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Physiologie de la perception et de l'action M. Alain BERTHOZ, professeur Généralités Le Cerveau ... PDF

67 Pages·2014·10.79 MB·French
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Physiologie de la perception et de l'action M. Alain BERTHOZ, professeur Généralités Le Cerveau et l'espace : II — Fondements cognitifs de la géométrie et expérience de l'espace 1. INTRODUCTION Le cours a porté sur les fondements cognitifs de la géométrie et ses relations avec l'expérience de l'espace. Le Physiologiste que je suis ne peut prétendre à une compréhension assez profonde de tous les aspects mathématiques, psycho- logiques et biologiques de cette question. Nous n'avons donc fait qu'esquisser le problème depuis les hypothèses théoriques jusqu'aux faits empiriques1. J'ai fait aussi appel à huit spécialistes : logiciens, mathématiciens, psychologues, neuro- physiologistes, etc. qui, par des séminaires spécialisés, ont apporté leurs points de vue sur cette question. La géométrie est-elle le signe d'une réalité extérieure à l'Homme ou est-elle incarnée, immanente ? Est-elle un geste ou une image ? Quels sont les liens entre l'espace physique et l'espace phénoménal, ou sensible, ou représentationnel ? Y a-t-il une ou plusieurs géométries mentales ? Sont-elles catégorielles ou mé- triques ? Comment, à partir de la fragmentation des informations sensorielles dans des espaces très différents, une perception cohérente des propriétés géométriques du monde se constitue-t-elle, et quelle est la contribution du mouvement à la perception tridimensionnelle ? Quels sont les référentiels utilisés par le cerveau ? Le concept d'espace absolu a-t-il un sens ? Comment fonctionne la mémoire de l'espace ? Comment se développe la géométrie chez l'enfant et comment se dégrade-t-elle par suite de lésions du système nerveux central ? Enfin, le contrôle 1. Récemment, dans un volume paru aux Éditions O. Jacob, mes collègues J.-P. Changeux, neurobio- logiste, et A. Connes, géomètre, ont cherché à confronter des points de vue concernant les relations entre la réalité biologique du fonctionnement cérébral et les mathématiques. du mouvement est-il fondé sur des invariants géométriques ou des règles de la dynamique. Voici quelques-unes des questions immenses que nous envisagerons. J'ai abordé cette série de cours avec un parti pris, une hypothèse, un objectif : réhabiliter le corps sensible et l'action dans les théories sur les fondements de la géométrie. Je pense, en effet, que l'action est le fondement principal de notre connaissance du monde et que le cerveau projette sur le monde ses intentions, ses prédictions, en relation avec les actions qu'il prévoit. D'Euclide à Poincaré et Einstein Même si l'on peut trouver en Égypte et dans les grandes civilisations du Moyen Orient des signes d'une pensée géométrique, c'est en Grèce qu'est née la première véritable grande théorie géométrique et, même si l'architecte Thalès de Millet fut le premier à formaliser le plan d'une ville selon des principes géométriques, tout le monde s'accorde à en donner la paternité à Euclide. Avant lui, de grands précurseurs avaient proposé diverses théories sur la perception des objets, y compris la fameuse théorie de « l'extramission » d'Empédocle qui suggérait que le cerveau éclaire les objets de son feu et que cette lumière se réfléchit en retour sur la rétine. Mais c'est Euclide qui a donné le premier ensemble cohérent et complet de principes et de règles d'où est née la géométrie qui porte son nom. Nous n'avons pas cherché à retracer l'histoire de la géométrie mais à analyser en premier lieu, dans les temps modernes, la façon dont Poincaré en traite les fondements. La raison pour laquelle j'ai choisi Poincaré, en particulier le texte de Science et Méthode (p. 97 et suivantes — Flammarion 1930) est que Poincaré fait une véritable réhabilitation du rôle du corps et de l'action dans l'origine de la géométrie. Comme on le sait, les théories qui, en mathématiques rapprochaient la géométrie de l'expérience sensible de l'espace ont été balayées au début de ce siècle par les disciples de Pasch et de Hilbert qui ont réussi à créer une mathé- matique formelle dont l'objectif était de dissocier complètement