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Multitude : guerre et démocratie à l’âge de l’Empire PDF

406 Pages·2004·6.64 MB·French
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Michael Hardt Antonio Negri Multitude Guerre et démocratie à Vâge de l'Empire traduit de l'anglais (États-Unis) par Nicolas Guilhot Boréal Remerciements : il est impossible de remercier ici tous ceux qui ont aidé à la réalisation de cet ouvrage. Nous souhaitons témoigner notre reconnaissance à ceux qui ont lu et commenté l'ensemble du manuscrit : Naomi Klein, Scott Moyers, Judith Revel et Kathy Weeks. L'édition originale de cet ouvrage a été publiée en 2004 par Penguin Press, à New York, sous le titre Multitude, War and Democracy in theAge of Empire. © 2004 Michael Hardt et Antonio Negri © 2004 Les Éditions du Boréal pour la traduction française au Canada © 2004 Les Editions La Découverte pour la traduction française dans le reste du monde Dépôt légal : 4E trimestre 2004 Bibliothèque nationale du Québec Diffusion au Canada : Dimedia Données de catalogage avant publication ( Canada ) Hardt, Michael Multitude : guerre et démocratie à l'âge de l'Empire Traduction de : Multitude : War and Democracy in the Age of Empire Fait suite à : Empire. Publ. en collab. avec : La Découverte. ISBN 2-7646-0346-0 1. Démocratie. 2. Internationalisme. 3. Mondialisation. 4. Relations internationales. 5. Guerre. 6. Impérialisme. I. Negri, Antonio, 1933- . II. Titre. JC423.H36414 2004 321.8 02004-941558-1 Introduction La vie en commun L a démocratie est en train de devenir, pour la première fois, une possibilité réelle à l'échelle globale. Le sujet de ce livre est cette possibilité, que nous appelons le projet de la multitude. Le projet de la multitude n'exprime pas seulement le désir d'un monde d'égalité et de liberté, il ne revendique pas seulement une société démocratique globale, ouverte : il se donne les moyens de réaliser ce désir. Mais cela ne peut être que l'aboutissement de notre ouvrage, et non son point de départ. La possibilité de la démocratie est aujourd'hui assombrie et menacée par un état de guerre qui semble permanent et généralisé. Voilà d'où il nous faut partir. Tout au long de l'âge moderne, il est vrai, la démocratie est restée un projet inachevé, et ce quelles qu'aient pu être ses formes nationales et locales. Par ailleurs, les processus sur lesquels repose la mondialisation ont de toute évidence ajouté à cela de nouveaux défis au cours des dernières décennies. Il n'en reste pas moins que le principal obstacle à la démocratie aujourd'hui est l'état de guerre global. À l'âge de la mondialisation armée, le rêve moderne de la démocratie peut en effet sembler à tout jamais dissipé. La guerre a toujours été incompatible avec la démocratie. Traditionnellement, la démocratie se trouvait suspendue en temps de guerre et le pouvoir était provisoirement confié à une autorité centrale forte, chargée de faire face à la crise. Aujourd'hui, alors que l'état de guerre n'est pas seulement global mais aussi durable, et que l'on n'en voit nulle part la fin, la démocratie se trouve à nouveau suspendue, mais de façon indéfinie si ce n'est permanente. La guerre revêt un caractère généra- lisé, étouffant toute vie sociale et produisant son ordre politique propre. La démocratie semble ainsi totalement hors de portée, ense- velie sous les armes et les régimes sécuritaires de l'état de guerre global dans lequel nous vivons. 6 Multitude Pourtant, elle n'a jamais été aussi nécessaire qu'aujourd'hui, au moment même où la bataille fait rage de toutes parts. Aucune autre voie ne peut nous mener hors de la peur, de l'insécurité et de la domi- nation qui imprègnent ce monde en guerre ; aucun autre chemin ne nous conduira vers une vie pacifique en commun. Il semble que la démocratie n'ait jamais été plus impossible et plus nécessaire en même temps. ^ Ce livre fait suite à notre ouvrage précédent, Empire qui portait sur la forme globale de la souveraineté contemporaine. Il s'agissait d'interpréter la tendance de l'ordre politique global en cours de forma- tion, c'est-à-dire d'identifier à travers un vaste ensemble de processus contemporains l'émergence d'une nouvelle forme d'ordre global que nous appelons Empire. Notre point de départ consistait à reconnaître