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Plantagenêts et Capétiens: confrontations et héritages PDF

528 Pages·2006·15.54 MB·French
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PLANTAGENÊTS ET CAPÉTIENS : CONFRONTATIONS ET HÉRITAGES Histoires de famille. La parenté au Moyen Âge Collection dirigée par Martin Aurell 4 Plantagenêts et Capétiens : confrontations et héritages Edité par Martin Aurell et Noël-Yves Tonnerre F © 2006, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. D/2006/0095/16 ISDN 2-503-52290-4 Printed in the E.U. on acid-free paper Remerciements Ce livre est issu d’un colloque international, organisé par le C.E.S.C.M. et l’HI- RES, centres de recherche des Universités de Poitiers et d’Angers, les 13, 14 et 15 mai 2004, à l’occasion du huitième centenaire de la mort d’Aliénor d’Aquitaine et de la perte de l’Anjou et la Normandie par Jean Sans Terre. Les sessions se sont déroulées à la Médiathèque de Poitiers, grâce à l’invitation de Catherine Gaziello et de Régis Rech, conservateurs, et au Centre Culturel de l’Ouest de l’abbaye royale de Fontevraud, dirigé par Jean-Pierre Armengaud. Elles ont été présidées par John Baldwin, professeur à la Johns Hopkins University, Jacques Dalarun, directeur de l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes, Jean-Philippe Genet, professeur à l’Université de Paris I, Eric Palazzo, directeur du C.E.S.C.M., et Nicholas Vincent, professeur à l’University of East Anglia. Catalina Girbea, docteur de l’université de Poitiers, a relu et mis en forme éditoriale les articles de ces actes ; elle et Marie-Aline de Mascureau, doctorante, ont bénévolement prêté leur aide matérielle à l’organi- sation du colloque. La plupart des traductions en français sont dues, sauf indication contraire, à Myriam Lefort, doctorante au département d’anglais de l’Université d’Angers. Le soutien fi nancier du Conseil Régional de Poitou-Charentes, du Con- seil Régional des Pays-de-la-Loire, du Conseil Général de Maine-et-Loire, de la Mai- rie de Poitiers et de l’Institut Universitaire de France a permis le succès de cette manifestation. Que tous ces collègues et institutions trouvent ici l’expression de la plus profonde gratitude de la part des auteurs. 1 Introduction Pourquoi la débâcle de 1204 ? Martin Aurell Le 1er avril 1204, il y a huit siècles presque jour pour jour, Aliénor d’Aquitaine s’éteint à Poitiers. Elle est aussitôt inhumée dans l’église abbatiale de Fontevraud, située aux confi ns du Poitou, de l’Anjou et de la Touraine, lieu de sa retraite1. Sa disparition coïncide avec l’effondrement de l’Empire Plantagenêt. Le 6 mars, trois semaines à peine avant sa mort, les troupes de Philippe Auguste viennent de péné- trer dans Château-Gaillard, la place réputée imprenable, que son fi ls Richard Cœur de Lion, fort de son expérience poliorcétique acquise en Terre sainte, avait bâtie à grands frais. Ce véritable verrou de la Normandie étant tombé, le duché passe sans guère de résistance dans le domaine du roi de France. Les mois suivants, le comté d’Anjou et la partie septentrionale du Poitou subissent le même sort. La concomi- tance entre le décès de la reine et la débâcle militaire des siens est chargée de sens. Aliénor est, en effet, le personnage nodal de ce rassemblement immense de principautés territoriales hétéroclites, que nous appelons, faute de mieux, l’Empire Plantagenêt ou angevin. Sa longévité octogénaire, exceptionnelle pour son temps, fait d’ailleurs d’elle le seul membre de sa dynastie à avoir participé à la naissance et à la mort de cette construction politique. L’été 1151, un demi-siècle auparavant, à la cour capétienne de Paris, encore épouse de Louis VII, elle avait échangé, pour la première fois, un regard avec Henri, fi ls de Geoffroi le Bel, comte d’Anjou. Un an plus tard, le divorce déclaré, elle convolait en secondes noces avec lui. Les con- séquences patrimoniales de cette union matrimoniale sont spectaculaires. L’Aqui- taine, héritage d’Aliénor, rejoint ainsi l’Anjou et la Normandie. En 1154, le couple est couronné à Westminster, recevant le royaume d’Angleterre. La Bretagne et la partie orientale de l’Irlande passent bientôt sous le contrôle d’Henri II, que son courtisan Giraud de Barri loue dans des