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Origene a-t-il tenu que le Règne du Christ prendrait fin? - 1986 - Augustinianum 26 (1-2):51-61. Origen of Alexandria PDF

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ORIGENE A-T-IL TENU QUE LE REGNE DU CHRIST PRENDRAIT FIN? Dans l'Anakephalaiosis} la «recapitulation », qui ouvre le premier tome du second livre du Panarion d'Epiphane et presente en peu de mots les heresies 47 a 64, est attribue entre autres choses aux Origenistes de l'heresie 64 ce qui suit: «ils affirment en radotant que le regne du Christ prendra fin» 1. Mais on cher cherait vainement cette opinion dans l'expose pourtant abondant que fait Epiphane 'dans l'heresie 64 des erreurs d'Origene et des Origenistes. En fait les sept Anakaphalaioseis qui precedent les sept tomes des trois livres du Panarion ne sont pas l'oeuvre d'Epi prane, mais «une conlpilation assez nlaladroite d'un ecrivain pos terieur» selon J. Quasten2. Dans la premiere querelle origeniste cette accusation n'est formulee ni par Epiphane ni par Jerome, mais par Theophile d'Alexandrie seul dans plusieurs de ses lettres conservees par des traductions de Jerome. LJaccusation de Theophile Dans la Lc·ttre Synodale de Theophile, communiquant aux eveques de Palestine et de Chypre les resultats d'un synode tenu a Nitrie pour condamner Origene et les Origenistes3, est signalee entre autres heresies la suivante4: «Le regne du Christ finira un jour; le diable, libere de toutes les souillures du peche, sera gra tifie d'un honneur egal et sera soumis aDieu en compagnie du Christ ». Nous citons ici ce qui concerne le salut du diable parce que cette autre heresie est mise en relation avec la fin du regne du Christ, mais nous n'avons pas ,l'intention de l'etudier ici. Toutes ces erreurs ont des partisans parmi les moines egyptiens qui ont 1 Edition K. Holl, GCS 31 (Epiphane 11), p. 214. 2 Initiation aux Peres de fEgliseJ111, Paris 1963, p. 1963. 3 Lettre 92 dans la correspondance de ]erorne, edition Labourt des Lettres de ]erome, torne IV (leUFr), Paris 1954, p. 150. Sur Theophile et Origene voir G. Lazzati, Teofilo dJAlessandriaJ Milano 1935, p. 24-48; A. Favale,Teofilo dJAlessandriaJTorino 1958, p. 84-120, 170-195. 4 § 2. 52 H. CROUZEL voulu empecher la condamnation de celui dont ils se reclament. Dans leur reponse assez reservee les eveques de Palestine reunis a en synode Jerusalem declarent n'avoir jamais entendu chez eux pareille chose: «Nous n'avons jamais entendu enseigner que le regne du Christ doive un jour prendre fin » et ils citent les paroIes a de Gabriel Marie: «11 regnera sur la maison de Jacob pour l'eternite et son regne n'aura pas de fin »5. Parmi les destinataires de la lettre de Theophile et les signataires de la reponse le second, apres le metropolite de Cesaree, est Jean de Jerusalem qui depuis des annees est l'objet des attaques d'Epiphane et de Jerome qui lui reprochent de proteger les Origenistes. ' T'heophile revient abondamment sur cette accusation au debut de la Lettre Pascale de 401 6: longuement il refute cette assertion par des textes de l'Ecriture et en tirant d'elle avec une logique imperturbable toute sorte de consequences absurdes. 