Michel DIDIER Jean-François OUVRARD L'impôt sur le capital au siècle XXIe Une coûteuse singularité française Coe-Rexecode ffi ECONOMICA L'impôt sur le capital au XXIe siècle Une coûteuse singularité française L'impôt sur le capital au XXIe siècle Une coûteuse singularité française Michel DIDIER -Jean-François OUVRARD ffiECONOMICA _' Coe-Rexecode 49 rue Hérie art - 7 50 15 Paris 29 avenue Hoche- 75008 Paris L'étude présentée dans cet ouvrage doit beaucoup à Pascale Scapecchi et à Axelle Lacan, économistes à Coe-Rexecode, qui ont eu notamment la difficile tâche de traiter et d'interpréter la grande quantité de données fiscales exigée par les compa raisons, ainsi qu'à Emmanuel Jessua, qui a succédé à Jean François Ouvrard à la direction des Etudes, et à l'ensemble de l'équipe de Coe-Rexecode. Pour cette étude, Coe-Rexecode a bénéficié des avis de plusieurs hauts responsables du monde économique et finan cier : Jean Peyrelevade, Patrice Corbin de Granchamp, Pierre Danon, Stanislas de Bentzmann, Arnaud Vaissié, Roland de Laage de Meux. Les analyses et les conclusions présentées n'engagent cependant que les auteurs de l'ouvrage. © Economica/Coe-Rexecode, Paris, 2016 Reproduction autorisée sous réserve de mentionner la source Introduction Ce livre pose les principes d'une fiscalité du capital qui respecte les trois objectifs classiques de l'impôt : rendement, efficacité, équité. Il constate ensuite que ces trois objectifs sont très inégale ment atteints en France. Les impôts sur le capital rapportent beau coup, mais très inefficacement et peu équitablement. Il est souhai table de faire beaucoup mieux. En préservant le rendement, et donc le niveau actuel de recettes que procurent ces impôts, il est possible d'aller vers plus d'efficacité, une fiscalité plus stimulante qu'actuellement pour la croissance et l'emploi. Il est possible aussi de supprimer les inéquités actuelles les plus évidentes. Ce livre s'achève donc sur des propositions de réformes à la fois simples et justes. La fiscalité du capital peut constituer un levier de baisse du chômage, mais elle n'est jamais considérée sous cet angle et elle a au contraire été enfermée en France dans un mauvais logiciel qui pénalise la croissance et l'emploi. L'économie française est proche de la stagnation, le rythme d'accumulation du capital productif, qui commande la croissance potentielle future, est faible et le pays semble s'installer dans un chômage élevé et persistant. De nombreux jeunes ont du mal à obtenir un emploi stable, et pour les salariés plus anciens, le chômage de longue durée augmente. Pour retrouver une dyna mique plus soutenue du pouvoir d'achat et pour réduire durable ment le chômage, tous les leviers de croissance doivent être aujourd'hui mobilisés. Or, la fiscalité du capital actuelle multiplie les excès et paralyse les comportements. Elle est désordonnée et 6 1 L'impôt sur le capital: une coûteuse singularité française désoriente les épargnants. Elle n'a pas été adaptée aux boulever sements profonds de 1' environnement économique intervenus au cours des dernières décennies. Elle a été alourdie alors que le rendement du capital a baissé. Elle s'est éloignée des normes euro péennes et handicape la compétitivité. Elle n'a cessé de changer, décourageant les projets de long terme. Elle contribue ainsi à la panne de l'investissement et à la hausse du chômage. Pour libérer l'investissement et l'emploi sur notre territoire, elle doit être profondément remaniée. Céline Antonin et Vincent Touzé, économistes à l'OFCE, souli gnent à juste titre dans une étude récente1 sur la fiscalité du capital, que « la taxation du capital est un sujet sensible car le capital incarne la notion de richesse et donc d'inégalité sociale. En même temps, l'épargne, qui nourrit le capital, symbolise aussi l'effort, c'est-à-dire le sacrifice consenti de consommation pour financer 1' investissement nécessaire à 1' augmentation de la productivité de 1' économie ». Il y a donc un conflit d'objectifs latent entre 1'a mbi tion de réduire par 1' impôt le patrimoine des plus riches et celui d'encourager l'effort d'épargne et d'investissement. Ce conflit avait déjà été relevé il y a plus d'un demi-siècle par Maurice Allais, prix Nobel d'économie 1988, dans son ouvrage L'impôt sur le capitaF : «Les fins à poursuivre relèvent du domaine de la poli tique et, en fait, c'est la tâche essentielle des systèmes politiques de les dégager par des compromis d'ensemble. Mais précisément, sur le plan économique, le rôle de l'économiste est d'examiner si les fins dégagées par ces compromis sont effectivement compati bles entre elles et si les moyens utilisés pour les atteindre sont bien les plus appropriés. » C'est sur ce terrain que se place notre contri bution, et c'est sur ce terrain que la fiscalité du capital française apparaît aujourd'hui très critiquable. Les surcharges de fiscalité du capital, dues notamment à l' aug mentation des taux de prélèvement et à la double progressivité d'impositions sur les revenus du capital et sur le capital lui-même, entraînent des excès manifestes. Les gouvernements ont cherché à en limiter les effets en multipliant mesures dérogatoires, abatte ments, déductions et aménagements divers qui contractent les bases fiscales et rendent la fiscalité illisible. Le Conseil constitu tionnel a dû lui-même s'opposer à des propositions extrêmes et imposer certaines limites au coup par coup. Au total, il en résulte une stratification sans rationalité d'ensemble, une grande complexité et une instabilité croissante. Introduction 1 7 L'escalade des taux de prélèvements et des régimes déroga toires qui caractérisent la fiscalité du capital en France est en outre loin de garantir l'équité. Elle s'avère même génératrice de