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(milieu algérien) : Etat des lieux, critiques et propositions PDF

14 Pages·2012·0.43 MB·French
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L’aménagement de tamazight (milieu algérien) : Etat des lieux, critiques et propositions Résumé Les deux pays voisins que sont le Maroc et l’Algérie présentent, à l’égard de la situation de la langue amazighe et des aménagements linguistiques engagés, à la fois des similitudes et un certain nombre d’orientations différentes. C’est pourquoi il nous semble pertinent de présenter ici un aspect de l’expérience ma- rocaine. Au Maroc, la langue amazighe a toujours possédé un statut minoré malgré un usage numériquement important. A l’instar de l’Algérie, elle s’inscrit dans un contexte plurilingue où elle cohabite avec l’arabe standard, l’arabe dialectal et le français. Ces langues ont, bien entendu, des fonctions et des statuts distincts, et créent une situation de « diglossie enchâssée » au sein de laquelle l’amazighe occupe le dernier rang en matière de prestige. En outre, au Maroc, l’amazighe Dr Said Chemakh se décline en trois grands ensembles dialectaux : le tarifite (au nord du pays), le Enseignant de linguistique tamazight (au centre) et le tachelhit (au sud). Département de Langue et En 2001, l’Institut Royal de la Culture Amazighe au Maroc fut créé avec pour Culture Amazighes mission de standardiser la langue amazighe en vue, d’une part, d’une reconnais- Université de Tizi-Ouzou [email protected] sance institutionnelle de cette langue-culture, et d’autre part, de son enseigne- ment. Le choix des aménageurs s’est porté sur une gestion démocratique de la diversité dialectale. Cela revient à élaborer une langue qui soit commune aux trois zones d’intercompréhension dialectale. L’aménagement de l’amazighe se situe dans l’optique de la koïnè grecque, soit une langue créée sur la composition de différents dialectes. C’est en 2003 que l’amazighe fait son entrée dans la sphère scolaire. Cette langue est désormais enseignée de façon obligatoire en tant que discipline dans de nombreuses écoles primaires à travers tout le pays, aux élèves amazighophones comme arabophones. Ce récent changement de direction dans la politique linguistique du Maroc nous a amené à nous intéresser à la réception de la langue amazighe nouvel- lement standardisée auprès de personnes directement concernées par cet amé- nagement : les enseignants de cette langue, du cycle primaire. Nous avons, l’an passé, mené une enquête sociolinguistique de terrain, de type qualitatif, à partir d’entretiens semi-directifs ; cela nous a permis de recueillir les témoignages de quinze enseignants d’amazighe (instituteurs). Nous avons choisi de rencontrer des enseignants exerçant dans des zones rurales fortement amazighophones ainsi que dans des centres urbains majoritairement arabophones, car nous avions posé comme hypothèse que les représentations peuvent différer suivant la place de la langue dans l’environnement des enquêtés et des élèves. Nous proposons de rendre compte de cette réception de l’amazighe unifié auprès d’enseignants en abordant trois points essentiels : 15 L’impact de l’établissement de normes linguis- des politiques linguistiques mises en œuvre par les tiques sur le prestige de la langue. Etats en place. Nous avons choisi délibérément de Les aspirations et les méfiances à l’égard du restreindre notre champ d’investigation à l’espace lexique standard. national algérien. Nous tenterons de faire état des L’impact de la diglossie arabe préexistante sur lieux de l’aménagement du tamazight sur ce terri- les représentations des enseignants. toire et ce sur une période allant du XIXème siècle à nos jours. Ce bilan sera suivi d’appréciations cri- 1. Positions du problème tiques et de propositions. Toute extension de l’usage d’une langue dans 2. Quelques concepts opératoires des domaines où elle n’était pas/ ou n’est plus usitée pousse à la réflexion sur les choix à opérer dans Les actions sur la langue sont diverses et ne la multitude de possibilités d’expression qu’offre présentent automatiquement toutes les similitudes cette langue. Lorsque les ressources de l’expres- dans le temps et dans l’espace. Ce qui a amené à la sion sont très diverses du fait de l’existence de plu- création d’une multitude de termes dont certains sieurs variétés dialectales/ régionales, sociales... du sèmes se recoupent mais pas d’autres. D’un point fait de l’existence de plusieurs niveaux de langue, de vue épistémologique cet état de fait se trouve de la richesse lexicale et stylistique de la langue et justifié car la sociolinguistique –linguistique ex- parfois du fait de l’existence de plusieurs langues terne- dont relève la planification et l’aménage- en contact rend le choix problématique. Le choix ment des langues n’est pas, à vrai dire une disci- d’une variété linguistique qui aura pour fonction pline autonome et définitivement structurée. Bien de servir d’outil de communication dans ces do- au contraire, si l’on tient compte des ‘considérations maines vers lesquelles il y a extension de l’usage se finales’ de C. Baylon (1996 : 281) quant à cette dis- fait suivant des critères consciemment ou incons- cipline, nous nous rendons compte que du chemin ciemment admis par les acteurs responsables de ce reste encore à faire. Ne dit-il pas que ‘ la sociolin- choix. C’est ainsi que débute ce que l’on définira guistique a encore beaucoup à faire et nous