termes dignes d’un empereur ancien : « Vos victoires défi ent les bornes de la terre : vous, notre Alexandre d’Occident, avez étendu votre bras depuis les Pyrénées jusqu’aux confi ns occidentaux de l’Océan septentrional2. » Aussi étendu soit-il, cet arc de territoires atlantiques est gouverné en famille. L’image de Gautier Map, d’après laquelle le pouvoir sur le royaume d’Angleterre doit s’exercer « à la façon d’un bon pater familias dirigeant un seul foyer3 », corres- 1 Voir J. Flori, Aliénor d’Aquitaine : la reine insoumise, Paris, 2004, p. 284-285, pour les circonstances préci- ses de sa mort. 2 « Topographia Hibernica », Giraldi Cambrensis Opera, éd. J. F. Dimock, (RS 21), Londres, 1867, t. 5, p. 20, trad. fr. J.-M. Boivin, L’Irlande au Moyen Age : Giraud de Barri et la Topographia Hibernica (1188), Paris, 1993, p. 266. 3 De Nugis Curialium. Courtiers’ Trifl es, éd. et trad. angl. M. R. James, C. N. L. Brooke, et R. A. B. Mynors, Oxford, 1983, V, 6, p. 474. 3 martin aurell pond bien au panorama de l’Europe du XIIe siècle, où la femme joue un rôle essentiel dans un espace politique qui apparaît alors aussi domestique que public. Certes, de nouvelles idéologies, portées par la renaissance du droit romain et par une conception plus abstraite de la couronne, rétrécissent, à l’époque, le rayon d’action et le champ de décision de toute reine. Il n’en reste pas moins que quelques domaines privilégiés sont encore l’apanage des femmes. Aliénor entretient ainsi la mémoire de son lignage au monastère de Fontevraud, devenu la nécropole de sa famille, le lieu de sa retraite et sa dernière demeure : elle commandite les gisants d’Henri II et de ses enfants Richard et Jeanne, avant de faire sculpter le sien sous les traits de la lectrice4. Son rôle politique ne saurait cependant être limité à cette dimension symbolique. Il devient particuliè- rement actif après son veuvage. Pendant la croisade et la captivité de Richard Cœur de Lion, Aliénor conserve pour lui la loyauté d’une partie de l’aristocratie de ses terres et elle amasse la rançon pour une libération dont elle négocie les conditions. Dix ans plus tard, à la mort de Richard, elle attire à Jean Sans Terre les barons et surtout les villes aquitaines, qu’elle comble de privilèges communaux ; c’est elle qui prête personnellement à Tours l’hommage à Philippe Auguste pour le comté de Poitou : au cours de cette année 1199, elle émet, plus que jamais, de nombreuses chartes en son nom propre5. Son voyage en Castille, début 1200, d’où elle ramène sa petite-fi lle Blanche pour entériner par mariage la paix du Goulet, ou sa défense de Mirebeau, en juillet 1202, montrent la part qu’elle prend dans le gouvernement de son fi ls. De la part d’une veuve, toutefois, cet engagement dans le jeu du pouvoir ne surprend guère. Ses contemporains reprochent, en revanche, à Aliénor de s’être mêlée par le passé de politique au détriment de ses deux maris. En 1148, la querelle d’Antioche, point de départ de sa rupture avec Louis VII, est probablement provoquée par son appui à la stratégie militaire du prince Raimond, son oncle. On sait avec plus de certitude que la reine fomente, en 1173, la grande révolte contre son second mari, lui « aliénant », pour reprendre le mauvais jeu de mots de Robert de Torigni sur son nom, ses fi ls6. Cette opposition à ses conjoints vaut, en grande partie, une répu- tation détestable à Aliénor qui, aux dires du cistercien Hélinand de Froidmont, se comporte plus comme une prostituée que comme une reine7. Elle est, en particu- lier, accusée d’une forme spéciale de nymphomanie qui la pousse à commettre l’adultère avec des proches parents. Les textes rapportant de tels ragots ne résistent pas à la critique moderne8. Ils nous apprennent, tout au plus, le mépris que, hier comme aujourd’hui, quelques hommes éprouvent pour la femme de tête et de pouvoir. Évoquer la rébellion de 1173, fomentée par Aliénor contre son mari, ne manque pas d’intérêt pour notre propos. Cela permet de revenir à 1204, trente ans plus 4 K. Nolan, « The Queen’s Choice : Eleanor of Aquitaine and the Tombs of Fontevraud », Eleanor of Aquitaine. Lord and Lady, dir. B. Wheeler et J. C. Parsons, New York, 2002, p. 377-406. 