nouvelles formes d'inéquité. Un effort d'épargne peut entraîner un surcroît d'impôts supérieur aux revenus qu'il procure. D'énormes patrimoines peuvent échapper totalement à l'impôt, alors que des patrimoines moins importants résultant du travail subissent de lourds impôts. L'impôt sur un patrimoine qui a été acquis par le travail passé doit être, dans certains cas, payé à partir des nouveaux revenus du travail. De surcroît, par ses effets négatifs sur la croissance et sur l'emploi, la surtaxa ti on du capital est pénali sante pour tous, y compris pour les personnes aux revenus les plus bas qui sont souvent les premières victimes du chômage et de la précarité. La fiscalité du capital restera un frein au retour durable de la croissance et à la baisse du chômage en France tant qu'elle ne sera pas profondément réformée et, pour la première fois, pensée dans sa structure et dans toutes ses conséquences économiques. Les exemples de la Suède et d'autres pays d'Europe du Nord montrent qu'une fiscalité du capital qui repose sur des fondements écono miques simples et cohérents peut être à la fois favorable à la crois sance et plus juste que notre fiscalité actuelle. C'est le sens de la proposition que nous formulons au terme d'une analyse appro fondie de l'ensemble des enjeux de la fiscalité du capital, analyse qui n'existait pas jusqu'à présent à notre connaissance en France. Les questions concernant la fiscalité du capital sont nombreuses. Comment mesurer le « poids » de la fiscalité du capital sur l'économie? Faut-il privilégier une taxation élevée et fortement progressive pour éviter la concentration des patri moines, ou bien limiter la taxation du capital pour encourager l'épargne et l'investissement ? Faut-il différencier la fiscalité du capital selon la destination de l'épargne et jusqu'à quel point ? Faut-il taxer les plus-values comme les revenus du capital ? Faut-il taxer la détention du patrimoine en plus de la taxation de ses revenus? Faut-il taxer les donations comme les successions? Peut on ignorer, dans un espace économique ouvert, la fiscalité du capital des autres pays ? Nous examinons l'ensemble de ces ques tions au cours des chapitres qui suivent. Nous montrons que notre fiscalité du capital est désormais dans une impasse et n'atteint plus aucun objectif. Pour sortir de l'impasse, nous proposons des chan gements majeurs qui stimuleraient durablement la croissance 8 1 L'impôt sur le capital : une coûteuse singularité française française - au-delà des quelques effets conjoncturels esperes temporairement de facteurs économiques mondiaux favorables - et qui supprimeraient en outre certaines inéquités flagrantes. Le premier chapitre délimite le champ de la fiscalité du capital. Le deuxième chapitre dégage trois principes économiques d'ana lyse de la fiscalité. Il montre en particulier qu'une imposition récur rente du patrimoine est équivalente à une imposition supplémen taire du revenu. Le troisième chapitre propose un bref panorama de la fiscalité française du capital. Le quatrième chapitre fait appa raître certaines anomalies majeures de la fiscalité du capital fran çaise, notamment la divergence entre la France et ses partenaires européens en termes de poids, d'évolution et de modalités d'im position du capital. Le cinquième chapitre montre comment les choix successifs concernant la fiscalité du capital, toujours dans le sens de l'alourdissement et de la complexité, génèrent des effets pervers et ont conduit celle-ci à l'impasse actuelle. Les trois chapi tres suivants montrent qu'une fiscalité du capital mieux conçue peut devenir plus favorable à la fois à une meilleure orientation de l'épargne vers l'investissement productif (chapitre 6), à une crois sance durable (chapitre 7) et à une meilleure maîtrise des inégalités (chapitre 8). Enfin, le neuvième chapitre pose les principes de base d'une réforme de notre fiscalité du capital qui permettrait de mieux concilier les objectifs de rendement, de croissance et de maîtrise des inégalités. Notre conclusion centrale est que la fiscalité du capital peut devenir en France un levier de croissance et d'emploi, mais qu'il ne suffit pas pour cela de se contenter de simples aménagements. C'est le logiciel d'ensemble qui doit être réécrit. Pour la partie de la fiscalité du capital qui grève actuellement les coûts de production et qui pèse sur la compétitivité française, la seule voie est l'allège ment, selon une démarche similaire à celle qui a été engagée pour les coûts du travail. Pour la partie qui relève des ménages, une simplification drastique s'impose. La double imposition progres sive des revenus du capital conduit aujourd'hui à une triple anomalie: des taux marginaux d'imposition aberrants, une multi plication de régimes dérogatoires et un enchevêtrement de règles qui permettent à de très gros patrimoines d'échapper à l'impôt en toute légalité. Elle devrait être remplacée par une imposition de tous les revenus du capital à un taux unique en regroupant en un seul prélèvement l'impôt sur le revenu, les prélèvements sociaux et l'imposition du patrimoine, avec en contrepartie le remplacement Introduction 1 9 de tous les régimes d'exception devenus inutiles par une franchise exonérant les petits revenus du capital, régime qui serait plus favo rable pour eux que les exemptions actuelles. Il serait souhaitable à terme de réduire le poids de ces impôts, mais les changements de structure proposés peuvent être opérés dans un premier temps à enveloppe de recettes constante. La fiscalité du capital deviendrait ainsi plus transparente, beaucoup plus simple, plus juste et plus efficace pour la croissance. Au lieu de brider l'activité et de peser sur l'emploi, elle deviendrait un levier de baisse du chômage.