UNIVERSITÉ DE NANTES FACULTÉ DE DROIT ET DE SCIENCES POLITIQUES ÉCOLE DOCTORALE : DROIT, ÉCONOMIE –GESTION, SOCIÉTÉS, TERRITOIRES Année 2009-2010 !_ !_ !_ !_ !_ !_ !_ !_ !_ !_ !_ !_ ! THÈSE pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ DE NANTES Discipline : Droit privé présentée et soutenue publiquement par Emilie BOUCHET – LE MAPPIAN le 1er décembre 2009 TITRE Propriété intellectuelle et droit de propriété en droits anglais, allemand et français JURY M. Thomas Gergen, Privatdozent à l’Université de la Sarre, Sarrebruck, Allemagne M. André Lucas, Professeur à l’Université de Nantes, directeur de la thèse Mme Laure Marino, Professeur à l’Université de Nancy, rapporteur M. Thierry Revet, Professeur à l’Université de Paris I Sorbonne, rapporteur M. Paul Torremans, Professeur à l’Université de Nottingham, Royaume-Uni À ceux qui m’ont soutenue et qui ont cru en ce projet À mes proches, mon mari, mes parents À mon directeur de thèse, le professeur André Lucas À l’institut de recherche en propriété intellectuelle, droit fiscal et droit de la concurrence de Munich SOMMAIRE PREMIÈRE PARTIE LE MODÈLE DE LA PROPRIÉTÉ DANS L’ÉVOLUTION HISTORIQUE DES DROITS INTELLECTUELS Titre 1 : Le modèle de la propriété dans la naissance des droits intellectuels modernes Chapitre 1 : La préhistoire des droits intellectuels Chapitre 2 : Les premiers textes modernes et leur doctrine Chapitre 3 : Les premiers éléments techniques de la modernité Titre 2 : Le modèle de la propriété dans la crise et la résistance du droit intellectuel au XIXème siècle Chapitre 1 : La remise en cause de la propriété intellectuelle Chapitre 2 : Le maintien de la propriété intellectuelle Titre 3 : Traditions et renouveaux au XXème siècle Chapitre 1 : Le développement de nouveaux modèles théoriques Chapitre 2 : La confirmation des traditions nationales en droit positif Chapitre 3 : Le dépassement des traditions nationales par le droit communautaire DEUXIÈME PARTIE LES DROITS INTELLECTUELS ET LE DROIT DE PROPRIÉTÉ EN DROIT POSITIF Titre 1 : Le bien - Comparaison des objets du droit de propriété et du droit intellectuel Chapitre 1 : Analyse substantielle du bien Chapitre 2 : Analyse fonctionnelle du bien Titre 2 : Le droit sur le bien – Comparaison du contenu du droit de la propriété et du droit intellectuel Chapitre 1 : Définition positive du droit sur le bien Chapitre 2 : Définition négative du droit sur le bien Introduction générale 1. « Propriété intellectuelle et droit de propriété » : un tel sujet risque de paraître « passablement académique »1. L’idée d’une « propriété intellectuelle », littéralement comparable à celle des biens matériels, a vécu ses heures de gloire à la fin du XVIIIème siècle. La question peut désormais paraître vaine et passée de mode. Pourtant, l’idée de propriété est régulièrement invoquée pour souligner combien ces droits intellectuels, qui peuvent sembler de simples monopoles commerciaux, sont nécessaires à l’organisation sociale tout en découlant du droit naturel de chacun de jouir de son bien. Il s’agit de placer ces droits constamment chahutés sous la protection de ce qui est considéré comme un pilier central du droit et même un droit de l’homme. L’esprit créateur réclame la sécurité du propriétaire. Ces discours étaient déjà tenus au XVIIIème siècle et ont également trouvé un écho au XIXème. Ils retentissaient encore au XXème siècle. En ce début du troisième millénaire, la défense de la propriété intellectuelle suscite dans les parlements et dans l’opinion publique des débats aussi âpres que la légalisation de l’euthanasie ou les méthodes de lutte contre le terrorisme : la propriété intellectuelle est-elle réellement une propriété ? La question est politique – elle l’a toujours été – , mais elle doit se fonder sur la connaissance du Droit. Tentant de résister à l’effet hypnotique du vacarme politique et médiatique, nous chercherons à rendre au débat sa substance juridique, en faisant une comparaison systématique de la propriété intellectuelle au droit de propriété en droits anglais, allemand et français. 