les mathéma- tiques de l'expérience sensible. L'espace absolu D'après Poincaré, ce mot est vide de sens : nous ne pouvons pas connaître la valeur absolue d'une distance. Poincaré attribue aux comportements associés à l'espace, les actes de préhension, de capture, de parade, ce qu'il appelle « les évidences des vérités géométriques ». Il définit d'abord « ce petit espace qui ne s'étend pas plus loin que ce que mon bras peut atteindre » et que nous appelons aujourd'hui «l'espace de préhension». Il utilise les actions de parades pour définir le point géométrique. Il distingue aussi deux espaces : l'un restreint à des coordonnées liées au corps ; l'autre, « étendu », est celui formé des divers points définis ainsi qu'il vient d'être résumé. Un point est donc «la suite des mouve- ments qu'il convient de faire pour l'atteindre à partir d'une position initiale du corps ». La géométrie est ainsi fondée sur des gestes orientés vers des buts. Cette pensée est à rapprocher de celle exprimée récemment par le mathématicien G. Châtelet dans son ouvrage «Les enjeux du mobile» (Éditions du Seuil, 1993) (p. 31). « Ce concept de geste nous semble crucial pour approcher le mouvement d'abs- traction amplifiante des mathématiques qui échappe aux paraphrases rationali- santes — toujours trop lentes —, aux métaphores et à leurs fascinations confuses et enfin, surtout, aux systèmes formels qui voudraient boucler une grammaire des gestes : Gödel a bien montré que des énoncés rebelles — vrais, mais non prouvables — sont aussitôt sécrétés par une syntaxe tant soit peu ambitieuse ». Et plus loin : « La véritable géométrie doit saisir l'instant où l'espace frissonne enfin des virtualités qui l'habitent et nous invite à éprouver la dimension comme invention d'une articulation. Elle nous conduit pour ainsi dire par la main pour réapprendre le mouvement qui sépare et lie à la fois, et pour savoir capter dans un simple fragment l'adresse et la continuité d'un geste» (p. 157). L'idée d'une relation profonde entre perception de la forme et action a été aussi suggérée par René Thom qui écrit : « la forme biologique suggère une action » (Mathematical Models of Morphogenesis, 1983, p. 166). Poincaré franchit alors une étape dans le raisonnement et dit que le mouvement est fondamental pour définir l'espace puisqu'un être conscient qui serait fixé au sol ne connaîtrait pas l'espace. Il expose ensuite longuement pourquoi il pense que l'espace est à trois dimensions et, ici encore, il justifie le caractère tridimen- sionnel de l'espace par le besoin de ranger les catégories de comportement, d'atteinte ou de parade d'objets qui est un tableau à triple entrée. Espace géométrique et espace sensible Poincaré s'est aussi intéressé à la différence entre l'espace géométrique et l'espace sensible qu'il appelle «représentatif». Dans «La Science et l'Hypo- thèse », il discute d'abord les différences. L'espace géométrique et l'espace représentatif sont très différents. Il entre alors au cœur de notre question en disant : « mais, si l'idée de l'espace géométrique ne s'impose pas à notre esprit, si d'autre part aucune sensation ne peut nous la fournir, comment a-t-elle pu prendre naissance ? » « Aucune des sensations, isolée, n'aurait pu nous conduire à l'idée de l'espace, nous y sommes amenés seulement en étudiant les lois suivant lesquelles ces sensations se succèdent ». Ces lois sont issues des observations que nous faisons du changement des objets pendant nos mouvements. En effet, Poincaré remarque que dans notre entourage les objets dont les déformations peuvent être corrigées par nos mou- vements sont les corps solides. Il conclut alors : « S'il n'y avait pas de corps solide dans la nature, il n'y aurait pas de géométrie ». Poincaré se prononce aussi sur la différence entre la géométrie d'Euclide et celle de Lobatchevski : « L'ex- périence ne peut décider entre les deux ». En effet, les expériences ne peuvent porter que sur les corps et non sur l'espace. Il poursuit « Par sélection naturelle, notre esprit s'est adapté aux conditions du monde extérieur, il a adopté la géométrie euclidienne car c'est la plus avantageuse à notre espèce. La géométrie n'est pas vraie, elle est avantageuse ». Ici, la géométrie est une expression d'un