles ? coédition SPS, 224 p. Gérard Weisbuch et Hervé Zwirn avec le concours d'André Orléan, André de Palma, Sharon Peperkamp, Denise Pumain et Bernard Walliser, Qu'appelle-t-on aujourd'hui les sciences de la complexité? coédition SPS, 352 p. Pascal Charbonnat, préface de Francine Markovitz-Pessel, Quand les sciences dialoguent avec la métaphysique, 224 p. Ivar Ekeland et Jon Elster, Théorie économique et rationalité, coédition SPS, 96 p . ... et des dizaines d'autres livres de sciences et d'histoire ou de philosophie des sciences www.VUIBERT.fr Relecture et correction: Jeanne Labourel Maquette et mise en page : Sébastien Mengin!Edilibre.net Composition et mise en page de l'auteur Couverture : Isabelle Paisant ISBN Vuibert 978-2-311-00247-8 Registre de l'éditeur : 590 La loi du 11 mars 1957 n'autorisant aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les« copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa l" de l'article 40). 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Tél.: 01 44 07 47 70 © Vuibert-septembre 2011-5 allée de la 2< DB, 75015 Paris Table des matières Préface V Introduction 1 1 La mécanique classique : une théorie, plusieurs formulations 9 1.1 Quel est le contenu de la mécanique classique? . . . . 10 1.2 Formulation newtonienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 1.3 Formulations analytiques : la formulation lagrangienne . . . . 26 1.4 En quel sens les formulations de la mécanique classique sont- elles équivalentes? . . . . . . . . . . . . . . 42 1.5 Des différences authentiquement théoriques 54 1.6 Bilan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61 2 Les théories scientifiques selon les empiristes logiques 63 2.1 Le programme formaliste des empiristes logiques : les théories scientifiques selon Rudolf Carnap . . . . . . . . . 65 2.2 Ernest Nagel et les limites du programme formaliste de l'empirisme logique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89 2.3 Qu'appelle-t-on « conception syntaxique » des théories scien tifiques? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120 3 La conception « sémantique » des théories scientifiques 127 3.1 Les théories comme familles de modèles . . . . . . . . . . 129 3.2 L'application empirique des théories : modèles logiques et modèles physiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137 3.3 Le statut cognitif des théories : que nous disent les théories scientifiques? . . . . . . . 141 3.4 À quoi sert la conception sémantique? . . . . . 145 4 Buts et limites des entreprises de reconstruction formelle des théories 149 4.1 Les vertus de la reconstruction formelle . . . . . . . . . . . . 150 IV QU'EST-CE QU'UNE THÉORIE SCIENTIFIQUE? 4.2 Formaliser pour aller « au-delà » des formulations : conception syntaxique et conception sémantique . . . . . . . 154 4.3 La reconstruction formelle ne suffit pas à établir l'identité des formulations de la mécanique classique . . . . . 158 4.4 Différences formelles ou différences théoriques? 163 Conclusion 167 Annexes 171 A Les mouvements non rectilignes. Moment de force et moment cinétique. Théorème du moment cinétique 171 B Le mouvement d'un système de points matériels. Théorème du centre de masse . . . . . . . . . . . . . 172 c Les théorèmes de conservation comme conséquences des principes newtoniens . . . . . . 173 D La loi de gravitation universelle . . . . . . . . . . 175 E Les différents types de contraintes . . . . . . . . 175 F Le théorème de conservation de l'énergie comme conséquence du principe de d'Alembert .......... . 176 G Déduction des équations de Lagrange à partir du principe de d'Alembert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 178 H Énergie cinétique, énergie potentielle et travail en mécanique analytique . . . . . . . . . . . 181 I Déduction du principe de Hamilton à partir du principe de d'Alembert .................. . 184 J Déduction des équations de Lagrange à partir du principe de Hamilton .......... . 186 K Les pendules liés ................... . 186 L La formulation hamiltonienne . . . . . . . . . . . . . 