n’avons pas plus tard comme la planification / l’aménagement cherché, bien au contraire, à dissimuler les insuffisances linguistique(s). qu’il lui reste à combler’. Cela rejoint en partie le L’extension de l’usage du tamazight, du moins propos de G. Mounin (1974 : XIII) lorsqu’il écri- quelques-unes de ses variantes, vers des domaines vait dans son Dictionnaire de la linguistique qu’ ‘Une qui ne lui étaient pas ou peu connus (enseigne- terminologie idéale supposerait une science achevée’. Il ment, médias...) pose, elle aussi, comme toute lan- est donc normal d’avoir constate un foisonnement gue naturelle, de nombreux problèmes relevant de de termes techniques se recoupant et renvoyant la politique et de la planification de l’aménagement parfois aux mêmes réalités extra-linguistiques et/ linguistiques. ou aux mêmes référents. Dans la présente communication, il sera ques- La première remarque que l’on peut faire en tion de l’aménagement linguistique du tamazight abordant la notion de politique linguistique est dans le milieu algérien. Certes, le tamazight, et celle des précautions avec lesquelles les auteurs qui plus particulièrement la variante tamacheq, est utilisent ce concept dès qu’ils tentent de donner langue nationale au Niger et au Mali depuis les une définition voire un essai de définition. Cette années 60 ; il est reconnu langue (non-territoriale) situation est justifiée par le fait que la notion de de France depuis le rapport Cerquilini. Il est éga- politique linguistique est souvent confondue avec lement reconnu langue régionale d’Espagne (pro- celle de planification linguistique voire d’aména- vince de Melilla et Ceuta). Notons aussi qu’un pas gement linguistique. Pour C. Baylon (1991:175) vers sa reconnaissance institutionnelle est franchi « L’expression «planification linguistique» est le plus au Maroc depuis la création de l’Ircam. Mais, il en souvent utilisée avec celle de «politique linguistique» demeure, néanmoins nécessaire de faire le point sur tantôt elles sont considérées comme des variantes d’une chacune des ses situations linguistiques des pays même désignation, tantôt elles permettent de désigner où vivent des berbérophones et d’établir un bilan 16 Dr Saïd Chemakh L’Aménagement de tamazight (milieu algérien) : Etat des lieux, critiques et propositions. deux niveaux de l’action du politique sur la/les langue Politique linguistique en usage dans une société donnée ». à fonction symbolique à fonction pratique D. Robillard, Cf. M. L. Moreau (1997 : 229) constatant la synonymie qu’entretiennent certains Planification linguistique auteurs entre les notions de politique et d’aména- Action sur la langue Action sur les langues gement linguistique propose ceci : « Il est utile de - Orthographe - Choix de la langue officielle spécialiser ce terme (PL) pour désigner la phase d’une - Lexique - Organisation du plurilinguisme opération d’aménagement linguistique la plus abs- - Formes dialectales - Répartition fonctionnelle traite, consistant en la formulation d’objectifs, pos- térieurement à l’évaluation d’une situation faisant Ces deux aspects présentent plusieurs simili- apparaître des aspects perfectibles, soit dans le corpus tudes avec les points a) et b) du schéma d’E. Hau- d’une langue (inadéquation de structures par rapport gen. à des besoins), soit dans le statut des langues ». A la notion de planification linguistique, l’école Une planification linguistique est, selon C. Bay- québécoise substitue la notion d’aménagement lin- lon (1996), «un effort explicite et systématique pour guistique et l’école catalane celle de normalisation résoudre des problèmes linguistiques et parvenir à la linguistique. Mais l’analyse des contenus de toutes réalisation concrète des solutions trouvées grâce à l’ap- ces appellations de la planification linguistique pui d’institutions». Selon lui, H. Kloss a regroupé montre que l’Etat ou l’Institution publique inter- les divers buts de cette planification «en deux ca- vient de façon prépondérante. tégories, selon qu’ils relèvent de la planification de la Bien que le schéma d’E. Haugen représente codification de la langue, l’aménagement de la langue une excellente synthèse en matière de planification elle-même, language corpus planning - ou de la pla- linguistique, les expériences de planification lin- nification orientée en fonction de leur statut- l’inter- guistiques sont très diverses et aucune ne peut pré- vention vise le statut de la langue, language status tendre servir de modèle unique ou référentiel. En planning». fait cette situation nous conduit à dire qu’il n’existe En partant de cette définition, E. Haugen pro- pas de cadre théorique unique en matière d’action pose un tableau où il distingue entre la forme et sur la/ les langue(s) dans un territoire donné, il la fonction de toute planification linguistique. Ta- n’existe que des cadres empiriques présentant des bleau que nous reproduisons de J. Maurais (1997). similitudes et des différences. FORME FONCTION Pour ce qui nous concerne, nous utiliserons le (Politiques linguistiques) («Culture de la langue») concept de ‘politique linguistique’ pour désigner la Société 1. Choix de la norme 3. Implantation (proces- (planification (processus décisionnel) sus éducationnel) politique délibérée d’un Etat national ou régional du statut) a) identification du pro- a) mesures correctives en matière de gestion de la/ les langue(s) dans la blème b) évaluation cité. Nous tenterons d’élargir le