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parcours et reseaux d'un anarchiste : alexandre marius jacob 1879-1954 PDF

504 Pages·2006·22.93 MB·French
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Preview parcours et reseaux d'un anarchiste : alexandre marius jacob 1879-1954

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Contact : [email protected] LIENS Code de la Propriété Intellectuelle. articles L 122. 4 Code de la Propriété Intellectuelle. articles L 335.2- L 335.10 http://www.cfcopies.com/V2/leg/leg_droi.php http://www.culture.gouv.fr/culture/infos-pratiques/droits/protection.htm U.F.R. des sciences historiques et géographiques Département d’histoire Thèse soumise à l’approbation du jury en vue de l’obtention du doctorat en histoire contemporaine à l’Université de Nancy II 2006 PARCOURS ET RESEAUX D’UN ANARCHISTE : ALEXANDRE MARIUS JACOB 1879-1954 Jean-Marc Delpech Sous la direction de Monsieur François Roth U.F.R. des sciences historiques et géographiques Département d’histoire Thèse soumise à l’approbation du jury en vue de l’obtention du doctorat en histoire contemporaine à l’Université de Nancy II 2006 PARCOURS ET RESEAUX D’UN ANARCHISTE : ALEXANDRE MARIUS JACOB 1879-1954 Jean-Marc Delpech 1 Introduction Le genre biographique correspond au travail que nous voulions entreprendre sur Alexandre Jacob. Mais, au-delà de la simple vie d’un homme, cette étude nous conduit à l’analyse de phénomènes plus larges. Pour Sébastien Faure, dans l’Encyclopédie anarchiste, « quiconque nie l’autorité et la combat est anarchiste »1. La vie d’Alexandre Jacob peut alors s’inscrire dans une tranche d’histoire sociale et politique, une vision particulière de l’anar- chisme si l’on considère qu’il y a donc autant d’anarchies que d’anarchistes. Dans la biographie qu’il écrit en 1950 sur Alexandre Jacob2, Alain Sergent dresse le portrait atypique d’un homme qui défraya la chronique judiciaire en 1905 du fait d’un grand nombre de cambriolages perpétrés au nom de l’idéal libertaire, et survécut à une vingtaine d’années de bagne. Alexandre Jacob, 1879-1954, n’est ni le premier ni, comme a pu l’écrire Jean Maitron, « le dernier des grands voleurs anarchistes »3. Bien avant lui, Clément Duval4, en 1886, et Vittorio Pini5, en 1887, ont usé de la pince monseigneur suivant les recommanda- tions du congrès de Londres de 1881 qui affirmait qu’ « en sortant du terrain légal (…) pour porter notre action sur le terrain de l’illégalité, qui est la seule voie qui mène à la révolution, il est nécessaire d’avoir des moyens qui soient en conformité avec ce but »6. D’autres ont suivi l’exemple donné par Duval, Pini ou encore Jacob. Mais tous n’ont pas en revanche assumé et revendiqué leurs actes délictueux. Tous n’ont pas exposé aussi leurs principes politiques à l’occasion de leur procès respectif. Alexandre Jacob et la bande des Travailleurs de la Nuit ne sont pas non plus les derniers à franchir le pas de l’illégalisme anarchiste. Jules Bonnot et les « bandits tragiques » ont soulevé en 1911 une vive émotion populaire, largement exploitée et mise en scène par la puissante presse de l’époque. Dans sa lutte sociale contre l’état, l’anarchisme continue de faire peur bien après la période des attentats (1892-1894), période dite de la propagande par le fait. Cette peur s’es- tompe largement après la Première Guerre mondiale ; elle a disparu aujourd’hui. L’action d’Alexandre Jacob est en outre indissociable de son contexte, celui d’une société vivant, 1 Faure Sébastien, article « Anarchie » dans Encyclopédie anarchiste, 1935. 2 Sergent Alain, Un anarchiste de la Belle Epoque : Alexandre Jacob, Editions du Seuil, Paris, 1950. 