qu'on ne pouvait comprendre cet ordre en termes d'impérialisme, si l'on entend par là l'impérialisme tel qu'il était pratiqué par les puis- sances modernes, c'est-à-dire fondé essentiellement sur l'extension de la souveraineté de l'État-nation à un territoire étranger. La nouvelle forme de souveraineté qui s'affirme aujourd'hui se présente au contraire comme un « pouvoir en réseau », dont les éléments premiers ou les points nodaux sont les États-nations dominants, les institutions supranationales, ou encore les grandes entreprises capitalistes. Nous disons que ce pouvoir en réseau est « impérial » et non « impéria- liste ». Bien évidemment, les éléments qui constituent le réseau de l'Empire n'ont pas tous la même importance - au contraire, certains États-nations disposent d'un pouvoir gigantesque tandis que d'autres en sont pratiquement démunis, et cela reste vrai des multinationales ou des autres institutions qui forment ce réseau - mais, malgré ces inégalités, ils doivent coopérer afin de produire et de préserver l'ordre global avec toutes ses divisions et ses hiérarchies internes. Le concept d'Empire s'inscrit ainsi en faux contre les débats qui font de l'unilatéralisme et du multilatéralisme, du proaméricanisme ou de l'antiaméricanisme les seules alternatives politiques globales. D'un côté, nous affirmions qu'aucun État-nation, pas même le plus puissant, pas même les États-Unis, n'était en mesure de « jouer perso » et d'assurer le maintien de l'ordre global sans la collaboration des autres principaux pouvoirs au sein du réseau de l'Empire. Mais par ailleurs, nous disions aussi que cet ordre contemporain ne repose pas 1 Antonio NEGRI et Michael HARDT, Empire, trad. fr. Denis-Aimand Canal, Exils, Paris, 2000, 10/18, Paris, 2004. La vie en commun 7 sur une participation égale de tous, ou même d'une élite d'États- nations, comme dans le modèle de contrôle multilatéral placé sous l'autorité des Nations unies. L'ordre global qui est le nôtre se définit plutôt par des divisions profondes et des hiérarchies rigides, qu'elles soient régionales, nationales ou locales. Notre thèse ne consiste pas simplement à dire que l'unilatéralisme ou le multilatéralisme tels que nous les connaissons n'ont rien à apporter, mais qu'ils sont imprati- cables dans les conditions présentes et que ni l'un ni l'autre ne suffi- ront à assurer la perpétuation de l'ordre global. Lorsque nous affirmons que l'Empire est une tendance, nous voulons dire qu'il est la seule forme de pouvoir qui soit à même d'assurer la pérennité de cet ordre. On pourrait ainsi répliquer aux projets unilatéralistes améri- cains en faisant nôtre l'injonction ironique du marquis de Sade : « Américains, encore un effort si vous voulez être impériaux ! » L'Empire règne sur un ordre global qui n'est pas seulement traversé par des divisions et des hiérarchies internes, mais qui est aussi dévasté par la guerre perpétuelle. Au sein de l'Empire, l'état de guerre est inévi- table et la guerre fonctionne comme instrument de commandement. Aujourd'hui comme aux temps de la Rome antique, la Pax Imperii est un faux-semblant de paix qui préside en réalité à un état de guerre perpétuel. Toute cette analyse de l'Empire et de l'ordre global faisait l'objet de notre ouvrage précédent, et l'on ne saurait la reprendre ici. Ce livre est tout entier consacré à la multitude, c'est-à-dire à l'alter- native vivante qui croît au sein de l'Empire. En simplifiant beaucoup, on pourrait dire que la mondialisation offre deux visages. L'un est celui de l'Empire qui étend à l'échelle planétaire son réseau de hiérarchies et de divisions, dont la fonction est de maintenir l'ordre à travers de nouveaux mécanismes de contrôle et de conflit perpétuel. Mais la mondialisation est aussi la création de nouveaux circuits de coopération et de collaboration qui traversent les nations et les continents, susci- tant ainsi un nombre illimité de rencontres et d'interactions. Ce second visage de la mondialisation n'a rien à voir avec un processus d'uniformi- sation planétaire : il s'agit plutôt pour nous de la possibilité de découvrir le « commun » qui nous permet de communiquer et d'agir ensemble, tout en maintenant nos différences. On peut donc concevoir la multi- tude elle aussi comme un réseau : un réseau