UNIVERSITE DE PARIS III SORBONNE NOUVELLE U. F. R d’Etudes Européennes Volume 1 par Emmanuel BOUDAS officier d’active Thèse d’histoire contemporaine Sous la direction de M. le Professeur Jean-Marc DELAUNAY Ecole Doctorale 514 Etudes Anglophones, Germanophones et Européennes (EDEAGE) Equipe d’accueil n°2291 : Intégration et coopération dans l’espace européen Soutenue le 16 décembre 2009 Jury : M. Jean-Marc DELAUNAY, Professeur des Universités, Université Sorbonne Nouvelle - Paris III Mme Elisabeth DU REAU DE LA GAIGNONNIERE, Professeur émérite, Université Sorbonne Nouvelle - Paris III M. Hubert HEYRIES, Professeur des Universités, Université Sorbonne Nouvelle - Paris III M. Michel OSTENC, Professeur émérite, Université d'Angers M. Giorgio ROCHAT, Professeur émérite, Université de Turin (Italie) REMERCIEMENTS : Je remercie les organismes suivants pour avoir ouverts leurs portes à mes recherches : Monsieur le Lieutenant-colonel Guelton, commandant le S. H. D - terre à Vincennes et tout son personnel Monsieur le Colonel commandant l’E. C. P. A- D au fort d’Ivry sur Seine et son personnel le service des archives du Quai d' Orsay la Bibliothèque Nationale de France pour son soutien actif les archives de l’Assemblée Nationale les Archives Nationales. Je remercie les intervenants à Rome pour leur aide précieuse : Monsieur le général commandant la Mission Militaire Française à Rome et son personnel Monsieur l’Ambassadeur de France et l’ensemble du personnel de Farnèse Monsieur le Directeur de l’Ecole Française de Rome Monsieur le Lieutenant-colonel Di Rosa commandant l'Ufficio Storico dello SME ainsi que l’Etat-Major des armées italiennes la Biblioteca del Senato les Archives du ministère italien des affaires étrangères. Je remercie aussi Monsieur Delaunay qui a su guider mes travaux durant ces cinq dernières années à l’Université et pour son aide active. Je dédie ce travail historique à l’ensemble des Nations et des Armées Alliées, en particulier à tous les combattants. SOMMAIRE : La problématique : Les relations entre l'Italie et les Alliés étaient-elles fondées sur un équilibre ou sur une subordination stratégique au cœur des évolutions militaires, diplomatiques, et socio-économiques de la Première Guerre Mondiale ? Introduction p. 2 1ère partie : L’équilibre stratégique entre les Alliés et l’Italie de 1914 à 1917 I - Le marchandage de l'intervention de l'Italie (1914-1915) p. 12 II - Une action militaire puissante mais fragile (1915-1917) p. 61 III – L’opposition entre l’Italie et l’Entente de 1915 à 1917 : l’indépendance italienne, l’influence française grandissante et les rivalités impériales p. 136 IV- Le développement extraordinaire de l’économie italienne gage de puissance (1914-1917) p. 207 2ème partie : L'année 1917 : un retournement stratégique complet I - Les derniers mouvements diplomatiques italiens et la nouvelle attitude des Alliés p. 242 II - La crise sociale, morale de l'Italie est la cause profonde du renversement de la posture stratégique du pays p. 262 III - De Caporetto à Rapallo : de la défaite au sacre de la subordination p. 289 3ème partie : L’Italie soumise aux Alliés (1918-1919) I –L’opposition entre les Etats-Unis et l’Italie p. 322 II –Le commandement unique soumet l’armée italienne p.357 III – L’inaction italienne renforce la domination alliée p. 372 IV – Le Traité de Versailles p. 433 Conclusion générale p. 464 Table des documents et cartes p. 470 Table des matières p. 473 1 INTRODUCTION : La Grande Guerre commence pour une large partie de l'Europe le 2 août 1914. Chaque pays s'engage dans le conflit en appliquant le plan mis au point avant la guerre : le plan Schlieffen pour les Allemands (un gigantesque mouvement tournant par la Belgique visant à détruire l' Armée Française en trois semaines afin de pouvoir faire face à la Russie à l'est et ainsi vaincre les principales puissances de l'Entente) ou le plan XVII pour les Français qui lui créait une offensive française contre la Lorraine. Cette planification stratégique des Allemands ou des Français a échoué avec la bataille de la Marne du 1er au 6 septembre 1914. Après cette contre-offensive française, les belligérants se livrent une course à la mer jusqu' en Belgique. La guerre des tranchées va commencer et durer pendant deux ans et demi avant de se conclure