L’IMAGE DANS LA PENSÉE ET L’ART AU MOYEN ÂGE RENcONTRES MÉDIÉvALES EUROPÉENNES Volume 6 ce volume est le sixième d’une collection intitulée Rencontres médiévales européennes, publiée par l’association Rencontres médiévales européennes dont le conseil scientifique est ainsi constitué : M. Jean-Pierre Babelon, membre de l’Institut Mme Monique cazeaux, conservateur honoraire à la Bibliothèque natio- nale de France Mme Annie cazenave, Ingénieur au c.N.R.S. M. Philippe contamine, membre de l’Institut M. Olivier cullin, Professeur à l’Université de Tours M. Alain Erlande-Brandenburg, conservateur général du Patrimoine, Directeur du Musée national de la Renaissance Mme Françoise Gasparri, Directeur de recherche au c.N.R.S. M. Édouard Jeauneau, Professeur à l’Institut Pontifical de Toronto M. Jean Jolivet, Directeur d’études honoraire à l’Ecole Pratique des Hautes Études M. Jean Leclant, Secrétaire perpétuel de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres M. Michel Lemoine, Ingénieur honoraire au c.N.R.S. M. Alain Michel, membre de l’Institut M. Edmond Pognon, conservateur en chef honoraire à la Bibliothèque nationale de France M. Dominique Poirel, Ingénieur de recherche au c.N.R.S., attaché à l’I.R.H.T. M. Emmanuel Poulle, membre de l’Institut Mme Anne Prache, Professeur émérite à Paris Iv – Sorbonne M. Pierre Riché, Professeur émérite à Paris X – Nanterre M. Jacques verger, Professeur à l’Université Paris Iv – Sorbonne, corres- pondant de l’Institut de France, Académie des Inscriptions et Belles- Lettres M. Michel Zink, membre de l’Institut L’image dans la pensée et l’art au Moyen Âge colloque organisé à l’Institut de France le vendredi 2 décembre 2005 par l’Association ‘Rencontres médiévales européennes’ présidée par Monique cazeaux avec Kristina Mitalaité, Michel Lemoine, le P. Jean Longère, Max Lejbowicz, Alain Michel, Annie cazenave, Françoise Gasparri, Alain Erlande-Brandenburg, Olivier cullin sous la présidence de Pierre Riché et d’Anne Prache Actes édités par Michel Lemoine sous le patronage de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres F 2006 © 2006 FHG – Turnhout (Belgium) All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechan- ical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. D/2006/0095/116 ISBN 978-2-503-52421-4 Sommaire SÉANcE DE LA MATINÉE Sous la présidence de Pierre Riché Professeur émérite à l’Université de Paris X Monique cazeaux, conservateur honoraire à la Bibliothèque Nationale de France Introduction p. 7 Kristina Mitalaité, Docteur ès lettres La double controverse des Libri carolini avec Rome et les Grecs p. 9 Michel Lemoine, Ingénieur de recherche honoraire au cNRS Théologie et philosophie de l’image p. 27 P. Jean Longère, Directeur de recherche honoraire au cNRS Guillaume Durand : Rationale divinorum officiorum p. 41 Max Lejbowicz, Docteur en Philosophie Les lois de l’optique et les pratiques picturales (xiiie-xive siècles) p. 63 SÉANcE DE L’APRÈS-MIDI Sous la présidence d’Anne Prache Alain Michel, Membre de l’Institut L’image : parole, connaissance et beauté p. 81 Annie cazenave, Ingénieur de recherche au cNRS Image, forme et couleur p. 93 Françoise Gasparri, Directeur de recherche au cNRS Le programme iconographique de Saint-Denis p. 115 Alain Erlande-Brandenburg, conservateur général honoraire du Patrimoine L’image et le culte des reliques p. 135 Olivier cullin, Professeur à l’Université de Tours, cNRS L’image-musique : représenter et lire le son (xiie siècle) p. 161 Index de noms des personnes p. 171 Introduction Depuis l’an 2000, nous tenons régulièrement chaque année un col- loque et, si vous suivez nos travaux, vous aurez pu constater qu’avec constance nous tournons autour de l’approfondissement de l’art et de la liturgie au Moyen Âge, principalement aux xiie et xiiie siècles et que ce sont les différentes composantes de la pensée religieuse que nous cherchons à cerner. Qu’il nous soit permis de préciser que c’est l’originalité de notre civilisation européenne dont nous tentons de dégager l’importance. c’est l’œuvre d’une équipe d’hommes de scien- ces pluridisciplinaires, car