ouvert et expansif dans lequel toutes les différences peuvent s'exprimer librement et au même titre, un réseau qui permet de travailler et de vivre en commun. Avant d'aller plus loin, il convient de distinguer conceptuellement la multitude d'autres concepts qui définissent eux aussi des sujets 6 Multitude / sociaux, comme le peuple, les masses, et la classe ouvrière. Le peuple, traditionnellement, dénote une conception unitaire. La population se caractérise bien entendu par toutes sortes de différences, mais le peuple réduit cette diversité en une unité et fait de la population une identité singulière : le peuple est un. La multitude, en revanche, est multiple. La multitude se compose d'innombrables différences internes qui ne sauraient être réduites à une unité ou à une identité singulière - des différences de culture, de couleur, d'ethnicité, de genre et de sexualité, mais aussi différentes formes de travail, différentes façons de vivre, différentes visions du monde, différents désirs. La multitude est une multiplicité de différences singulières. Les masses s'opposent elles aussi au peuple dans la mesure où elles ne sauraient se réduire à l'unité ou à l'identité. Il est certain que les masses se composent de toutes sortes d'éléments mais, en réalité, on ne peut pas dire qu'elles se composent de sujets sociaux différents. L'essence des masses est l'indifférence : toutes les différences se trouvent submergées et noyées dans la masse. Toutes les couleurs qui chatoyaient au sein de la population se fondent dans le gris. Si les masses sont capables de se mouvoir à l'unisson, c'est seulement parce qu'elles forment un conglomérat indistinct et uniforme. Dans la multitude, en revanche, les différences sociales restent différentes. La multitude est multico- lore et bigarrée, à l'image de la tunique de Joseph, le fils de Jacob. L'enjeu de ce concept est de penser une multiplicité sociale capable de communiquer et d'agir en commun tout en maintenant ses diffé- rences internes. Enfin, il nous faut distinguer la multitude de la classe ouvrière. Le concept de classe ouvrière a fini par être utilisé comme un concept exclusif, distinguant non seulement les ouvriers des nantis qui n'ont pas besoin de travailler pour subvenir à leurs propres besoins, mais séparant aussi la classe ouvrière des autres types de travailleurs. Dans son usage le plus étroit, le concept se réfère exclusivement aux ouvriers de l'industrie, en tant qu'ils sont distincts des travailleurs de l'agricul- ture, des services et des autres secteurs. Dans son acception la plus ample, il renvoie à tous les travailleurs salariés, par opposition aux travailleurs pauvres et non rétribués de la sphère domestique et à tous ceux qui ne reçoivent pas de salaire. La multitude, en revanche, est un concept ouvert et inclusif. Il s'agit par là de saisir l'importance des transformations récentes de l'économie globale : d'une part, la classe ouvrière industrielle ne joue plus un rôle hégémonique dans cette économie, bien que ses effectifs n'aient pas diminué à l'échelle La vie en commun 7 planétaire. D'autre part, la production doit aujourd'hui être conçue en termes non seulement économiques mais, plus généralement, comme production sociale - non seulement comme production de biens matériels, mais aussi comme production de communication, de rela- tions, et de formes de vie. La multitude est ainsi composée, en puis- sance, de toutes les différentes figures de la production sociale. Encore une fois, le réseau décentralisé qu'est Internet constitue une première approximation, un premier modèle de ce qu'est la multitude : d'abord parce que les points nodaux qui le composent restent différents tout en étant interconnectés, et ensuite parce que les limites extérieures du réseau sont ouvertes, de telle sorte que de nouveaux points nodaux et de nouvelles relations peuvent s'y ajouter. Deux caractéristiques de la multitude montrent en quoi elle peut être porteuse de démocratie aujourd'hui. Le premier est ce que l'on peut appeler sa dimension « économique », même si la séparation de l'économie vis-à-vis d'autres domaines de la vie sociale se révèle rapi- dement artificielle. Dans la mesure où la multitude n'est pas une iden- tité (comme le peuple) ni une uniformité (comme les