1 Ph. Malaurie, L. Aynès, Les biens, 3ème éd., Defrénois, 2007, § 206, bibliographie, n° 15. 1 2. Comparée à la propriété de droit commun, la propriété intellectuelle est une discipline jeune. De prime abord, la comparaison semble donc devoir ne pas être égalitaire : le plus ancien de ses termes devra servir de repère dans l’analyse du plus récent. Nous commencerons donc par tenter de cerner le point de référence de la comparaison, c’est-à-dire le droit de propriété, pour déceler s’il pourra remplir un tel rôle (I). Ensuite, les modalités de la comparaison pourront se dérouler et ses problématiques se dévoiler : propriété intellectuelle et droit de propriété en droits allemand, anglais et français (II). I / Le point de référence de la comparaison : le droit de propriété 3. Alors que les standards du droit international ont depuis longtemps investi le droit intellectuel, le droit de la propriété est l’un des domaines le plus sensiblement marqués par les cultures nationales. Dès l’abord, ses structures et ses évolutions générales doivent être mises en valeur. L’étude plus précise de ses éléments, par la suite, les laissera dans l’ombre, et elles sont pourtant nécessaires à sa juste compréhension et à une fructueuse confrontation aux biens intellectuels. Il convient de distinguer tout d’abord ce que l’on entend par « propriété » : l’envisagerons-nous en tant que régime juridique ou en tant que concept général de droit (A) ? Un bref aperçu des origines historiques de la propriété dans les ordres juridiques anglais, français et allemand (B) donnera ensuite des clefs pour comprendre les différentes définitions qui lui sont actuellement données (C). A) Droit, concept et idée de propriété 4. « Droit » de propriété, propriété « de droit commun ». Par commodité, le point de référence de la comparaison sera nommé « droit de propriété » sans autre précision, parfois encore « propriété de droit commun ». Les inconvénients de ces désignations semblent pouvoir être surmontés si, par « droit commun » et « droit des biens », l’on se contente d’entendre le régime central de la propriété, celui auquel renvoie en premier lieu l’évocation du mot. Il ne faut donc pas donner à ces termes leur sens strict, qui signifierait que tout autre régime de propriété serait dérogatoire, ce que nous nous gardons bien d’affirmer avant toute démonstration. Le droit intellectuel ne sera mis en regard de ces dénominations que pour pouvoir leur être comparé et non pas pour leur être opposé. 2 5. Du « droit » au concept de propriété. La propriété est certes un droit auquel correspond un régime, un ensemble de règles, mais c’est également un concept, un objet de la pensée juridique dont tout n’est pas dit par le droit positif et que contribuent à dessiner la doctrine et la philosophie juridique. Le concept de propriété est donc déjà plus insaisissable que le droit de propriété, mais il est encore une notion juridique opérationnelle. Il sera aussi déterminant que ce dernier dans la comparaison avec la propriété intellectuelle. Pour simplifier, l’on peut opposer une conception traditionnelle, matérialiste et absolutiste de la propriété, qui la considère comme le pilier central de l’organisation sociale, à une conception plus récente, immatérielle à l’occasion, relativiste et qui brandit à l’encontre de la propriété d’autres droits de l’homme, tels les droits au logement, au travail, à la santé, à l’information. Ces deux conceptions continuent de s’opposer en doctrine et en jurisprudence. 