PAR-DELÀ LE BIEN E'T LE MAL PRÉLUDE ÀlINE PHILOSOPHIE DE L~AVENIR ,<CO~li\tlENTl\lRESPHI[~OSOP1IIQ'IES }} <"~ollectiondirigée par ~A.ngèl£Kremer-]\/larietti et Fouad Nohru ~D~jà proTiS Guy-François DELAPORTE, Lecture dll COll1nle/ltaire de Thofllas d~quil1 ,surle Traité de I~me d:Arjsto~ 1999~ John Stuart IV1ILLA,uguste Comte et le positiv.ÏSfl1t; 1999~ Michel BOURDEAU,locus LogÎcus, 2000~ Jean-t4arie RNIER(Introduction, traduction et notes par)! Saint Thomas d'Aquin, Quest/OtIS disputées' de tâtl1G 2001~ Auguste COMTE, Plan des traval1}(~scientifiques nécessaires pour réorganiser fa société, 2001~ Angèle KRE~1ER-MARIElTIf Camets phi/osa qlle~ 2002~ Angèle KREfv1ER-t"1ARIETI1[ Karl Jaspe~ 2002* Gisèle SOUCHONt Nietzsche ~~Généalogie de flJ1djvid~~ 2003.~ Gunilla HAAC, Hommage à Oscar Haac, 2003~ Rafika BEN MRAD, La mimé.Çj5 créatrice dans /a Poétique et la . ' vrique dMstote1 2004,. fv1ikhailfVJAIATSKI, Platon penseur du visuel, 2005., Angèle KREIV1ER-MARIEm; Jean-PaulSartre et le désir d~~ 2005~ Guy-François DELAPORTE, lecture du COfflmentaire de rnomas d'Aquin sur le Traitéde lademonstration .d:Aristote[2005~ FRIEDRICH NIETZSCHE PAR-DELÀ. LE BIEN ET LE. l\IIAL PRÉLUDE À UNE PHILOSOPHIE DE L~AVENIR Présentation et Traduction d'-l~ngèle Kremer-Marietti L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique; 75005 Paris FRANCE L'Hannattan Hongrie Espace L'Harmattan Kinshasa L'Harmattan Italia L'Harmattan BurkinaFaso Këmyvesbolt Fac..des Sc. Sociales, Pol. etAdm. ; ViaDegliArtisti,15 1200logementsvilla96 BP243, KIN XI 10124TOI.ino 12B2260 Kos1s0u5th3 BLu.daup.es1t4-16 Université deKinshasa -ROC ITALIE Ouagadougou 12 1ère édition aux éditions Marabout en 1975. http://www .librairicharmattan.con1 [email protected] harmattan! @wanadoo.fr @ L'Harmattan, 2006 ISBN: 2-296-00041-X EAN :9782296000414 PRESENTATION Sens et portée de Par-delà le bien et le mal « » En ajoutant aux traductions existantes une nouvelle ver- sion de cette œuvre centrale de Nietzsche, nous avons voulu rendre à ce texte la simplicité familière qu'il possède en allemand. Car, s'il fut lui-même professeur d'université un certain temps à Bâle, Nietzsche n'écrivit cependant pas comme les philologues spécialistes ses collègues. Son originalité est d'user de la philologie pour décrypter les signes de la modernité; aussi une sémio- logie très sérieuse se cache-t-elle sous le masque de l'humour. Aphoristique et métaphorique, le style de Nietzsche ne peut être repris dans un langage trop sévère qui le trahirait: ainsi, ses aphorismes ont-ils chacun leur tempo, marqué par un usage particulier des tirets, qui tous indiquent une pause plus ou rnoins longue; le discours n'étant pas tronqué mais retardé par quelque pensée « latérale» ou souterraine (intrusion d'une remarque plus personnelle, présupposition fon- dant l'hypothèse ensuite avancée, explication ou justi- fication, note marginale, ou encore n1énagement d'un effet d'explosion soit interrogatif soit exclamatif). De 5 même ses métaphores ne peuvent-elles pas se transposer dans un français par trop élégant et fragile qui ne frôlerait plus que l'intention de l'auteur et ne rendrait pas la pensée concrète de Nietzsche. En effet, Nietzsche n'accomplit pas, mais entrouvre, au contraire, le rap- port concret-abstrait: sa pensée avance sur deux pieds, l'un se posant dans le concret et le domaine «vulga- risé », l'autre dans l'abstrait et le domaine « conceptua- lisé ». C'est là que se tient l'essentiel: dans cette ambi- valence qui supprime l'option spiritualiste (platoni- cienne, chrétienne) et idéaliste (cartésienne, kantienne, hégélienne) pour reconquérir le champ de la réalité pratique dans sa dialectique propre. Nous avons donc voulu éviter de désarmer l'écriture nietzschéenne, ce que ferait une traduction qui ne respecterait pas l'inscription du texte dans la réalité objective, c'est-à-dire dans le champ culturel de l'époque repris sous une légèreté humoristique qui doit transparaître en français. I. UNE ŒUVRE CENTRALE Une première remarque s'impose: nous adoptons la traduction traditionnelle du titre: Jenseits von Gut und Bose, pour de simples raisons idiomatiques, sachant fort bien que ce que Nietzsche veut dire c'est, en fait, qu'il ne vise pas une transcendance du bien et du mal, mais qu'il se situe hors des dualismes et des antinomies, dans un au-delà immanent. Le livre tout entier, et la pensée permanente de Nietzsche sont sur un terrain fixé « par- delà les dualismes », en particulier par-delà la pensée bivalente aussi bien logique que morale. A l'antinomie bon/méchant (Gut/Bose) qui ordonne avec l'anti- nomie vrai/faux, le monde construit par l'homme, Nietzsche oppose le «oui» à tout ce qui agrandit, embellit, intensifie la vie. «Ce que vaut la vie dans sa totalité, nul ne peut 6 Sens et portée de Par-delà le bien et le mal donc le dire: j'ignorerai à tOllt jamais s'il eût mieux valu pour moi d'être ou de ne pas être. Mais du moment que je vis, je veux que la vie soit aussi exubé- rante, aussi tropicale que possible, en moi et hors de moi. Je dirai donc « oui» à tout ce qui rend la vie plus belle, plus digne d'être vécue, plus intense » (d'après Lichtenberger, La philosophie de Nietzsche, Alcan, pp. 105-106). Certes, l'affirmation de la vie suppose le refus et la critique de ce qui nie la vie. Par-delà le bien et le mal est cette critique, comme Nietzsche l'écrit lui-même dans Ecce HOfrlO: «Cet ouvrage, écrit en 1886, est, dans tout ce qu'il a d'essentiel, une critique du mo- derne, sciences, arts, et même politique, accompagnée de l'indication d'un étalon contraire, aussi peu moderne que possible, qui se distingue par sa noblesse et son caractère approbateur. C'est à cet égard que mon ou- vrage est une école du gentilhomme dans un sens plus intellectuel et plus radical que jamais. Il faut avoir beaucoup de courage rien que pour tolérer cette inter- prétation, il faut vraiment ne pas avoir appris la peur. .. Tout ce qui fait la fierté de l'époque apparaît à l'op- posé de mon type-modèle comme un indice de mauvai- ses manières, ou à peu près; par exemple, la fameuse «objectivité» la «compassion pour tout ce qui souf- fre », le «sens historique» aplati devant le goût étran- ger, à plat ventre devant les petits faits; et «l' esprit scientifique» avec. » (tr. A. Vialatte, Gallimard, p. 142, Paris, 1942). Après avoir regardé très loin avec Ainsi parlait Zara- thoustra, Nietzsche s'est mis à examiner son époque tout près de lui» ; après ce que supposait de bonté le « Zarathoustra, c'est le livre d'une dureté et d'une cruauté voulues. Par-delà le bien et le Inal peut être considéré, avec La Généalogie de la morale, comme une suite du grand livre Zarathoustra. Nietzsche re- vient, après un vaste