187 M Théorèmes de conservation et propriétés de symétrie 191 Bibliographie 194 Index des noms propres 209 Index des notions 213 Préface LE LIVRE de Marion Vorms est une contribution importante, qui nous offre une analyse limpide de deux grands sujets, liés entre eux. Dans un premier temps, cet ouvrage se concentre sur différentes formulations de la mécanique classique, et plus particulièrement sur les formulations newtonienne, hamiltonienne et lagrangienne. Les lecteurs peu familiers de certaines de ces versions de la mécanique classique, ou qui ne les ont rencon trées que sous la forme d'exercices standard dans des manuels, tireront un grand bénéfice des présentations qui en sont faites ici dans une perspective philosophique. L'exemple de la mécanique classique est particulièrement bien choisi. En effet, c'est une théorie qui est parfaitement connue aujourd'hui, et la prendre comme objet d'étude permet d'examiner des questions centrales de la philosophie générale des sciences sur le contenu représentationnel et l'application des théories, sans se laisser distraire par les difficultés propres à des théories plus récentes comme la mécanique quantique ou la relativité générale. Les conclusions sur les véhicules de la représentation scientifique qui sont tirées de cette analyse sont cependant générales et peuvent éclairer d'autres cas. Par exemple, des questions concernant les différentes versions d'une même théorie sont soulevées de façon analogue par les formulations de la mécanique quantique de Schrodinger, de Heisenberg et de Dirac. Les travaux étudiés dans ce livre sont en outre d'un intérêt tout particulier pour les lecteurs français, en raison du fait qu'une grande partie des développe ments mathématiques qui ont conduit aux formulations canoniques de la mécanique classique sont le fait de chercheurs français ou vivant en France, comme Laplace, Lagrange et d'Alembert, sans oublier Legendre, dont le développement des transformations mathématiques permettant de passer de l'une à l'autre des formulations hamiltonienne et lagrangienne a rendu possible la démonstration de l'équivalence de ces deux formulations; cette équivalence est emblématique de plusieurs des questions discutées ici par Marion Vorms. Le reste de son livre nous offre l'exposé d'un ensemble de travaux phi losophiques dont tout scientifique ayant une sensibilité philosophique doit pouvoir tirer un enseignement. Analyser la structure logique des théories VI PRÉFACE scientifiques a été un souci majeur des philosophes des sciences du xxe siècle. Initialement formulée par des logiciens et philosophes des sciences européens, cette approche a également eu une profonde influence sur la philosophie amé ricaine. Deux conceptions ont dominé les débats : la conception syntaxique et la conception sémantique. Pour la conception syntaxique, une théorie est identifiée à la clôture déductive d'un ensemble d'énoncés formulés dans un certain langage. Cet ensemble est le plus souvent présenté sous la forme d'un petit nombre d'axiomes formels qui saisissent le contenu fondamental de la théorie. Si deux formulations différentes, comme les théories lagrangienne et hamiltonienne de la mécanique classique, ont la même clôture déductive, alors on considère que ces deux théories ont le même contenu ; en somme, on les considère simplement comme différentes formulations de la même théorie. La conception sémantique des théories franchit une étape supplémentaire d'abstraction depuis les formulations linguistiques particulières : la théorie est identifiée à un ensemble de modèles. Deux théories qui ont le même ensemble de modèles sont alors considérées comme identiques. Quels que soient les mérites de ces projets de reconstruction logique - ils ont indénia blement produit des résultats d'une importance durable- leur volonté de faire abstraction des détails de la pratique scientifique conduit à de sérieuses difficultés quand on s'interroge sur la manière dont les théories sont appli quées. Les différences mêmes entre les conceptions syntaxique et sémantique soulèvent d'importantes questions sur l'identité des théories. Or, ce dernier thème, qui est par ailleurs intimement lié aux derniers travaux de Thomas Kuhn, faisait jusqu'ici l'objet d'une littérature étonnamment pauvre. Le livre de Marion Vorms met en évidence les limites des reconstructions formelles des théories et suggère qu'il convient de ne pas faire trop radicalement abs traction des capacités cognitives des scientifiques qui utilisent les théories; cette dernière idée fait par ailleurs l'objet d'un exposé plus détaillé dans son ouvrage Théories, modes d'emploi1. Ce livre est une expression du meilleur de la philosophie française contem poraine, par l'une de ses jeunes représentantes les plus créatives. D'une écriture stimulante, il est accessible à quiconque s'intéresse à la manière dont la science représente le monde, et précis dans ses détails scientifiques. Lu avec attention, il fournira au lecteur un aperçu de l'une des productions les plus remarquables de l'intelligence humaine. Paul Humphreys, professeur à l'université de Virginie 1 À paraître aux éditions Hermann. 