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Lib 233 ration - 31 10 2020 PDF

48 Pages·2020·36.55 MB·English
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3,00 € Premiére édition. Ne 12253 SAMEDI 31 OCTOBRE ET DIMANCHE 1° NOVEMBRE 2020 wwwliberation.fr tg cRUSIY Brown (le Chris Ware, i Cheeur al ourage ET AUSSI NOS PAGES MUSIQUE, LIVRES, FOOD... PAGES 23-47 MONSIEUR TOUSSAINT LOUVERTURE Paroles de profs avant une rentree a part TEMOIGNAGES, PAGES 16-20 Crise sanitaire: les libraires ITINERAIRE — Les ouvriers, De la Tunisie a la France, en passant par I'Italie, «Libération» bastion deserte a enquété sur la sombre eporiolrs de Brahim A. quia tué par Trump trois personnes jeudi dans la basilique Notre-Dame. acess REPORTAGE, PAGES 6-9 (PUBLICITE) 1 4.1 0 . 2 ) 2 0 Trocadero Pas a pe mit Eu Toei) See Pia C H R @) N | Q U ES En co-production avec HMsHM citedelarchitecture.fr PETER VAN AGTMAEL. MAGNUM PHOTOS, IMPRIME EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 3,70 €, Andorre 3,70 €, Autriche 4,20 €, Belgique 3,00 €, Canada 6,70 $, Danemark 42 Kr, DOM 3,80 €, Espagne 3,70 €, Etats-Unis 7,50 $, Finlande 4,00 €, Grande-Bretagne 3,00 £, Gréce 4,00 €, Irlande 3,80 €, Israél 36 ILS, Italie 3,70 €, Luxembourg 3,00 €, Maroc 33 Dh, Norvége 46 Kr, Pays-Bas 3,70 €, Portugal (cont.) 4,00 €, Slovénie 4,10 €, Suéde 40 Kr, Suisse 4,70 FS, TOM 600 CFP, Tunisie 8,00 DT. Zone CFA 3 200 CFA. Par DOV ALFON Archetype Leurs parents sont toujours sur- pris, leurs amis toujours incré- dules, leur foi toujours nouvelle. Brahim A., le terroriste quia sauvagement assassiné un sa- cristain et deux paroissiennes dans la basilique de Nice, n’est pas différent de celui qui a déca- pité deux semaines plus tét Sa- muel Paty, un professeur d’his- toire devenu symbole, nide celui quia plongé la France en mars 2012 dans cette nouvelle vague de terrorisme islamiste en assassinant a Toulouse et Mon- Libération Samedi 31 Octobre et Dimanche 1° Novembre 2020 tauban sept personnes, dont quatre enfants. Notre enquéte sur le parcours de Brahim A., de la Tunisie a la France en passant par|'Italie, démontre qu’il est l’archétype du raté devenu jiha- diste pour exister. Il a grandi dans une maison inachevée au double sens du terme, vivotant de petites combines dans une banlieue trés pauvre d’une ville trés riche. Déscolarisé trés jeune comme le Tchétchéne Ab- doullakh Anzoroy, il est devenu mécanicien comme Mohammed Merah était apprenti carrossier. Combien y en a-t-il comme eux sur le sol frangais, révant d’un paradis dont ils savent sans doute qu’il ne recéle aucune vierge? Des milliers sans doute. C’est bien pour cela que contrer ce «jihadisme des pauvres» avec des mesures populistes de bas étage ne fera qu’en agrandir I’at- trait. Le gouvernement doit avant tout éviter le piége que lui tend l’ennemi: il lui faut dégon- fler la dialectique de guerre de religions, refuser l’amalgame entre l’islam et l’islamisme et empécher la glorification de Yacte terroriste en le ridiculisant et en lui opposant des modéles francais de paradis terrestre ou- verts 4 tous, y compris aux mu- sulmans. Le tout-sécuritaire comme solution miracle n’est pas compatible avec notre dé- mocratie, et son efficacité serait de toute facon bien plus faible. Lautre solution miracle, qu’on a pu entendre hier chez certains, consisterait a limiter la liberté d’expression pour apaiser les fous du jihad. Elle témoigne d’un désarroi et d’un découragement certes compréhensibles, mais elle se- rait tout aussi minable que les réves des terroristes qu'elle pré- tend combattre. > De Stan a Nice, le parcours fanionratique p Brain Du quartier Ennasr a Sfax, oti il était connu de la justice, a la basilique Notre-Dame ot il a tué trois personnes, le jeune Tunisien a transité par le systeme migratoire italien, échappant a une procédure dexpulsion. Le doute demeure sur le moment ou il a décidé de passer a Iacte terroriste. Devant la maison des parents de I’assaillant de Nice, Brahim A., Par MATHIEU GALTIER Envoyé spécial 4 Sfax (Tunisie) et ERIC JOZSEF Correspondant en Italie algré les nombreuses zones d’ombre qui entou- rent toujours l’enquéte sur leterrible attentat, jeudi, de la basi- lique de Nice, le profil et le parcours du jihadiste se précisent peu a peu. Arrivé en France il y a seulement quelques jours, et en Europe a peine un mois plus tét, Brahim A. vivait 4 Sfax, en Tunisie, oti Libération apu rencontrer sa famille, déchirée entre tristesse et sidération. «Nous ne sommes pas des salafistes ! jure sa mere. Nous sommes une famille bien.» Le pére et les enfants - Bra- him avait sept ou huit sceurs (se- lon les versions) et deux fréres- se montrent. Chacun 4 leur tour, ils décrivent un jeune homme qui avait donné le sentiment d’avoir retrouvé le droit chemin depuis un peu plus de deux ans, allant a la mosquée sans étre un fondamentaliste. «A 20 heures, il était toujours ala maison pour le diner, ensuite il allait prier pour Isha (la derniére priére de la journée, ndilr], puis il allait au café avant de se coucher. Il wemme- nait jamais damis ici», détaille sa mére. La journée, il la passait dans le garage de motos dans lequel il travaillait comme mécanicien pour 300 dinars par mois (93 euros). Une vie en apparence réglée qui faisait suite 4 des années d’errance, ou alcool et le cannabis remplagaient les repas et la fréquentation de la mosquée sans histoire du quartier. CONTREBANDE Sile fils attentionné que décrit sa mére n’avait pas averti ses parents de son départ pour l’Europe, «il nous appelait tous les soirs pour nous dire que tout allait bien. En Italie [aprés sa quarantaine], il avait travaillé dans les oliviers. Il était arrivé en France le mercredi soir. Ila dit qu’il allait dormir de- hors, a cété d’une église dans un carton, mais que le lendemain il avait rendez-vous avec des amis pour un travail», précise Ali, un de ses cousins a l’oeil droit crevé, qui rvarrive toujours pas 4 imaginer Brahim en tueur de sang-froid. A Yentendre, son petit-cousin était clean mentalement - il n’était pas