masses), ses différences internes doivent découvrir le commun qui leur permet de communiquer et d'agir ensemble. Le commun que nous avons en commun, en fait, n'est pas tant découvert qu'il est produit. (Nous avons quelques réticences à appeler cela « les communs », ce terme désignant les espaces communs précapitalistes qui furent détruits par l'avènement de la propriété privée. Bien qu'étant plus maladroite, l'expression « le commun » souligne le contenu philosophique du terme mais aussi le fait qu'il ne s'agit pas là d'un retour vers le passé mais d'un phénomène nouveau.) Nos façons de communiquer, de collaborer et de coopérer ne sont pas seulement fondées sur le commun, mais elles le produisent à leur tour, dans une spirale dyna- mique et expansive. Aujourd'hui, cette production du commun tend à se situer au cœur de toute forme de production sociale, aussi locale soit-elle, et constitue la caractéristique première des formes de travail dominantes. Le travail lui-même, tel que le configurent les transfor- mations de l'économie, tend à s'insérer dans des réseaux de communi- cation et de coopération en même temps qu'il contribue à en créer. Toute personne qui travaille avec de l'information ou du savoir, par exemple, depuis l'agriculteur qui développe les propriétés spécifiques des semences jusqu'au programmateur de logiciels, utilise le savoir commun transmis par d'autres et contribue à son tour à en produire. Nous appelons « production biopolitique » ce modèle désormais 8 Multitude dominant pour souligner le fait qu'il implique non seulement la production de biens matériels dans un sens strictement économique, mais aussi qu'il affecte et contribue à produire toutes les facettes de la vie sociale, qu'elles soient économiques, culturelles ou politiques. Cette production biopolitique et l'accroissement du commun qui «n découle sont un des piliers sur lesquels repose aujourd'hui la possibi- lité de la démocratie. La seconde caractéristique de la multitude, particulièrement déter- minante pour la question de la démocratie, est celle qui concerne son organisation politique (mais, là encore, le politique se fond rapide- ment dans l'économique, le social, et le culturel). Pour avoir un aperçu de la tendance démocratique qui l'anime, il suffit de tourner notre regard vers la généalogie des formes modernes de la résistance, de la révolte et de la révolution. Elle affiche une tendance vers des formes d'organisation toujours plus démocratiques, depuis les formes centra- lisées de la dictature et du commandement révolutionnaires vers les organisations en réseau, dans lesquelles l'autorité réside dans des rela- tions coopératives. Ce que révèle une telle généalogie, c'est, en d'autres termes, que les formes de la résistance et de l'organisation révolutionnaire ne sont pas seulement des moyens pour parvenir à une société démocratique mais, de plus en plus, des instances destinées à créer de façon interne, au sein de la structure organisation- nelle, des relations démocratiques. La démocratie à l'échelle globale est par ailleurs en train de devenir une revendication de plus en plus répandue, parfois formulée de façon explicite mais souvent exprimée implicitement dans les innombrables doléances à rencontre de l'ordre global ainsi que dans les résistances qu'il suscite. La devise commune qui a aujourd'hui cours dans d'innombrables luttes et mouvements de libération à travers le monde, que ce soit au niveau local, régional ou global, est le désir de démocratie. Il va sans dire que la revendication et le désir d'une démocratie globale ne garantissent en rien sa réalisa- tion, mais il ne faut pas pour autant sous-estimer le pouvoir de ces revendications. Nous demandons au lecteur de garder à l'esprit qu'il s'agit là d'un ouvrage philosophique. Nous donnons de nombreux exemples de la façon dont les gens s'efforcent aujourd'hui d'en finir avec la guerre et de rendre le monde plus démocratique, mais qu'on ne s'attende pas à ce que notre livre réponde à la question « Que faire ? » ou propose un programme d'action concret. Au vu des défis et des possibilités que recèle notre monde, nous croyons qu'il est nécessaire de repenser les La vie en commun 11 concepts politiques les plus élémentaires, tels que pouvoir, résistance, multitude et