Nettoyage et désinfection appliqués aux contenants vinaires en bois destinés à la vinification et à l’élevage des vins Partie II = Nécessité, Principes et Méthode de Désinfection du bois au contact du vin Dr. Pascal CHATONNET a. La désinfection des récipients vinaires en bois i. Utilisation traditionnelle du dioxyde de soufre Le brûlage de soufre à l’intérieur des récipients vinaires vides à la fin du XVIIIe siècle représente le premier acte de désinfection des contenants et d’ajout d’antiseptique exogène en œnologie. Depuis cette date, l’ajout de dioxyde de soufre sous forme de gaz ou de solution saline est toujours au cœur de la protection du vin vis à vis des altérations microbiennes et de la désinfection des récipients vinaires en bois. En effet, la combustion du soufre élémentaire dans l’air produit du dioxyde de soufre utilisé sous forme gazeuse à forte concentration qui permet d’agir sur la surface mais également sur les premiers millimètres de bois en provoquant une acidification mortelle du contenu intracellulaire des microorganismes. Le dioxyde de soufre gazeux peut être produit traditionnellement par la combustion d’une mèche (soufre sur une trame métallique ou textile), ou de pastilles de soufre compacté sur une charge minérale (silicates, fibre de verre) ou organiques (bois, fibres textiles plastiques) placée à l’intérieur du récipient vide (figures 7 & 8). Il peut également être introduit directement sous forme gazeuse à partir de gaz industriel liquéfié. Le dioxyde de soufre agit sur la surface et la micro-porosité en contact immédiat avec le vin, l’excès de dioxyde de soufre est ensuite partiellement dissout dans le vin lors de son entonnage par émulsion gazeuse ou évacué à l’extérieur par le déplacement de volumes. 1/16 Figure 7 – Observation de la structure externe (1) et interne (2) d’une mèche de soufre traditionnelle sur support textile par microscopie électronique et analyse par spectrométrie X (3) mettant en évidence la pureté de composition (S : soufre) 2/16 a) 1 : pastille d’origine française vue en coupe, 2 : détail de la structure interne avec présence de fibres cellulosiques, de soufre et d’une charge minérale après combustion 4 identifiée en spectrométrie X (3) à un silicate d’alumine b) 1 : charge minérale d’une pastille espagnole = fibre de verre silicate de magnésium et de calcium (2), 3 : détail de la charge organique d’une pastille italienne = sciure de bois, 4 : spectre d’émission X de la charge minérale de la pastille italienne = silicate de calcium et de magnésium avec une abondance importante de soufre après combustion traduisant une combustion irrégulière. Figure 8 (a,b)– Observation de la structure externe (1) et interne (2) de différents types de pastilles de soufre par microscopie électronique et analyse par spectrométrie X (3) mettant en évidence la nature de la charge minérale ou organique mêlée au soufre 3/16 Le brûlage des mèches produit des coulures difficiles à contrôler qui affectent la quantité de gaz effectivement produit dans le contenant vide car le soufre coulé s’éteint facilement. Les pastilles de soufre possèdent selon leur composition et les conditions de conservation des rendements de sulfitage très différents (tableau X). Tableau X Incidence des conditions d’apport du dioxyde de soufre par combustion de soufre sur le sulfitage des vins en barriques Conditions de sulfitage Apport théorique Apport mesuré Rendement maxi en SO2 en SO2 dans le vin % du soufre ( mg/l ) ( mg/l ) Mèche de soufre : Mèche neuve 4,95 g de S 30,8 10 +/- 0,6 32 Mèche neuve 4,95 de S 30,8 11 +/- 0,6 36 stockée en chai à 85 % d’humidité relative (Hr) durant 8 mois Pastilles de soufre : Pastille française neuve 4,65 g 28,9 21 +/- 1,3 68 Pastille française 4,65 g de S 28,9 16 +/- 0,9 55 stockée en chai 3 mois à 85 % Hr Pastille française 4,65 g de S 28,9 8 +/- 0,6 28 stockée en chai 8 mois à 85 % Hr Pastille neuve espagnole 4,90 g de S Stockée en chai 3 mois à 85 % Hr 30,6 20 +/- 1,2 63 On constate que les pastilles neuves produisent à quantité de soufre égale un rendement de dioxyde de soufre supérieur proche du maximum escomptable par la combustion de soufre (70 % environ) tandis que les mèches produisent un sulfitage presque deux fois inférieures en raison des coulures. Les pastilles françaises se conservent mal dans l’atmosphère humide des chais ; leur charge minérale est hygroscopique et adsorbe l’humidité ambiante en dégradant le rendement du sulfitage des barriques ; elles doivent donc être conservées en permanence dans une atmosphère sèche. Les pastilles espagnoles étudiées possèdent une charge minérale insensible à l’humidité et donc un rendement plus constant. A teneur en dioxyde de soufre libre et actif identique, le sulfitage par le dioxyde de soufre gazeux introduit dans la barrique vide pour assurer au préalable une désinfection du bois est une efficace que le simple réajustement du dioxyde de soufre directement dans le vin. Dans ce dernier cas, on ne peut pas bénéficier de l’action désinfectante du gaz concentré dans l’atmosphère de la barrique sur le bois (tableau XI). 