3 Article « Marius Jacob », Dictionnaire Biographique du Mouvement Ouvrier Français, version cd-rom. Le prénom Marius correspond au second prénom de Jacob. 4 Sur Clément Duval, voir Enckell Marianne, Moi, Clément Duval, bagnard et anarchiste, 1991. 5 Sur Vittorio Pini, voir Maitron Jean, Le mouvement anarchiste en France, volume I, p.187-188. 6 In Maitron Jean, « Le mouvement anarchiste en France », p.114. 2 comme a pu le montrer Jean-Marc Berlière7, sur le phantasme de la résurgence du crime, sur l’angoissante question d’une insécurité vécue non plus comme récurrente mais comme galo- pante. Dans son Histoire secrète du Milieu, Jean Marcilly établit le constat du rapport à la délinquance et au crime, sans pour autant rechercher une définition précise de ce dernier terme. Mais, ici, le crime devient un argument commercial : la mort (surtout si elle est violen- te et sanglante) et le vol (surtout s’il sort de l’ordinaire) font vendre. Marcilly fait alors de Ja- cob un personnage, certes intéressant à plusieurs titres, mais presque vierge de tout principe politique, philosophique, de tout sentiment humain. Le rapprochement, dangereux et aléatoire, entre Alexandre Jacob (marseillais qui plus est) et le Milieu, organisation floue, obscure, impalpable et criminelle peut donc s’opérer. La preuve en est que Jo Attia, le célèbre bandit du gang des tractions avant, apporte son lot de souvenirs dans cet ouvrage8. Alain Sergent ne va pas jusque là. Sa prose donne pourtant le primat à l’extraordinaire individualité, au héros singulier, voire au surhomme. A partir de ce moment, nombre de fallacieux parallèles peuvent être établis à des fins plus ou moins mercantiles. Ainsi en est-il de la corrélation plus ou moins « autorisée », parce que concordante dans le temps, entre Alexandre Jacob et Arsène Lupin que suggère aussi bien Alain Sergent que ses deux « continuateurs ». L’homme est jugé à Amiens du 8 au 22 mars 1905. Le 6 juillet de cette année le magazine Je Sais Tout publie une nouvelle de l’écrivain Maurice Leblanc : « L’arrestation d’Arsène Lupin ». Notre étude n’est pas la première à tenter d’approcher la vie de cet anarchiste illégalis- te. Le journaliste Bernard Thomas, en 19709 puis en 199810, et l’avocat William Caruchet en 199311 ont commis chacun une biographie sur le personnage. Tous deux reprennent à leur compte les informations données à Sergent par Jacob lui-même. Ce dernier accepte en effet, après avoir refusé maintes propositions dont celle de son ami Pierre Valentin Berthier, de narrer son étonnant parcours à un homme reconverti dans l’écriture après l’expérience dou- loureusement vécue de l’épuration. Alain Sergent, de son vrai nom André Mahé, a milité au sein du Parti Populaire Français de Doriot, puis dans le Mouvement Social Révolutionnaire de Deloncle. Or, le livre de Sergent, écrit donc du vivant de Jacob, ne constitue en rien des mémoires ; il offre une vision particulière de l’anarchiste. Ceux de Thomas et Caruchet re- composent l’image de l’homme aux 156 cambriolages avoués. De ces trois ouvrages se dégagent au total le mythe du voleur audacieux, romantique et joyeux, de l’efficace et ingé- nieux chef de bande, du bagnard courageux qui expie ses crimes loin de la métropole. Dans tous les cas, l’anarchisme de Jacob passe au second plan. Tout au plus, l’idée po- litique ne constitue qu’une excuse dialectique ou encore que l’arrière-plan d’une scénographie dramatique. Cette idée est pourtant une constante chez Alexandre Jacob, dictant les faits, les gestes et la pensée d’un homme refusant le primat d’une société fondée sur les notions de pouvoir et d’autorité. Il est vrai que ni Sergent, ni Thomas et Caruchet n’ont la prétention d’offrir une approche