il serait aberrant d’étudier une époque aussi complexe et foisonnante d’idées que le Moyen Âge sous l’angle d’un seul axe de recherche. vous pourrez constater aussi qu’est sous- jacente, dans l’esprit de chacun d’entre nous, l’idée que nous n’exhu- mons pas du passé une culture morte. Elle est – sous des formes di- verses – encore présente à notre époque et il serait criminel de priver la société actuelle de la plupart de ses points de repères. Je le dis avec d’autant plus de force que le sujet traité aujourd’hui nous permettra de constater la décadence qui existe entre hier et maintenant. L’image pour l’image, c’est un produit du xxie siècle. Nous vivons dans un tourbillon de représentations visuelles. certains individus sont dé- cervelés par ce matraquage qui les agresse à toute heure, en tous lieux. Et que dire du déluge que nous offre la télévision ? Les individus subissent, et pensent de moins en moins. Nos an- cêtres, eux, se donnaient le temps de réfléchir à une signification de l’image avant de lui donner forme. c’est pourquoi, l’image religieuse médiévale nous frappe autant, non seulement par son côté esthétique, mais parce qu’elle est lourde de spiritualité et de sens. Aujourd’hui, il est bon de mettre à l’honneur l’esprit du Moyen Âge qui donnait ainsi aux hommes la conscience d’appartenir à une même société, car ils savaient que, derrière chaque image, cette histoire était la leur. Monique cazeaux Président de Rencontres médiévales européennes Monique cazeaux M. Pierre Riché. — Je vous remercie de cette introduction. Puisque nous parlons des Libri carolini, je vais commencer par faire quelques réflexions d’ordre politico-religieux. vous savez que l’empereur byzantin Léon iii, en 726, a interdit la représentation des images dans les lieux saints. On a discuté des raisons pour lesquelles il l’a fait, soit l’influence de l’Islam, soit sous celle du judaïsme, soit en raison de la toute puissance du monachisme. Grégoire ii a réagi et a adopté la position de l’Église romaine depuis Grégoire le Grand, à savoir que les images servent à l’instruction des fidèles. c’est alors que le pape Grégoire ii s’est tourné vers l’Occident, ce qui est très important pour la suite de l’histoire de l’Église. Le concile de Hiera qui a été réuni par constantin, le successeur de Léon, est contemporain du voyage d’Étienne ii en France, qui fut la première fois où un pape passait les Alpes et qui se termina par l’alliance entre les Francs et la papauté et, par la suite, par la constitution de l’État pon- tifical. Après la restauration du culte des images au concile de Nicée ii (77) charlemagne fait rédiger les Libri carolini dont il va être question tout à l’heure, à partir malheureusement d’un texte mal traduit, si bien qu’il confond le culte des images et l’adoration des images. Il revient sur ce sujet en 794 (les Libri carolini datent de 791), au concile de Francfort. ce concile est très important, parce qu’il est, me semble-t-il, une sorte de réplique du concile de Nicée ii, et parce que charlemagne, déjà, pense à la dignité impériale. D’ailleurs, on en a des indices, puisqu’il est question d’empire des Francs, que le palais d’Aix-la- chapelle, qui est construit à cette époque-là, est en correspondance avec ce- lui de constantinople, et que le monogramme de charlemagne correspond à celui des empereurs byzantins. Le concile de Francfort, qui avait été organisé contre l’adoptianisme, dit expressement : « nous méprisons absolument cette adoration et ce respect, et nous les condamnons d’un commun accord. » La double controverse des Libri Carolini avec Rome et les Grecs Kristina Mitalaité Quand le pape Hadrien I envoya la traduction latine des actes de Nicée II à charlemagne vers 790-7911, il avait mal calculé la réaction du roi franc et de son entourage. ce qui aurait dû n’être qu’une mise au courant routinière concernant les affaires de l’Église s’avéra, aux yeux de charlemagne et de ses conseillers, un outrage à la foi ortho- doxe. Après avoir attentivement lu le document, ils composèrent un Capitulare2 recensant les erreurs grecques en quatre-vingt