1n troduction ON APPELLE «théorie scientifique » la forme que prend en général la connaissance qui résulte des observations et des expérimentations des scientifiques sur un domaine particulier de phénomènes - par exemple, le mouvement des corps macroscopiques. Une théorie se distingue toutefois d'un simple compte rendu d'observation par le fait que, en plus de les décrire, elle permet de prédire et d'expliquer les phénomènes de son domaine, en exprimant des hypothèses à leur propos. Par exemple, la mécanique classique permet de prédire et d'expliquer le mouvement des corps macroscopiques en affirmant que la force qui s'exerce sur un corps est égale au produit de sa masse par son accélération; la génétique mendélienne affirme que, lors de la formation des cellules sexuelles, les paires de gènes sont distribuées indépendamment les unes des autres ; et la théorie ricardienne de la valeur travail affirme que la valeur d'échange d'un bien est déterminée par la quantité de travail nécessaire à sa production. Ces hypothèses, que l'on appelle «lois», «principes», ou encore «théo rèmes », selon la place qu'elles occupent dans la théorie, offrent plus qu'une simple description des phénomènes, aussi précise et exhaustive soit-elle : elles énoncent une certaine relation entre des concepts (masse, force, gène, valeur, travail) dont les référents n'appartiennent pas toujours au domaine de l'observable, mais qui peuvent être utilisés pour représenter les phénomènes observables. C'est là que réside le pouvoir prédictif et explicatif de la théorie : en utilisant ces concepts pour représenter une certaine situation (en les « reliant » aux phénomènes observables), on peut prédire les phénomènes à venir ou expliquer ceux qui se sont déjà produits (ou qui se produisent en général), en vertu de la relation que la théorie énonce entre ces concepts. Les théories scientifiques les plus mûres (en particulier dans le domaine des sciences physiques) se présentent souvent comme les expressions d'un ensemble d'hypothèses sous une forme systématique. Cet ensemble d'hypo thèses grâce auxquelles une théorie nous permet de prédire et d'expliquer les phénomènes- ce qu'elle «nous dit » à propos du monde- est ce que l'on appelle son «contenu». Le contenu d'une théorie peut être exprimé au moyen d'un certain nombre d:énoncés. Le plus souvent, il s'agit d'énoncés 2 QU'EST-CE QU'UNE THÉORIE SCIENTIFIQUE? du langage naturel augmenté des termes utilisés pour exprimer les concepts scientifiques qui n'ont pas toujours le sens qu'ils ont dans le langage courant (par exemple les notions de « force » et de « travail » en mécanique classique - ce dernier terme ayant même une signification différente dans les théories physique et économique). En outre, l'expression du contenu des théories requiert souvent l'utilisation de formalismes spécifiques, comme celui des équations différentielles en physique. Une des tâches centrales de la philosophie des sciences est de clarifier le contenu des théories scientifiques existantes. Que signifie « clarifier le contenu d'une théorie », et à quoi cela sert-il? En raison même du fait que les termes théoriques comme ceux de force, de masse, ou de gène n'ont pas une signification empirique aussi facile à établir que celle de termes comme « chaise », « table » ou « caillou », le contenu des théories dans lesquelles ces termes figurent appelle un examen approfondi. Dans la mesure où la fonction des théories scientifiques est de nous aider à comprendre le monde empirique en prédisant et en expliquant les phénomènes observables, il est important de s'assurer qu'elles ont bien une signification empirique, par opposition aux spéculations métaphysiques. Par exemple, afin de garantir la scientificité de la mécanique classique, il convient de s'assurer que le concept de force a une puissance explicative que n'a pas la notion de « vertu dormitive de l'opium ». Pour cela, il faut clarifier la signification empirique du concept de force, c'est-à-dire son lien aux phénomènes observables. De même, pour bien comprendre ce que la génétique classique nous dit des phénomènes de l'hérédité, il faut s'assurer que le concept de gène n'est