historique d’Alexandre Jacob. Or, et c’est le projet de notre thèse, en replaçant cette vie, par bien des aspects fascinante, dans le cadre de l’anarchisme nous pouvons entrevoir l’évolution d’un mouvement où l’individu se place au centre d’une 7 Berlière Jean-Marc, Le monde des polices en France, p.58 : « Les exploits de malfaiteurs d’un genre nouveau comme Alexandre Jacob et ses « travailleurs de la nuit » (…) achevèrent de créditer l’image d’un pays livré au pillage et au crime : un sentiment intolérable au début d’un siècle qui ne pouvait être que progrès ». 8 Marcilly Jean, Histoire secrète du Milieu, volume I, p.134-135. 9 Thomas Bernard, Jacob, 1970. 10 Thomas Bernard, Les vies d’Alexandre Jacob, 1998. 11 Caruchet William, Marius Jacob l’anarchiste cambrioleur, 1993. 3 construction sociale cimentée par l’idéal de liberté. Le parcours et les réseaux de celui-ci permettent-ils d’approcher le monde des libertaires ? Le problème posé peut en effet consti- tuer un des fils directeurs de notre analyse en ce sens où l’appréhension de ce parcours et de ces réseaux autorise l’élargissement de notre champ d’investigation. C’est aussi pour nous l’occasion de répondre à la question que l’anarchiste individualiste Emile Armand pose dans une brochure publiée en 1927 : « l’illégaliste anarchiste est-il notre camarade ? ». Qu’est-ce que l’illégalisme ? Alexandre Jacob est-il un anarchiste ? Quelle est sa pen- sée ? Peut-on le considérer comme un théoricien du vol ? Ou bien s’agit-il d’un simple mili- tant qui paie pour ses actes délictueux ? Le brigandage politique n’est pas l’apanage de l’anarchie. D’autres idées, d’autres au- tres mouvements, d’autres partis ont usé de cette pratique. Alain Sergent rappelle, à ce titre dans sa biographie de Jacob, le braquage de la banque de Tiflis perpétré par Staline pour fi- nancer l’activisme bolchevik en Russie12. Mais les anarchistes ont théorisé l’appropriation frauduleuse des biens d’autrui, ont développé le principe d’une reprise individuelle, juste et révolutionnaire. Tous n’approuvent pas cette orientation. Loin s’en faut. Mais force est de constater que le débat est, dès l’origine, ouvert sur l’illégalisme. Il nous faut ainsi considérer Alexandre Jacob comme le fait Jean Maitron, c'est-à-dire comme le « cas témoin »13 d’une branche de l’anarchie qui eut, après les lois scélérates de 1893-1894, de nombreux partisans. L’’expression utilisée par l’historien du mouvement libertaire français mérite que l’on s’y arrête un peu. Une approche du banditisme social, une histoire du vol politique, une analyse de la reprise individuelle ne peut effectivement se concevoir que d’une manière parcellaire et lacunaire. L’illégalisme s’est toujours conjugué par définition avec le principe de précaution. De là, l’absence ou l’aspect critique des sources et en particulier celles émanant de la police. Il est vrai que le « cas Jacob » associe le fait de droit commun à l’idée politique. Le problème des sources n’apparaît pourtant pas insoluble et nous autorise dès maintenant à répondre à la question que pose Bernard Thomas, en 1998, dans la réédition de son « vrai roman » biogra- phique14 : « Comment [après Sergent] apporter du nouveau ? »15. La publication des Ecrits d’Alexandre Jacob par L’Insomniaque a, en 1995, motivé notre volonté de recherche. Olivier Cueto, un des animateurs de cette maison d’édition anar- chiste et associative, est à l’origine de l’entreprise. Il offre ici la genèse de la publication de ces deux volumes qui nous ont permis de débuter nos investigations : « Le nom d’Alexandre Marius Jacob m’est apparu la première fois au cours de recherches que je faisais pour constituer un petit recueil sur des bandits