besoin naturel — un acte perceptif, dirait Janet — pour constituer le monde extérieur en y cherchant à distinguer des objets utiles à l'action. On ne peut éviter de rapprocher le texte de Poincaré de celui écrit par Husserl en 1907 sur le rôle des kinesthèses (au risque de me faire désigner comme « néo-husserlien ») dans la constitution de l'espace perçu. Hus- serl, après avoir rappelé, comme le fait Poincaré, l'importance des mouvements du sujet dans la constitution des propriétés perçues des objets, écrit : « Nous voulions considérer la chose visuelle et la constitution visuelle de la spatialité et de la localité, et voici que nous introduisons d'emblée les mouvements de notre corps et à travers eux, les sensations de mouvement, qui n'appartiennent pourtant pas au genre des contenus visuels. » (Choses et Espace — Leçons de 1907. PUF, 1989, p. 194). Le point de vue d'Einstein Nous avons ensuite examiné le témoignage d'une autre grand mathématicien de notre siècle, Einstein. Sa conception n'est pas très différente. Dans son livre « Conceptions Scientifiques » (Flammarion, 1990), Einstein discute la façon dont est constituée notre conception de l'espace. Une importante propriété de notre expérience sensible et, plus généralement, de toute notre expérience, est de l'ordre du temps. Cette propriété d'ordre conduit à la conception mentale d'un temps subjectif, un schéma pour ordonner notre expérience... Mais avant la notion de temps subjectif se trouve le concept d'espace et avant ce dernier se trouve le concept d'objet matériel ; ce dernier est directement lié aux complexes des expériences sensibles.... Poincaré a justement insisté sur le fait que nous distin- guons deux sortes de changements dans l'objet matériel : « des changements d'état » et des « changements de position ». Ces derniers, disait-il, peuvent être corrigés par des mouvements arbitraires de notre corps. Il poursuit par une étude détaillée des conditions d'élaboration du concept d'espaces, et écrit plus loin : « L'erreur funeste qu'une nécessité mentale précé- dant toute expérience est à la base de la géométrie euclidienne et du concept d'espace qui lui est lié est due au fait que la base empirique sur laquelle repose la construction axiomatique de la géométrie euclidienne était tombée dans l'oubli. Dans la mesure où l'on peut parler de l'existence de corps rigides dans la nature, la géométrie euclidienne doit être considérée comme une science physique, dont l'utilité doit être montrée par son application à l'expérience sensible ». Les hypothèses de la perception phénoménale Nous avons ensuite approfondi la question de la nature biologique de l'espace représentatif, ou phénoménal comme le nomme Michotte. Le fait que l'espace phénoménal est différent de l'espace physique est suggéré par de nombreuses illusions. Parmi les exemples que nous avons cités, les illusions des chambres de Ames montrent que le cerveau déforme la réalité en faisant des hypothèses de symétrie, de rigidité, et de régularité. Ces hypothèses sont aussi faites pour l'interprétation des propriétés tridimensionnelles de forme et de courbure des objets en mouvement, et nous avons montré des résultats obtenus dans notre laboratoire concernant la perception de la forme d'objets en mouvement. Enfin, pour terminer cette introduction nous avons considéré des théories de psychophysique de la perception visuelle concernant les relations entre espace phénoménal et espace physique, en particulier celles de Morgan qui a donné un séminaire sur le sujet. 2. LE CORTEX VISUEL ET LA GÉOMÉTRIE Nous avons ensuite analysé brièvement la façon dont le système visuel, chez les Primates et chez l'Homme, traite les propriétés géométriques du corps, des objets et de l'environnement dans les premiers relais neuronaux des voies vi- suelles. Les opérations neuronales dans les voix visuelles Notre système visuel est subdivisé en analyseurs qui effectuent une ségrégation dans les propriétés de l'environnement et des objets. Deux grandes voies trans- mettent au cerveau les informations visuelles : la voie colliculaire et la voie corticale. Nous avions analysé en détail les voies colliculaires dans le cours d'il y a deux ans ; nous nous sommes donc limités, cette année aux voies