embrigadé- et physiquement - il ne touchait plus a rien. Tout juste concéde-t-il qu’il avait quitté son boulot de mécanicien dans le ga- Libération Samedi 31 Octobre et Dimanche 1” Novembre 2020 www.liberation.fr @ facebook.com/liberation © @libe 3 rage de motos pour celui, plus lucratif, de vendeur d’essence de contrebande: un job beaucoup plus rémunérateur et un must pour les jeunes du quartier populaire d’En- nasr, dans les faubourgs de I’ex- tréme sud de ’opulente ville indus- trielle de Sfax, 4 250 kilométres au sud de Tunis. La, les habitants grappillent les restes de la richesse de la cité por- tuaire: les rues sont des succes- sions de nids-de-poule, quand elles ne sont pas en terre rocailleuse. Les commerces sont essentielle- ment des garages pour les camions qui vont et viennent du port com- mercial de la ville, sur la route de Gabés qui borde Ennasr. Travailler dans l’essence venue de Libye tient du plus sGir moyen de se sortir rapi- dement de la misére. Le pére de Brahim, Mohamed, se présente pu- diquement comme gardien tandis que le voisinage le décrit comme unch6émeur avec, pour tout moyen de subsistance, deux moutons et des cogs. La maison familiale inachevée, comme la plupart dans les alen- tours, et son escalier extérieur com- posé de simples briques maconnées ala va-vite suffisent a se faire une idée de la pauvreté de la famille. vendredi a Sfax (Tunisie). PHOTO FETHI BELAID.. AFP Originaire de Bou Hajla, petite com- mune dans la région de Kairouan, le pére espérait en arrivant dans l’opu- lente Sfax, 4150 kilometres au sud, il y a vingt ans, offrir un meilleur avenir 4 ses nombreux enfants, dont Brahim, alors 4gé d’un an. Mais ce dernier, rapidement déscolarisé 4 ses 11 ans, est tombé dans la facilité. Un ami raconte ainsi qu’il a été ar- rétéen 2016, alors qu’il était encore mineur, pour une bagarre dans le quartier. La justice tunisienne, citée par I’AFP, qui a également ouvert une enquéte, indique qu'il avait des antécédents judiciaires de droit commun, de violence et de drogue. Il y a deux ans, selon sa famille, ilaurait cherchéa se reprendre en main. Avant, constatant le manque de débouchés professionnels, de tenter l’'aventure européenne. C’est du moins le portrait dressé par ses proches. TRAVERSEE Mais quelques métres plus loin, un tout autre Brahim se dessine: «Le soir de lAid [qui célébre la fin du ramadan, fin mai cette année], on fumait et buvait ensemble», révéle un voisin. De l’autre cété de la route de Gabés, en face de la mos- quée, se dresse le café Ennasr, un temps repaire de Brahim: «II est comme nous, Brahim, un jeune Tu- nisien pauvre. Il révait d’Europe, comme nous tous. Et puis il aimait les filles et la vitesse. Ily a six mois, je Vai croisé sur une moto avec une prostituée», assure un fidéle du café Ennasr qui précise ne plus avoir vu réguliérement dans I’éta- Le parcours le assalltant blissement depuis au moins un an. Que cache ce subit accés de reli- giosité depuis deux ans? Méme ses amis de virée confirment qu'il fai- sait désormais ses priéres -sans avoir abandonné le reste. Personne a Ennasr n’est capable de donner une explication. Mais son pére est catégorique, la réponse n’est pas a chercher du cété d’une radicalisa- tion progressive: «Macron, Char- lie Hebdo, les caricatures, il ne connaissait rien de tout ¢a. Il ne par- lait pas francais, il na pas été beau- coup a l'école. Il n'était pas devenu plus religieux les derniéres semaines avant son départ. Au téléphone, apres son départ, il ne parlait pasde religion.» Encore une fois, ses amis décrivent un jeune homme légére- ment différent, moins naif. Cest Brahim lui-méme qui aurait été le carburant de son départ pour l’Italie. Au sens propre: c’est l’es- sence issue de son commerce illicite quia permis au bateau de traverser la Méditerranée. Selon des proches, il aurait embarqué avec 16 autres jeunes d’Ennasr et des quartiers en- vironnants. II ne s’agissait donc pas d'un départ organisé par une filiére mais d’une décision entre amis et connaissances rendue possible par la ruse du jeune homme. Brahim A. débarque donc sur I‘ile de Lampedusa le 20 septembre, au milieu d’une vingtaine de petites embarcations en provenance de Tu- nisie. A son arrivée, le jeune homme décline son identité aux autorités, quil’accusent d’entrée illégale sur le territoire italien mais ne consta- tent rien d’inhabituel. Il est d’abord placé dans la structure pour mi- HONGRIE CROATIE BOSNIE- ZEGOVINE grants de l’ile, oti s’entassent déja plus d’un millier de personnes, avant dtre transféré 4 Porto Empe- docle, prés d’Agrigente, ott il est em- barqué sur le Rhapsody, un navire envoyé en Sicile par le ministére ita- lien de I’Intérieur afin de déconges- tionner les centres de rétention en période de Covid. Le 23 septembre, avec 805 migrants a bord, le Rhap- sody prend la mer, direction Bari, dans les Pouilles. Selon le quotidien Il Corriere della Sera, qui se base sur plusieurs témoignages, Brahim A., durant cette traversée, passait son temps au téléphone et disait qu’il voulait «aller en France, ott il avait de la famille». Le 8 octobre, 4!’issue de la quarantaine en partie gérée a bord par la Croix-Rouge et aprés un test Covid négatif, une photo didentité et la prise de ses em- preintes digitales, il est autorisé a descendre du navire. DISPARITION Litalie dispose d’un accord de réad- mission des clandestins avec la Tu- nisie. Sur les neuf premiers mois de l'année, prés de 500 personnes ont été renvoyées de l’autre cété de la Méditerranée immédiatement aprés leur arrivée. Mais la pandémie du coronavirus a compliqué ce pro- cessus, alors méme que le nombre de départs depuis le pays africain est en trés forte augmentation sous effet de la crise économique, so- ciale et sanitaire. «La priorité est donnée a ceux qui ont des antécé- dents judiciaires, qui ont été signalés par les services de police ou l'antiter- rorisme ou bien les récidivistes qui ont tenté plusieurs fois de pénétrer en Italie», indique-t-on au minis- tére de I’Intérieur 4 Rome, ot l'on précise que «Brahim