11 cite sur tout: Heb 13, 8: «Jesus Christ le meme hier et aujourd'hui et In eterneHement »; 14, 10-11: «Je suis dans le Pere et le Pere In est en moi »; 10, 30: «Moi et le Pere nous sommes un ». a L'eternite du Fils est donc bien liee celle du Pere. Sur la Croix Jesus n'a pas cesse d'etre le «Seigneur de gloire » et les blasphemes memes des assistants en temoignent: «Toi qui detruis le Temple et les reconstruis en trois jours, sauve-toi toi-meme; si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix» Pareillement la priere du 7. Bon Larron: «Jesus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton royaume» Comment le Christ pourrait-il dire aux elus: 8. «Venez les benis de mon Pere, recevez le royaume qui vous a ete prepar(~ depuis la eonstitution du n10nde »9 et etre lui-meme prive de ce qu'il aeeorde ad'autres? Paul ecrit aux Corinthiens: «Vous avez rt:;gne sans nous; et pllit au eiel que vous ayez regne, afin que nous regnions nous aussi avee vous »10, et il faudrait eomprendre que le regne du Christ finira, alors que Jean Baptiste le declare au dessus de tous et Paul qu'il est «sur tous les hommes, Dieu 11 beni dans les sieeIes »12. Si le Christ demeure eternellement Dieu, il sera eternellement roi: si son regne doit finir, de meme sa divi- 5 Lc 1, 22-23. Lettre 93 dans la correspondance de ]erome, Ibid. p. 158. 6 Lettre 96 dans la correspondance de ]erome, Ibid. tome V, Paris 1955, p. 12-17. 7 Ait 27, 40. 8 Lc 23, 42. 9 l'lft 25, 34. 10 1 Co 4, 8. 11 In 3, 3l. 12 Rm 9, 5. LE REGNE DU CHRIST 53 nite. S'ilest un avec son Pere, il partage l'eternite de son Pere. Le regne du Christ est done perpetuel et e'est ainsi qu'il peut promettre a ses apotres de boire et de 'manger toujours a sa tab1e dans son royaume 13. Origene contredit ainsi 1es Mages qui 1e pro c1amaient roi et fait cause commune avec 1es ]uifs qui demandaient a Pilate d'oter ce titre de l'ecriteau mis sur 1a croix. Plusieurs textes prophetiques proc1amant l'eternite du salut qui attend ]eru salem et ceux qui l'habitent terminent cet ensemble de textes 14. Tout eela, certes, n'est pas mal pensee On est etonne cependant de ne pas voir cite le texte qui aurait puetre a l'origine d'une teIle affirmation et est a 1a base de la doctrine de l'apocatatase: quand tout se sera soumis au Fils, 1e Fils « transmettra son royaume aDieu son Pere »15. Origene a-t-il vraiment compris si grossie rement cette expression qu'il a peuse que 1e Fils, quand il aura transmis au Pere son Royaume, s'en sera depouille par 1e fait n1eme? Faut-il preter deja a Origene une opinion ana10gue a celle qui sera attribuee a Marcel d'Ancyre, un de ses adversaires posthumes? Le Fils n'aurait existe camme personne distincte qu'a partir de la creation et de l'incarnation: san regne a1ars commence se terminerait a 1a fin des temps Oll 1e Fils serait absorbe dans le pere. LJopinion dJOrigene Rien dans les oeuvres actuellement conservees d'Origene, non seu1ement celles qui sont en traduction 1atine et qu'on peut tou jours soup~onner d'inexactitude, mais celles que l'on possede en gree, ne vient eorroborer l'authentieite origenienne de eette opi nion: les temoignages en sens oppose ne manquent pas, affirmant l'eternite du regne du Christ. Dans un artiele preeedent nous avons etudie certains aspeets 16 de l'exegese origenienne de 1 Cor 15, 23-28: que signifient le royaume ou le regne du Christ, sa transmission au Pere, le royaume ou le regne de Dien ou des cieux? Nous avons vu en quoi con sistait la soumission des creatures raisonnables au Fils et COlnment Origene interpretait la soumission finale du Christ a son Pere: non une soumission personnelle, car le Fils est toujours soumis au Pere, mais celle du Corps du Christ, de l'humanite, qui n'est 13 Lc 22, 28-30. 14 Soph. 3, 14-15; 1s 26, 1; Ps 124, 9; Jos 1, 5. 15 1 Cor 15, 23-28. J 16 (Quand le Fils transmet le Royaume Cl Dieu son Pere : finterpre tation dJOrigene) dans Studia MissionaliaJ33, 1984, 359-384. 