4/16 Tableau XI Développement de Brettanomyces intermedius en fonction des conditions de sulfitage des vins élevés en barriques Vin rouge pH 3,65, barriques usagées de 3 ans conservées trois mois bonde de côté à 20°C Conditions de Paramètre mesuré T =0 t = 3 mois t = 4,5 mois sulfitage Pastille 7,5 g de SO2 libre (mg/l) 22 16 13 soufre par Brettanomyces/ml 6 0 1 barrique Ethyl-phénols 285 285 293 (µg/l) Pastille 5 g de SO2 libre (mg/l) 14 11 8 soufre par Brettanomyces/ml 6 0 0 barrique Ethyl-phénols 285 285 288 (µg/l) Solution SO2 libre (mg/l) 13 10 6 sulfureuse Brettanomyces/ml 6 510 1200 directement dans Ethyl-phénols 285 296 652 le vin (µg/l) En conclusion, bien qu’ancien, l’emploi de dioxyde de soufre est parfaitement efficace pour protéger à la fois le vin et le bois des contaminations bactériennes et levuriennes indésirables. Son efficacité est par contre directement dépendante de son apport sous forme gazeuse au contact direct du bois et à une concentration supérieure ou égale à 5 g par barrique (ou 2,2 g de soufre pur/hl) pour produire une désinfection suffisante du bois et un sulfitage efficace du vin. Le soufre est également efficace pour conserver les barriques usagées vides mais il faut répéter le sulfitage régulièrement selon les conditions de stockage des fûts. Une atmosphère sèche favorise l’entrée d’air et la perte d’antiseptique mais limite aussi la croissance des germes en diminuant l’activité de l’eau (aW) ; une atmosphère humide permet de mieux conserver le dioxyde de soufre grâce à une meilleure étanchéité des barriques mais elle ne limite pas la croissance éventuelle des germes résiduels par la déshydratation du milieu. Il est inutile de vouloir brûler une trop grosse quantité de soufre à la fois (3,5 g/hl au plus) car la combustion sera incomplète (diminution de l’oxygène disponible et extinction de la combustion par le dioxyde de soufre) ; la combustion de plusieurs petites doses ou bien l’injection de gaz sera bien plus efficace. ii. Utilisation de désinfectants chimiques Les désinfectants chimiques intervenant après le nettoyage détruisent les micro-organismes soit par oxydation des constituants cellulaires (oxydants halogénés et non halogénés, chloramines), soit par lyse ou altération des membranes cellulaires (tensioactifs, alcools), soit par interaction létale avec les constituants cellulaires (aldéhydes, biguanidines ,…). Parmi les différents désinfectants chimiques existants, seule une minorité peut être employée en œnologie et en contact avec le bois. Les oxydants halogénés (chlore, chloramines et iodophores) ne sont pas utilisables au contact du bois pour les raisons exposées plus haut dans le cas du chlore et en raison du peu d’efficacité des iodophores au contact d’une masse de matière organique telle que le bois. Les aldéhydes, notamment le formaldéhyde, ont été par le passé largement employé par 5/16 fumigation pour la conservation prolongée des récipients vinaires vides. Ce produit à un spectre d’efficacité très large et un effet sporicide puissant. Cependant, la toxicité du formol (produit suspecté de propriétés cancérigènes) recommande son abandon. Les biguanidines sont des molécules peu adaptées à la flore du vin (peu ou pas d’efficacité contre les champignons en général). Les alcools doivent être utilisés à de forte concentration (50-70 % vol.), ils n’ont que pas ou peu d’effet sur les levures, peu efficaces, coûteux et inflammables. Les savons ampholytes nécessitent une forte concentration pour être efficaces et moussent fortement ce qui rend très difficile leur rinçage. En conséquence, parmi les désinfectants chimiques disponibles ne restent utilisables pratiquement que les oxydants non halogénés et les ammoniums quaternaires. * Oxydants non halogénés Par agents oxydants non halogénés ont entend essentiellement : - le peroxyde d’hydrogène ; - les sels de peroxydes , - l’acide peracétique ; - le permanganate de