A., lui, niavait jamais été signalé par les autorités ni méme par les services de rensei- gnement tunisiens». Dans ce contexte, et faute de places disponibles au centre de rapatrie- ment de Bari, la préfecture locale lui ordonne de quitter le territoire ita- lien sous sept jours. Sa derniére trace a Bari remonte au 9 octobre. Comment a-t-il rejoint ensuite la France? A-t-il remonté la péninsule en train pour Vintimille, ville fron- taliére, comme la plupart des mi- grants? Avait-il des contacts voire des complices en Italie? Dans la pé- ninsule, le parcours du terroriste provoque en tout cas une vive polé- mique. Lextréme droite demande la démission de la ministre de I’In- térieur, Luciana Lamorgese. «Cest un terroriste islamiste qui a débar- qué a Lampedusa le 20 septembre, qui a été mis sur un bateau a Pa- lerme puis emmené a Bari 4 nos frais. Le 9 octobre, on l’identifie, on le salue et puis il sen va», s'est insurgé le leader de la Ligue, Matteo Salvini. En France, oul Brahim A. était égale- mentinconnu des services de ren- seignement, les enquéteurs s’échi- nent désormais a déchiffrer les deux téléphones trouvés sur lui, afin notamment de déterminer si le jeune homme a pu bénéficier de complicités avant son passage a Yacte. Grievement blessé lors deson interpellation, il est toujours hospi- talisé a Nice. A Nice, jeudi. PHOTO ARIE BOTBOL. Libération Samedi 31 Octobre et Dimanche 1° Novembre 2020 HANS LUCAS A Nice, les catholiques en plein cauchemar Les fidéles qui connaissaient les deux victimes essaient de mettre des mots sur ce qu'ils ressentent. ecuré Gil Florini se tient seul, L au centre de la nef vide, dans cette imposante église en pierres blanches oti cohabitent ceuvres pieuses et peintures de tétes de mort ailées de l’artiste Moya. Les bancs de bois sont désormais ornés de rubalise anti-Covid. Saint-Pierre d’Aréne est fermée «suite attentat», comme dit la pancarte. Pour autant, le doyen des prétres du centre de Nice n’a pas le loisir de souffler. Té- léphone en main, il tente de gérer londe de choc aprés I’assassinat, jeudi, de trois personnes dans la ba- silique Notre-Dame, 4 quelques centaines de metres. Ce matin-la, 4 9h 04, juste aprés l’attaque au couteau perpétrée par un Tunisien de 21 ans, le chefdela police -qu’il connait bien - l’ap- pelle: «Il y a un attentat a Notre- Dame, ferme ton église.» Les portes de Saint-Pierre d’Aréne se rabattent alors pour deux jours. Pétrifiés. «Un emmerdeur». C'est ainsi que se décrit d’emblée Gil Flo- rini. I] faut dire qu'il détonne dans le paysage religieux, ce curé proche du maire de Nice, Christian Estrosi (LR), qui bénit chaque année des animaux (dont des panthéres) pour la Saint-Francois, ainsi que des télé- phones portables («les moyens de communication, pas les ondes», pré- cise-t-il) eta méme créé la marque «Pastis de Nice». «Ca ne plait pas a tout le monde... reconnait-il avec davantage de gourmandise que de regrets. On fait tout ca pour faire comprendre aux gens quon a le droit de ne pas étre d‘accord avec quel- qu'un, méme de lui filer des beignes, mais que cette personne a le droit dexister. Une démarche qui a encore plus de sens aujourd’hui.» Quatre ans plus tdt, Gil Florini apassé la nuit du 14 juillet 4 récon- forter ses paroissiens ayant fui la promenade des Anglais, lors de I’at- tentat quia fait 86 morts —«je navais jamais fait boire autant dalcool a des pompiers», tente-t-il de plaisanter. Désormais, il al’impression de revi- vre un mauvais film, pendu a son téléphone, écoutant a la fois fidéles paniqués et membres du clergé pé- trifiés. Peur du virus, peur du terro- risme, peur de cette effroyable colli- sion des violences contemporaines. Ily ace curé de 89 ans qui vit prés de Notre-Dame et n’ose plus sortir, ceux qui voudraient que l’on ferme toutes les églises, et surtout Fran- klin Parmentier, le prétre de la basi- lique meurtrie, qui a pris ses fonc- tions le 1e* septembre seulement, et «est totalement décomposé>. Gil Flo- riniles apaise, leur répéte que «si on sarréte de vivre, on leur donne rai- son [aux terroristes}». Au point d’en oublier parfois de «calmer [s] a pro- pre peine». «Généreuse». «Priez pour ma Soeur», amurmuré l'une des voix du téléphone, jeudi trés tard. Ila fallu quelques minutes au prétre pour réaliser qu’elle parlait de Simone, de «la dréle et exubérante» Simone, lune de ses fidéles. Fervente catho- lique, cette derniére s’était inscrite au programme «Des étoiles et des femmes» animé par la paroisse, en partenariat avec des grands restau- rants, pour aider des personnes en situation d’exclusion. Mere de trois enfants, d’origine bré- silienne, elle a succombé jeudi ma- tin ses blessures apres s‘étre réfu- giée dans un restaurant en fuyant Yassaillant de la basilique. Contactée par Libération, Myriam, une amie de promotion de Simone Barreto Silva, se souvient d’une femme qui «gardait pour elle ses difficultés per- sonnelles» et était aussi engagée dans une association de maraudes. Myriam décrit joliment: «Elle était aussi généreuse dans la vie que dans sa cuisine. Elle ne faisait pas dans la finesse, pas dans les petites affaires. Il lui fallait une grande marmite.» Simone avait 44 ans, elle venait de terminer un stage d’un an au cété du chef Eric Brujan, dans les cuisines de l’hétel Le Méridien, avec vue grandiose sur la baie des Anges. Ce dernier a appris la nouvelle ce vendredi matin, «par la gouver- nante». Dans la salle de restaurant vide, il évoque avec émotion cette cuisiniére «ponctuelle, pleine de joie de vivre et d’humour» qui venait tous les jeudis et vendredis. Simone chantonnait en dressant les hors-d’ceuvre lors des banquets, ra- menait des plats brésiliens a parta- ger et ne pouvait pas appliquer une consigne sans se marrer. Forcément, tout le monde l’adorait. Surtout Ab- doulaye Diallo, le chef de partie, qui ceuvrait a ses cétés. Elle révait d’ou- vrir son propre restaurant, achetait déja plein d’ustensiles et «avait méme commenceé a travailler a son compte, a faire de la cuisine chez les gens quand ils avaient des fétes», se