El Mouhoub Mouhoud Mondialisation et délocalisation des entreprises ISBN2-7071-3346-9 Lelogoquifigureaudosdelacouverturedecelivremériteuneexplication.Son objetestd’alerterlelecteursurlamenacequereprésentepourl’avenirdel’écrit,tout particulièrementdansledomainedesscienceshumainesetsociales,ledéveloppement massifduphotocopillage. Lecodedelapropriétéintellectuelledu1erjuillet1992interditeneffetexpressé- mentlaphotocopieàusagecollectifsansautorisationdesayantsdroit.Or,cette pratique s’est généralisée dans les établissements d’enseignement supérieur, provo- quantunebaissebrutaledesachatsdelivres,aupointquelapossibilitémêmepourles auteursdecréerdesœuvresnouvellesetdelesfaireéditercorrectementestaujourd’hui menacée. Nousrappelonsdoncqu’enapplicationdesarticlesL.122-10àL.122-12duCode delapropriétéintellectuelle,toutereproductionàusagecollectifparphotocopie,inté- gralementoupartiellement,duprésentouvrageestinterditesansautorisationdu Centrefrançaisd’exploitationdudroitdecopie(CFC,20,ruedesGrands-Augustins, 75006Paris).Touteautreformedereproduction,intégraleoupartielle,estégalement interditesansautorisationdel’éditeur. S ivousdésirezêtretenurégulièrementinformédenosparutions,ilvoussuffit d’envoyervosnometadresseauxÉditionsLaDécouverte,9bis,rueAbel-Hovelacque, 75013Paris.VousrecevrezgratuitementnotrebulletintrimestrielÀlaDécouverte. Vouspouvezégalementretrouverl’ensembledenotrecatalogueetnouscontactersur notresitewww.editionsladecouverte.fr. © ÉditionsLaDécouverte,Paris,2006. Dépôtlégal : juillet 2006 Introduction V erslafindesannées1990,durantlapérioded’euphoriebour- sière, le débat public portait sur l’«horreur économique» de la mondialisation. Depuis le début des années 2000, le débat se focalisesurlesdélocalisationsverslespaysàbassalairessuscep- tiblesd’emporterl’ensembledesactivitésproductives,ycompris les services et la R&D, et de détruire également des emplois qualifiés.Cesujetestl’objetdecontroversesetdedivorcesentre lesreprésentationsmédiatiquesetlesanalysesdeséconomistes. Il fait également l’objet d’une certaine instrumentalisation par lesdifférentsacteurspublicsetprivés. Ilfautreconnaîtrequelesanalyseséconomiquesapparaissent tropnuancéescomparéesauxdiscourssimplesvéhiculésparles médias.Ainsi,àlaquestion«lamondialisationdétruit-ellenos emplois et nos exportations?», la réponse de l’économiste est souventambiguë:«Elledétruitdesemploisauniveaumicroéco- nomiqueetau niveaulocal(danscertainesrégions)etplutôtà courtterme,maistoutcelasecompenseauniveaumacroécono- miqueetplutôtàlongterme.»Ilajoute:«Riendetoutefaçon negarantitquelesemploisdétruitsparladélocalisationauraient survécuàlacompétitioninternationale!Si,dufaitdelaconcur- rence internationale, les emplois devaient disparaître, c’est que lesstructuresproductivesnesontpasadaptéesfaceàlamondia- lisation.»Finalement,parcequ’iltientcomptedeladimension temporelle,l’économisteanticipeleseffetspositifs,enretour,de ladélocalisation:l’améliorationdelacompétitivité,delacrois- sance, des firmes plus efficaces, plus performantes. Les emplois 4 MONDIALISATION ET DÉLOCALISATION DES ENTREPRISES perdusvontalorsrenaîtreplusqualifiés,mieuxrémunérés:c’est cequel’onappellelacompensation. L’histoireéconomiqueleconfirme:àlongterme,lacompen- sation se réalise effectivement comme l’ont montré les travaux de Charles Fourastié ou d’Alfred Sauvy. L’agriculture qui s’étei- gnait avec la révolution industrielle a été compensée par la montéedel’industriepuisdesservices. Mais ce raisonnement ne peut satisfaire complètement les travailleurs concernés par la délocalisation, ni les territoires spécialisés dans les secteurs sensibles à la délocalisation et les pouvoirs publics locaux. Leur horizon n’est pas le très long terme,maislecourtterme.ScheveetSlaughter[2002]*ontbien saisi ce décalage de perception en mettant en relation le senti- ment d’insécurité économique des travailleurs et la présence de comportements des employeurs jugés risqués en matière d’emplois et de salaires. Pour ces auteurs, les investissements directsàl’étranger(IDE)etlasous-traitanceinternationale(STI) peuvent être considérés comme des facteurs clés de l’insécurité économique«enrendantlademandedetravailplusélastique». Leproblèmeestquecetteperception,aussicompréhensiblesoit- elle,nesignifiepaspourautantquelesemploisdétruitssontdus àladélocalisation.Etcetypededélocalisationestloindecouvrir toutelaréalitédelamondialisationdesentreprises. Lesfirmesmultinationales(FMN)constituentlesacteursprin- cipaux de la globalisation des économies à travers leurs stra- tégies de fusions et acquisitions (F&A), d’alliances stratégiques, definancementdeleursactivitésproductivesdirectementsurles marchésfinanciersinternationaux.Lecontextedelamondiali- sationdesentreprisesestaussiceluideladiffusiondestechno- logies