quatre chapitres. ce document fut porté à Rome par Angilbert, chapelain du palais et proche de charlemagne. Pendant ce temps, Théodulphe rédigeait une volumineuse réfutation intitulée Opus Caroli Magni contra synodum, autrement connue de nous sous le nom de Libri Carolini. cette œuvre a déjà été éditée à deux reprises dans la collec- tion des Monumenta Germaniae historica4. Elle a plutôt été considérée par ceux qui s’y sont intéressés comme un pamphlet politique contre les empereurs grecs, comme une pièce historiographique, mais jamais comme un traité concernant directement les images et encore 1 Sur la chronologie de la réception des actes de Nicée II et sur la rédaction des Libri Carolini, voir A. Freeman, « carolingian Orthodoxy and the Fate of the Libri Carolini », Viator 16 (1985), p. 65-108. 2 Le Capitulare n’est parvenu jusqu’aux nous que dans la réponse d’Hadrien I : Epistolae, MGH, Epist. v, éd. E. Dümmler, Berlin, 1899, p. 3-57. La numérotation du Capitulare le divise en deux parties : après le chapitre 60, elle recommence à 1. 4 Libri Carolini sive Caroli Magni capitulare de imaginibus, éd. H. Bastgen, mgh, Concil. ii, Supplem. 1, Hanovre, Leipzig, 1924. Réédité par A. Freeman, collab. P. Meyvaert, Opus Caroli Magni contra synodum (Libri Carolini), MGH, Concil. ii, Supplem. 1, Hanovre, Leipzig, 1998. Kristina Mitalaite moins les icônes5. De fait, dans les Libri Carolini, la question du caractère sacré et l’adoration des icônes va de pair avec le concept imaginal théologique grec de l’Empire auquel tiennent les partici- pants de Nicée II. ce concept rapproche l’image de l’empereur de celle du christ, faisant ainsi écho au concept eusébien. Théodulphe lui oppose le concept biblique de royauté basé sur la figure de David, pseudonyme de charlemagne6. Dans notre thèse de doctorat, nous avons essayé de démontrer que les Libri Carolini sont tout d’abord un traité systématique contre la sacralisation des images qui vise l’essence théologique et philoso- phique de l’icône7. Il serait impossible de résumer ici le faisceau com- plexe des arguments que développe Théodulphe. Nous nous proposons donc de présenter seulement quelques-uns des problèmes concernant le Capitulare et les Libri Carolini. Nous envisagerons tout d’abord ce traité dans le contexte histo- rique et politique de la tradition latine concernant les icônes et les images. Quand nous parlons de la tradition latine, nous pensons tout d’abord à deux conciles romains, ceux de Rome (en 731) et de Latran (en 769)9, puis à la rencontre de 767 entre les Grecs iconoclastes et les Francs, à Gentilly. D’après une indication des Annales Royales, lors de cette dernière rencontre, les deux parties discutent la question des images10. Sous le pontificat de Grégoire III, le premier concile 5 Sans multiplier les références, mentionnons ici deux études, les plus importantes, concernant les Libri Carolini sous l’angle historiographique et politique : M. Mccormick, « Textes, images et iconoclasme dans le cadre des relations entre Byzance et l’Occident carolingien », dans Testo e immagine nell’alto Medioevo (Settimane di Studio del centro Italiano di Studi Sull’Alto Medioevo xli) (15-21 avril 1993), t. 1, Spolète, 1994, p. 95-158 ; Th. F. X. Noble, « Tradition and Learning in Search of Ideology : the Libri Carolini », dans R. Sullivan (éd.), « The Gentle Voices of Teachers ». Aspects of Learning in the Carolingian Age, columbus, 1995, p. 227-260. 6 Sur cette question, nous nous permettons de renvoyer à notre thèse de doctorat La théologie et la philosophie de l’image artificielle dans les Libri Carolini, t. 2, Thèse de doc- torat soutenue à l’École Pratique des Hautes Études, 2004. 7 voir la note précédente. Sur ce concile, voir W. Hartmann, Die Synoden der Karolingerzeit im Frankenreich und in Italien (Konziliengechichte), Paderborn, p. 40-41. 9 Concilium Romanum, éd. A. Werminghoff, MGH, Concil. II, 1, Hanovre, 1906, p. 74-92. W. Hartmann, Ibid., p. 84-87. 10 Annales regni francorum, éd. F. Kurze, MGH, Script. rer. germ., Hanovre, 1895, p. 24. 10
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