en 1918. Ce résultat militaire modifie complètement la vision de la guerre. Il faut faire face pour les uns comme pour les autres à une guerre longue et industrielle. Il devient donc nécessaire pour l'Entente comme pour la Duplice de trouver de nouvelles ressources et de nouveaux alliés pour contourner l'adversaire et obtenir la victoire par une stratégie périphérique. Ce sont les Britanniques qui l’incarnent. Or la seule puissance, encore en dehors de la guerre, est l'Italie. En effet, les Italiens se sont déclarés neutres dés le 2 août 1914. Ils ont prévenu les autres puissances le 31 juillet 1914, en particulier la France. C'est un geste positif envers la France quand nous savons que l'Allemagne comptait sur l'aide italienne par une invasion à travers les Alpes. Ce qui soulage les Français.1 Par conséquent, l'Italie devient l'enjeu des antagonismes entre les Alliés et la Duplice. Cette situation va donner au pays une place politique, militaire et stratégique très particulière. L'Italie va pouvoir négocier ou non à un prix des plus intéressants sa participation en fonction de ces véritables intérêts nationaux insatisfaits depuis le Risorgimento (processus d'unification de l'Italie au XIXème siècle incomplet) 2 puisque le Trentin, Trieste sont restés autrichiens. Pourtant au fil de la guerre et des désastres militaires avec, en particulier, les sanglantes batailles de l'Isonzo et Caporetto l'armée italienne est mise hors de combat en octobre 1917. La position très favorable stratégiquement est mise à mal par cette situation militaire qui a des conséquences diplomatiques : le traité de Rapallo symbolisant finalement la fin de cette rente stratégique italienne. L’Italie arrive aussi paradoxalement à une «victoire mutilée» en 1919 à Versailles. Ce décalage entre l'entrée en guerre en 1915 et le résultat de 1918-1919 va être l'objet de 1AMAE, CPC, Italie 1914-1918, Télégramme n°253 et 255 de l'ambassadeur Barrère à Mr Viviani le président du consei1 du 1er / 08 / 1914, Paris. 2 Serge Berstein et Pierre Milza, l'Italie contemporaine. Du Risorgimento à la chute du Fascisme, Paris, 1995, p .28-33 2 cette thèse. Nous allons expliquer ce paradoxe grâce à plusieurs cadres théoriques qui vont permettre de construire les équilibres stratégiques, fondement de cette recherche. Tout d'abord, nous allons étudier la guerre selon trois théories. Le premier cadre est la pensée militaire et stratégique chinoise3. Nous recherchons à savoir si une campagne militaire a été bien préparée par un chef militaire, si la stratégie militaire adoptée est valide et si cette dernière peut ou non amener à la victoire. Nous étudierons donc le décalage entre les buts et les résultats. Avant d'exposer la théorie de Sun Tzu, il faut définir la stratégie au sens chinois du terme. Ce sont les moyens de préserver son pays par des procédés ordinaires et de livrer combat par des méthodes irrégulières. Cette définition montre clairement que la théorie chinoise permet seulement de juger si la guerre a été bien menée et surtout si elle respecte les règles de l'art de la guerre. Seul ce respect peut amener à la victoire. La pensée stratégique chinoise est divisée à l'origine en trois courants : les diplomates qui prônent la victoire par la parole comme préalable à l'engagement, les culturels qui veulent vaincre par la culture et la civilisation et enfin les légistes qui l'emportent par la terreur intérieure, la discipline. La «guerre se gagne donc avant d'être livrée». Sun Tzu est une synthèse des trois. En effet, pour lui la guerre est tridimensionnelle : militaire, politique et spirituelle. La guerre est l'expression de la puissance, c'est la confrontation. Mais pour Sun Tzu, la guerre est une défaite, un échec. La pensée chinoise s'arrête au conflit alors que Clauzewitz et la pensée occidentale ont pensé l'affrontement. Nous avons donc une contitnuité entre la pensée chinoise et occidentale : aux Chinois la préparation, aux Occidentaux la bataille ou le conflit. Sun Tzu pose trois hypothèses. La première correspond à un rapport de force favorable qui s'obtient à partir des cinq facteurs de la puissance (la virtù, le climat, la topographie, le commandement, l'organisation). La seconde est de profiter des opportunités par des stratagèmes: «la guerre est l'art de duper». La