corticales. Lorsqu'on analyse les mécanismes de la représentation du monde visuel dans les voies rétino-thalamo-corticales, le point le plus important est l'existence de deux voies principales issues des parties parvocellulaire et magnocellulaire du corps genouillé latéral dans le thalamus. Ces deux voies diffèrent dans leur traitement des données visuelles par les aspects suivants : acuité, contraste, cou- leur, sensibilité au mouvement et à la vitesse de celui-ci. Lorsqu'on analyse les traitements qui sont effectués au niveau de l'aire V1, ou aire de Brodman 17, premier relais cortical visuel, les deux voies parvocellulaire et magnocellulaire se projettent dans des zones différentes de V1, appelées respectivement «blobs » et « interblobs ». Les neurones des blobs, sur lesquels se projettent la voie parvocellulaire, sont sensibles à la couleur et insensibles à l'orientation. Le système magnocellulaire se projette sur les neurones des inter- blobs qui sont sélectifs à l'orientation et à la direction du mouvement et insen- sibles à la couleur. Dans l'aire corticale suivante de cette chaîne de traitement, l'aire V2 ou aire de Brodman 18, on trouve une organisation en bandes de plusieurs millimètres de large qui sont de deux sortes : « minces » ou « étroites », et « larges ». Les blobs s'y projettent sur des bandes étroites où les neurones n'ont pas de sélectivité à l'orientation et 50 % sont sensibles à la couleur. Les champs récepteurs y sont plus grands que dans V1. Les interblobs se projettent sur les bandes pâles de V2. Les neurones de ces bandes sont sélectifs pour une orientation mais pas pour la direction, et 50 % sont de type «end stopped » : ils sont activés par l'extrémité d'une ligne, des coins, ou des zones des images qui ont une courbure très forte, et détectent aussi la direction de la fin d'une ligne. On trouve donc, dès cette aire, un traitement des propriétés géométriques des lignes. Les interblobs se projettent sur des bandes larges de V2 dont les neurones ont une sélectivité à l'orientation mais pas «end stopped ». Ils codent la disparité binoculaire et participent à la perception de la profondeur stéréoscopique. Il existe dans l'aire V2 des neurones sélectifs à l'orientation des frontières de contraste aussi bien qu'à des contours illusoires. Ces neurones préfèrent des barres longues avec des orientations obliques comme on les trouve dans les triangles réels mais aussi dans des figures de Kanniza où, malgré l'interruption des côtés du triangle, nous percevons un côté illusoire alors que les neurones de V1 ne répondent qu'aux vrais contours mais pas aux contours illusoires ou à des formes cachées dans des nuages de points. Dans V1, dès qu'une ligne est interrompue, le codage de la ligne par les neurones cesse. On trouve dans V2 des neurones qui répondent à une ligne formée de points. Les neurones de V2 ont des propriétés de détection de contour qui sont influencées par l'orientation de la tête par rapport à la gravité et reçoivent donc des entrées vestibulaires. Cette propriété pourrait contribuer à l'invariance perceptive. Dans les premières stations du traitement, une ségrégation est donc réalisée dans l'analyse de la couleur, du mouvement, de l'acuité, du contraste. Au niveau suivant, une ségrégation est réalisée entre forme, couleur, mouvement et profon- deur. De façon générale, il semble que le système magnocellulaire soit impliqué dans la perception 3D et qu'il assure la ségrégation entre la figure et le fond, entre les objets et l'environnement. Un aspect important de cette construction géométrique de l'unité des objets dans l'environnement est de trouver des «lin- king features », des caractères qui relient des éléments de figure et assurent la perception de l'unité de l'objet lorsqu'il est fragmenté. Le système parvocellulaire voit la couleur et peut l'utiliser pour détecter des bords mais, alors que le système magno est incapable d'un examen stable et durable (il s'inactive après quelques secondes de vision), le parvo peut maintenir l'image pour l'examiner en détail. Le magno serait plus primitif et le parvo plus récent. Le parvo est très déve- loppé chez les primates et permet d'examiner la forme, la couleur et la surface des objets et donc, de leur assigner des