54 H. CROUZEL pas encore entierement soumis an Fils et pas davantage au Pere. Nous avons indique a cette occasion nombre de textes origeniens en opposition avec l'accusation de Theophile. «' Et son regne n'aura pas de fin» 17 est cite a plusieurs reprises pour montrer l'eternite18 et l'universalite19 de ce regne, et aussi, dans le Commentaire sur ]ean conserve en grec20, pourquol le Ch:rist est dit« le premier et le dernier », «le commencement et la fin» et «vivant dans les sieeIes des siecles». «Jesus hier aujourd'hui le meme et dans tous les sieeIes »21 se trouve dans le Traite de la Priere22, en grec eneore, apropos du pain epiousios du Pater: «hier» designe le passe, «aujourd'hui» le present, « dans taus les siecles» l'eternite. Eneore d'apres le Commentaire Stil" ] ean23 la Samaritaine doit ehercher un autre mari, «la Parole qui doit ressusciter d'entre les morts, qui n'est pas refutee et qui ne doit pas mourir, mais qui demeurera eterneIlement, qui regne et se soumet tous les ennemis ». Et dans le meme texte est cite: «Le (:hrlst ressuseite d'entre les morts ne meurt plus, la mort n'a plus d'empire sur lui »24 Si le regne du Christ devait cesser bien d'autres passages d'Origene perdraient leur sens. Comment aurait-il pu eerire le .magnifique passage du Commentaire sur Matthieu25 qui interprete la parabole des invites aux noces, deerivant l'union esehatologique, eompl~~te et definitive, du Fils du Roi avec l'Eglise. Plus expliei tement encore dans le meme passage26: «Le royaume des cieux a ete compare quant a eelui qui regne a un homme qui est roi, quant a ce1ui qui regne avee le roi a son fils, quant aux sujets gouvernes aux serviteurs et aux invites aux noees ». IJe Fils est done celui qui regne avee le Pere et toute la parabole est rapportee a l'eschatologie: quand le Fils transmettra le Royaume aDieu son Pere, i1 ne s'en depouillera pas, mais regnera eternellement avec le Pere. 11 serait facHe de montrer combien, parmi les textes pre sentes par Theophile eeux qui s'appuient sur l'unite du Fils avec le Pere tombent a faux s'ils pensent eontredire Origene. L'incar- 17 Le 1, 33. 18 Fragm. Le. 25: GCS IX2, 237. 19 Hom. Num. XVI, 6: GCS VII, 145, 3. 20 Ap 1, 18 dans Com. In 1, 31 (34), 209-227: SCh 120, 162-170. 21 Heb 13, 8. 22 XVII, 13: GCS 11, 372, 24. 23 XIII, 8, 48: SCh 222, 58, traduction C. Blanc. 24 Rm 6, 9. 25 XVII, 33: GCS X, 692, 5. 26 XVII, 17: GCS X, 624, 16. LE REGNE DU CHRIST 55 nation ne fait pas perdre au Christ sa divinite. L'expose de la regle de foi que fait la preface du Peri Archon declare: «11 s'est incarne, alors qu'il etait Dieu, et devenu homme il est reste ce qu'il etait, Dieu »Tl. Le contraire serait d'ailleurs incompatible avec l'ensemble de la doctrine origenienne de l'incarnation et pareille ment avec celle de la Trinite. «Moi et le Pere nous sommes 1111 »28 est frequemment commente et de meme: «ICroyez que je suis dans le Pere et que le ,Pere est en moi »29. Ainsi dans le Contre celse30 ces passages johanniques et quelques autres montrent que nous n'adorons pas un autre Dieu que le Dieu de l'univers et que nous adorons un seul Dieu, le Pere et le Fils. Pareillement dans l'Entretien avec Heraclide «ainsi notre Sauveur et Seigneur 31: est avec son Pere, le Dieu de l'univers, non une seule chair (comme mari et femme) 32, ni un seul esprit (comme le juste et Dieu)33, mais, plus haut que 1a chair et que l'esprit, un seul Dieu ». Le Con11nentaire Stlr Jean 34 souligne a plusieurs reprises que la vo lonte du Fils est inseparable de celle du Pere, de sorte qu'ils ne sont pas deux volontes, mais une seule, et cela parce qu'ils sont qu'un. Les memes citations et explications se trouvent dans des textes latins35: ainsi puisque le Pere est charite et le Fils est cha rite, la charite est une seule chose avec la charite et n'en differe en rien, donc