dernière hypothèse est fondée sur la bénédiction des dieux. Si ces trois conditions sont réunies, nous pouvons établir une stratégie globale s'appuyant sur treize règles permettant d'obtenir la victoire désirée. Ces treize règles sont des idées simples et efficaces 25 siècles après la mort de Sun Tzu, car elles établissent la premanence de la guerre. Tous les stratéges sérieux les connaissent dont les Italiens.Les treize règles sont les suivantes. La première règle nous dit que la logistique est primordiale. Le général doit chercher une victoire rapide non une guerre d'usure qui ruine l'économie nationale. Aucune guerre prolongée n'a donné de profits. De ce point de vue, la guerre des tranchées 1915-1917 est une ineptie pour les stratèges chinois et elle n'a pas donné la victoire. La deuxième énonce qu'un général doit économiser ses forces en s'attaquant aux plans de 3 Sun Tzu [-345 av JC], l'Art de la Guerre, Paris, réédité en 2000. 3 l'ennemi, ruinant sa stratégie et l'empêchant d'agir. Nous devons obtenir la victoire sans combattre car «soumettre l'ennemi sans croiser le fer, voilà le fin du fin»4 . Cependant, pour réaliser ce cheminement, il faut réfléchir et faire un peu d'introspection : «celui qui connaît son ennemi et se connaît soi même gagnera plus de 100 batailles». Il faut connaître son ennemi : c’est la clé de la victoire. Pour la troisième la victoire dépend d'un autre facteur : la détermination. Pour atteindre ce seuil, il faut avoir confiance en soi et se fier à ce que l'on a appris : «une armée est victorieuse si elle cherche à vaincre avant de combattre». Par exemple, la victoire alliée de 1918 prend tout son sens par la détermination de tout un peuple, d'une nation, d'une armée pour vaincre. Cette règle amène deux conclusions : une armée a besoin d'une solide détermination et d'une excellente formation. Par la suite, un général doit choisir tous ses hommes pour être sûr d'eux afin qu'au milieu de la bataille, ils ne l'abandonnent pas. Il doit en fait connaître ses hommes. Cette idée nous montre tout l’intérêt des théories du commandant Grandmaison sur les forces morales et la foi en la victoire, voire l’offensive à outrance. La sixième règle évoque le fait de «diriger les mouvements de l'autre pour exceller à la guerre»5. Sun Tzu nous dit finalement que le bon général doit imposer sa liberté d'action à l'adversaire afin de l'obliger à faire ce qu'il veut pour le surprendre et passer dans les intervalles de la défense. Pour obtenir la victoire une fois la liberté d'action acquise, le général doit concentrer ses forces sur le point faible, le point le plus vulnérable comme l'eau. Les pensées de Clausewitz et Foch y seront fidèles. Dans la septième, l'engagement a deux difficultés : la distance par rapport à la bataille et le terrain. Nous pouvons dégager trois conséquences : la nécessité de troupes fraîches donc de combattre près de ses frontières, ensuite de connaître les objectifs de son ennemi et enfin de bien choisir le lieu de la bataille. Il faut aussi bien savoir doser sa stratégie entre un moyen direct : le combat et, des moyens indirects (l'espionnage, la propagande, etc...). La huitième règle évoque que «le nombre n'est pas un facteur décisif» et qu'«il faut savoir évaluer l'adversaire et se gagner le coeur des hommes». «Mais qui ne réfléchit pas et méprise l'ennemi sera vaincu». Cette règle nous apprend que le respect et la connaissance de l'ennemi sont les fondements de la réflexion stratégique. C'est le seul moyen d'obtenir la victoire. Elle nous apporte aussi un éclairage intéressant sur la façon de commander, de gagner la fidélité des peuples et des soldats. La propagande de l’Entente prend ici un autre regard étonnant de continuïté. La neuvième règle énonce que, pour contrer un ennemi, il faut attaquer ce qu'il a de précieux rapidement. Pour l’Italie, c’est la capitale politique et culturelle: Vienne. La dixième dit que nous ne devons livrer bataille que si la victoire est acquise avant le 4 Sun Tzu, ibidem, p. 7-8-9 5ibidem p .13 à 16 4 début des hostilités. Enfin, la onzième évoque le fait que l'espionnage est le point-clé de la connaissance de l'ennemi. Il est au centre de l'activité militaire. Ce modèle va nous permettre de savoir si l'Italie, avant les hostilités, respectait les règles