de l’information et de la communication (TIC) et plus généralementdel’entréedeséconomiesdéveloppéesdansceque l’onappellel’économiedusavoiroudelaconnaissance[Foray, 2000]. La diffusion des TIC et les progrès dans les transports induisentdeseffetscontradictoiressurlalocalisationdesentre- prises. Au premier abord, ils sont susceptibles de faciliter la dispersion des unités productives dans l’espace mondial en intégrant un nombre croissant de pays selon une logique * Lesréférencesentrecrochetsrenvoientàlabibliographieenfind’ouvrage. INTRODUCTION 5 d’exploitation des différences d’avantages comparatifs. Mais ils peuvent,théoriquementetdanslesfaits,contribueràlapolari- sation des activités dans les pays (les régions) qui offrent des avantages technologiques et en capital humain. Selon les secteurs et les caractéristiques des filières de production, les forces de polarisation des activités l’emportent ou non sur les forcesdedispersion. L’objectif de cet ouvrage est de clarifier les débats par une présentation des différentes logiques de la mondialisation des entreprisesencoretropsouventconfonduessousdesdénomina- tions communes telles que la «mondialisation» ou encore la «délocalisation». Des travaux utilisant des bases de données individuelles de firmes permettent de mieux documenter la questiondelamondialisationdesentreprisesetdeseseffetssur le commerce international et l’emploi. L’analyse théorique est indispensableàlaconnaissancedesdéterminantsetdesformes queprendlamondialisationdesentreprisesselonlescaractéris- tiquessectorielles,selonlaspécificitédeleursactifs,enrelation avec les problèmes d’information, d’opportunisme et des jeux stratégiquesquelesconcurrentsmondiauxmettentenœuvre,et selon,enfin,lesavantagesdelocalisationconstruitsoudonnés desterritoires. L’ouvrage analyse également les paradoxes de la mondialisa- tion des entreprises et de ses effets : une part croissante du commerce mondial se fait à l’intérieur et entre ces firmes globales, une part importante et croissante des emplois est détruite et créée par ces firmes; la croissance mondiale est de plusenplustiréeparlesinvestissementsquecesfirmesréalisent. Lamondialisationétantassociéeàladiffusiondel’économiedu savoir,uneplacetouteparticulièreestdonnéeaurôleduprogrès technique,del’innovationetducapitalhumaindansl’explica- tion de ces paradoxes apparents. Cet ouvrage analyse aussi des phénomènes nouveaux comme les relocalisations industrielles, c’est-à-direleretourdanslespaysd’origined’activitésantérieu- rementdélocaliséesdanslespaysàbassalaires. Deuxpartiescomposentcetouvrage.Lapremièreproposeune analyseempiriqueetuneexplicationthéoriqueduphénomène de mondialisation des entreprises et de ses déterminants. Le premier chapitre a pour objectif de définir, de documenter le phénomène de mondialisation en analysant l’évolution et 6 MONDIALISATION ET DÉLOCALISATION DES ENTREPRISES l’interdépendance de ses différentes composantes (commerce, IDE, finance, technologie et migrations de travailleurs); le chapitre II mesure l’ampleur de la mondialisation des entre- prises selon ses différentes logiques. Le chapitre III s’intéresse particulièrementauxdélocalisationsàlarecherchedebascoûts de main-d’œuvre et à leur extension aux services et aux nouvelles technologies. Le chapitre IV passe en revue les diffé- rentesexplicationsthéoriquesduphénomènedemondialisation desentreprisesetdesesdéterminants. La seconde partie s’intéresse aux effets de la mondialisation desentreprises.LechapitreVanalysel’impactdelamondialisa- tion sur l’emploi dans les pays industrialisés. Le chapitre VI en analyselesconséquencessurlecommerceetlaspécialisationdes nations.Enfin,lechapitreVIIanalyselaquestiondelamondiali- sation des activités de R&D et de connaissances en général et seseffetssurlesspécialisationstechnologiquesdesnationsetdes régions. PREMIÈRE PARTIE Les logiques de la mondialisation des entreprises I / Les différentes composantes de la mondialisation Q u’est-cequelamondialisationdesentreprises?Quelssontses rapports avec les délocalisations des activités pour des motifs d’accèsàunemain-d’œuvrepeurémunérée?Quelssontlesliens qu’entretiennent les différentes composantes de la mondialisa- tion?Qu’ya-t-ildenouveaudanslamondialisation? Définitionetpériodisation Lamondialisationpeutêtreappréhendéededeuxmanières: — d’une part, en termes de degré de mobilité internationale des firmes et des facteurs de production qu’elles mettent en œuvre. La mondialisation se définit alors analytiquement commel’accélérationsansprécédentdelalibertédelocalisationdes firmesdansl’espacemondial.Cetteliberténesetraduittoutefois pas nécessairement par une dispersion des unités productives danscetespace; — d’autre part, en termes d’intensité et d’évolution de cinq composantes de la mondialisation : 1) les délocalisations des activitésimpliquantounonlesIDE;2)lesfluxcommerciauxde biens et services entre les filiales des firmes ou entre firmes, et les échanges de biens intermédiaires; 3) les flux financiers ou de capitaux à court terme; 4) les flux de connaissances et de technologies; 5) les migrations internationales de travailleurs, qualifiés et peu qualifiés, qui constituent une composante souventomise. 