pas un mot vide de sens, et qu'il permet de formuler une hypothèse féconde à propos de la transmission des caractères de génération en génération. Clarifier le contenu d'une théorie en enquêtant sur la signification empirique de ses concepts permet aussi, dans certains cas, d'en déterminer les limites, et d'en éclairer les relations avec d'autres théories. Ainsi, un des enjeux centraux de la clarification du concept de gène est d'analyser la relation entre génétique classique et génétique moléculaire, en comparant leurs définitions respectives des gènes. Or, les concepts théoriques, en particulier dans le cas des théories sys tématiques comme la mécanique classique, sont souvent définis par leur relation à d'autres concepts théoriques (ainsi, la force est définie comme le produit de la masse par l'accélération). Afin d'en saisir la signification empirique, il est donc également nécessaire de clarifier les liens déductifs entre les différentes hypothèses (principes, lois, théorèmes) de la théorie, et la manière dont ces hypothèses peuvent être utilisées pour représenter les phénomènes. C'est la raison pour laquelle, depuis la fin du XIXe siècle, les philosophes des sciences se sont donné pour tâche de clarifier la structure logique et la signification empirique (ou signification physique) des théories scientifiques de leur temps, et en particulier de la mécanique classique. INTRODUCTION 3 Pourquoi la mécanique classique? Cette dernière a très longtemps été considérée comme la théorie physique tout entière, dont les autres disciplines devaient être des branches. S'assurer du bien-fondé empirique de la mécanique classique était donc une étape nécessaire au fondement de la connaissance scientifique tout entière. À la fin du XIXe siècle, dans un contexte où les prémices de la crise de la physique qui va donner naissance aux théories de la relativité et à la théorie quantique se font sentir, marquant la fin du règne de la physique classique, physiciens et mathématiciens (entre autres, Hertz, 1894, Mach, 1883, Poincaré, 1902, 1905, Boltzmann, 1897, von Helmholtz, 1847 et Kirchhoff, 1877) s'interrogent et débattent vivement sur le contenu et la place de la mécanique classique dans la connaissance scientifique. L'universalité du modèle explicatif de cette théorie, longtemps érigé en standard d'intelligibilité, étant remise en cause, il devient urgent, pour le défendre ou le combattre, d'en avoir une conception parfaitement claire 2• Cela passe, la plupart du temps, par la recherche d'une présentation de la mécanique qui permettrait de faire apparaître clairement le statut de ses différentes hypothèses et de donner une définition précise à ses différents concepts. Pour reprendre les termes de Poincaré, il s'agit alors de distinguer nettement « ce qui est expérience, ce qui est raisonnement mathématique, ce qui est convention, ce qui est hypothèse » (Poincaré, 1905, chap. VI, « La mécanique classique», p. 111). Ainsi la philosophie des sciences telle qu'elle est encore pratiquée aujourd'hui est-elle née dans le contexte d'une réflexion critique sur la mécanique classique. Aujourd'hui, la mécanique classique n'est plus la théorie «reine». Les théories de la relativité et la physique quantique l'ont privée de cette supré matie, et elle n'est qu'un cas particulier de ces théories plus fondamentales. Pour autant, elle est encore souvent prise comme un exemple canonique de théorie scientifique ; elle est très bien confirmée dans les limites de son domaine, et elle présente une architecture déductive claire, reposant sur un petit nombre de principes appelés« lois de Newton». La plupart des analyses de la notion de théorie la prennent comme exemple, et il est largement re connu qu'une définition satisfaisante de cette notion doit être en mesure d'en rendre compte. C'est souvent en référence à son expression systématique sous la forme de principes, de lois et de théorèmes, que ces notions mêmes sont définies, et elle sert couramment de modèle au regard duquel sont évaluées les autres théories scientifiques, en particulier en physique et en biologie. En bref, l'identité de la mécanique classique et son statut de théorie scientifique sont considérés- à très peu d'exceptions près- comme non problématiques, contrairement à ce qui est le cas, par exemple, pour la mécanique quantique, 2 Historiquement, les réflexions critiques sur la mécanique classique ont aussi eu pour cause la constitution de la thermodynamique.