sens de ce concept b) affectation à l’action politique des regroupements politiques Langue 2. codification de la 4. modernisation de la (planification norme (standardisation) langue (mouvements culturels, partis, élites…) en faveur du corpus) a) orthographe a) modernisation de la de la promotion d’une langue qui est dans la plu- b) syntaxe terminologie part des cas minorée par l’Etat. c) lexique b) développement de la fonction stylistique de la Par ‘planification linguistique’, nous repren- langue drons la définition de L. J. Calvet citée supra mais en élargissant l’agent de ‘la recherche et mise en L. J. Calvet, dans son ouvrage ‘La guerre des œuvre des moyens nécessaires à l’application d’une langues’ (1987), considère quant à lui : «... la pla- politique linguistique’ aux regroupements poli- nification linguistique comme la recherche et la mise tiques cités ci-dessus. en œuvre des moyens nécessaires à l’application d’une Par ‘aménagement linguistique’, nous enten- politique linguistique ’’. Il donne deux aspects de dons l’ensemble des actions relevant des planifica- la planification linguistique à savoir l’action sur la tions de statut et de corpus telles qu’établies dans le langue et sur les langues dans le schéma ci-dessus : schéma d’E. Haugen. 17 3. La politique linguistique en Algérie La politique d’arabisation, avec l’arabe reconnue comme unique langue ‘nationale’ et officielle, en- En matière de typologie, il existerait près d’une tretenue jusqu’en avril 2002 ne visait pas seule- dizaine de sortes de politiques linguistiques de part ment à substituer l’arabe au français dans les di- le monde. De façon exhaustive, J. Leclerc (2006) verses sphères de la vie publique mais avant tout les présente ainsi : à assimiler linguistiquement les berbérophones. 1. Politiques d’assimilation, Les analyses du discours politique contenus dans 2. Politiques de non-intervention, la panoplie de textes constitutionnels, chartes, or- 3. Politiques de valorisation de la langue offi- donnances,… amorcées par G. Grandguillaume cielle, (1984), S. Chaker (1983 et 1989), A. Yefsah 4. Politiques sectorielles, (1989)… mettent en exergue cette fin peu avouée 5. Politiques de statut juridique différencié, de la politique d’arabisation. 6. Politiques de bilinguisme (ou de trilinguisme) A partir de la reconnaissance de tamazight a) fondé sur des droits personnels (sans limite comme seconde ‘langue nationale’, on serait pas- territorial), sé vers le 3ème ou 4ème voire 5ème type de politiques b) fondé sur des droits personnels territorialisés, mixtes. c) fondé sur des droits territoriaux. 4. L’aménagement linguistique du 7. Politiques de multilinguisme stratégique, 8. Politiques d’internationalisation linguistique, tamazight 9. Politiques linguistiques mixtes. Au vu de cette classification, l’Algérie sera clas- Il semble que les facteurs les plus favorables à la sée dans la catégorie 9 à savoir celle des Etats ayant standardisation du berbère est l’identité commune. des ‘politiques linguistiques mixtes’. Selon J. Le- La prise de conscience de l’appartenance à une clerc (2006) : « Les politiques linguistiques mixtes même ethnie, le fait d’avoir partagé une même his- sont possibles lorsqu’un État pratique simultanément toire et surtout une même langue ne serait-ce dans différents types d’intervention. Généralement, une l’Antiquité a été un facteur déterminant. Même politique linguistique mixte associe, par exemple, la si le degré de conscience identitaire au sein des non-intervention à l’égard de la langue officielle à une communautés berbérophones actuelles se présente politique sectorielle pour la ou les minorités; ou bien façon divergente, dès le début du XXème siècle, les l’État associe la valorisation de la langue officielle au premiers instituteurs kabyles (Boulifa en particu- statut juridique différencié, etc. Plusieurs combinaisons lier) ont perçu deux phénomènes ayant contribué sont possibles ». à la réflexion sur la nécessité d’aménager le ta- Il en distingue au moins six types de combinai- mazight. Ces phénomènes sont la dispersion des sons possibles, à savoir : communautés d’usage du tamazight et la dialecta- 1) Non-intervention (langue officielle) et poli- lisation de cette dernière. tiques sectorielles (minorités), 2) Non-intervention (langue officielle) et poli- De la dispersion des communautés d’usage du tique d’assimilation (minorités) tamazight : 3) Valorisation de la langue officielle et statut Les appellations ‘langue berbère’ et ‘Tamazight’ différencié (minorités) utilisées par les linguistes puis par les politiques ne 4) Valorisation de la langue officielle et poli- recouvrent pas une réalité unique et bien détermi- tiques sectorielles (minorités) née (langue standard) mais plutôt une diversité de 5) Valorisation de la langue officielle et non-in- variétés linguistiques avec des usages sociaux réels tervention (autres langues) (dialectes régionaux). A cela s’ajoute l’idée que 6) Valorisation de la langue officielle, politique toutes ces variétés ne sont que des formes d’une d’assimilation et politique de bilinguisme territo- même langue ayant existé dans la haute Antiquité. rial (minorités) En Algérie, les berbérophones ne forment pas Au regard de cette catégorisation l’Etat algérien actuellement une communauté linguistique unique sera classé dans le 2ème type de ‘politiques mixtes’. 