attributs. Les propriétés du parvo et du magno se distribuent respectivement selon les voies visuelles dites dorsale et ventrale. Il se produit donc une ségrégation très précoce des propriétés des objets visuels dans les voies primaires. Toutefois, une autre théorie a été proposée récemment pour interpréter les faits empiriques concernant l'activité des neurones dans V1, V2, ... La couleur et la forme pourraient être codées dans un même neurone par le décours temporel de la fréquence de décharge des neurones. Ce codage serait « séparable », ce qui veut dire que, si besoin en est, les caractéristiques de couleur et de pattern peuvent être retrouvées dans la forme du décours temporel de la décharge du neurone. Pour ces auteurs, le « liage perceptif » qui assure la recom- binaison des propriétés des objets, qui sont séparées dans les premiers relais visuels, n'est donc pas assuré par une « synchronisation » comme le prétendent d'autres théories. La séparation observée serait donc due à un codage différent des combinaisons de propriétés. Le contrôle centrifuge de la perception visuelle : le cerveau projectif La vision n'est pas un processus à un seul sens, centripète, de la rétine vers le thalamus, puis V1, V2, V3, V4, etc. Chacun de ces centres reçoit aussi des influences centrifuges : un anatomiste a dit un jour que V1 reçoit plus d'infor- mations du reste du cerveau que de la rétine. Nous savons qu'une situation semblable est vraie pour les noyaux dits vestibulaires dans le tronc cérébral. On peut ainsi, chez l'Homme, montrer que les aires visuelles primaires sont activées lorsqu'un sujet imagine un objet dans le noir : cette activité, observée grâce à la caméra à émission de positons, est due à des projections des centres de la mémoire vers les aires visuelles primaires. Notre cerveau projectif peut donc modifier ce que nous percevons en fonction de ses mémoires ou ses projets d'actions qui évoquent des pré-perceptions. Un autre exemple de cette action Centrifuge est celui de l'intention d'action et de signaux moteurs sur l'activité des neurones visuels, par exemple la direction du regard. La décharge de neurones dans le thalamus visuel ou dans les premiers relais visuels corticaux est en effet modifiée par la position de l'œil pendant les saccades oculaires, en particulier dans les aires du cortex pariétal 7a, VIP, LIP. Plusieurs effets ont été découverts ou suggérés : a) Des changements de coordonnées transformeraient le codage rétinien de la position d'une cible en un codage dans un référentiel lié à la tête ou même à l'espace. Récemment, dans notre laboratoire, l'enregistrement des neurones de l'aire VIP, a permis de dissocier, chez le singe, les activités des neurones codés dans un référentiel lié à la rétine et à l'espace grâce à une procédure de test des champs récepteurs d'un neurone très rapide qui permettait de tester le champ récepteur associé à chaque saccade, et donc ses modifications en fonction de la direction du regard. La nouveauté de cette découverte réside dans le fait que si dans d'autres aires corticales « visuelles » l'invariance spatiale est codée par des populations de neurones, on a affaire ici à une propriété de chaque neurone. Toutefois cette interprétation est fondée sur l'idée que le cerveau reconstruit la position des cibles en coordonnées spatiales pour contrôler les mouvements des yeux. Cette idée est contestée par certains qui proposent que le cerveau ne code que des positions relatives de l'œil par rapport aux cibles et ne travaille donc pas dans un espace absolu mais uniquement par une détection d'erreurs. b) Le champ récepteur des neurones ne serait pas fixe comme on le pensait, mais se déplacerait avant même la saccade pour anticiper la direction vers où le regard se dirige. c) La direction du regard est prise en compte au niveau de l'aire MST pour assurer l'invariance perceptive de la direction de notre trajectoire pendant la locomotion. En effet, des enregistrements de neurones suggèrent que la distorsion du flux optique, introduite par le fait de regarder de côté pendant la marche, est compensée automatiquement à ce niveau par des signaux moteurs corollaires de la position de l'œil dans l'orbite. Cette influence des signaux du regard ne se produit pas seulement au niveau du cortex visuel. Les signaux dits « vestibulaires » sont eux-mêmes influencés par la direction du regard dès les premiers relais sensoriels vestibulaires, comme nous avons été les premiers à le montrer. L'hypothèse que j'ai proposée dans plusieurs articles est que la direction du regard est en elle-même une référence autour de laquelle est organisée la géométrie de notre espace perçu. 