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Pèlerinages et nationalisme en Palestine: prophètes, héros et ancêtres PDF

350 Pages·2007·9.943 MB·French
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PÈLERINAGES ET NATIONALISME EN PALESTINE EMMA AUBIN-BOLTANSKI PÈLERINAGES ET NATIONALISME EN PALESTINE Prophètes, héros ot ancêtres ÉDITIONS DE L’ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES Recherches d’histoire et de sciences sociales/ Studies in History and the Social Sciences, 111 ISSN 0249-5619 Clichés de couverture : Pèlerins et fanfare de la Sécurité préventive à Nabî Mûsâ Les cartes et plans ont été préparés par Jacques Bertrand, EHESS © Illustrations : D.R. ; n° 42-47 : École biblique de Jérusalem © 2007, École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris ISBN 978-2-7132-2160-6 Maquette de la couverture d’après une réalisation In studio 4 Imprimé en France Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions desti­ nées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l'auteur ou des ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du code de la propriété intellectuelle. À Christophe, Ju lia et Cam ille N ote sur la translittération Pour les mots en arabe, nous avons utilisé le système de translittération simplifié suivant : * « d ü* b t J» t Cj z JL C th t j e gh t h c f ci * kh t q cJ d j k dh j 1 J r j m f z j n ü s «j- h 6 » sh o* w J s U-■ y Les voyelles sont rendues par a, i, u, â, î, û. Le hamza n’est pas noté en début de mot. Introduction En 1997, l’Autorité palestinienne, mise en place trois ans plus tôt, annonce, par l’intermédiaire de la presse locale, sa décision de «redonner vie» à deux fêtes musulmanes (mawsim-s) dédiées l’une au prophète Moïse (Nabi Mûsâ) et l’autre à un prophète coranique, Nabi Sâlih. Des comités organisateurs sont créés, des programmes d’activités et des affiches appelant les «visiteurs » à venir nombreux sont édités. Pour la première fois, les festivités se déroulent sous le drapeau palestinien et au son de l’hymne national. Nous sommes à un moment particulier de l’histoire de la construction nationale palestinienne qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler la période d’Oslo, en référence à l’accord du même nom conclu quatre ans auparavant entre l’OLP et l’État d’Israël. Les grandes villes de Cisjordanie et les deux tiers de la bande de Gaza jouissent alors d’un statut d’autonomie. La population relève d’un centre politique unique doté de pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires. Mais déjà, la fra­ gilité et les bulles de ce processus de paix se font sentir et les espoirs qu’il a pu susciter sont en grande partie brisés. Cette période se caractérise notamment par une division, un émiettement sans précédent du référent identitaire palesti­ nien, la « terre » de Palestine. Les accords d’Oslo entérinent une division entre Jérusalem, la bande de Gaza et la Cisjordanie. À cet éclatement, s’ajoute celui de la Cisjordanie en trois zones différentes : zone A sous autorité palestinienne, zone B sous contrôle mixte et C sous contrôle israélien. Dans ce contexte, les mawsim-s constituent une occasion rare de se déplacer et de se rassembler. Bien qu’annoncés comme «religieux», «traditionnels», «populaires», ces pèlerinages acquièrent une dimension fortement nationaliste. Au cours des festivités, qui se déroulent chaque année au mois d’avril, les deux sanctuaires se recouvrent de drapeaux et de portraits du président de l’Autorité palestinienne, Yasser Arafat. Des personnalités politiques font le déplacement et l’hymne national palestinien repris en boucle par les scouts se mêle aux chants et au son des cymbales des confréries soufies. Pourquoi l’Autorité politique choisit-elle des tombes de prophètes comme lieux d’expression du sentiment national? Comment les dévots, de leur côté, réagissent-ils à cette intrusion du politique 8 Pèlerinages et nationalisme en Palestine dans leur rituel religieux ? Comment s’articulent, d’une part, objectifs religieux et politiques et, d’autre part, dévotions individuelles et cérémonials collectifs ? Ce sont les principales questions auxquelles ce travail tente de répondre. Les pèlerinages de Nabi Mûsâ et de Nabi Sâlih sont les deux seuls mawsim-s musulmans encore pratiqués en Cisjordanie. Bien qu’ayant des origines et un passé mythiques semblables, ils revêtent aujourd’hui des formes très diverses. Alors que le premier conserve