sociaux. En me promenant dans des librairies lyonnaises, je fis une halte à « Choc Corridor », où je trouvais quelques récits intéressants (entre autres le Clément Duval de Marianne Enckell) et où je tombais sur l’ouvrage d’Alain Sergent «Alexandre Marius Jacob, un anarchiste de la Belle Epoque». Son prix était fort élevé et je demandais malicieusement au libraire s’il ne voulait pas le baisser, pour éviter que je l’emprunte, malgré lui… Amusé, il me répondit qu’il voulait bien m’en 12 Il s’agit en fait de l’attaque d’un fourgon du Trésor Public de la ville géorgienne de Tiflis le 13 juin 1907. Pour Jean-Jacques Marie, l’implication de Staline, qui utilise à l’époque le pseudonyme de Koba, est plus que sujette à caution (Marie Jean-Jacques, Staline, 2001, p.99-101). 13 Maitron Jean, Le mouvement anarchiste en France, p.415. 14 Le qualificatif « vrai » est employé pour le mot « roman » sur la première de couverture de la réédition, en 1998, de la biographie commise par Bernard Thomas : Les vies d’Alexandre Jacob. 15 Pour plus de commodité, nous nous référons à la réédition du livre de Bernard Thomas, c'est-à-dire à la ver- sion de 1998 de sa biographie. Ici, p.9. 4 faire cadeau à la condition que je fasse des recherches sur ce personnage qui n’avait eu jusque là que le triste bonheur de devenir un héros d’une fiction politique signé du journaliste Bernard Thomas. Il m’indiquait aussi que, si j’étais intéressé par cette proposition, il pouvait me donner l’adresse d’un couple de personnes qui avait fort bien connu Jacob quelques années avant sa mort et qui disposaient d’un fond d’archives épistolaires plus que conséquent. Je ne pouvais qu’accepter. Ce thè- me de bandit social me passionnait : démontrer que, malgré les théories « anarchis- tes » traditionnelles, la frontière entre l’illégalisme et la théorie révolutionnaire était souvent ténue était l’une de mes obsessions. Cela n’a d’ailleurs toujours pas changé. A la fois la rigueur d’un voleur qui ne change jamais de camp, qui, ne cède pas devant le vertige de l’argent et qui ne s’éprend pas des valeurs bourgeoises en amassant de plus en plus de richesses, et puis la fermeté d’un anarchiste qui choisit de sortir des ornières d’une vie rapidement tranquille (…). Bonnot ne m’était pas aussi sympathique et Jean Grave m’exaspérait. Pendant plusieurs mois, presque deux ans, je m'occupais de retrouver et de rencontrer ceux qui avaient pu connaître Marius Jacob de son vivant et qui pour- raient avoir conservé des archives autour de ce personnage (lettres, documents, photographies...). Les recherches furent fructueuses : sans retracer tout le parcours, j'eus ainsi la joie de me rendre chez les époux Passas qui détenaient la quasi totalité des lettres que Jacob avaient envoyées à sa mère pendant sa réclusion au bagne de Cayenne, puis Pierre Valentin Berthier qui avait côtoyé Jacob après son installation dans le centre France, Denizeau ancien maire libertaire de Lussault sur Loire, Josette... Je me retrouvais ainsi devant une masse de documents de la main même de Jacob aussi intéressants qu'inédits. Bien que de formation universitaire, je n'avais pas envie de traiter cette histoire de cette façon. Il me fallait allier au mieux la conception d'un livre plaisant et le sérieux des recherches. Après avoir complété en partie les dernières recherches nécessaires (Bibliothèque nationale, les archives d'outremer, les différents fonds de documentation historique comme le CIRA à Lausanne, la BDIC à Nanterre, etc.), je commençais d'imaginer avec les amis de l'Insomniaque éditeur la façon de rendre compte de tout ce qui avait été retrouvé. Nous décidâmes de fabriquer deux livres et deux disques. (…) La fabrication