18 Dr Saïd Chemakh L’Aménagement de tamazight (milieu algérien) : Etat des lieux, critiques et propositions. mais des communautés distinctes ayant chacune variations régionales qui ne sont pas sans rappeler des une dénomination propre de la variété dialectale faits attestés en berbère moderne...». qu’ils utilisent. Nous pouvons distinguer environ Ou encore, la différence entre l’alphabet libyque neuf communautés linguistiques réparties sur des dit oriental et celui dit occidental ne correspond- aires géographiques plus moins homogènes. Nous t-elle pas à une différence entre les dialectes trans- avons : crits ? G. Camps, dans Berbères mémoire et identité Aire kabyle (ou taqbaylit) au Nord (à l’est d’Al- (1985) dit qu’: « Hormis le tifinagh actuel, seuls les ger) caractères de l’alphabet dit oriental ont pu recevoir une Aire chaouie (ou tachawit) à l’est (sud-est valeur sûre, grâce aux inscriptions bilingues libyco-pu- Constantinois) niques de Dougga. Or, l’alphabet occidental comprend Aire chenouie (tachenwit) au Mont du Che- des signes que l’oriental ignore et les tifinaghs saha- noua à l’ouest d’Alger, riens n’ont pas toujours la même valeur que les signes Aire mozabite (Tamzabt) à Ghardaïa et les six équivalents de l’alphabet oriental.». Le fait qu’il y a cités environnantes, des signes supplémentaires dans l’alphabet occi- Aire touareg (Tamachaq) au sud, dans l’Ahag- dental ne sert-il pas à noter des phonèmes inexis- gar. tants dans le parler noté par l’alphabet oriental ? A côté de ces aires, se trouvent des îlots berbé- Peut-on postuler l’existence de phénomènes tel que rophones tels que : la spirantisation à l’origine de cette différence de - Tasenusit dans la sous–préfecture de Beni- notation ? N’est-ce pas la dialectalisation l’unique Snous, département de Tlemcen, raison à l’origine de cette différence entre les deux - Tazennatit dans les oasis du Gourara (Timi- alphabets ? moun), département d’Adrar, Toutefois, si dialectalisation il y avait, nous ne - Tagergrent dans le département de Ouargla, pensons pas que celle-ci soit très importante vu le - Tazennatit dans le Ksar de Bousemghoun, dé- nombre d’unités lexicales appartenant au fonds au- partement de El-Bayadh. tochtone commun à dans tous les dialectes, et ce jusqu’à une assez date récente. La dialectalisation Ce sont les ruptures des communications entre Selon J. Dubois (1999) : « Une langue se dialec- les grands groupes de populations circonscrits à talise quant elle prend selon les régions où elle est parlée des zones-refuges (massifs montagneux, hautes des formes nettement différenciées entre elles ; la notion plaines) qui ont engendré une dialectalisation de dialectalisation présuppose l’unité antérieure, au poussée. Lors des occupations successives qu’a moins relative de la langue concernée... Selon la théo- connu l’Afrique du Nord, les envahisseurs se sont rie des ondes, l’étendue des aires dont lesquelles on ren- fixés sur le littoral et dans les plaines intérieures contre un trait s’explique par la propagation inégale, causant ainsi des ruptures dans le continuum lin- de certaines innovations à partir de certains centres et guistique antérieur. La dialectalisation du berbère le maintien ailleurs des formes anciennes...» dans les régions sahariennes est du à l’isolement La langue berbère a, sans doute, commencé des groupes Touareg, Zenaga... par rapport aux po- à connaître un processus de dialectalisation dès pulations septentrionales. l’Antiquité. Bien que fait s’il n’est confirmé par les Une simple observation des cartes géolinguis- sources écrites antiques; S. Chaker (1982) pense : tiques montrent comment les groupes berbéro- « Naturellement, le «libyque» s’étend sur une aire géo- phones se sont fragmentés par l’installation des graphique immense, il est certain que la langue présen- groupes arabophones entre eux. tait d’importantes variations dialectales. Il est difficile Quelques exemples peuvent confirmer et illus- de dire si les ensembles ethno-politiques que l’on voit trer cette thèse: apparaître très tôt chez les auteurs anciens (Maures, 1. La continuité qui existait entre les popula- Numides, Gétules...) correspondaient à des divisions tions côtières et berbérophones de l’Algérie en al- dialectales. Au travers les differentes formes que l’on lant de l’actuel Collo jusqu’à Arzew s’est trouvée connaît pour certains toponymes, on croit déceler des rompue par : 19 L’installation des tribus Daouadioua dans l’Al- faveur de la thèse de la conscience de la nécessité gérois au XIVe s. d’un aménagement, ne serait-ce de corpus. L’arabisation des Ait Boukhenous dans le Che- Mais il fallait attendre 1983 pour que cet effort lif. d’aménagement de la langue soit décrit. C’est S. L’arabisation des Bettioua près d’Arzew (près Chaker (1983/b : 57) qui est le premier à engager d’Oran) dans les années 20. une réflexion sur cet effort dans son article « De la 2. La continuité existant entre le groupe chaoui description à la planification linguistique : un tour- et le groupe kabyle est attestée au XIX° s. par Ha- nant dans le domaine berbère ». Deux ans après, noteau. La rupture de celle-ci par l’installation de dans un autre article : « La planification linguis- tribus arabophones à l’Est de Sétif est un élément tique dans le domaine berbère : une normalisation qui a favorisé la dialectalisation du kabyle et du pan-berbère est-elle possible ? ». chaoui. Comme les centres d’exercice du pouvoir poli- Un groupe linguistique donné, isolé de ceux qui tique n’étaient pas acquis aux défenseurs de tama- ont la même langue que