Pere et Fils ne sont qu'un et ne different en rien36. Ou encore c'est la mem_e chose de dire Evangile de Dieu ou Evangile du Christ parce qu'ils sont un37. Quand la doctrine ori genienne de la Trinite est etudiee dans son ensemble on constate a que le mot subordinatianismeest applique Origene et aux Ariens a d'une maniere taut fait equivoque: Origene exprime frequem ment l'unite de nature et l'egalite de puissance sous une forme non ontologique comme a Nicee, mais dynamique. J-Ie Fils est a la fois egal au Pere et cependant subordonne, affirn1ation qu'on retrouve dans le De Trinitate d'Hilaire de Poitiers, l'un des grands defenseurs de Nicee. 27 PAreh. I, pref. 4: SCh 252, p. 80-81, p. 76. 28 In 10, 30. 29 In 14, 10-1I. 30 VIII, 12: SCh 150, 198 55. 31 3: SCh 67 p. 60, 1. 20. 32 Gn 2, 24. 33 1 Cor 6, 17. 34 I, 16, 93; I, 26, 174 (SCh 120, 108 et 146); XIII, 36, 228 (SCh 222, 154). 35 PAreh. I, 2, 8: SCh 252, 128, 25.8. 36 Com.Ct. Pref.: GCS VIII, 69, 26. 37 :Com.R1Jt. I, 3: PG 14, 847 AB. 56 H. CROUZEL LJopinion dJEvagre le Pontique Origene n'a done jamais tenu l'opinion que lui impute Theo a phile et elle n'est pas eonforme l'ensemble de sa doetrine. Mais Theophile ne l'aurait-il pas trouve chez les moines origenistes egyp a tiens eause de qui il a eondamne Origene. La reponse est difficile, ear le seul temoignage direct qui nous reste d'eux est constitue par deux eerits d'Evagre, les Kephalaia Gnostica selon la version syriaque non expurgee et la Lettre a Melanie Dans l'expose 38. qu'il fait de la doetrine des Kephalaia Gnostica) au debut du livre a qu'il leur a eonsaere A. Guillaumont attribue clairement Eva 39, gre l'opinion que le regne du Christ prendra fin: voici ses propres termes: Quelle est la place du Christ dans cette redemption? Le Christ est lui-meme un intellect, pareil et egal a tous ceux qui constituaient la henade primitive. Mais, seul de tous les etres raisonnables, il n'a pas connu le «mouvement»40 et i1 est reste a la science essentielle41. Aussi est-il celui qui seul a en lui presentement le Verbe, ,et c'est en tant qu'inalterablelnent uni au Verbe qu'il est Dieu. Cette situation unhiue lui confere un role unique dans le salut des intellects dechus. C'est par lui qu'a ete faite la seconde creation, celle des corps et des mondes, en lesquels i1 amis sa «sagesse pleine de variete»,objet de la contemplation naturelle seconde; c'est lui qui a preside au premier jugement et preside a tous les jugements a venir, donnant a chacun, a chaque nouveau changement, le corps et le monde qui lui conviennent. Lui·,meme a volontairement pris un corps semblable a celui des logikoi dechus pour aider aleur salutet leur reveler les moyens de redevenir dignes de la science essentielle. 11 y a aussi, dans l'oeuvre du salut, une aide mutuelle des etres raisonnables, les moins dechus, les anges, aidant ceux qui le sont davantage. L'eschatologie est con<;ue s·elon la perspective de mondes mul a tipl{$ et divers, travers lesquels tous les logikoi) y compris les de a mons, s'eleveront progressivement l'etat angelique, caracterise par le corps spirituel: c'est la le pr,emier temps, le «septieme jour», pen- 38 Cette version a ete publiee et traduite par A. Guillaumont eu meme temps que la versionexpurgee: Les six centuries des «Kephalaia Gnostica» d)Evagre le Pontique) PO 28, 1, Paris 1958. POU! la L'ettre aMelanie version syriaque et retroversion grecque dans W. Frankenberg, Evagrius Ponticus [Abhandlungen der königlichen Gesellschaft der Wissenschaften zu Göt tingen, Philologisch-Historische KJasse, Neue Folg,e XIII/2J, Berlin 1912, p. 612-619. Pour la fin de cette lettre absente de l'edition precedente voir Gösta Vitestarn, Seconde Partie du Traite qui passe sous le nom de «La grande lettre d'Evagre le Pontique al\1.elanie I'Ancienne» dans Scripta Minora Re giae Societatis humaniorum Litterarum Lundensis, 1963-1964 /3, Lund: en syriaque ,et ,en traduction fran<;aise. 39 Les cKephalaia Gnostica) d)Bvagre le Pontique et l)histoire de l'ori genisme cbez lies Grecs et les Syriens [Patristica Sorbonensia 5J, Paris 1962. 