de cet ensemble fut encore un long moment parta- gé avec beaucoup de complices : entre la mise en page, la correction, l'impression, la mise en scène des saynètes, l'enregistrement des disques (musiques et textes)... tout cela dura quelques mois et concerna presque une centaine de personnes. (…) Les Ecrits de Jacob [sont] toujours et plus que jamais d'actualité, lui qui s'est tou- jours battu contre le système d'exploitation capitaliste et plus précisément contre l'une de ses formes de répression, l'enfermement carcéral. L'Insomniaque, dès qu'il l'a pu, a toujours publié des textes contre la prison, contre toutes les prisons : le témoignage de Jacob en ce sens est unique, aussi bien d'un point de vue historique que politique, voire philosophique »16. Les paroles partisanes et engagées d’Olivier Cueto n’en demeurent pas moins fondamentales. Ce dernier justifie non seulement son intérêt pour Alexandre Jacob. Il expli- que également l’importance et la place qu’il lui accorde dans l’histoire du mouvement liber- taire. Les Ecrits génèrent ainsi quelques années plus tard notre désir d’en savoir plus. Qui est Alexandre Marius Jacob ? Lors d’une rencontre à Paris en février 2001, les éditions L’Insom- niaque nous ont gracieusement confié un carton de documents inédits qu’ils avaient reçus de Robert Passas. C’est à ce dernier qu’Alexandre Jacob donne ses archives personnelles au mois d’août 1951. Dans ce carton figuraient de nombreuses photographies sans commentaire, di- verses cartes postales adressées à Marie (la mère) et Alexandre Jacob (le fils), la correspon- dance avec Honoré Bonnefoy (un des complices cambrioleurs) ou encore avec le bagnard anarchiste Paul Vial, des lettres d’amis et de militants mais aussi quelques écrits non publiés 16 Lettre d’Oliver Cueto, 19 décembre 2006. 5 de Jacob lui-même. Parmi les signatures, que l’on peut y rencontrer, relevons celles des journalistes Louis Roubaud et Albert Londres, celles des avocats Justal et Aron, celles des anarchistes Humbert et Besnard. Le point de départ de nos recherches était ainsi amorcé. Comme Olivier Cueto, nous avons, après lecture des trois biographies consacrées à A1exandre Jacob, entrepris de rencontrer les derniers compagnons vivants de ce dernier et de recueillir leur témoignage. Tous ont connu l’homme après son long passage au bagne. Alexandre Jacob est devenu marchand forain dans le Berry ; il se fait appeler Marius. C’est son deuxième prénom. Mais il faut dans ces conditions parer au plus pressé. L’âge aidant, les souvenirs s’estompent, se transforment dans le sens d’une certaine mythification. Malgré tout, Guy Denizeau et Pierre Valentin Berthier nous ont amplement et amicalement ouvert leurs portes et confié leur mémoire. A Bois Saint Denis, petit hameau de la commune de Reuilly (Indre), Nicolas Zajac a fait pour nous l’effort de se rappeler le repas offert aux enfants par Jacob avant son suicide, le 28 août 1954. A Bois Saint Denis encore, Thérèse Rousseau s’est souvenu du vieux bonhomme qui fumait sa pipe devant sa maison. Madeleine Briselance nous a éclairés le monde des marchands forains et nous a conté les moments qu’elle a passés avec l’ami de son père Georges et de son oncle Louis. Comment enfin ne pas souligner l’accueil plus que chaleureux qui nous fut fait à Romans (Drôme) par Josette Duc-Passas, qui partagea amoureusement avec Jacob le dernier mois de sa vie ? Avant de la rencontrer, Marius écrit à Josette (première femme de Robert Passas), et réciproquement, pendant plus d’une année17. Tous ces témoignages oraux ont largement contribué à humaniser un personnage que nous n’envisagions au départ que dans un cadre strictement politique. Or, l’intérêt d’une