EBERHARDT ISABELLE DE ROUTE llrES - - ROC ALGÉRIE TllNTSTE PUBLIÉES AVECUNE PRÉFACE PAR BARRUCAND VICTOR ILLUSTRATIONS DB G. ROCHEGROSSE, E. DlNET, M. NOIRÉ, P. Bot EU6ÈHE FASQUELLE, Editeur PARIS ( NOTES DE ROUTE OUVRAGES D'ISABELLE EBERHARDT — Trimardeur, roman. Collection de I'Akhbar, Alger. — Nouvelles Algériennes. Collection de I'Akhbar, Alger. — Notes de Route. Unvol. in-18,Eug. Fasquelle, édit., Paris. Dans rOmbre chaude de l'Islam (En collaboration avec — M. Victor Barrucand). Un vol. in-18, Eug. Fasquelle, édit., Paris. ISABELLE EBERHARDT NOTES DE ROUTE — — MAROC ALGÉRIE TUNISIE PUBLIEES AVEC UNE PREFACE VICTOR BARRUCAND ILLUSTRATIONS G. ROCHEGROSSE, E. DlNET, M. NoiRÉ, P. BONNARD PARIS Librairie CHARPENTIER et FASQUELLE IDGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR 11, RUE DE GRENELLE, 11 1908 Tous droits réservés. % ubradk m2ym7 .^ .^4J PREFACE Par un beau soir de printemps africain, nous imions lentement des cigarettes sur la terrasse de otre Télemly, et nous disions sans entrain des hoses d'Europe en compagnie de quelques hiver- eurs qui cultivaient leur fatigue à Alger. C'était devant la baie où le soir avait fini comme n jour plus bleu. Notre attention paresseuse s'y Dnifiait aux projections électriques des cuirassés qui, arjeu, semblait-il, s'éventaient de lumière; et nous umions aussi, avec notre petit brouillard de tabagie, 3S arômes brûlés des roses et des jasmins qui, par ouffées, montaient dujardin creux, caché dans une ssure du vallon. Ily avait parmi nous, arrivée depuis peu d'un Sud- )ranais encore dangereux, cette jeune femme russe [ui a passionné toute TAlgérie par ses aventures et )ar sa mort tragique. Tout de suite elle avait apporté dans notre cercle, ndépitdes meubles du tapissier et de nos mouve- nents trop stricts, un peu d'atmosphère saharienne d'ampleur nomade. :t NOTES DE ROUTE . 1 A PREFACE Drapée aux plis de son burnous sévère, coiffée comme d'une tiare assyrienne du haut turbanà corde- lettes fauves, bottée en cavalier filali, d'un vrai style sans équivoque, elle se souleva du coude parmi les coussins épars où elle rêvassait couchée, et dit en manièred'objection évasive à la théorie qui semblait admise — : L'horreurdel'esclavage et de la soumission nous paraît un des plus beaux sentiments nous en vivons, ; nous en créons notre progrès à certains moments ; je me suis demandé pourtant si ce n'était pas là un fruit d'Occident, une graine politique dont la culture restera toujours localisée... Les femmes n'ont pas encore admis que le bonheur résidât dans la liberté, car elles étaient naturellement portées à comprendre ce que peut être la responsabilité. Elle se leva, déjà excitée par sa parole, fîtquelques pas dans la pièce ouverte sur la mer et secoua sur le balcon avancé sa pipette de kif. Ses gestes avaient beaucoup d'aisance. Elle était grande, sans lourdeur, moins de poitrine qu'une amazone, l'air encore trèsjeune avec un front bombé d'entêtement qu'éclairait un regard à éclats contras- tant avec ses poses lentes et l'aristocratie reposée de ses mains. Elle continua, distraite, en jouissant de notre attention — : Je sens qu'il y a dans l'àme russe beaucoup de profondeur sentimentale, à cause justement de son mutisme etde sa servitude. Cependantj'ai voulu que, pour moi du moins, la liberté ne fût pas un vain mot, etje l'ai prise tout entière. Quand j'ai quitté la vie