40 C'est-a-dire la chute des int,elligences. 41 C'est-a-dire la science de la Trinite LE REGNE DU CHRIST 57 dant lequel le regne du Christ s'etend sur tous les etres raisonnables. Au «huitieme jour» le regne du Christ prendra fin: «heritiers du Christ», lies etres raisonnables deviendront ses «coheritiers», c'est-a" dire qu'ils retrouveront leur egalite avec lui dans la participation a la seience essentielle. Ce sera alors l'abolition complete des corps et de la matiere, et de tout ce que celle-ci implique: multiplicite, nombres, modes et noms, en meme temps que la reintegration de tous dans le Christ, l'Intellect reste uni a l'Unite, et l'union de tous, a egalite avec lui, a la science ess.entielle et a l'Unite42. Pour expliquer ce texte il faut indiquer, toujours d'apres A. Guillaumont, que ,la christologie d'Evagre «repose sur la distine tion fondamentale qu'il fait entre le Fils, ou Verbe, de Dieu, et le Christ, nature raisonnable » Le Christ est done iei l'humanite 43. a jointe au Verbe et il eorrespond 1'« ame du Christ» selon Origene. Ceei dit, nous nous demandons s'il n'entre pas dans l'expose si clair que fait A. Guillaumont un peu trop d'interpretation. Nous sommes assez genes pour mener cetteeritique par notre ignoranee du syriaque, mais e'est dans la traduetion meme de Guillau'mont a que nous avons lu plusieurs reprises les Kephalaia Gnostica J version non expurgee, y eherehant vainement une affirmation indiseutable de eette fin du regne du Christ. Dans son texte il fait allusion aux passages evagriens qui parlent des «heritiers» et des «eoheritiers » du Christ. Lisons-Ies. 111, 72. L'heritage du Christ est la science de l'Unite; et si tous deviennent coheritiers du Christ, tous connaitront l'unite sainte. Mais il n'est pas possible qu'ils deviennent ses coheritiers si auparavant ils ne sont pas devenus ses heritiers. IV, 4. L'heritier du Christ est celui qui connait les intellections de tous les etres posterieurs au premier jugement. IV, 8. Le coheritier du Christ44 est celui qui arrive dans l'Unite et se delecte de la contemplation avec le Christ. IV, 9. Si autre est l'heritier et autre l'heritage, ce n'est pas le Verbe qui est celui qui herite, mais le Christ (herite) le Verbe, l,equel est l'heritage, parce que quiconque herite ainsi s'unit a l'heritage et que le Verbe de Dieu est libre d'union. IV, 78. Le Christ est herite et il herite, mais le Pere est seule ment herite. Plusieurs questions se posent. Que signifie pour un Evagre qui ne semble pas avoir plus qu'Origene un eoneept elair pour expri ll1er la personne la distinetion du Verbe et du Christ. Quand Eva- 42 P. 39. 43 P. 119. 44 Rm 8, 17. 58 H. CROUZEL gre eerit: IV, 80: «Ce n'est pas le Verbe-Dieu d'abortd qui est deseendu au Seheol et est mante au eiel, mais le Christ, qui a le Verbe en lui» il en est de meme pour Origene: e'est l'ame 45, avee laquelle est le Verbe qui a subi la Passion, est descendue dans a l'Hades, Oll, eause de la puissanee divine que lui donne son union au Verbe, elle a libere les ames eaptives; e'est eneore elle qui, ae eompagnee des eaptifs qu'elle a liberes, est montee au eiel. Pour Origene le Verbe dans un sens ne quitte pas le sein du Pere avec lequel il ne fait qu'un et dans un autre sens il