5 M. Hivergneaux, « Aliénor d’Aquitaine : le pouvoir d’une femme à la lumière de ses chartes (1152- 1204) », La Cour Plantagenêt (1154-1204), dir. M. Aurell, Poitiers, 2000, p. 83-84. 6 Chronicles of the Reigns of Stephen, Henry II, and Richard I, éd. R. Howlett, (RS 82), Londres, 1884-1889, t. 4, p. 256. 7 « Chronicon », PL, t. 212, col. 1057-1058. 8 Nous nous permettons de renvoyer à M. Aurell « Aux origines de la légende noire d’Aliénor d’Aqui- taine », Les Royautés imaginaires (XIIe-XVIe s.), dir. A.-H. Allirot, G. Lecuppre, L. Scordia, Turnhout, 2005, p. 89-102. 4 introduction tard, et au démembrement de l’Empire des Plantagenêt. C’est, en effet, une dispute familiale qui en est à l’origine, dans un événement où parenté et pouvoir se mêlent encore inextricablement. Le 25 mai 1199, peu après la mort de Richard Cœur de Lion, Jean Sans Terre est couronné roi d’Angleterre, mais Arthur de Bretagne, son neveu, conteste par les armes cette succession. Capturé au siège de Mirebeau, l’ado- lescent est emprisonné à Rouen, où il disparaît en avril 1203, peut-être à la demande de son oncle9. Cet assassinat, s’il a eu lieu, apparaît comme le point culminant de la guerre intestine qui, depuis trente ans, ravage par intervalles la famille d’Anjou, avec une acuité particulière en 1173, en 1183 et en 1189. Cette « confuse maison d’Œdipe », pour reprendre l’expression de Richard de Devizes10, n’a de cesse que de se combattre. Giraud de Barri, qui la déteste à la fi n de ses jours, monte en épingle ses haines et colères d’Atrides. Il fait dire à Geoffroi de Bretagne : « Vous ne devez pas ignorer qu’il nous a été donné par nature, et pour ainsi dire par droit d’héritage de nos ancêtres, qui nous l’ont légué et inculqué, qu’aucun de nous n’aime l’autre, et que toujours le frère combattra le frère et le fi ls le père de toutes les forces dont il sera capable. Ne tâchez donc pas de nous priver de nos droits héréditaires, en vous efforçant en vain de chasser le naturel. » Et Richard Cœur de Lion de conclure, toujours selon Giraud, par la légende de la fée maléfi que engendrant sa lignée dans la nuit des temps : « Nous, qui provenons du diable, reviendrons au diable11. » Ces disputes, contre lesquelles les clercs récri- minent régulièrement, sont une conséquence de la mentalité juvénile des descen- dants d’Henri II et d’Aliénor, qui piaffent d’impatience contre leur père, leur frère aîné ou leur oncle pour récupérer un héritage qui tarde à venir. Elles contiennent le germe de l’autodestruction des années 1199-1204. Ces luttes fratricides sont attisées par une partie de l’aristocratie des différentes principautés, gouvernées par l’un des jeunes Plantagenêt. Sur ce point encore, le domestique et le patrimonial l’emportent sur le public d’un État encore embryon- naire. En effet, le lien qu’un duc ou un comte entretient avec les châtelains et barons de ses terres rappelle celui du sang : la féodalité est une forme de parenté artifi cielle. Ce sont donc les vassaux qui poussent souvent leur prince territorial à la révolte contre le roi. En 1194, à son retour de captivité, Richard Cœur de Lion rencontre, dans la maison de l’archidiacre de Lisieux, Jean Sans Terre qui se jette à ses pieds ; il le relève et lui dit : « Jean, n’aie pas peur. Tu n’es qu’un enfant. Tu as eu de mauvais compagnons et tes conseillers paieront. » Les deux frères partagent aussitôt le repas d’un saumon en signe de réconciliation12. Jean a certes déjà vingt- sept ans, mais par ce pieux mensonge Richard lui fait comprendre la part de res- ponsabilité de ses fi dèles dans sa trahison. Dix ans plus tard à peine, en 1204, Jean Sans Terre fait, à son tour, l’amère expé- rience de la félonie d’une grande partie de la noblesse qui lui avait juré fi délité. 9 C. J. Holt, « King John and Arthur of Brittany », Nottingham Medieval Studies, 44, 2000, p. 82-103. 10 Chronicon Richardi Divisensis de tempore regis Richardi Primi. The Chronicle of Richard of Devizes, éd. et trad. angl. J. T. Appleby, Londres, 1963, p. 2-3. 11 De Principis instructione, éd. G. F. Warner, (RS 21), Londres, 1891, III, 27, p. 302, trad. fr. R. Bezzola, Les Origines et la formation de la littérature courtoise en Occident (500-1200), Partie 3, t. 1 : La Cour d’Angleterre comme centre littéraire sous les rois angevins (1154-1199), Paris, 1963, p. 85. 