8 LES LOGIQUES DE LA MONDIALISATION DES ENTREPRISES Ces cinq composantes de la mondialisation, tout en étant interdépendantesàbiendeségards,possèdentdestemporalités ou des périodisations distinctes. Les deux premières sont déjà anciennes tandis que les deux dernières connaissent un dyna- misme particulièrement important depuis les années 1980. Si l’on réduit la mondialisation à l’internationalisation des échanges ou au phénomène de la multinationalisation des firmes,onconviendraaisémentqu’ilnes’agitpasd’unphéno- mène nouveau. La part des exportations dans le PIB des pays les plus développés était déjà élevée vers la fin du XIXe siècle [Bairoch,1999].LesFMNentantqu’acteursquidéploientleurs activités à l’étranger constituent aussi un phénomène très ancien.LespremièresFMNapparaissentauXIXesiècle,entre1865 et 1892 (Singer, Standard Oil, OTIS, Nobel, Westinghouse, Michelin,AirLiquideetFordunpeuplustard).Dèslesannées 1950, les flux d’IDE étrangers ont massivement afflué des États-Unis vers l’Europe. Les firmes américaines avaient alors délocaliséleursunitésd’assemblagedesindustriesintensivesen main-d’œuvre vers les pays à bas salaires d’Asie du Sud-Est en particulier. Les firmes allemandes avaient mis en œuvre les mêmesstratégiesendirectiondesex-paysd’Europeàéconomies planifiées. Ce sont, en fait, surtout la mondialisation financière et la mondialisation des technologies et des connaissances qui font delamondialisationcontemporaineunphénomènequalitative- mentetquantitativementnouveau. Ladynamiquedescomposantesdelamondialisation Lesdélocalisationsdesactivitésàl’étranger La première composante de la mondialisation est constituée desIDEetplusgénéralementdel’ensembledesformesdedélo- calisation des activités économiques à l’étranger. Le fait de se mondialiser, pour une entreprise, passe par un déploiement de ses activités de production, de montage ou d’assemblage, de distribution et d’innovation (R&D) de son pays d’origine vers un autre pays (ou plusieurs autres pays). Ce déploiement peut s’accompagnerd’unedélocalisationditeabsolueourelative. LES DIFFÉRENTES COMPOSANTES DE LA MONDIALISATION 9 La délocalisation est absolue lorsqu’une firme supprime une unité de production ou d’assemblage dans un pays A pour la transférerversunpaysB.Cettelogiquededélocalisationcorres- pondd’ailleursàlavisionlaplusdiffuséedelaglobalisationdes entreprisesdanslesdébatsetlesreprésentationspubliques(voir schéma1etencadré1). Cependant, en général, le déploiement international des firmes n’implique pas nécessairement un transfert des activités du pays d’origine vers un autre pays, mais seulement la crois- sancedesesactivitésàl’étranger.Ledéploiementinternational desfirmess’apparentealorsàunelogiquededélocalisationrela- tive consistant pour une FMN à réaliser la croissance de la production,del’investissement,oudesemplois,danssesfiliales installées à l’étranger plutôt que dans le pays d’origine de la société mère. Les moyens utilisés sont : la création de filiales nouvelles (filiales dites greenfield, c’est-à-dire sur terrain «vierge»), les fusions et acquisitions (F&A) lorsque la délocali- sationsetraduitparuntransfertdecapitauxàl’étranger. La mondialisation de l’entreprise peut se faire avec ou sans transfertsetinvestissementencapitaux(àgaucheduschéma1). La création de filiales dites greenfield (création d’unités de production,deR&D,demontage,dedistributionexnihilo),les F&A,lesalliancesstratégiques(sansliensencapital),lesaccords dejoint-venture,lesaccordsdelicenceetlesaccordsdesous-trai- tance internationale ne sont que les formes et les moyens pratiques de mise en œuvre de la mondialisation des entre- prises.Cesopérationsrendentlessystèmesproductifsnationaux deplusenplusinterdépendantsettraduisentlamobilitécrois- santedesunitésproductives,d’assemblageoudemontage. Cette première composante correspond à la notion de mondialisation productive, qui implique un déploiement des activités passant par des transferts internationaux de capitaux, desavoir-faireoupardesopérationssanstransfertsdecapitaux au moyen de la sous-traitance internationale ou d’accords de productionponctuels(voirschéma1etencadré1).
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