de l'art de la guerre. Ainsi nous saurons si elle a commencé la guerre avec une stratégie valide permettant une position favorable. Le deuxième cadre est la pensée stratégique clausewitzienne qui complète la théorie chinoise puisqu'elle n'est centrée que sur l'affrontement proprement dit. Ce cadre va nous permettre de savoir si l'Italie a mené et respecté une stratégie cohérente lui permettant de décrocher la victoire dans la première guerre totale de l'histoire : la Grande Guerre. Si elle fait la guerre en respectant ce cadre, elle aura sans contestation une position stratégique plus que favorable par rapport aux Alliés. Pour Clausewitz, la stratégie est «l'usage de l'engagement aux fins de la guerre»6. Le gouvernement établit, selon Clausewitz, des buts de guerre. Il fixe à partir de ses objectifs une «série d'actions propres» et la conduite de la guerre. Il nous explique que l'activité guerrière se structure autour des buts qu'une nation se fixe. Ces buts devront être atteints par la force militaire. Pour arriver à ses résultats, le chef militaire va mettre en place un plan «des différentes campagnes et organiser les différents engagements de celles-ci»7. Les buts de guerre servent à la planification des opérations en orientant les offensives vers les territoires visés, ou les villes clés à prendre pour obtenir la victoire. Par exemple, le plan Schieffen visait dans un mouvement tournant par la Belgique à prendre Paris, capitale politique, afin de casser le moral des Français et à encercler l'armée française. La planification allemande avait compris, qu'en faisant tomber Paris, la France était vaincue. Cette action lui permettait de se retourner par la suite contre les Russes par un déplacement rapide vers la Prusse, exploitant au maximum la position centrale de l'Allemagne en Europe. Cet exemple illustre très bien la logique clausewitzienne. De plus, pour lui, il faut savoir organiser sa stratégie en fonction de ses moyens et de ses buts «sans en faire trop ou pas assez». Le bon général doit monter sa stratégie en fonction des puissances matérielles dont il dispose et non des moyens théoriques : la taille de son armée, l'armement, la force de son adversaire et son économie. Il l'orchestre aussi en fonction des Forces Morales : la cohésion de son pays et le soutien de son peuple à son action. La stratégie, et par voie de conséquence l'Art de la Guerre, sont guidés par l'objectif politique. La guerre doit atteindre ce but sinon elle est inefficace. Elle rend le pays qui l'utilise dans une position d'infériorité stratégique pouvant entraîner sa disparition. «La guerre n'est rien d'autre que la continuation des relations politiques, avec l'appoint d'autres moyens [...]. Elle 6 Carl Clausewitz, De la Guerre, Paris, réédité en 2000, p .181 7 Ibidem, p .181-182 5 n'est que des linéaments d'une politique qui se poursuit à travers la guerre jusqu'à la paix.»8. La doctrine clausewitzienne va nous permettre de savoir, si pendant l'engagement militaire, l'Italie va respecter par sa stratégie ses buts de guerre. De plus, en étudiant son action militaire, nous allons pouvoir établir sa position stratégique pendant la guerre. Nous venons de voir deux cadres qui vont nous permettre d'établir la position stratégique de l'Italie avant (théorie de Sun Tzu) et pendant (Clausewitz) la guerre. A partir de cette position de l'Italie, nous allons pouvoir déterminer le rapport de force qui existait avec les Alliés avant et pendant la guerre. Ce rapport de force peut aboutir soit à une situation d'équilibre stratégique avec les Alliés, soit à une supériorité ou encore à une infériorité. L'équilibre ou la supériorité stratégique d'un pays par rapport à d'autres confère l'Indépendance, l'infériorité donne la subordination. Ce rapport de force va être étudié à travers la théorie des jeux. Cette réflexion va permettre d'établir le type de relations interalliées, les oppositions, les alliances informelles contre un des membres du groupe et les relations de puissance. Toutes ses relations sont modifiées par le résultat des batailles et finalement, par la position stratégique de chacun des alliés au moment H. La théorie des jeux repose sur plusieurs hypothèses. Tout d'abord, chaque joueur est une nation. Ensuite, les joueurs sont des acteurs rationnels. Ils