12 [Jean le Trouvère], L’Histoire de Guillaume le Maréchal, éd. et trad. fr. P. Meyer, Paris, 1891-1901, v. 10363- 10419. 5 martin aurell Force est d’analyser une à une ces principautés territoriales qui prennent alors des distances à son égard. Prenons, en premier lieu, la Normandie, la plus belle prise du roi de France, avec sa prospère ville de Rouen, en aval de Paris. Les seigneurs des régions frontalières du nord-est du duché, du Vexin et du Perche n’ont certai- nement pas beaucoup résisté à Philippe Auguste et ils se sont souvent ralliés à lui sans coup férir. Leur défection explique largement l’échec des troupes de Jean Sans Terre, grand absent, soit dit en passant, sur les lieux des opérations militaires. Ce désengagement de la noblesse normande a fait couler beaucoup d’encre de la part des médiévistes. Lucien Musset et David Bates ont fait remarquer que, depuis la guerre civile des années 1140, le fossé entre la Normandie et l’Angleterre n’a cessé de se creuser13 : ils ont insisté sur le faible investissement militaire et fi nancier des élites locales et sur leur présence diminuée dans l’administration civile ou ecclé- siastique de l’Empire. Tout se passerait comme si les Normands abandonnaient leur esprit guerrier de jadis et leurs responsabilités dans le gouvernement de l’Empire pour se replier dans un duché, dont les principales charges sont désormais occu- pées par des Anglais. Le centre de gravitation du pouvoir se déplace ainsi de la Normandie vers la vallée de la Tamise ; de continental qu’il était, il devient insulaire. Ce constat est corroboré par les fi nances : l’Échiquier de Caen, pourtant toujours riche et bien géré, fait appel au trésor anglais pour subventionner la défense du duché. Ces arrivages d’or par le port de Barfl eur montrent les limites de l’effort de guerre normand. Les Plantagenêt, devenus anglais, tirent de l’île l’essentiel de leurs ressources humaines et matérielles. A quoi tient ce désengagement de la patrie de la plupart des conquérants de 1066 ? Pourquoi choisir, en 1204, le camp de Philippe Auguste après tant de décen- nies de luttes frontalières contre les nobles français ? Ici encore les tentatives d’ex- plication foisonnent. En 1913, Maurice Powicke attribue ce défaitisme à l’autocratie de Jean Sans Terre, sapant l’envie des Normands de se battre pour un roi qu’ils détestent14. James Holt propose, en 1975, un regard plus nuancé sur ce découragement collectif : les magnats considèrent inutile d’entretenir un confl it aussi long et cher qui ne profi te qu’à une frange étroite de parvenus de l’entourage du roi d’Angleterre15. Dans cette seconde analyse, plutôt que la désobéissance envers un roi d’Angleterre haï de tous, l’intérêt matériel de la noblesse locale passe au premier plan. Ces conclusions recoupent les études récentes sur le patrimoine des nobles anglo-normands qui conservent rarement, autour de 1204, des seigneu- ries d’un côté et de l’autre de la Manche ; aussi prestigieux soit-il, le cas contraire de Guillaume le Maréchal est exceptionnel16. Cette dissociation domaniale s’ac- 13 L. Musset « Quelques problèmes posés par l’annexion de la Normandie au domaine royal français », La France de Philippe Auguste. Le temps des mutations, dir. R.-H. Bautier, Paris, 1982, p. 291-307 ; D. Bates, « The Rise and Fall of Normandy, c. 911-1204 », England and Normandy in the Middle Ages, dir. D. Bates, et A. Curry, Londres, 1994, p. 19-35. Voir cependant contra les nuances apportées à ce schéma par la communication de Daniel Power, publiée dans ce même volume. 14 The Loss of Normandy, Manchester, 1961 (1er éd. en 1913), p. 248-249. 15 « It put the homeland at risk and it brought no profi t except to those who used it to seek advancement within the polity », « The End of the Anglo-Norman Realm », Proceedings of the British Academy, 61, 1975, p. 223-265 (p. 252 pour la citation). 16 D. Power, « King John and the Norman Aristocracy », King John : New Interpretations, dir. S. D. Church, Woodbridge, 1999, p. 117-136 ; K. Thompson, « L’aristocratie anglo-normande et 1204 », La Normandie et l’Angleterre au Moyen Age, dir. P. Bouet, V. Gazeau, Caen, 2003, p. 179-187. 6

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