détour sur des horizons purifiés, à 7 la conscience du monde contemporain. Ce qui anime le livre, c'est la morale du marteau, prêchée par Zara- thoustra, et dont la maxime -est: «Soyez durs». Il résulte de cette application la double dénonciation du ressentiment et de la puissance sur lesquels repose la mentalité moderne. Nous atteignons ainsi le terme d'un itinéraire retracé par Nietzsche et allant de lA naissance de la tragédie à la vision de Zarathoustra: « 1. La naissancede la tragédie Métaphysique de l'artiste. 2. Considérations inactuelles I. Le philistin de la culture, Le dégoût. II. Problème fondamental de la vie et de l'histoire. III. L'ermite-philosophe. « Education». IV. L'ermite-artiste. Ce qu'il faut apprendre de Wagner. 3. Humain, trop humain L;esprit libre. 4. Opinions et sentences diverses Le pessimisme de l'intellect. 5. Le voyageur et son ombre La solitude comme problème. 6. Aurore L.a morale considérée comme une somme de préjugés. 7. Le gai savoir Honte sur la moralistique européenne. Point de vue sur un dépassement de la morale. Comment devrait être fait un homme qui vivrait au-delà? - Zarathoustra. » e (Kroner, XIV, 2 partie, 42) Ce cheminement n'est pas sans signification. Il repré- sente une étape importante qui couvre dix années: de 1872 à 1882, date de la vision de Zarathoustra à laquelle fait allusion le poème qui termine Par-delà le 8 Sens et portée de Par-delà le bien et le Inal bien et le mal: « alors un devient deux. .. » Après avoir découvert, dans La naissance de la tra- gédie, la dissonance humaine, la démesure, l'agressivité en Dionysos, tout à la fois: la vie, l'amour et la mort, avec l'ivresse que confère une telle découverte de la vérité naturelle» (die Naturwahrheit) sous le «men- « songe de la civilisation» (die Kulturlüge), le retour à la réalité devait être marqué du dégoût: c'est ce qui caractérise en effet l'état de Nietzsche écrivant la pre- mière des Considérations inactuelles. Les autres textes indiquent soit le rapport implicite de la vie et de l'histoire à l'expérience dionysiaque, soit la nouveauté de l'esprit libre, soit le pessimisme, la solitude et l'espé- rance du dépassement. Ainsi, après les révélations rela- tives à Dionysos et sur lesquelles Nietzsche s'explique dans le 9 295, après l'acceptation dionysiaque du monde qui nécessairement en découle, le poème de Zarathoustra a établi la perspective d'une morale nou- velle, ouverte sur le surhumain. Deux expériences importantes ont eu lieu entre- temps: en août 1881, à Surlei, l'intuition de l'Eternel Retour et, en janvier 1883, la vision de Zarathoustra surgissant et dépassant Nietzsche dans sa route. Le tragique, irréductible même dans l'éthique surhumaine, se précise maintenant dans la pensée de l'Eternel Retour: le dépassement de l'homme n'est pas constant et progressif; mais le temps est courbe» et la vérité « est elle-même courbe. Mais la douleur profonde de minuit, la morale du surhumain accepte la nécessité du déclin. Œuvre que l'on peut considérer comme centrale, Par- delà le bien et le mal est le terrain d'opérations de toutes les notions dynamiques découvertes par Niet- zsche : le surhun1ain (bien qu'il ne soit plus proposé et désigné, mais parce qu'il est le point de vue de l'écriture d'un tel texte), l'Eternel Retour (bien que la « théorie» n'en soit pas développée comme dans Le gai savoir, 9