lui, connaît un repli sur zight, aucun aménagement de statut n’était possible soi-même et se retrouve avec un lexique sensible- avant les années 90. C’était plutôt l’aménagement ment différent des autres groupes par les créations de corpus dont il sera question pour ces institu- lexicales auxquelles il recourt ne tenant pas compte teurs, écrivains, militants… Toutefois, les attitudes que de ses propres besoins langagiers et pas de ceux linguistiques positives envers le tamazight et la des autres groupes. De même que la circulation de culture dont elle est un des vecteurs, développées ces créations lexicales se retrouve limitée géogra- par les militants berbéristes et reprises par les ber- phiquement dés lors que ce groupe est en rupture bérophones (et kabylophones en particulier) ont avec les autres et que celles-ci ne répondent qu’aux joué un rôle prépondérant dans l’action d’aména- nécessités de communication micro-locale. gement du tamazight hors institutions étatiques. Les raisons à l’origine de la dialectalisation sont Si pour C. Canut (1998 : 10) « la prise en compte des historiques avant d’être sociologiques et culturelles. discours des locuteurs sur leurs langues, leurs variétés linguistiques ou celles des autres, devrait être un préa- 4.1. L’aménagement en dehors des institutions lable systématique à toute entreprise de choix de langue de l’Etat et de standardisation », il en est autrement dans le Bien que l’Université ou l’école où les institu- domaine berbère où le discours sur les attitudes des teurs et par la suite les écrivains ont été formés, locuteurs a été un facteur déterminant dans l’en- soient des appareils idéologiques d’Etat au sens treprise d’aménagement entamée par les écrivains, althussérien du mot, on ne peut parler d’inter- enseignants et universitaires. vention de institution ou de l’Etat. Etaient-ils Les structures et relations syntaxiques étant conscients de cette contribution à l’aménagement perçues comme étant assez stables pour l’ensemble du tamazight ? Nous sommes tenté de répondre du domaine berbère comme le confirmera Y. par la négative. Hélas, les positions de Bélaid Ait Zouaoui dans sa thèse de doctorat (1996), l’amé- Ali, premier romancier kabyle, de Taous Amrouche nagement de corpus touchera essentiellement au dans son célèbre article « Que fait-on pour la lan- lexique et à la notation de la langue. D’ailleurs, ceci gue berbère ? » (1957), de Jean Amrouche lors du était prévisible vu que maintes planifications de Congrès méditerranéen de la Culture (Florence, corpus d’autres langues y sont passées. J. Maurais octobre 1960) nous incite à répondre par la né- (1987) note bien que : l’aménagement linguistique gative. Mais c’est avec Mouloud Mammeri que c’est à dire l’intervention sur les structures linguis- l’aménagement du tamazight est pensé et dit de tiques elles-mêmes, a surtout touché l’orthographe et le façon explicite. Le choix de la graphie latine pour lexique». la notation du tamazight, la création d’un lexique du berbère moderne, l’Amawal ; la rédaction de l’opuscule de grammaire Tajerrumt n tmazight en berbère sont autant d’actions concrètes militant en 20 Dr Saïd Chemakh L’Aménagement de tamazight (milieu algérien) : Etat des lieux, critiques et propositions. 4.2. Contenus des aménagements réalisés - Une première année de langue kabyle de A. Bou- 4.2.1. La notation de la langue lifa ; L’un des premiers ouvrage où la graphie latine reprendront les mêmes techniques que celles est usitée pour transcrire le kabyle (et le chleuh)1 usitées par A. Hanoteau. Les phrases et textes ka- est le dictionnaire confectionné par J.M de Ven- byles sont transcrits en graphie latine et les auteurs ture de Paradis. Il a été écrit en 1787/89 et publié ne recourent à la graphie arabe que pour montrer en 1844 sous le titre de Grammaire et dictionnaire comment un texte ou parfois un mot, peut être abrégés de langue berbère. transcrit. En 1858, A. Hanoteau publie son Essai de gram- R. Basset a proposé, en plus de la transcription maire kabyle. Dans sa préface, datée de mars 1858 du berbère en caractère latin, une notation pho- (soit près d’un an après la fin de la conquête de la nétique avec laquelle les berbérisants pourront do- Kabylie), il rappelle l’intérêt et l’utilité de l’étude rénavant transcrire phonétiquement les dialectes du kabyle et présente les données nouvellement qu’ils étudient. Ce qui sera d’ailleurs fait, mais les acquises sur la berbérophonie (extension d’usage, publications destinées au grand public utilisent statistiques des populations berbérophones). Mais toujours la notation usuelle où ne figurent pas les avant d’entamer l’étude de la grammaire, il pré- divers caractères qu’il a introduit (lettres affectées sente ce qu’il a appelé Observations préliminaires, de diacrités, de points souscrits, de chevrons…). du mode de transcription adopté dans cet ouvrage. Mais, les publications contenant des textes kabyles A notre connaissance, il est le premier auteur à ex- telles que celles de Boulifa Recueil de poésie kabyle, pliquer pourquoi il recourt à la graphie latine après 1903 ainsi que Méthode de langue kabyle, Cours de avoir rappelé que « les Kabyles ont eu peut-être jadis deuxième année, 1913, seront écrites dans la no- un système d’écriture analogue à celui qui s’est conservé tation en usage depuis Hanoteau. Cette tradition chez les Touaregs [...] L’introduction de l’islamisme... survivra pendant longtemps jusqu’au début des an- leur a fait