est sur terre avec son ame46. Mais pour Origene l'ame du Christ ne eonstitue pas une personne et des sa ereation dans la preexistenee elle est unie au Verbe. On peut se demander s'il n'en est pas de meme pour Evagre entre le Verbe et le Christ: on trouve ainsi deux textes en sens inverse. IV, 18: «Le Christ n'est pas le Verbe au debut, en sorte que eelui qui a ete oint n'est pas Dieu au debut ». Mais par ailleurs VI, 18: il n'y a pas de temps « Oll en lui (Je Christ) n'a pas ete le Verbe-D'ieu ». Si des textes disaient que le regne du Christ prendra fin, iJ s'agirait done d'une fin du regne du Christ dans son humanite, non d'une fin du regne du Verbe. Mais l'affirmation que les etres humains ou angeliques deviendront dans la beatitude heritiers ou eoh,eritiers du Christ entraine-t-elle neeessairement eette eon elusion Dans ee cas on pourrait se demander s'H ne faudrait pas 47? a a l'attribuer aussi saint Paul qui est l'origine de ces expressions. CertesPaul ecrit: «heritiers de Dieu (non du Christ), eoheritiers du Christ », mais la difference n'est pas grande. En effet la divinite que Dieu eommunique ason Fils et ason Esprit parvient dans la a beatitucle par l'intermediaire du Fils et de l'Esprit tous les justes qui la rec;oivent ainsi par le Fils et dans le Fils, parce qu'ils deviennent d'une eertaine fac;on interieurs au Fils. Mais eela ne met pas en question la rn.ediation et le regne du Fils puisque c'est toujours dans le Fils qu'ils sont alors des fils et divinises. S'agit-iI seulement d'une fin de l'humanite du Christ: nous n'avons pas trouve, au moins dans les Kephalaia Gnostica) de texte qui Je dise. On pourrait eependant s'inquieter de la suppression finale des nOlnbres et des noms qui semblerait signifier la disparition des personnes dans un panthelsme Oll tout serait englouti en Dieu48: eeei dans plusieurs Kephalaia et dans un long passage de la Lettre Cl Melanie qui semble montrer l'absorption de taus dans 45 JDe meme V, 48: «seul il a en lui le Verbe..Dieu». 46 Cam.ln. XX, 18 (16), 153-159: SCh 290, 230-235. 47 C'est ce que semb1e dire A. Guillaumont, p. 155-156. 48 A.insi I, 7; I, 8; I, 28; 11, 17; 11, 66. LE REGNE DU CHRIST 59 l'unite des Trois Personnes, eelles-ei r,estant sauves, eomme des ruis seaux et des fleuves dans la mer Parmi ees ereatures n'y aurait 49. il pas l'humanite du Christ? Mais ee n'est pas paree qu'il est question d'absorption en Dieu, au moins d'une eertaine fa~on, qu'il y a panthclsme: il faudrait que soit affirmeeen outre la disparition des personnes. Et A. Guillaumont, eommentant ee texte, n'y voit pas de panthelsmeso. Deux Kephalaia semblent en outre s'opposer a une disparition de l'humanite du Christ dans l'eschatologie. VI, 33. Quand le Christ ne sera plus empreint en des mondes varieset en des noms de toute espece, 'alors lui aussi sera soumis'51 au Dieu Pere et se delectera de la science de lui seul, laquelle n'est pas divise'e dans les mondes et dans les accroissements des logikoi. VI, 89. D,e meme qu'en ce monde Notre Seigneur a ete (le pre· a mier-ne d'entre les morts'52, de meme dans le monde venir il sera (premier-ne de nombreux freres'53. «r\J"otre Seigneur» designe eertainement iei le Christ dans son a humanite ear elle seule eonviennent les deux eitations pauli a niennes. Dans la seeonde partie de la Lettre Melanie on peut 64 lire un long passage Oll il n'est plus question du Fils ou Verbe d'une part 'et du Christ,en tant qu'homn1e, de l'autre, mais d'une maniere plus traditionnelle, de Dieu qui s'est inearne et a revetu la nature humaine. ,Ce passage eonfirme qu'Evagre ne met pas entre le Verbe et le Christ une distinetion de personne. 