potassium. Le peroxyde d’hydrogène, ou eau oxygénée, se trouve dans le commerce sous forme liquide à 30 % de matière active ou 110 volumes ( 1 volume = 1 litre d’oxygène libéré par litre de solution). Pour être pleinement efficace, l’eau oxygénée nécessite un temps de contact assez long. En outre, l’oxygène actif n’est libéré rapidement à pH neutre ou acide qu’à partir de 60°C. De part son principe d’action, la présence du bois comme matière organique limite l’efficacité désinfectante. Le peroxyde d’hydrogène sous forme liquide à partir de 1 % vol. est actif sur toutes les bactéries, mais moins sur les levures, les moisissures et les spores. Les sels de peroxydes produisent une fois dissous dans l’eau des solutions d’oxygène actif comparables au peroxyde d’hydrogène liquide mais en ayant l’avantage d’être préparés juste au moment de l’emploi en étant plus stables. Le perborate de sodium, pour des questions de rejets plus ou moins toxiques pour l’environnement, est remplacé par le percarbonate de sodium (mono ou tétrahydrate) et par le mono persulfate de sodium, qui sont actifs à plus basse température. Le percarbonate de sodium (Na CO , 3 H O ) peut libérer 27,5 % d’oxygène actif pH alcalin 2 3 2 2 (pH 5 % = 10,6). Il est actif à plus basse température que l’eau oxygénée. Grâce à la libération de carbonates, en travaillant à pH alcalin, il augmente l’activité peroxydante et possède des propriétés détergentes. Le mono persulfate de sodium actif (KHSO ) est présent en mélange à 5 40-45 % avec du sulfate et de l’hydrogénosultate de potasssium et produit une solution à pH acide (solution à 1 % pH 2). 6/16 Figure 9 – Mode de décomposition de l’acide peracétique L’acide peracétique présente par rapport à l’eau oxygéné classique un effet sporicide et anti- levures beaucoup plus important sans nécessiter une température aussi élevée pour être actif. Une efficacité supérieure et obtenue avec des temps de contact plus courts, une température plus basse, à une concentration plus faible (< 1 %), avec une stabilité accrue. Il se décompose en oxygène et en acide acétique (figure 9), mais aux concentrations employées, le risque de résidus excessif d’acide acétique et nul. Le produit dilué est facilement rincé et inodore. Son utilisation est à proscrire au contact du bronze, mais il ne produit pas de corrosion particulière de l’aluminium et de l’acier inoxydable. Le permanganate de potassium KMnO est un produit utilisé depuis très longtemps pour la 4 désinfection des contenants vinaires. Il possède des propriétés oxydantes importantes en milieu acide qui l’on surtout fait utilisé comme désodorisant mais ses propriétés désinfectantes sont assez limitées en comparaison des oxydants précités et nécessite des temps de contact assez longs. Il produit une coloration rose de l’eau mais n’entraîne pas de changement de couleur sur le bois a l’état dilué, son rejet génère une certaine pollution par le Manganèse. En conséquence, parmi les matières actives oxydantes envisageables, ce sont les sels de peroxydes, notamment le percarbonate, et l’acide peracétique qui présentent les compromis les plus intéressants pour la désinfection du bois. iii. Procédure de nettoyage-désinfection chimique Un protocole de nettoyage et de désinfection, tout en adaptant les temps aux conditions de travail locales et au degré de salissure, doit systématiquement respecter l’enchaînement des étapes suivantes : - Rinçage à l’eau froide basse pression pour l’élimination des dépôts majeurs non adhérents durant 1 à 2 min selon le débit d’eau ; - Nettoyage à chaud (60-80°C) : à haute pression (100-120 b) à l’aide d’une tête rotative avec ou non l’assistance de détergent alcalin à base de carbonate de sodium pour un encrassement moyen ou d’hydroxyde de sodium si le tartre est trop épais ; 7/16 à basse pression avec une tête de lavage bien dimensionnée en recyclage dans le cas des gros contenants. - Rinçage à l’eau perdue rapidement ; - Désinfection à base de peroxyde, en milieu neutre ou acide, en lavage haute-pression pour les petits contenants ou basse pression pour les gros ; - Rinçage rapide à l’eau perdue (basse pression) - Rinçage final à l’eau sulfitée - Egouttage si la procédure s’arrête à ce stade avant un méchage, sinon une désinfection thermique peut s’enchaîner directement. iv. Traitements thermiques La désinfection par voie thermique permet d’éviter l’emploi de substances chimiques exogènes. La phase de nettoyage préalable, avec ou sans l’assistance de complexes détergents, ne