ont des préférences individuelles. Ils font des choix et des arbitrages qui maximisent leurs préférences en tenant compte de leurs contraintes. Par exemple, la France en 1914 optimisait sa préférence : le retour de l'Alsace-Lorraine, par une offensive sur Metz (= le plan XVII) en tenant compte qu'une offensive par les Vosges était impossible. De plus, chaque joueur établit une stratégie globale, cohérente (militaire, diplomatique, économique) visant à renforcer sa préférence en fonction de l'histoire et des comportements des autres joueurs. Ce sont des anticipations rationnelles car nous établissons une stratégie par l'enchaînement des réactions possibles et/ou réelles des autres joueurs9. Ensuite, l'information est disponible pour chacun des joueurs. Tous connaissent l'ensemble de l'information grâce à l'histoire et aux services de renseignement. C'est l'hypothèse de l'information parfaite. Le point suivant est que le seul critère de rationalité d'une Nation est l'intérêt national. Enfin, le jeu se fait par coups successifs : les uns après les autres. Ces cinq hypothèses sont le fondement du modèle. La théorie est la suivante. Chaque joueur fait face aux autres. Dans le monde des grandes puissances, il n'y a pas d'amis. D'après Hobbes «l'homme est un loup pour l'homme».10 Les grands pays sont tous ennemis. Face à une situation, chaque joueur «cherche à obtenir la solution qui lui est favorable»11. Il va choisir l'option la meilleure ou la moins mauvaise (qui maximise son intérêt national) et vice-versa pour les autres. Comme l'information est parfaite, chacun connaît le choix de 8Ibidem, p .703 9Jean-Pierre Delas, économie contemporaine, Paris, 2001, p. 10 10 Thomas Hobbes, Le Léviathan, Paris, réédité en 2001, p. 9 11 C Schmidt, la théorie des jeux, essai d' interprétation, Paris, p . 9-10 6 l'autre. Par rapport à cette nouvelle situation, chacun établit sa stratégie en fonction du choix adverse. Nous obtenons un ensemble de stratégies dites dominantes pour chacun des joueurs qui vont s'affronter au sein du jeu. Les coups étant successifs et les joueurs dotés d'anticipations rationnelles, c'est celui qui a le mieux estimé la stratégie adverse qui l'emporte. Mais il peut arriver que les stratégies choisies se neutralisent vers une situation avec des gains faibles. Chacun va choisir la stratégie ayant le moins de risques. En effet, à cause d'une absence de toute confiance, chaque joueur va rationnellement appliquer le principe de précaution qui semble plus efficace. Comme tout le monde fait de même, nous obtenons un équilibre sous optimal au regard des prétentions nationales mais néanmoins stable. C'est l'équilibre de Nash. Cette théorie permet de mettre en lumière les rapports de force internationaux et d'illustrer ceux qui ont une stratégie gagnante ou perdante. Ainsi nous pouvons en déduire les relations de clientélisme, les rapports de dominants à dominés. Pour l'Italie, cette étude va nous permettre de connaître sa position internationale au regard des faits et de sa stratégie avant, pendant et après la guerre. Nous pourrons ainsi définir le type de relation entre l’Italie et les Alliés entre 1914 et 1919. Quels types de relations internationales existent-ils ? Nous avons trois possibilités : l'indépendance, la subordination et enfin l'équilibre. La théorie des jeux nous permet d'éliminer la troisième car les grandes puissances sont rarement en situation d'équilibre. Il existe toujours une puissance dominante et une dominée. L'indépendance est le fait de pouvoir prendre ses décisions librement. C'est aussi de ne pas attendre des directives d'un autre pays et exercer sa pleine souveraineté. Il s'agit pour un Etat, vis-à-vis d'un autre, de mener une guerre et les négociations de paix sans se faire imposer une solution ou un compromis de l'extérieur. Or, une nation qui opte pour une mauvaise stratégie ou qui a une mauvaise situation stratégique va se trouver en mauvaise posture vis-à-vis des autres. Elle est dans une situation d'une stratégie dominée et contre-productive par rapport aux gains espérés. Elle est subordonnée aux puissances ayant joué la bonne stratégie dite dominante en théorie des jeux. A partir du 2 août 1914, l'Italie se déclare neutre. Elle va devoir choisir son camp pour garantir ses intérêts car rester en