6. Du concept à l’idée de propriété. Plus vague que le concept, l’idée de propriété est la représentation qu’en donnent l’histoire et la culture sociales et juridiques. Elle a des sources plus larges et diverses que lui. Nous n’avons pas compétence pour la définir – à supposer qu’elle puisse l’être –, mais nous devons toutefois garder à l’esprit que l’idée de propriété constitue l’arrière-plan du concept. Or la propriété est, avec le mariage, l’une des institutions les plus anciennes de nos sociétés. Comme lui, elle est semi-privée, semi-publique : le mariage et la propriété sont des espaces de repli, mais aussi des interfaces par lesquelles l’individu s’expose. Lorsqu’on s’élève du niveau subjectif au niveau politique, on comprend combien le moindre changement de leur régime juridique aura d’influence sur les modes de vie individuels. La propriété est l’enjeu de combats d’avant-garde et d’expériences sociales ; elle est le point de départ de grandes révolutions. N’a-t-elle pas été stabilisée par son existence multiséculaire ? B) Les origines historiques de la propriété 7. Les deux principales sources d’inspiration de la propriété actuelle furent les coutumes germaniques et le droit romain. 3 • L’héritage des coutumes germaniques 8. La propriété germanique. Les coutumes germaniques2 se sont propagées d’Est en Ouest, au rythme des migrations barbares, alimentant les droits coutumiers locaux3. Au XIème siècle, elles ont traversé la Manche à bord des bateaux normands, supplantant les coutumes locales et créant à terme la common law. Le système des coutumes germaniques était fondé sur la foi en l’origine divine des biens, selon laquelle la terre n’appartenait pas à l’individu, mais à une entité transcendante : Dieu, la communauté, ou la famille. Son trait le plus marquant était sa vision fragmentée des immeubles, qui n’étaient pas tant des unités physiques que des ensembles d’utilités indépendantes les unes des autres, et toutes attribuables à des personnes différentes. Le même immeuble supportait une pluralité de propriétés simultanées, portant chacune sur une utilité distincte du fonds. Plusieurs propriétaires solidaires se côtoyaient ; aucun n’était propriétaire de l’ensemble. L’immeuble lui-même n’était pas appropriable : seules l’étaient les différentes façons de l’exploiter. Des personnes différentes pouvaient être saisies chacune d’une utilité particulière du bien, elles n’étaient pas en concurrence les unes avec les autres puisque chacune avait un droit différent et aucune ne pouvait évincer les autres du bien. L’objet de la propriété foncière immobilière était donc incorporel. 9. L’influence féodale. Quant la société se féodalisa, à ces principes s’ajouta la hiérarchie des propriétaires, tenant chacun leur propriété, nommée « tenure », d’un homme plus haut placé. La qualité sociale de l’homme était lisible dans le niveau du droit qu’il tenait sur la terre. Celui qui les détenait tous virtuellement et avait le pouvoir de les répartir était le seigneur. De vassal en seigneur, tous les droits fonciers remontaient, en ligne sinueuse, jusqu’au sommet de la pyramide féodale : en principe, le Roi. Les meubles, eux, n’avaient pas de valeur pour la communauté, mais seulement pour l’individu ; ils étaient donc autorisés à suivre la personne sans ingérence de la communauté, parfois jusque dans la mort : il arrivait que l’on enterre avec le défunt ses biens les plus personnels. 2 A. Dufour, « Notion et division des choses en droit germanique », Archives de philosophie du droit (APD), tome 24 : Les biens et les choses, Sirey, 1979, bibliographie, n° 255, p. 95-125. 3 A.-M. Patault, Introduction historique au droit des biens, PUF, 1989, bibliographie, n° 18, p. 83. C’est à partir du IXème siècle, et surtout entre les Xème et XIIème siècles, que se construisit le droit coutumier français, dans le « vide juridique quasi-total » laissé par le recul du droit romain. 4
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