un caractère surtout religieux et traditionnel, le second donne lieu, avant tout, à une célébration nationaliste et folklorique. L’histoire récente de ces deux fêtes explique ce contraste. Le mawsim de Nabi Mûsâ a connu une continuité extraordinaire : même aux pires moments de l’histoire palestinienne, il n’a jamais été interrompu. Celui de Nabi Sâlih, quant à lui, avait complètement disparu depuis 1948.11 a été réinventé par l’Autorité palestinienne en 1997 au prix de son déplacement de Ramleh, la ville où il avait lieu traditionnellement, aujourd’hui l’une des principales agglomérations israéliennes, à un petit village de Cisjordanie portant le nom du prophète Sâlih. Pour mieux comprendre la place qu’occupent ces deux pèlerinages dans la société palestinienne, je me suis attachée à les étudier dans la diachronie. En m’appliquant à ne pas «écraser» mes données empiriques par la quête d’un sens caché, j’ai eu recours à l’histoire. Un recours nécessaire si l’on considère les sanctuaires comme des lieux de mémoire et le rituel du pèlerinage comme un moyen mnémotechnique, une action collective permettant de produire et de transmettre le souvenir. Deux périodes - le mandat britannique avant la grande révolte arabe (1920-1936) et les quatre années (1997-2000) durant lesquelles rAutorité palestinienne impose son contrôle sur les festivités jusqu’au déclenchement de la seconde Intifada - font l’objet d’une attention particulière car, par-delà la grande rupture de 1948, elles se répondent. Entre 1920 et 1936, comme entre 1997 et 2000, les mawsim-s ont été investis par les acteurs de la scène politique palestinienne. Ces fêtes traditionnelles et populaires sont deve­ nues des grands moments d’exaltation du sentiment national à des moments cruciaux : en 1920, juste après la déclaration Balfour1 et alors que le mouvement nationaliste palestinien prend forme puis, en 1997, trois ans après la mise en place de l’Autorité palestinienne, dans un contexte d’édification nationale. L’enquête présente s’est déroulée dans le cadre de la Palestine des années 1998-2003. Elle a connu deux étapes bien distinctes : les trois premières années -1998-2000 - ont constitué une période de calme politique relatif au cours de laquelle j’ai pu observer les différentes étapes de la prise en main des festivités par l’Autorité palestinienne et les réactions des pèlerins à cette immixtion du 1 1. Lettre du 2 novembre 1917 par laquelle Arthur James Balfour, ministre britannique des Affaires étrangères, annonce le projet d’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif. Introduction 9 politique dans leur rituel religieux. Le déclenchement de l'Intifada al-Aqsâ en septembre 2000 m’a contrainte à modifier mon approche méthodologique et théorique. Jusque-là, ce travail portait sur l'instrumentalisation d’un rituel religieux par les représentants du pouvoir politique; sur l’étude de pèlerina­ ges progressivement vidés de leur signification religieuse et transformés en moments et lieux d’expression du sentiment national. Le déclenchement de la guerre et la phase de «déconstruction nationale» qui s’ensuivit permirent de lever le voile sur la dimension religieuse de ces fêtes. Cette dimension, qui se laissait difficilement voir jusque-là, s’est avérée essentielle pour la survie du rituel. La guerre avait fait entièrement disparaître le cérémonial politique organisé les années précédentes par les représentants de l’Autorité palesti­ nienne. En revanche, les dévots rendaient toujours spontanément visite aux prophètes Moïse et Sâlih pour leur remettre des dons, leur adresser des vœux et des prières. Dès lors, le rituel religieux se devait d’être envisagé, non plus uniquement comme « prétexte » ou encore comme simple réceptacle de l’action et de l’expression du politique. Il fallait comprendre comment les dimen­ sions religieuse et politique du pèlerinage, loin de s’opposer irréductiblement, se nourrissent l’une l’autre. En transformant les pèlerinages en célébration nationaliste, les représentants politiques ont permis la légitimation d’un rituel qui est la cible de critiques constantes de l’islam fondamentaliste depuis la fin du XIXe siècle. Id, le politique s’est porté en quelque sorte au secours du religieux. Mais, simultanément, le rituel du mawsim donne l’occasion à l’Autorité palestinienne, récemment créée, de s’inscrire dans le territoire et dans le temps long de la «tradition» nationale. Le