nécessite pas une température supérieure à 80°C. Au contraire, au-delà de ce niveau certains composés perdent d’ailleurs de leur efficacité (ammoniums quaternaires). Par contre, pour assurer l’élimination des germes présents en surface et plus en profondeur à l’intérieur des douelles, une température élevée permettra d’augmenter l’efficacité en réduisant le temps du traitement. Cependant, on ne peut pas sur le bois utiliser une température trop élevée pendant une durée trop longue car il se produirait inévitablement une altération mécanique du contenant en bois. Dans ces conditions, le traitement thermique du bois peut être réalisé, soit avec de l’eau chaude entre 85 et 90°C, soit avec de la vapeur fluente à 105-120°C (pression < 0,5 bar) tout au plus mais difficilement avec de la vapeur surchauffée (> 160°C) qui nécessite par ailleurs des installations beaucoup plus lourdes. Le principal intérêt de la désinfection par voie thermique et de pouvoir accéder à des couches profondes du bois qui sont parfaitement inaccessibles aux traitements chimiques. Néanmoins, le bois possède une inertie thermique très importante qui ralentit considérablement la diffusion de la chaleur dans sa masse (tableau IV). La désinfection par voie thermique est donc forcément assez lente. La figure présente l’évolution de la température à différents niveaux d’une barrique au cours de sa désinfection par la vapeur fluente à 104°C. Tableau IV Comparaison de la conductivité thermique de différents matériaux et composés Matériel Conductibilité thermique (20°C) W.m-1.K-1 Air 0,026 Eau 0,60 Acier 46 Acier inoxydable 26 Bois, parallèle aux fibres 0,36 Bois, perpendiculaire aux fibres 0,15 8/16 S1 : température air barrique S2 : température 5 mm dans le bois S3 : température 15 mm S4 : température 25 mm Figure 10 - Evolution de la température du bois au cours d’un traitement à la vapeur fluente (source C. DURET, www.barriclean.com) 9/16 On sait que la vapeur permet de désinfecter facilement la surface du bois en contact avec le vin. Par contre, sachant que le front d’humectation à l’intérieur d’une douelle peut représenter en quatre et 6 mm de profondeur, on constate que pour atteindre le seuil de 55°C environ (seuil de destruction thermique de Brettanomyces/Dekkera sp. à sec déterminé de manière expérimentale), il est nécessaire de traiter la barrique froide (20°C) pendant environ 10 minutes (figure 9) ce qui est difficile en entretien courant ! Par contre, à l’issue d’un lavage à l’eau à 85°C durant au moins 3 minutes, la température à 6 mm peut atteindre 35 à 40°C (figure 10). Dans ces conditions, si la désinfection avec de la vapeur à 105°C intervient juste après, la température de 55°C peut être atteinte après 6 à 8 minutes à 6mm de profondeur (3-4 min à 3 mm). - 6 mm 100 90 0 mm 80 C Polynomial ( - 6 ° 70 n mm) e e 60 r u 50 ta ré 40 p m e 30 T 20 10 0 0 200 400 600 800 Temps en secondes Figure 10 – Evolution de la température du bois à 0 et 6 mm de profondeur au cours d’un nettoyage à haute pression (110 b) à 85°C En conséquence, on voit bien que dans tous les cas, la désinfection thermique du bois en profondeur nécessite des temps de traitement suffisamment longs pour être efficaces. Les traitements que l’on observe couramment dans les caves durent souvent entre 1,5 et 3 minutes et ne présentent donc en profondeur aucune efficacité. La vapeur permet simultanément à la désinfection un dégorgeage important en forçant la dilation de la porosité naturelle du bois. Il se produit une certaine extraction de composés odorants et tanniques du chêne mais l’extraction suivant le nettoyage et la désinfection se trouve ensuite largement facilitée ; les avantages de cette technique dépassent donc largement cet inconvénient. Dans le cas des contenants de grand volume, il n’est toujours facile de disposer d’un générateur de vapeur de grande capacité pour disposer rapidement de l’énergie de désinfection. On peut procéder par stabulation d’eau chaude à 80-85°C plus facile à produire que de la vapeur par une chaudière classique. Mais dans ces conditions il faut produire une quantité d’eau suffisante pour remplir intégralement le récipient et produire une agitation régulière pour éviter la stratification thermique. Une désinfection à cœur (25 mm de profondeur environ) est obtenue après 4 h de stabulation (figure 11) ; une désinfection plus superficielle (5 mm) nécessite seulement 2 h. Mais la dilatation thermique du bois peut 10/16
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