dehors aurait un coût trop élevé en matière d'équilibre géopolitique en Méditerranée, en Adriatique plus particulièrement. Le 26 mai 1915, elle entre en guerre contre l'Autriche. Puis elle va mener une longue guerre d'usure à l'Autriche avec douze batailles sur l'Isonzo. Cette stratégie se solde par le désastre de Caporetto en octobre 1917. Les Alliés devront envoyer un corps expéditionnaire pour la sauver du drame. C'est le tournant. L'Italie accepte à ce moment précis la guerre de coalition, puis elle termine le conflit en essayant d'éviter une nouvelle défaite. In extremis, elle lance une offensive contre les Autrichiens à Vittorio Veneto en octobre 1918. Nous pouvons voir ici un extraordinaire paradoxe qui s'explique grâce à la théorie des jeux. L'Italie voit donc sa position par rapport aux Alliés évoluer de 1914 à 1919. Les relations entre l'Italie et les Alliés étaient-elles fondées sur un équilibre ou sur une subordination stratégique suite aux évolutions militaires, diplomatiques et 7 économiques de la grande Guerre ? Nous allons répondre à ce problème en trois étapes qui suivent le développement et les évolutions de la guerre. Tout d'abord, nous étudierons la période 1914-1917 qui voit l'Italie acquérir une position très favorable au niveau stratégique. Ensuite, nous verrons que l'année 1917 avec Caporetto en moins d'un mois renverse complètement la situation. Enfin, nous allons voir que les années 1918-1919 se soldent par une position précaire, aux antipodes des espoirs de 1915. L’étude des sources documentaires est un travail nécessaire pour mieux saisir les oppositions entre décideurs, exécutants ou plus simplement entre nations. Tout d’abord, notre étude bibliographique nous fait relever l’absence de synthèses globales sur le champ de recherche. Pour beaucoup d’auteurs, nous avons une étude par grands domaines de la guerre sans jamais vraiment rassembler les conséquences au niveau interallié. Cet état de fait perdure aujourd’hui du fait que les historiens voient la Grande Guerre comme une juxtaposition de conflits nationaux au lieu d’étudier ce conflit comme un affrontement mondial avec des coalitions ayant un ou plusieurs hégémons. Il ne faut pas oublier que la Grande Guerre est la première guerre mondiale et d’usure industrielle. Pour cette thèse, il a fallu reconstituer l’internationalisation du conflit et la multitude des domaines à prendre en compte. Une guerre n’est pas seulement un conflit militaire terrestre le long d’un front. Une guerre est une manifestation violente de la puissance étatique. Il est nécessaire d’étudier les mentalités, la puissance économique, la cohésion sociale et nationale, l’action militaire dans toute ses dimensions, le moral, les opérations clandestines secrètes, la politique et ses hommes. Au-delà de ces déterminants des équilibres stratégiques, c’est l’homme qui est bien au centre de la guerre. Comme disait le général Patton : « cela passe ou ça casse » en franchissant le Rhin en 1945 à Coblence. Ces éléments expliquent l’importance de la bibliographie par sa taille et sa diversité. Elle se veut assez complète mais non exhaustive. Nous avons des auteurs français, italiens, britanniques, américains, allemands et autrichiens. Ce qui permet d’avoir une information assez fiable. Cependant, il est très difficile de tout lire sur la Grande Guerre avec au moins 10 000 ouvrages écrits sur ce thème. Tous les ouvrages disponibles à la Bibliothèque Nationale de France, à la Biblioteca del Senato italienne ont été parcourus. Les ouvrages majeurs sont tous référencés dans la bibliographie. Au niveau des recueils et des documents imprimés, nous avons des sources très riches et variées. L’Armée Française dans la Grande Guerre et l’Esercito Italiano nella Grande Guerra nous apportent des informations solides, recoupées, fiables sur la partie militaire terrestre du conflit avec l’éclairage des grands commandements alliés. Les mémoires des acteurs du conflit nous apportent des visions partiales et partielles, notamment du côté italien. En effet, les Italiens demeurent orgueilleux sur cette guerre. Cette situation rend inévitablement les hommes très soucieux de défendre leur honneur. Nous pouvons constater parfois une certaine mauvaise foi chez 8
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