démocratie. Avant de nous atteler à un projet politique pratique visant à créer de nouvelles institutions et des structures sociales démocratiques, nous devons nous demander si nous comprenons réellement ce que signifie (ou peut signifier) la démo- cratie aujourd'hui. Notre but principal est d'élaborer les bases concep- tuelles sur lesquelles un nouveau projet de démocratie puisse se construire. Nous nous sommes efforcés autant que possible d'écrire dans une langue accessible à tous, de définir les termes techniques et d'expliquer les concepts philosophiques. Cela ne veut pas dire que la lecture sera toujours aisée. Il arrivera sans doute que le lecteur trouve le sens d'une phrase ou d'un paragraphe peu clair à première vue. Qu'il ne s'impatiente pas. Qu'il continue à lire. Certaines notions philoso- phiques requièrent parfois du temps avant de prendre tout leur sens. Qu'il considère ce livre comme une mosaïque dont le dessin d'ensemble n'émerge que progressivement, au fil de la lecture. Nous concevons le mouvement qui va d'un livre à l'autre, d'Empire à Multitude, comme l'inverse du développement qui porte Hobbes de son De Cive (publié en 1642) au Léviathan (1651). Cette progression inversée tient aux profondes différences qui distinguent les situations historiques respectives. À l'aube de la modernité, Hobbes définit dans le De Cive la nature du corps social et les formes de la citoyenneté conformes à la bourgeoisie naissante. Cette nouvelle classe sociale, toutefois, n'était pas en mesure de garantir l'ordre social par ses propres forces. Il lui fallait un pouvoir politique qui la surplombe, une autorité absolue, un dieu sur terre. Le Léviathan de Hobbes décrit la forme de souveraineté qui se développera par la suite en Europe sous la forme de l'État-nation. Aujourd'hui, à l'aube de la postmodernité, nous avons d'abord essayé d'identifier une nouvelle forme de souve- raineté globale avec Empire ; maintenant, avec ce livre, nous nous efforçons de comprendre la nature de la composition de la classe globale, de la multitude. Tandis que Hobbes passait de la classe sociale naissante à la nouvelle forme de souveraineté, nous travaillons aujourd'hui depuis la nouvelle forme de souveraineté vers la classe. Nous inversons la démarche de Hobbes parce que, si la bourgeoisie naissante avait besoin d'en appeler à une puissance souveraine afin de garantir ses intérêts, la multitude émerge au contraire au sein de la nouvelle souveraineté impériale et tend vers son dépassement. La multitude travaille l'Empire de l'intérieur afin de créer une société globale alternative. Tandis que le bourgeois moderne avait dû s'en 10 Multitude remettre à une nouvelle souveraineté pour consolider l'ordre qu'il définissait, la révolution postmoderne de la multitude regarde vers l'avant, au-delà de la souveraineté impériale. La multitude, contraire- ment à la bourgeoisie et aux autres formations sociales limitées et restrictives, est capable de faire société de façon autonome et cette capacité, comme nous le verrons, est au cœur de ses potentialités démocratiques. Nous ne pouvons toutefois commencer ce livre par le projet de la multitude et les possibilités de démocratie. Ils feront l'objet de la seconde et de la troisième partie. Nous devons commencer avec l'état de guerre actuel et le conflit global, qui peuvent aisément apparaître comme un obstacle insurmontable sur la route qui mène à la démo- cratie et à la libération. Ce livre a été écrit, pour l'essentiel, entre le 11 septembre 2001 et la guerre en Irak de 2003, c'est-à-dire sous les nuées sombres de la guerre. Nous devons analyser les transformations contemporaines de la guerre dans son rapport à la politique et à la souveraineté et articuler les contradictions qui traversent le régime de guerre actuel. Nous espérons cependant qu'il est déjà clair que la démocratie, même si elle semble lointaine, est nécessaire à notre monde, qu'elle constitue la seule réponse aux questions pressantes du présent, et qu'elle est la seule voie qui mène hors de l'état de guerre perpétuel. Nous laissons le soin au reste de cet ouvrage de convaincre le lecteur qu'aujourd'hui une démocratie de la multitude n'est pas seulement nécessaire mais possible.

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