souvient-il. Et de glisser: «C'est la premiere fois de ma vie que quel- qu'un meurt dans des circonstances pareilles...» Sur les photos conser- vées par ses proches, Simone Bar- reto Silva apparait souvent avec sa toque de cuistot et un sourire d’un blanc aussi éclatant que sa blouse. «Lien». Vincent Loqués sourit lui aussi, sur le cliché posé devant la ba- silique Notre-Dame, au milieu des bougies et des gerbes commémorati- ves. En tee-shirt, il prend la pose de- vant cette lourde porte qu'il ouvrait chaque matin, avec la régularité d’un métronome, a 8h30. Le sacris- tain, aurait eu 55 ans ce vendredi, évoque tristement Jean-Louis Gior- dan, l’ancien prétre de Notre-Dame, aujourd’huia la retraite. «C était un brave garcon, plein de dynamisme et costaud. On a di Vattaquer par der- riére», imagine-t-il, le regard perdu dans les souvenirs. Pére de deux filles, l'une infirmiére, Yautre puéricultrice, homme quia été sauvagement tué au cours de Yattaque de jeudi, était tres appré- cié, «considéré comme un véritable lien» dans cette église du centre- ville qui départage géographique- ment d’un cété des communautés tchétchénes et nord-africaines et, de lautre, celle cap-verdienne. Celui qui avait été macon puis embauché dans une autre paroisse de Nice, restait depuis six ans aux petits soins de Notre-Dame. «Il accueillait les gens, allumait les bougies, prépa- rait Vautel, explique Laura, une fi- déle de la paroisse. II faisait tout.» Un véritable factotum, aidant au ménage, aux petits travaux et ala préparation de la messe. Dans un petit bureau de la sacristie de l’église du Gest, située dans une petite rue du Vieux-Nice, le prétre Frédéric Sanges (qui officie égale- ment & Notre-Dame) s‘exprime avec pudeur. Il a souvent cétoyé le sa- cristain, se remémore tristement que ce dernier «avait méme com- mencé @ cuisiner pour son anniver- saire» et que, «pour une fois, il voulait prendre quelques jours de vacances pour aller a Saint-Etienne- de-Tinée». Un village du haut-pays nicois dont il était originaire. Quant ala troisieme victime, dont lidentité n’est pas encore connue, le prétre qui se trouvait devant No- tre-Dame au moment des faits croit savoir qu'il s'agit d’une vieille dame «sans téléphone portable ni papiers sur elle». Officiant dans la basilique depuis le mois d’aoiit, Frédéric Sanges a pu y pénétrer, 4 nouveau, au lendemain de l’attaque. La ou les fidéles se pressent d’ordinaire pour les mes- ses de La Toussaint et Paques, il ne reste plus que les vestiges d’une scéne de crime foulée par les ex- perts de la police scientifique et les chiens démineurs. Le lieu porte en- core des stigmates béants malgré le nettoyage en cours. «Ils ont défoncé toutes les portes, relate Frédéric Sanges. Aprés avoir vérifié les piéces, les sous-sols et les combles, ils ont Libération Samedi 31 Octobre et Dimanche 1” Novembre 2020 www.liberation.fr @ facebook.com/liberation © @libe écrit “Clean 0” en gros sur les en- trées.» Le prétre, décrit aussi le mo- bilier dégradé, les statues et les vi- traux cassés, l’orgue possiblement détérioré par les bombes assourdis- santes du Raid, mais surtout pense en permanence a ses «fidéles morts en martyrs a cause de leur foi». Depuis l’attentat, des policiers pa- trouillent en bas de son apparte- ment pour assurer sa sécurité, tan- dis que lui tente de rassurer ses paroissiens «qui ont peur» et «sont encolére contre de l’Etat et la com- munauté musulmane car les amal- games sont vite faits». Latemporalité de l’attentat a pris de court la communauté catholique. Les préoccupations sur une possible fatwa lancée par Al-Qaeda contre la France portaient plutot sur le jour de la Toussaint qui faisait l’objet de consignes particuliéres des autori- tés. «On a sous-estimé le fait que, jeudi, c'était lanniversaire du pro- phéte Mahomet, soupire Gil Florini. De toute facon, ca naurait rien changé. Sur les images de vidéosur- veillance, on voit juste un homme avec un sac a dos et des baskets en- trer dans l'Eglise. Personne n‘aurait puse méfier.» Les prétres nigois ai- meraient qu’une grande messe soit organisée dimanche 4 Notre-Dame, méme au milieu des vitraux brisés et des portes abimées. Leur espoir: réussir a «resacraliser» ce lieu au- jourd’hui dévasté. JULIE BRAFMAN et MATHILDE FRENOIS (a Nice) Des appels a la vengeance venus d’extréme droite Depuis l'attaque de Nice, les réseaux identitaires bruissent dincitations a la riposte et ala «guerre de libération nationale». ne dizaine d’individus, des fumigénes J et une banderole faite 4 la va-vite qui clame: «Décapitons la République.» Le soir méme de I’attentat a Nice quia fait trois vic- times jeudi matin, des militants de l’Action francaise se sont réunis place de la Concorde a Paris pour dénoncer «cette République corrom- pue» qui serait selon eux «complaisante avec nos ennemis». «Si toi aussi tu refuses de mourir sans te battre, rejoins-nous», enjoint le mouvement royaliste dans un tweet revendiquantl’action. Templiers. Sur le site de Jeune Nation, avatar numérique du mouvement pétainiste de l’uvre francaise dirigé par Yvan Benedetti, on s‘interroge pour savoir si l’attentat islamiste de Nice n’est pas le prélude a «la guerre de libéra- tion nationale», comme Ia repéré Isabelle Kersi- mon, de l'Institut de recherches et d’études sur les radicalités politiques, religieuses et sociétales (Inrer). Car sur les réseaux sociaux de l’extréme droite, c'est bien de guerre qu'il est question, en- core une fois, depuis l’attaque a Nice. De celle que nous ménent les organisations jihadistes et de celle qu’il faudrait mener, selon la mouvance, «en représailles» contre les musulmans. Dans les heures qui ont suivi l'attentat, on trouvait ainsi des appels a la vengeance dans les com- mentaires de la chaine Telegram de Damien Rieu, collaborateur parlementaire de l’euro- député RN Philippe Olivier et figure de la mou- vance identitaire. Ils ont désormais disparu mais on pouvait y lire, entre autres choses, un message glacant laissé par un anonyme: «Je suis en train de voir avec un ami si on