connaître l’écriture arabe... » (1857 :1). nées 80 où elle sera marginalisée par la transcrip- Toutefois, à la fin de la grammaire se trouve le livre tion dite ‘de Mammeri’. V : Textes divers (pp. 256-338) où A. Hanoteau jus- Les linguistes berbérisants (Biarnay, Laoust, tifie le fait qu’il introduise la graphie arabe pour Destaing...) ont continué à utiliser et à affiner le transcrire le kabyle en plus de la graphie latine système de notation légué par R. Basset, et c’est à comme suit : « J’ai fait suivre plusieurs textes de la partir de celui-là que plus tard A.Basset tirera son transcription en caractères arabes, afin de montrer au système phonologique. lecteur comment quelques kabyles connaissant l’arabe Les Pères Blancs, créateurs du Fichier de Docu- se servent de ces caractères pour représenter les sons de mentation Berbère (FDB) reprennent la transcrip- leur langue. Je ferais observer, toutefois, qu’ils n’in- tion usitée alors par A. Basset et la réaménagent diquent jamais les voyelles. Cette transcription a été plusieurs fois comme en témoignent les diverses faite par Si Said Ben Ali2, et ne doit être regardée que notes sur la transcription publiés dans le FDB. comme une appréciation toute personnelle de l’emploi En reprenant le ‘système phonologique berbère’ des lettres arabes à la représentation des sons du kabyle. tel qu’établit par A. Basset et la notation usitée par Il est très vraisemblable que, faite par d’autres kabyles, les auteurs du FDB, M. Mammeri présente un sys- elle varierait beaucoup avec chacun d’eux », (p.257). tème de notation destiné à un usage public. Ce sys- Les premiers manuels publiés après la création tème de notation est publié pour la première fois de la chaire de berbère à la faculté d’Alger (1887), dans Grammaire berbère, dialecte kabyle ouvrage ro- à savoir : néotypé édité en 1966 à l’Université d’Alger. - Manuel de langue kabyle de R. Basset, Les principales caractéristiques du système de - Cours de langue kabyle de B. Bensedira, notation de M. Mammeri sont : - l’usage des graphèmes latins (et grecs) dans 1 - Venture de Paradis parlait de langue berbère au lieu de langue ka- la notation, en ajoutant des diacrités quand cela byle puisqu’il n’a pas fait de distinction entre les dialectes kabyle et s’avère nécessaire. chleuh que parlaient ses informateurs ; ce qui fait que le dictionnaire en question est constitué d’un matériau composite. - la négligence des phénomènes dialectaux (tel 2 - Informateur de Hanoteau. que la spirantisation en kabyle) pour rendre ho- 21 mogène le plus possible la notation des dialectes En effet, la notation usuelle verra son utilisation berbères. devenir systématique dans toutes les publications En 1969, Hanouz publie sa Grammaire. Cette des années à venir. En plus des revues et tracts, les dernière n’a pas fait l’objet de critiques de la part deux journaux partisans écrits en berbère (Amay- de chercheurs universitaires dans le domaine ber- nut et Asalu) l’adopteront. Il en est de même des bère seulement mais aussi de la part des militants journaux ayant leurs pages berbères (Le Pays/Ta- de l’Académie berbère auquel M. Hanouz appar- murt, l’hebdo n tmurt, Izuran/ Racines...)4. tenait. Chacun des critiques relevait le manque Toutefois, au même moment les espaces de dif- de rigueur scientifique du traité. Les militants de fusion de cette notation s’élargissent et se conso- l’Académie berbère opteront d’ailleurs pour la pu- lident. Nous assisterons à deux courants la contes- blication de la Grammaire de M. Mammeri dans tant, bien que minoritaires mais dotées de publi- leur bulletin Imazighène où l’intégralité du cours cations. est reprise. Le premier courant est celui des praticiens pro- Toutefois, les militants de l’Académie berbère posant d’autres notations à base latine. Les tradi- ne partagent pas avec M. Mammeri l’usage du ca- tionnels contestataires de la notation usuelle (L. ractère latin pour la notation du berbère. Ils préco- Bahbouh et M. Haroun) seront rejoints par H. nisent l’usage du tifinagh, en réalité d’un néo-tifi- Cheradi, M. Aït Amrane, H. Sahki qui proposent nagh concocté à base du tifinagh encore en usage à leur tour d’autres notations. A l’exception de M. chez les Touaregs, avec des modifications et rajout Aït Amrane, les quatre autres auteurs vont jusqu’à de lettres. C’est ce néo-tifinagh de l’Académie ber- proposer des ‘grammaires’ qui, à notre avis de lin- bère qui connaîtra une diffusion massive dans les guiste, sont quasi-inutilisables vu qu’elles font fi de milieux berbères à partir des années 1970. tout le cumul de savoirs scientifiques en linguis- Le système de notation adopté par M. Mam- tiques générale et berbère. La majeure partie de meri et repris dans sa Tajerrumt n tmazight (1976) leurs contenus est sans aucun fondement scienti- s’est répandu grâce aux publications littéraires et fique et logique5. scientifiques. Le second courant contestant la notation usuelle En 1983, S. Chaker reprenant le système de est celui qui préconise la notation du berbère en notation de M. Mammeri publiait les Propositions caractères arabes, au même moment où les moza- pour une notation usuelle du berbère. bites, une des rares communautés berbérophones à Toutefois, les usagers de la notation dite usuelle avoir fait usage du caractère arabe pour la notation voient apparaître d’autres notations à base latine du berbère et ce depuis le XIème s., abandonnait peu curieusement mises en circulation à partir de 1989, à