étude sur l’anarchisme réside bel et bien dans l’importance accordée à l’individualité. Les archives publiques permettent d’aborder un tel personnage si ce dernier se fait remarquer de quelques manières que ce soit. Au-delà des multiples dérogations à la loi sur les archives que nous avons pu obtenir, force est de constater que nous n’avons pu mettre la main sur le fameux dossier d’instruction du procès d’Amiens (du 8 au 22 mars 1905) qui envoie Alexandre Jacob au bagne. Nous évoquons ce problème à la fin de notre étude18. Le dossier du matricule 34777 et ceux de ses complices condamnés comme lui aux travaux forcés existent eux bel et bien. Leur consultation aux Archives de l’Outre-Mer, à Aix-en-Provence, enrichit notre connaissance non seulement de Jacob mais aussi de ce lieu de vie et de mort qu’est la colonie pénitentiaire de Guyane. Les archives de la préfecture de police de Paris contiennent peu d’éléments pouvant retenir notre attention, si ce n’est un épais dossier de presse relatant l’intégralité des débats ayant eu lieu à Amiens, ainsi qu’un rapport journalier de la surveillance policière dans cette ville à l’occasion de ce procès. Encore faut-il ajouter quelques outils de cambrioleur, exposés dans le musée attenant aux archives et que l’on peut presque attribuer à Jacob, comme cet incroyable passe-partout aux clés interchangeables. L’ingéniosité technique et manuelle du voleur constitue une sorte de marque de fabrique. N’oublions pas non plus les Archives Nationales qui nous offrent dans la série BB18 et BB24 deux gros dossiers consacrés à « l’affaire Jacob », une sorte de résumé du dossier d’instruc- tion du procès d’Amiens. Nous pouvons en effet y trouver des comptes rendus de l’enquête menée par le juge Hatté. La Bibliothèque de France permet entre autres de consulter la presse. Qu’elle soit nationale ou régionale, c’est aussi par son intermédiaire que peut être affiné le discours théorique du voleur anarchiste et que sont permises des précisions sur tel ou tel cambriolage. Alexandre Jacob fait parler de lui à trois reprises : lors de son arrestation à Airaisne, près d’Abbeville, en 1903 ; pendant les procès d’Amiens et d’Orléans (24 juillet 1905) ; à l’occasion de la campagne de presse visant à le faire sortir du bagne. De nombreux 17 Madame Duc nous a autorisés à lire cette correspondance extrêmement riche. 18 Voir chapitre 5 III) B) 2) Bernard Thomas versus William Caruchet. 6 articles ont, bien sûr, été consacrés à Jacob depuis sa mort. Ceux-ci méritent une attention tou- te particulière dans la mesure où ils peuvent véhiculer une certaine image de l’homme. Un dernier espoir de trouver des documents importants est constitué par le « fond Moscou » des Archives Contemporaines de Fontainebleau. Le 12 octobre 1992, les gouverne- ments russe et français signent un accord portant sur la restitution des archives françaises qui avaient été saisies par les troupes allemandes en 1940 dans différents ministères, et notamment celui de l’Intérieur. Transportées dans le Grand Reich, elles ont été récupérées par les troupes soviétiques et emmenées en URSS, d’où elles ont servies pendant un certain nombre d’années à s’informer sur le personnel politique hexagonal. Au total, des kilomètres de dossiers, sources étonnantes de la vie politique française. Un certain nombre d’entre eux sont datés de 1905 ou bien concernent l’activisme anarchiste. Le dossier côté 19940455/ arti- cle 6/ dossier 512 : Jacob Alexandre Marius 1899-1908 ne contient pas le dossier d’instruc- tion du procès d’Amiens. Mais il fournit de précieuses informations sur l’arrestation du jeune Marseillais pour fabrication d’explosifs en 1897 ainsi que sur son évasion de l’asile