décide de [se] faire une mosqué ] Ca sera pas 2-3 morts.» Sur Instagram, on s‘échange des visuels de tem- pliers, un genou a terre sous une pluie de fleches fatimides en appelant a la croisade «car Dieu le veut», reprenant l’expression des croisés du XIe siécle. «Allez tous crever», «ils auront ma haine», «soit ils nous écrasent, soit nous les écra- sons», «il faut maintenant passer a l'action», «si un de mes amis chasseurs a une carabine en trop... Cest pour un ami»... Autant de messages diffusés par des comptes de militants ou d’orga- nisations radicales qui appellent a la vengeance et que Libération a pu consulter. A la vengeance contre qui? Un internaute résume le point de vue de ces islamophobes convaincus par: «Quel est le lien entre un musulman radicalisé et un musulman modéré? Un musulman radicalisé veut vous assassiner tandis qu’un musulman mo- déré veut qu'un musulman radicalisé vous assas- sine.» Le jeu macabre des jihadistes, qui souhai- tent par leurs attaques déclencher une riposte (étatique ou non) contre les musulmans afin de provoquer une guerre civile, est ainsi fait. Déja, l’attentat contre Samuel Paty avait provo- EXPOSITION KINS qué des réactions similaires. Un homme avait appelé a «cramer» la mosquée de Béziers en représailles (il sera jugé en correctionnelle en janvier prochain). Des fidéles musulmans d’une commune de!’Eure avaient recu un mes- sage menacant de les faire «payer pour la mort de Samuel». D’autres, sur des forums islamo- phobes et antisémites, annoncent «attendre le prochain live dans une mosquée comme on attend le messie». Une référence a l'attentat per- pétré par le suprémaciste blanc Brenton Tarrant contre des mosquées de Christchurch en Nou- velle-Zélande (mars 2019, 51 morts). Débordée. Au sein de l’extréme droite insti- tutionnelle, les discours sont plus mesurés mais ils n’en restent pas moins radicaux. Jean Messiha, coutumier du fait, s’est fendu d’un amalgame entre «immigration et insécurité et immigration et terrorisme islamique». Depuis lassassinat de Samuel Paty, ce cadre du RN multiplie les charges contre les musulmans vi- vant en France, au point d’étre rappelé a l’ordre ce vendredi matin sur BFM par Marine Le Pen, quia souligné qu'elle seule décidait «de la ligne du Rassemblement national», demandant de ne pas confondre «(es islamistes et nos compatriotes musulmans». Débordée par sa droite au sein de son parti, elle l’est également par sa niéce, Ma- rion Maréchal, quia elle aussi évoqué jeudi dans une vidéo postée sur son compte Instagram la possibilité «d’une guerre civile». PIERRE PLOTTU ct MAXIME MACE pe L’aRcHITecTURe & DU PaTRIMOINe ASA CHRONIQUES Palais de Chaillot Trocadéro — Paris 16° citedelarchitecture.fr #ExpoKinshasa 14.10.2020 11.01.2021 Une exposition en co-production avec sere EiMsAM turd Téléfama’ mrockuptibles TAOISCOULEURS philosophie <liiZji» J) Neva B © KONGO ASTRONAUTS. Triptyque. sire, Congo bel Gallery, New York Libération Samedi 31 Octobre et Dimanche 1° Novembre 2020 Dalls ta RUST BELL, ITU QUENTE Dar id CEFOUINER ? |REPORTAGE | En 2016, cette région industrielle des Etats-Unis a offert la victoire au milliardaire, qui avait séduit les ouvriers en leur promettant prospérité et préservation des traditions. Quatre ans apres, les belles paroles nont eu que peu deffets concrets et ont laissé place aux désillusions. Par ISABELLE HANNE Envoyée spéciale dans la Rust Belt Photos PETER VAN AGTMAEL. MAGNUM. illonner les highways ou les S country roads, ponctuées de centrales, d’usines, de petites villes au passé industriel fané, de banlieues aisées ou grises. Longer les strip malls, ces zones commer- ciales sans fin ol se succédent les mémes chaines de fast-food. Regar- der les injonctions contradictoi- res des panneaux de campagne, qui vantent tantdt les succés de Do- nald Trump, tantétl’accusent d’étre Beav Scenery Hill [7 le «Covid President» et appellent a voter pour son adversaire démo- crate Joe Biden. De l’ouest de la Pennsylvanie au sud-est du Wisconsin, ces terres de la Rust Belt («ceinture de rouille», le surnom de cette région indus- trielle) avaient offert la victoire a Trump en 2016, faisant s’effondrer le «mur bleu», cet ensemble d’Etats solidement démocrates, censés faire rempart au Parti républicain. Une victoire dans un mouchoir de poche: 44000 voix d’avance sursa rivale Hillary Clinton en Pennsyl- vanie; 23000 dans le Wisconsin; 11000 dans le Michigan. Quant a Ohio, un swing state, Trump avait emporté avec une avance de 8 points sur Clinton, quand Barack Obama s’y était imposé lors des deux précédentes élections prési- dentielles. «En 2016, Donald Trump a profité de la longue période de négligence des démocrates pour les ques- tions ouvriéres, notamment pour les ouvriers blancs dans le ceeur indus- triel, expliquait l’historien Joseph McCartin dans les pages de Libéra- tion. Ceux-ci ont vu, en une généra- tion, des boulots bien payés dispa- raitre. Les démocrates ont cru que le libre-échange allait transformer léconomie; les ouvriers en Pennsyl- vanie, dans l’Ohio et le Wisconsin at- tendent toujours. Pour la classe ou- vriére blanche, Trump a incarnéla nostalgie d’un temps meilleur. Mais rarement un président na accordé aussi peu a lélectorat qui lui a pour- tant assuré une victoire a larraché en 2016.» Promesses de prospérité grace a l’industrie extractive, de revitalisation des manufactures au- tomobiles, de préservation d’une certaine identité et de la «sécurité»: retour sur les themes de cam- pagne du président sortant dans la Rust Belt. LE «FRACKING» EN PENNSYLVANIE «DEVOIR CHOISIR ENTRE SA SANTE ET DES REVENUS» Comme une apparition, au bord de Fautoroute et de la riviére Ohio, des dizaines de grues immenses hé- rissent le paysage. Des colonnes grises, des structures en métal: le site de la future usine pétrochimi- que Royal Dutch Shell, 4 Beaver, est spectaculaire. Plus de 5000 ou- vriers la construisent, 4 une qua- rantaine de kilométres au nord-est de Pittsburgh, en Pennsylvanie. Aterme, l’usine devrait employer 600 personnes a temps plein. «Votre