3. ONTOGENÈSE DE LA GÉOMÉTRIE CHEZ L'ENFANT L'enfant ne possède pas la capacité de traiter des propriétés géométriques dès la naissance. Ces propriétés s'établissent au cours de l'enfance et de l'adoles- cence ; elles ne se développent pas de la même façon chez les garçons et chez les filles. Nous avons examiné quelques-uns des aspects de ce développement pour approcher le problème des fondements cognitifs de la géométrie de ce point de vue. Dans le cours précédent, nous avons évoqué l'existence de voies centri- pètes (entrantes) et centrifuges. Or, ces deux voies suivent des processus de développement chez le jeune animal, et sans doute chez le jeune bébé, qui sont très différents. Des mécanismes moléculaires guident donc ce développement, indépendamment de toute action extérieure. Les voies centripètes sont mises en place plus tardivement, au cours de la première année, en même temps que se développe le cortex cérébral. Les données de la neuroanatomie et de la neurophysiologie du système visuel éclairent les étapes du développement des fonctions d'analyse du cortex cérébral mais il est intéressant d'examiner aussi cette question à un niveau plus global, celui de la Psychologie expérimentale. Parmi les nombreux travaux sur ce sujet, nous avons choisi de résumer quelques-unes des thèses de Piaget. Les thèses de Piaget : la succession topologie, géométrie projective, géométrie euclidienne Piaget s'est intéressé au développement de la perception de la géométrie. Dans le livre « La Représentation de l'Espace chez l'Enfant», écrit avec Inhelder en 1947, Piaget soutient une thèse principale : l'enfant construit d'abord une repré- sentation des propriétés topologiques de l'espace avant d'en comprendre les relations métriques. Il critique à la fois Kant et Poincaré. « Kant, dit-il p. 11, concevait déjà l'espace comme une structure a priori de la “sensibilité”, le rôle de l'entendement consistant simplement à soumettre des données spatiales per- ceptives à une suite de raisonnements susceptibles de les débiter indéfiniment sans en épuiser le contenu... Poincaré, de même, lie la formation de l'espace à une intuition sensible et rattache ses vues sur la signification du groupe des déplacements au jeu des sensations proprement dites, comme si l'espace sensori- moteur fournissait l'essentiel de la représentation géométrique et comme si l'in- tellect travaillait sur du sensible déjà tout élaboré au préalable ». Piaget dit qu'en réalité l'enfant construit effectivement, dès le début de son existence, un espace sensori-moteur lié à la fois aux progrès de la perception et de la motricité « qui prend une grande extension jusqu'au moment de l'apparition du langage et de la représentation imagée (c'est-à-dire de la fonction symbolique en général). Cet espace sensori-moteur est lui-même greffé sur divers espaces organiques antérieurs (postural, etc.) mais dont il est loin de constituer un simple reflet... ». « Puis ensuite seulement vient l'espace représentatif dont les débuts commencent avec ceux de l'image et de la pensée intuitive, contemporains de l'apparition du langage». Alors, poursuit Piaget, se produit un phénomène très curieux... « tout en profitant des conquêtes de la perception et de la motricité, (lesquels fournissent, sur leur plan, l'expérience de ce que sont par exemple une droite, des angles, un cercle, et un carré, des systèmes perceptifs, ...) la représen- tation procède ab initio comme si elle ignorait tout des rapports métriques et projectifs, des proportions, etc. La représentation est obligée de reconstruire l'espace à partir des intuitions les plus élémentaires, tels que les rapports topo- logiques de voisinage, de séparation, d'enveloppement, d'ordre, etc. mais en les appliquant en partie déjà à des figures projectives et métriques supérieures au niveau de ces rapports