Montperrin à Aix-en-Provence en 1900. D’autres documents ont retenu toute notre attention, tels les dossiers d’amis et de complices de l’anarchiste. C’est par ce biais que l’importance des réseaux construits par Alexandre Jacob peut être révélée. Les Travailleurs de la Nuit pratiquaient le cambriolage, la reprise individuelle dans toute la France et même au-delà19. Dans ce cadre, les archives départementales constituent autant de pistes de recherche si l’on tient compte bien sûr des aléas. Celles du Loiret, par exemple, ont subi les bombardements de la Seconde Guerre mondiale. Les Archives départe- mentale de la Charente Maritime nous ont permis d’approcher Alexandre Jacob et quelques- uns de ses complices à la citadelle de Saint Martin de Ré. Mais ce fut aussi pour nous l’occa- sion d’entrevoir quelques détails de l’organisation de la bande des Travailleurs de la Nuit ainsi que l’anarchisme de certains membres. Les condamnés aux travaux forcés attendent dans cette prison leur départ pour la Guyane, écrivent à leur famille, imaginent leur nouvelle vie. En recoupant les informations données tant par la biographie d’Alain Sergent que par celles contenues dans le dossier de presse des Archives de la Préfecture de Police de Paris avec les données du dossier Clarenson des Archives départementales de la Gironde, nous pouvons de fait déterminer le parcours de ce complice de Jacob jusqu’au procès d’Amiens. Là, le dossier de bagne de Clarenson prend le relais. L’ensemble apporte des éclaircissements sur la vie de Jacob, dont le nom apparaît maintes fois. Cela permet alors de rectifier les errements biogra- phiques de messieurs Sergent, Thomas et Caruchet. Nous pouvons multiplier les exemples. A l’étranger, l’Institut Internationale d’Histoire Sociale d’Amsterdam conserve un grand nombre de documents relatifs aux anarchistes : journaux, brochures, affiches, corres- pondances privées, etc. Le fond Eugène Jean-Baptiste et Jeanne Humbert contient par exemple à la cote 168 cinq lettres d’Alexandre Marius Jacob adressées au célèbre anarchiste néo-malthusien20 au début des années 1930. Cet échange épistolaire confirme l’hypothèse des réseaux entretenus après le bagne et un activisme persistant (qui, certes, a changé de nature). La voie des archives privées ne nous a permis enfin de retrouver ni la correspondance d’Alexandre Jacob avec le docteur Louis Rousseau, qu’il rencontre aux îles du Salut en 1920, ni celles avec Alain Sergent et avec le R.P. Riquet. Si l’empreinte du docteur Rousseau est indéniable dans la vie de l’anarchiste, il nous a paru étonnant que sa famille ne possède rien. Nous ne croyons pas que le médecin du bagne ait pu détruire les lettres qu’il conservait de son 19 Si l’on considère que l’anarchie refuse et réfute les principes de patrie et de frontière. 20 Voir chapitre 5 I) C) 2) Un anarchiste à Paris. 7 « vieil ami »21. C’est en tout cas la version que nous a donnée son fils Maurice en 200222. Fort heureusement, et comme le souligne Olivier Cueto, les archives personnelles d’Alexandre Jacob demeurent encore aujourd’hui la base de notre travail. Une partie d’entre-elles est conservée par Pierre Valentin Berthier qui compte les verser après sa mort à l’Institut Français d’Histoire Sociale. Une autre se trouve chez Guy Denizeau à Lussault sur Loire. Ce sont essentiellement des documents administratifs. Nous pouvons cependant y trouver la dernière lettre écrite par Alexandre Jacob avant son suicide. Dans la « note pour Guy et Louis », l’anarchiste qui ne manque pas d’humour souhaite une bonne santé à ses amis. Mais la grande majorité des lettres d’Alexandre Jacob est conservée à Romans (Drôme). Après la mort de Robert Passas en 