futur na jamais semblé aussi ra- dieux», assurait Donald Trump aux ouvriers lors de sa visite du site, pendant I’été 2019. Shell, qui discu- tait avec les autorités de l’Etat de- puis des années, a annoncé officiel- lement le lancement des travaux en Libération Samedi 31 Octobre et Dimanche 1” Novembre 2020 www.liberation.fr @ facebook.com/liberation © @libe juin 2016, cinq mois avant son élec- tion. Ce qui ne l’a pas empéché de parader: «C'est administration Trump qui a rendu tout cela pos- sible, personne dautre.» Lusine de Beaver, qui a bénéficié d’énormes subventions et ristournes fiscales, a vu le jour pour faire face a un casse-téte de l'industrie extrac- tive: la surabondance de gaz naturel. La Pennsylvanie est assise sur le bas- sin de Marcellus, une formation géo- logique riche en gaz de schiste. La fracturation hydraulique, ou «fra- cking», technique qui consiste a frac- turer les couches profondes de ro- ches de schiste a l'aide d’eau et d’un mélange de produits chimiques in- jectés a haute pression, aconnuun boom a partir du milieu des an- nées 2000 dans l’Etat, lui permettant de se hisser au rang de deuxiéme producteur de gaz du pays, aprés le Texas. «Mais le boom du gaz naturel est en perte de vitesse, Voffre étant trop élevée et les prix trop bas», expli- que Karen Feridun, cofondatrice de Better Path Coalition, une organi- sation environnementale qui mi- lite pour l’interdiction du fracking. Léthane, un sous-produit du gaz na- turel, est libéré lors de la fractura- tion, et permet de produire du plas- tique. Offrant un nouveau débouché aux ressources de l’Etat, et une rai- son d’étre a l’usine de Beaver. Pour tenter de l’emporter 4 nouveau en Pennsylvanie, Donald Trump at- taque Joe Biden depuis des mois sur le fracking. Populaire auprés des élus républicains, le sujet divise les démocrates, entre partisans d’un moratoire et défenseurs des em- plois et de la manne financiére pour Etats exsangues. «Joe Biden veut éradiquer le fracking», a affirmé le Président lors d’un récent mee- ting a Erié. Lancien vice-président d’Obama propose d’interdire lattri- bution de nouveaux permis pour le pétrole et le gaz, fracking compris, uniquement sur les terres fédérales, quand I’écrasante majorité des permis sont attribués sur des ter- rains privés. Si Biden était élu, la Pennsylvanie «perdrait des millions demplois», a affirmé Trump, quand 26000 postes sont générés par le secteur, selon les chiffres fournis par l’Etat. «L’industrie a longtemps soutenu quiily en avait dix fois plus, rappelle Karen Feridun. La question des emplois a longtemps été un gros mensonge bien pratique.» Localement, les démocrates ont du mal a étre audibles sur le sujet. «Je suis favorable au fracking», af- firme par exemple Zachary Wilson, un jeune candidat démocrate pour un poste de représentant a la Cham- bre de Pennsylvanie, en marge d’un rassemblement a Beaver, au cours duquel il a évoqué... la lutte contre le changement climatique. «Ca fait beaucoup de bien a la région, qui lutte économiquement. Il faut de meilleures régulations, mais on peut faire les deux en méme temps. Dans le coin, ce n'est pas un débat, mais Cest vrai quiau niveau national, cest une conversation plus difficile.» Karen Feridun dénonce pourtant les «explosions de pipelines, les se- cousses sismiques, la pollution de lair et de Veau, les fuites de méthane dans atmosphere qui renforcent le réchauffement climatique...» Sans compter que les habitants, séduits par des promesses d’argent rapide en louant leur terrain a!’industrie, voient aujourd’hui la valeur de leur propriété en baisse, et des ren- dements financiers décevants. Au mois de juin, le procureur général de Pennsylvanie, Josh Shapiro, a annoncé les résultats d’un rapport sur les dégats du fracking. Lexécutif de Pennsylvanie doit «de nouveau mériter la confiance» des Pennsyl- vaniens, qui ont été «abandonnés» Des partisans de Donald Trump, mercredia Milwaukee (Wisconsin). face au fracking, a affirmé le procu- reur général. Il a également pointé du doigt les «passe-droits» des en- treprises de l’industrie fossile, et leur proximité avec le gouverne- ment, accusé de «recracher leurs éléments de langage». Dans le comté de Washington, qui détient le record du nombre de puits de fracturation en Pennsyl- vanie, les torchéres éclairent la nuit par intermittence. «Cest terrible a dire, mais d’une certaine manieére, les gens du coin sont habitués a ¢a, ase faire avoir par Vindustrie, a de- voir choisir entre leur santé et des re- venus», avance Lois Bjornson. Cette danseuse, originaire de la région, est revenue a Scenery Hill il y a quinze ans pour y élever ses en- fants. Lodeur des réservoirs de flui- des usagés, les «réactions dermato- logiques» de ses fils 41a sortie du bain, leurs «saignements de nez» fréquents la transforment rapide- menten militante écologiste. Elle dénonce aujourd’hui la teneur en éléments radioactifs de l’eau cou- rante, au-dessus des niveaux nor- maux a cause du radium libéré par le processus de fracturation. «Ca fait belle lurette qu’on ne boit plus eau du robinet, affirme-t-elle. Malheureusement, on n'a pas de ba- guette magique: il n’y aura pas d’in- terdiction du fracking en Pennsyl- vanie. Ca sarrétera quand l’indus- trie séclipsera, parce que le gaz de schiste ne sera plus compétitif. D’ici 1a, on peut juste espérer de meilleu- res régulations.» La problématique concerne toute la région. Juste de l'autre cété de la frontiére, dans l’est de l’Ohio, Nathan Casto, un supporteur de Donald Trump rencontré a un mee- ting, raconte qu’il a travaillé pen- dant douze ans dans un centre de distribution de Walmart. «Et puis, Trump a été élu et nous a débarras- sés de certaines réglementations en- vironnementales qui pesaient sur Vindustrie gaziére», affirme ce tren- tenaire, aujourd’hui employé par une entreprise d’extraction de gaz de schiste. Nathan Casto en est per- suadé: «Si Trump nest pas réélu, cette industrie est finie. Et pas seu- lement dans l’Ohio, mais aussi en Pennsylvanie ou en Virginie-Occi- dentale.» LINDUSTRIE