peu la notation en caractères arabes. Un alphabet année où le régime en place tolère la diffusion pu- du berbère est diffusé dans les milieux islamistes, blique légale de publications relatives au berbère un auteur (A. Bouzida) publie un recueil de poèmes ou en berbère. de Si Mohand transcrit en arabe et le journal El En juillet 1989, la réunion dénommée ‘2ème sé- Djazair el youm crée une rubrique amazighe écrite minaire du MCB’ organisée à Tizi-Ouzou recon- en arabe. Et le projet de loi de généralisation de duit l’usage de notation usuelle dite ‘tamaâmrit’3. la langue arabe préconise la transcription de tous Pour la première fois, des voix s’élèvent pour re- les dialectes locaux ‘uniquement’ en caractère arabe mettre en cause la notation usuelle usitée jusque-là. (1990, première version de la loi). En effet, deux militants des années 1970, Bahbouh L’apogée de cette offensive sera atteinte avec Lahsen et Haroun Mohamed proposent, chacun l’intervention du président de la République Cha- à sa façon, un système de notation (à digraphes, 4 - Pendant longtemps ces publications récentes comme leurs aînées avec d’autres diacrités). Cet incident ne restera pas Tafsut, publieront une rubrique intitulée Agemmay n tmazight en vue sans conséquence et répercussions dans les années de permettre aux lecteurs de décoder/déchiffrer facilement les textes écrits en berbère. à venir. 5 - Il ne s’agit pas là de propos dépréciatifs gratuits : un petit examen de l’ouvrage de Bahbouh Lahsen (reproduisant une bonne partie de La grammaire du berbère de Hanouz déjà contestée à sa première édition, car rééditée telle quelle en 1990) montre la misère intellectuelle sévis- 3 - C’est-à-dire ‘de Mammeri’ sant dans certains milieux berbéristes en Algérie. 22 Dr Saïd Chemakh L’Aménagement de tamazight (milieu algérien) : Etat des lieux, critiques et propositions. dli en février 1991, lors d’une rencontre avec la trement que par le truchement de la langue parlée presse. Il dira en substance que la reconnaissance traditionnellement). du berbère par l’Etat algérien ne dépend que de Dans un premier temps, comme le signale M. la transcription usitée : le berbère sera reconnu à Benbrahim (1986), ils vont recourir à l’emprunt à condition d’être transcrit en caractère arabe. l’arabe pour exprimer des termes de vocabulaire Les réactions des associations berbères et des abstrait qui n’existent pas en berbère tels que ‘na- partis politiques à base kabyle, suite à ces déclara- tion’ ou ‘parti’. Mais ce procédé est vite abandonné. tions ont fait que plus jamais de tels propos n’ont Après la crise anti-berbériste ils favoriseront la été tenus ultérieurement. création néologique au détriment de l’emprunt. Plusieurs associations et organisations réaffir- Ils iront jusqu’à remplacer des termes empruntés meront alors l’usage (parfois unique) du caractère par des équivalents berbères recensés dans d’autres latin pour la transcription du berbère. dialectes autres que le kabyle. Il en est ainsi, par exemple, du Colloque de Exemple : ah’emmel remplacé par tayri. Ghardaïa (organisée par la Fnaca) qui s’est achevé Le terme tagerghlanit a été composé sur le mo- avec une résolution principale qui est la transcrip- dèle de tagersift. tagerghlanit < ger+aghlan (aghlan tion de tamazight en caractères latins. signifiant ‘pays’ en mozabite). A côté de ces deux courants, il existe quelques M. Mammeri est le premier à introduire des voix qui préconisent le retour au tifinagh unique- néologismes dans un ouvrage écrit en kabyle : Les ment alors que les partisans de la notation usuelle Isefra de Si Mohand (1969). admettent que le caractère tifinagh (plutôt néo-ti- Par exemple: le terme tazwart ‘préface / intro- finagh) servent pour la transcription des enseignes, duction’ est tiré de tazwara désignant le début et plaques routières, titres... amsafev ‘adieu’ est tiré du tamachaq. Les dernières réformes contenues dans Proposi- En 1970, paraît la première édition de l’Amawal. tions pour une notation usuelle à base latine issues des C’est le second apport de M. Mammeri à la stan- différents travaux organisés à l’Inalco (1996, 1998) dardisation du berbère et dans la réalisation de dans ce sens sont actuellement reprises en Algérie. l’Amawal qui demeure l’acte fondateur de la néo- Cette diffusion massive est due essentiellement au logie moderne en berbère. M. Mammeri était tou- milieu scolaire. jours préoccupé par l’idée de la disparition/mort Le choix de la graphie latine est motivé par plu- de la langue berbère. Ceci apparaît aussi bien dans sieurs facteurs sociologiques et également psycho- ses essais que dans ses romans. Il fallait pour exis- logiques. Il mérite que l’on s’intéresse sérieusement ter définir de nouveaux horizons, c’est-à-dire faire sur ces derniers car ils relèvent beaucoup des atti- accéder le berbère aux secteurs qui lui étaient inac- tudes et représentations linguistiques des berbéro- cessibles et en faire une langue avec laquelle on phones vis-à-vis de leur langue. peut penser et dire le monde actuel. Pour ce faire, il fallait créer à partir du stock lexical existant en 4.2.2. Le lexique : berbère, les mots capables de représenter les réali- Les culturalistes du début du siècle tels que tés extra-linguistiques actuelles. Boulifa n’ont pas eu recours à la néologie à pro- En plus du travail de créations lexicales faites prement parler. Bien qu’ils préconisent d’utiliser avec les étudiants associés au projet d’Amawal, M. les