11 ne serrlble done pas que la leeture d'Evagre puisse fonder suffisamment l'aeeusation de Theophile. LJorigenisme du Vle sieeIe Ce que nous ne pensons pas pouvoir attribuer elairement a Evagre, faut-i! le trouver ehez les origenistes isoehristes du V1e sieele, vises par les quinze anathematismes diseutes avant l'ouver ve a ture offieielle du eoneile oeeoll1enique, Constantinople 11, vrai dire disciples d'Evagre plus que d'Origene. Dans la liste 49 Frankenberg, pp. 616-617. Une partie de ce texte est citee par Guil laumont p. 324 dans une traduction franc;aise d'!., Hausherr, De doetrina spiritali ehristianorum orientalium) Orientalia Christiania XXX, 3, Rome 1933, p. 48-49, dans un chapitre intitule: IV. L'influence du «Livre de saint Hierothee». 50 Op. eit. p. 324. 51 1 Co 15, 28. 52 Col 1, 18. 53 Rm 8, 29. 54 G. Vit:estam p. 22 5S. 60 H. CROUZEL d'heresies origenistes que Cyrille de Scythopolis tient de l'Abba Cyriaque55 nous lisons: «11s disent que nous deviendrons egaux au Christ dans l'apocatastase» et, en debut de 1a liste: «11 disent que le C:hrist n'est pas l'un de 1a Trinite ». Les propositions ainsi presentees ne permettent pas de dire dans que1 sens cela a ete affirme: il n'est guere clair, nous l'avons signale plus haut, qu'Eva gre ait fait du Christ, c'est-a-dire de l'homme uni au Verbe, une personne differente du Verbe, ni que cette egalite finale des justes avec le C:hrist-homme supprime totalement la mediation du Verbe, aussi bien dans son humanite que dans sa divinite. L'anathema tisme 4 du Libellus de Theodore de Scythopolis56 contient ce qui suit: «Si quelqu'un dit, tient, pense ou enseigne que le regne de notre grand Dieu et Sauveur Jesus Christ aura un terme Oll une fin, qu'il soit anathe'me ». La fin du regne du Christ est pa reillement mentionnee par le douzieme des 15 anathematismes at tribues au cinquieme concile oecumenique57. Dans le seul ecrit provenant de l'origenisme du V1e siecle, le Livre de Saint Hierothet} attribue per la critique moderne au moine syriaque Etienne bar Sudalli les positions sont nettes et 58, a l'opinion pretee Origene trouve sa justification. Dans cet ecrit d'un mysticisme resolument pantheistique, anime d'un souffle puis sant, toutes les creatures raisonnables sont de nature divine et i] n'y a donc plus de difference dans le Christ entre le Verbe et l'holnme. Mais la chute a distingue dans l'unique essence divine des personnes soumises ades destins varies et de toute fa<;on pas sagers. L,a seule superiorite du Christ est de n'avoir pas peche et d'etre ainsi pour les autres l'auxiliaire de leur salut. Ce salut est le retour de tous dans l'Essence divine, un retour qui sera une a absorption totale comparee celle de l'eau dans l'eau, de la lu miere dans la lumiere, etc avec la disparition de tout nom, 59, meme du nom divin, le nom semblant bien designer la personne. Un tel panthelsme, que selon Philoxene de Mabboug, Etienne affichait dans sa cellule d'Edesse par l'inscription suivante: «Toute nature est consubstantielle a l'Essence»60 est inconnu d'Origene 55 E. Schwartz, Kyrillos von Skythopolis [TU 49, 2], Leipzig 1933, eite en fran~ais par A. Guillaumont, op. cit. p. 150. 56 P(; 86/1, 233 C. 57 Fr. Diekamp, Die origenistischen Streitigkeiten im sechsten Jahrhun dert und das fünfte allgemeine Conc~lJ Munster i. W. 1899, p. 95. 58 Traduction anglaise et texte syriaque avec diverses etudes dans The Book which is called The Book of the Holy HierotheosJedited and translated by F. S. J\1arsh, London/Oxford, 1927. 59 1\', 21. 60 Lettre de Philoxene aux pretres dJEdesse AbrahafJ1 et OresteJd'apres F. S. Marsh p. 223.

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