AUTO DANS LOHIO «BEAUCOUP CROIENT ENCORE AUX MENSONGES DE TRUMP» Le parking est vide, et l’usine, gigantesque et silencieuse. Jon Alexander montre du doigt des marques au sol: «Cest ici qu’on fai- sait nos piquets de gréve. Lesprit de camaraderie me manque», ad- met-il en soupirant. Jon Alexander a travaillé prés de Suite page8 Libération Samedi 31 Octobre et Dimanche 1° Novembre 2020 Suitedelapage7 vingt ans dans lusine General Motors de Lords- town, dans le nord-est de l’Ohio, dot sont sorties des générations de Pontiac, puis de Chevrolet. A son age d’or, dans les années 80, elle employait jusqu’a 13000 ouvriers. «Un job idéal, pas trop mal payé, avec des bonnes prestations sociales, reprend-il. Pénible physiquement, dans la chaleur, mais nous donnant les moyens de fonder une famille, dacheter une maison...» Aprés plusieurs vagues de licenciement, Lordstown a fermé en 2019. Les syn- dicats accusent les tarifs douaniers imposés sur I’acier, résultat de la guerre commerciale de Trump avec laChine, d’avoir accéléré la ferme- ture du site. Jon Alexander a récemment ac- cepté d’étre transféré dans une autre usine de GM, dans le Michi- gan voisin, a six heures et demie de route de ses enfants. Son jeune fils Elliott, d’ailleurs, ne le quitte pas d’une semelle: «Je ne l'ai pas vu de la semaine», s‘excuse-t-il. Barbe drue, lunettes et tee-shirt UAW, son syndicat, le quadragénaire déroule fiérement: «Je suis issu d’une fa- mille douvriers syndiqués, troisiéme génération. Mon grand-pére, qui était également pasteur, disait tou- jours que ses priorités, dans ordre, étaient Dieu, la famille, le syndicat.» Elliott est désormais scotché a lécran d’un iPad, et son pére attablé devant une assiette de pierogi (ra- violis polonais) 4 Ross’Eatery, ancien repaire des ouvriers de GM. Au mur, un poster montre le der- nier modéle de voiture sorti de Yusine. Pendant la campagne de 2016, Do- nald Trump avait promis juré qu'il ferait revenir les emplois manufac- turiers dans la Rust Belt. Un mes- sage particuli¢érement bien recu dans la vallée de Mahoning, anéan- tie par des décennies de désindus- trialisation. La route dans ce coin des Etats-Unis, oti se rejoignent l’Ohio, la Pennsylvanie et la Virgi- nie-Occidentale, est une succession d’usines abandonnées et d’aciéries oubliées. Longtemps bastion démo- crate, le comté ot se situe l’'usine de GM, Trumbull, avait voté pour Do- nald Trump avec plus de 6 points d’avance sur sa rivale Hillary Clinton. La derniére fois que le comté avait voté républicain, c’était en 1972. «Donald Trump est un vendeur de tapis sans états dame», s'agite Jon Alexander. Ce partisan de Bernie Sanders, candidat malheureux aux primaires démocrates, votera «sans hésiter» pour Joe Biden, comme il l’avait fait pour Clinton en 2016. «Trump a réussi a convain- cre les gens qui avaient le plus besoin despoir qu'une vie meilleure était possible. Illeur a dit exactement ce quils voulaient entendre.» C’est no- tamment en faisant campagne sur ces thémes et sur ces terres, pro- mettant le retour des emplois ma- nufacturiers et blamant les accords de libre-échange, que Trump asé- duit les ouvriers. «Les électeurs cols- bleus, socle historique du Parti dé- mocrate, sont devenus les nouveaux républicains, souligne Charles Franklin, professeur de science po- litique a l’université de Marquette Jon Alexander, employé de General Motors, et son fils Elliott, le 23 octobre 4 Lordstown (Ohio). De nombreux batiments sont enco! barricadés re a Kenosha (Wisconsin), théatre d’émeutes. (Wisconsin). Cette évolution dans affiliation aux partis préexiste Do- nald Trump, mais elle sest renforcée avec lui.» Dans l’Ohio, les sondages donnent aujourd’hui Trump et Bi- den au coude-a-coude. En juillet 2017, le Président s’était rendu a Youngstown. Il avait affirmé que sur son trajet depuis l’aéroport, ilavait vu les vestiges de trop nom- breuses usines, et déploré la perte des emplois manufacturiers dans Ohio. «Ils sont tous en train de reve- nir!» avait-il prévenu, intimant aux ouvriers présents: «Ne déménagez pas! Ne vendez pas votre maison!» Une start-up de pick-up électriques aracheté le site de Lordstown, et es- peére embaucher 400 ouvriers dans les prochains mois. Ce qui permet aladministration Trump d’affirmer que «le Président a tenu toutes ses promesses faites au peuple de l'Ohio», aasséné cet été le vice-pré- sident, Mike Pence, en visite 4 Lord- stown: «Cest particuliérement vrai ence qui concerne les emplois de l’in- dustrie automobile.» Depuis larri- vée du milliardaire républicain a la Maison Blanche, le nombre d’em- plois du secteur est resté stable dans Etat, autour de 22000. C’est plus que pendant le premier mandat d’Obama, quand l'industrie se re- mettait de la crise de 2008. Mais c’est 6000 emplois de moins qu’en 2006. «Le pire, c'est que beaucoup de mes anciens collegues croient encore @ ses mensonges, reprend Jon Alexander. Certains mont dit qu’il fallait lui laisser du temps, que quatre ans, ce nétait pas suffisant pour juger...» Le patron de Ross’Eatery, qui a pour- tant perdu de nombreux clients avec la fermeture de I’usine, per- siste 4 voter pour Trump, mais refuse de s’exprimer sur le sujet. «Beaucoup de collégues qui ont voté pour Trump en 2016 ne ladmet- tent pas ouvertement, avance Tim O'Hara, ancien leader syndical de Pusine. Il y a ceux qui vouent un culte a ce charlatan, et choisissent de continuer le suivre dans son dé- lire. Quant @ ceux qui ont vu la lu- miére entre-temps, la nature hu- maine est ainsi faite que quand on se fait arnaquer, on a du mal a le reconnaitre.» LA LOIET LORDRE DANS LE WISCONSIN «AUJOURD’HUI, TOUT LE MONDE CONNAIT KENOSHA» De nombreux magasins sont encore barricadés. Des carcasses de voi- tures calcinées sont toujours garées sur le parking ou elles ont brilé. Quelques commerces éventrés sont simplement entourés de fines bar- riéres en métal. Prés d’une station- service, des bougies fondues et des fleurs en plastique signalent un mémorial éphémére. Le centre de Kenosha semble figé, plus de deux mois apres