religieux en vient donc à conforter un projet politique. Le bâtiment qui abrite la tombe de Moïse, un imposant édifice construit à partir du xnie siècle dans le Kathîb al-ahmar (le désert de Judée), est une destination touristique recommandée dans tous les guides. J’eus peu de dif­ ficulté à trouver ma place dans ce lieu ouvert qui, d’un bout à l’autre de l’année, accueille une population très diverse: les dévots musulmans y croi­ sent des touristes en short, des randonneurs et des militaires israéliens. Entre 1999 et 2000, je m’y rendis pratiquement tous les vendredi, jour de prière, et m’y installai pendant le mois du mawsim. J’étais accueillie par le gardien du sanctuaire, le shaykh Muhammad al-Jamal (Abû Ismâcîl) et sa femme, Am al (Umm Ismâcîl). Tous deux furent les principaux informateurs et guides de ma recherche. Faisant preuve d’une extraordinaire générosité, d’une grande ouverture d’esprit et d’une patience à toute épreuve, ils m’initièrent aux secrets des lieux et surtout m’aidèrent à surmonter la méfiance et l’incompréhension que ma présence pouvait susciter, en m’introduisant eux-mêmes auprès des fidèles et des organisateurs. Je m’attachai à me présenter le plus précisément possible, en insistant tout particulièrement sur mon statut de femme mariée et 10 Pèlerinages et nationalisme en Palestine de mère. Je précisai ma nationalité, française, et revendiquai une appartenance - en réalité, vague - à la religion chrétienne. Ma position d’observatrice extérieure, étrangère et chrétienne, fut acceptée. Cependant, les mois passant, mes interlocuteurs commencèrent à se poser des questions sur la durée de mon enquête : « Pourquoi était-elle si longue ? » Une explication fut à mon insu formulée. Le gardien et sa femme arrivèrent à la conclusion que je désirais me convertir à l’islam. Abû Ismâ^ exigea alors que je porte le voile à l’intérieur du sanctuaire. Sa femme commença à me présenter comme une « nouvelle convertie », « une personne sur la voie de la conversion » ou « une presque musulmane » à des guides spirituelles (murshida-s). Les infor­ mations que l’on me donnait devinrent des conseils, voire des injonctions. Les cérémonies et les rituels ne m’étaient plus décrits et expliqués à la pre­ mière personne du pluriel et du singulier - « Nous faisons ced ou cela, je prie comme ced ou comme cela» -, mais à la seconde personne et à l’impératif: «Tu dois... ! » Je « dus » donc porter le voile à l’intérieur du sanctuaire, rédter la première sourate du Coran (Fâttha) et les professions de foi (shahâda) devant des guides spirituelles, et apprendre les dnq prières canoniques. Je continuai malgré tout à me présenter comme «chrétienne» et sur la nature de ma sup­ posée conversion, mes interlocuteurs les plus proches ne se faisaient aucune illusion : «Je sais, c’est par respect pour nous que tu portes le voile. C’est bien. Au moins tu as un pied au Paradis maintenant ! » me déclara un jour en riant Umm Isnuftl. Je perdis donc ma position d’observatrice extérieure pour gagner un statut intermédiaire - ni tout à fait musulmane ni tout à fait chrétienne - plus inconfortable, mais d’une grande richesse: c’est avec un regard quasi du dedans qu’à partir de ce moment, je poursuivis mon travail. Contrairement au sanctuaire de Nabi Mûsâ, le complexe religieux qui abrite la tombe du prophète Sâlih - une simple qubba (salle de tombeau), accolée à une mosquée bâtie probablement à la fin du XIXe siècle au cœur d’un village isolé de Cisjordanie - n’est jamais visité par des étrangers. Mon intégration y fut difficile et progressive. Tout d’abord parce que le village est situé dans un environnement extrêmement tendu, en face de Halamish, une colonie israélienne «idéologique»2 en pleine extension. Ensuite parce que le gardien du sanctuaire, un homme hostile tout à la fois aux étrangers, aux non-musulmans et aux femmes, refusa obstinément de me parler. Mon travail d’approche, commencé en novembre 1999, fut long et parfois maladroit. Mon premier contact dans le village fut le folkloriste Nimr Sirhân. Auteur d’un 2. Les colonies « idéologiques » sont habitées par des ultranationalistes ou des ultraorthodoxes et sont généralement distinguées des colonies « économiques » dont les habitants sont pour la plupart attirés par le bon rapport qualité/prix, les conditions de vie et les divers avantages financiers accordés par l’État israélien.

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