primitifs et fournies par la perception ». « Faute de prêter attention à ce divorce entre la forme de connexions représentatives initiales et le contenu perceptif..., on s'imagine que l'intuition géométrique s'appuie directement sur les données sensori-motrices ». Piaget distingue alors l'activité « représentative », apparue plus tardivement, et l'activité « perceptive » fondée sur les activités sensori-motrices et il montre le rejaillissement de la première sur la seconde. Il dénonce alors l'équivoque entre les rapports du « représentatif » et du « perceptif » dû au fait que l'adulte ayant perdu tout souvenir des étapes antérieures s'imagine alors que chaque perception utilise dès l'origine des systèmes de coordonnées, ou les rapports de verticalité et d'horizontalité, en réalité très complexes qui ne sont achevés que vers 8 à 9 ans. Il distingue plusieurs périodes dans le développement : — La première (jusqu'à 4 mois) est caractérisée par une « non coordination » des divers espaces sensoriels entre eux. Seules les propriétés topologiques de voisinage, de séparation, d'ordre, d'entourage ou d'enveloppement (par exemple, le nez entouré du visage) sont identifiées. Piaget rappelle que Poincaré avait identifié un continu « empirique » basé sur le voisinage. A ce niveau, dit Piaget, le bébé ne perçoit que des rapports spatiaux élémentaires qui caractérisent cette partie de la géométrie appelée « topologie », étrangers aux notions de forme rigide, de distance de droite, d'angles, etc. ainsi qu'aux rapports projectifs et à toute mesure. Cette période ne comporte « que des rapports pré-perspectifs et pré-euclidiens » qui s'apparentent aux relations topologiques élémentaires. Mais il s'agit d'une topologie perceptive et motrice et surtout radicalement égocen- trique. — La seconde période (4-5 à 12 mois) est caractérisée par la coordination entre vision et préhension qui permet la perception des formes. Mais, dit Piaget « contrairement à l'hypothèse centrale de la théorie de la Gestalt, nous croyons que des bonnes formes elles-mêmes (ou formes euclidiennes simples) se déve- loppent, avec l'image, en fonction de l'activité sensori-motrice, mouvements du regard, exploration tactile, analyse imitative, transpositions actives... La constance des grandeurs est liée, par exemple, à la coordination des mouvements contrôlés perceptivement. La décentration perceptive de cette période associée à l'activité motrice aboutit à la constitution de rapports métriques et projectifs ». — Pendant la troisième période (seconde année) les changements de points de vue, les déplacements contribuent à l'élaboration d'une perception des mouve- ments des objets les uns par rapport aux autres (allocentriques). La seconde moitié de cette période « en marquant le début des coordinations intériorisées et rapides qui caractérisent l'acte complet d'intelligence, voit apparaître l'image mentale en prolongement de l'imitation différée... De purement perceptif, l'espace devient donc en partie, représentatif. Ce n'est alors que vers 7-8 ans qu'un espace intellectuel sera construit, qui sera capable de l'emporter définitivement sur l'espace perceptif. C'est la motricité qui est le facteur commun entre ces deux constructions, représentative et perceptive. L'image est, pour lui une imitation intériorisée qui procède par conséquent comme telle de la motricité ». Ces analyses de Piaget portent toutes sur le primat de la topologie sur la métrique. Il remarque la démarche inverse qu'auraient faite le développement de la perception d'une part, et la science de la géométrie d'autre part, et écrit « on comprend que relevant des conditions élémentaires de l'action, ces rapports fondamentaux aient échappé si longtemps à la science géométrique qui a débuté avec la mesure et ne s'est engagée qu'extrêmement tard dans la recherche des notions primitives ».

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Physiologie de la perception et de l'action. M. Alain BERTHOZ, professeur. Généralités. Le Cerveau et l'espace : II — Fondements cognitifs de la géométrie et expérience de l'espace. 1. INTRODUCTION. Le cours a porté sur les fondements cognitifs de la géométrie et ses relations avec l'exp
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