ressources des autres dialectes berbères dès Mammeri avait sans doute travaillé sur une docu- lors qu’une unité lexicale venait à manquer dans mentation reçue de divers horizons : poésie natio- un parler donné. Les premières créations de néo- naliste entre autres. Les divers témoignages exis- logismes remonteraient aux années 1940 quand tants concordent sur ce point. certains militants nationalistes voulaient composer et/ou traduire des chants en kabyle. Il leur fallait 1. Amawal : alors créer de nouvelles unités lexicales à même de L’Amawal demeure le seul lexique dont les rendre compréhensible leur message et aptes à re- néologismes ont connu le plus d’utilisation en un présenter des réalités nouvelles (ou exprimées au- temps record. En effet, il a connu le premier ti- rage en 1974 (Alger) puis sera réédité en 1980 par 23 Imedyazen (Paris) et par l’Association Azar (Bé- Exemple : la racine LG est utilisée pour former jaïa) en 1990. au moins 15 dérivés. Le dialecte qui a servi de base à la création néo- - La non-correspondance de mots entre les logique est le tamacheq (parler de l’Ahaggar). Ce deux parties du lexique. lexique est composé de deux parties : berbère-fran- Exemples : partie berbère-français : Amazday = çais (pp. 8-65). Français-berbère (pp. 66-129). collectif et Anbaz = invasion Dans la préface en berbère, M. Mammeri ex- partie français-berbère : Collectif = Anbaz [er- plique la situation actuelle de la langue berbère, les reur] et Invasion = Anbaz. raisons de la dialectalisation, la nécessité de l’enri- Toutefois, ceci ne diminue pas l’importance ca- chissement du lexique ainsi que la méthodologie pitale que représente l’Amawal, quels que soient adoptée pour ce faire. ces manques, il est le premier ouvrage d’aménage- Dans la seconde préface, le besoin pratique au- ment du lexique berbère. quel devait répondre le recueil est exposé à savoir Les termes qui en sont proposés ont connu un compenser des lacunes du lexique du berbère : « il usage et une reprise très disproportionnés dans la y a manque en particulier des termes abstrait ou plus langue parlée. généralement les termes de civilisation... ». Le bulletin Imazighene, édité par l’Académie La méthode utilisée est toujours la dérivation Berbère diffusé à partir de 1970, est la première de sens ou de forme : « chaque fois qu’un terme exis- publication où des néologismes seront recensés tait dans un parler, il a été adopté (exemple: tanem- que ce soit dans les textes (suivis d’explications des mirt = merci). Chaque fois qu’un terme tradition- néologismes usités) ou sous formes de listes bilin- nel de sens concret pourrait servir à rendre une no- gues (français–kabyle). tion abstraite (ou de civilisation) de sens voisin, il a Pendant longtemps cette technique sera uti- été adopté (exemple: aneflus = magistrat). Quand ni lisée par les diverses publications périodiques ou l’un, ni l’autre de ces deux procédés n’était possible on livresques. a reconnu à la dérivation de formes nouvelles à par- Les préfaciers du Dictionnaire kabyle-français tir de racines berbères existant dans l’un des quatorze de J. M. Dallet (1982) notaient déjà que « la lit- parlers. (exemple : tagrawla = révolution à partir de térature écrite ( poésie et romans ) parue après 1980 «griwel» qui a le sens original du latin «revolvere» essentiellement est marquée par ces néologismes. Mais d’où a été tirée «révolution». Dans la quasi-totalité des c’est essentiellement la radio qui aidera à la diffusion cas on respecte des types de formes dérivés berbères déjà des néologismes. Durant les années 1970, il y a re- existantes... ». cours systématique à l’emprunt à l’arabe mais à partir L’avertissement cite par contre deux incon- des années 1980, c’est plutôt l’inverse qui s’est produit vénients que peut présenter ce lexique à savoir : : une utilisation parfois excessive de néologismes lors « l’atomisation des mots du fait qu’il ne forment un des émissions informatives éducatives et d’animation corps structuré de même le fait que le découpage de sa culturelle. C’est grâce à ces émissions qu’une partie des réalité extralinguistique differt du français au berbère néologismes touchant à la vie moderne est passée dans ce qui conduira à des non correspondances séman- l’usage courant ». tiques ». Bien qu’assez bien élaboré, ce lexique n’est pas 2. Tajerrumt n Tmazight de M. Mammeri : exempt de critiques. Les plus importantes ressor- Voulant traduire en kabyle sa Grammaire du tent de l’analyse faite par R. Achab (1996). Ce sont berbère publiée en français, M. Mammeri devait essentiellement : trouver des concepts pour exprimer des notions La non-exploitation de toutes les sources dia- telles que : verbe et préposition. Il aura recours à la lectales (dictionnaires...) autres que le touareg. création de 144 unités lexicales. L’existence de fautes de frappe (?) qui risque Le premier néologisme est : tajerrrumt < ar. al- d’induire d’autres compréhensions du sens des ajrumeyya, terme désignant la grammaire élaborée néologismes. par Adjerroum (un grammairien du Sous [Maroc] La surexploitation de la dérivation à partir de XIIIème s.). Toutefois le nom Adjerroum < agerram certaines racines. ‘le vieux sage, le marabout’ en tachelhit. 24

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Au Maroc, la langue amazighe a toujours possédé un statut minoré malgré un usage . dons l'ensemble des actions relevant des planifica- tions de
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