1998, Jeannine (sa seconde femme) a épousé Jean-François Amary. Le couple garde précieusement les papiers de l’illégaliste. Nous avons ici donné le nom d’Archives Amary à ce précieux fonds documentaire. Sans leur concours, une telle étude n’eut pu être envisageable. Merci également à tous ceux qui, de près ou de loin, nous ont ai- dés et soutenus dans nos démarches, ont modifié notre propos par leur apport critique, ont porté un regard circonspect ou enthousiaste sur cette entreprise. Merci encore à Delphine, Léo et Zoé qui ont supporté nos doutes, nos interrogations, nos joies et nos craintes ainsi que nos innombrables et pénibles relectures. Merci enfin à Monsieur François Roth qui, dès le départ, nous a amplement et grandement aidé en apportant ses nombreux conseils et ses précieuses critiques, en dirigeant nos recherches. La vie d’Alexandre Jacob fut en tout point particulière, originale, extraordinaire. De toute évidence, il ne laisse pas indifférent. Comment peut s’exercer cette force d’attrac- tion, observable par exemple lors du procès d’Amiens et qui, visiblement, se poursuit après sa mort ? C’est aussi ce qui nous a conduit à nous intéresser à cet homme aux multiples facettes. Encore convient-il de le replacer dans le contexte de son époque. Encore convient-il de ne pas oublier que, de 1879 à 1954, il peut nous donner un aperçu de l’évolution du mouvement anarchiste de par son parcours et de par les réseaux qu’il a pu entretenir tout au long de sa vie. Nous proposons de fait une approche politique et sociale d’Alexandre Jacob, là où nos prédé- cesseurs ont opté pour la narration romancée d’une vie, quitte à édulcorer l’engagement et les convictions d’un homme.Tout au long de nos recherches, nous nous sommes aperçus du pri- mat donné aux idées anarchistes par ce dernier. Jacob a toujours vécu en anarchiste, milité pour la cause, pensé et écrit en anarchiste. Comment cet idéal peut-il marquer sa vie ? Com- ment Alexandre Jacob assume-t-il ses actes et en supporte-t-il les conséquences ? Quelle place doit-on finalement lui accorder dans l’histoire d'un mouvement politique, caractérisé par la multiplication des tendances et soudé par le refus de l'autorité ? Car Alexandre Marius Jacob est certainement plus que l’acteur « héroïque »23 d’un moment, d’une « épopée »24. S’il con- vient d’aborder la vie du cambrioleur, celle du bagnard et enfin celle du marchand forain, ce sont d’abord et avant-tout les réseaux et le parcours d’un anarchiste que nous proposons de dévoiler. 21 Archives Amary, lettre du docteur Louis Rousseau, 3 septembre 1954. 22 Lettre de Maurice Rousseau, 9 février 2002 : « Pour ce qui est de Jacob, j’ai questionné un de mes neveux qui s’est intéressé à l’histoire de son grand-père et qui a recueilli tout ce qui avait trait au bagne. Il ne possède rien provenant de Jacob. Une de mes sœurs, à qui j’en ai parlé, pense comme moi que notre père avait détruit avant sa mort les documents concernant son livre et ses relations avec d’anciens bagnards. Je sais qu’il rencontra plu- sieurs fois Paul Gruault, comptable de « Détective » puis des éditions Gallimard jusqu’en 1972, après avoir été bagnard aux îles du Salut ». 23 Sergent Alain, op.cit., p.10. 24 L’utilisation de ce terme s’explique. C’est Alain Sergent qui l’emploie en 1970 pour féliciter Bernard Thomas du livre que ce dernier vient d’écrire sur Jacob (Voir Chapitre 5 III) B) 2) Bernard Thomas versus William Caruchet). 8

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Alexandre Jacob, 1879-1954, n'est ni le premier ni, comme a pu l'écrire Or, le livre de Sergent, écrit donc du vivant de Jacob, ne constitue en rien
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