les événements. Le 23 aotit, Jacob Blake, un Afro-Amé- ricain, était grievement blessé par sept balles tirées 4 bout portant par un policier blanc, dans cette ville moyenne du sud-est du Wisconsin, ce qui a déclenché plusieurs jour- nées de mobilisation et ravivé la colére contre le racisme et les bruta- lités policiéres qui agite le pays de- puis le printemps. Deux jours plus tard, lors d’une nuit qui a viré a l’émeute, un adolescent membre d’un groupe d’autodéfense, Kyle Rittenhouse, a tiré au fusil semi-au- tomatique sur trois manifestants, tuant deux d’entre eux. En 2016, Donald Trump avait été le premier candidat républicain a une élection présidentielle a s‘im- poser dans le Wisconsin en trente- deux ans, notamment grace au sou- tien des électeurs blancs dans les comtés ruraux. Quatre ans plus tard, le président américain a vu en Kenosha une aubaine pour sa rhé- torique sécuritaire, lui qui se pré- sente comme «le président de la loi et de lordre». «Kenosha a été ravagé par des émeutes anti-police et anti- américaines», avait-il martelé lors de sa visite de la ville, début sep- tembre, avant d’évoquer le «terro- risme intérieur». Lesalon de coiffure d’Alvin Owens est, lui aussi, toujours caché der- riére des planches en contreplaqué. Le barbier I’a inauguré avec ses pro- ches «de jour ott Jacob Blake sest fait tirer dessus». «Ona vu la vidéo, on afilé devant le commissariat, pour une marche spontanée et pacifique, mais rapidement la police a ré- pondu avec des gaz lacrymogé- nes...» raconte le quinquagénaire Libération Samedi 31 Octobre et Dimanche 1” Novembre 2020 www.liberation.fr © facebook.com/liberation © @libe afro-américain, qui a longtemps été éducateur dans sa ville natale. «Quand on était gosses, on lappelait “Kenowhere”, mais aujourd’hui, tout le monde connait Kenosha», sourit le barbier en réajustant son masque. Il améme «coiffé Jesse Jackson» en septembre, lors de la venue de cette figure des droits ci- viques. «Trump ose affirmer qu’il est le président qui a le plus fait pour la communauté noire... Je cherche encore a quoi il fait réfé- rence. En revanche, peut-on parler de racisme systémique ? De supré- matie blanche ?» Alvin Owens, comme de nombreux activistes 4 Kenosha ou Milwaukee, la plus grande ville du Wisconsin, sont trés actifs ces derniéres semai- nes pour s’assurer de la mobili- sation de la communauté noire a lélection. Leur participation, dans le Wisconsin, avait chuté de 20% entre 2012 et 2016, prés de quatre fois plus qu’au niveau national. Labstention de ces électeurs tradi- tionnellement démocrates avait profité au milliardaire républicain. «Cette année, les électeurs sont hy- per motivés, insiste Alvin. Il y a tel- lement de raisons de l’étre, entre les questions de racisme et de justice so- ciale, le Covid, qui a touché de ma- niére disproportionnée les mino- rités... tout est sur la table.» La rhétorique présidentielle vise surtout 4 émouvoir les électeurs des comtés suburbains autour de Milwaukee, que se disputent apre- ment les deux campagnes. La ville, bastion démocrate, est noire a pres- que 40%, tandis que les ban- lieues autour sont blanches, jus- qu’a 97%, comme le comté de Wau- kesha. «Milwaukee et ses banlieues sont une des zones les plus ségré- guées des Etats-Unis, résultat de barriéres formelles et informelles, empéchant la mobilité et Vintégra- tion raciale», rappelle le professeur de science politique Charles Fran- klin. Dans tout le pays, lors des élections de mi-mandat en 2018, des comtés suburbains tradition- nellement républicains avaient A Milwaukee (Wisconsin), mercredi. PHOTO: basculé démocrates, permettant a lopposition de reprendre la majo- rité 4 la Chambre des représen- tants. «Cette évolution est plus lente et plus mesurée dans les banlieues de Milwaukee», précise Franklin. A la téte d’un institut de sondage qui fait référence sur le Wisconsin, il note que nil’envolée des cas de Co- vid dans l’Etat depuis septembre, avec des hdépitaux aujourd’hui au bord de la saturation, niles événe- ments de Kenosha, n’ont vraiment fait évoluer les intentions de vote, dans un sens comme dans l'autre. «Tout ce qui touche a Trump suscite soit une réaction tres positive, soit une réaction trés négative, résu- me-t-il. Et tout est vu a travers un prisme partisan.» Membre des Femmes conservatrices du Grand Milwaukee, Judy Bintliff l’assure pourtant: «On est inondées de nouvelles demandes dadhésion depuis Kenosha.» Elle insiste: «Les violences ont été terribles. Bien str, je comprends la colére, mais ca ne sert a rien de briiler sa propre com- munauté. Ca. a eu un impact trés fort dans le coin. D'une certaine maniére cest une bonne chose: ca a réveillé les gens avant l’élection.» Cette infir- mieére ala retraite vit 4 Greenfield, au coeur des banlieues de Milwaukee. Et 4 deux pas d’un hépital de cam- pagne qui vient d’ouvrir pour tenter de désengorger les hdpitaux face a la flambée de l’épidémie de Co- vid-19. Sur la gestion de la crise sani- taire, elle estime que Trump «a fait du mieux qu'il pouvait». Son mari, John, sourire affable et cravate aux imprimés Constitution, embraye: «Le gouvernement ne peut pas nous empécher de mourir, mais il peut nous empécher de vivre.» La seule critique du couple Bintliff sur le pré- sident sortant porte sur son style: «On a deux oreilles et une bouche, pour écouter deux fois plus quon ne parle, rappelle John. Disons que Do- nald Trump a plutot deux bouches, et une seule oreille.» » A qui profite la vague de votes? Le pays, qui utilise beaucoup le vote par correspondance, bat des records de participation. Sans savoir si cela joue en faveur de Biden. tude, mais sera-t-elle bleue ou rouge? Au début du printemps, alors que le Covid déferlait sur les Etats-Unis, perturbant forte- mentla fin des primaires, certains redoutaient une abstention plus forte que d’habitude en cas d’épidémie prolongée. Pour l’éviter, l’im- L avague arrive, c’est désormais une certi- mense majorité des Etats a facilité le vote par correspondance. Dénoncés par Trump, sou- vent combattus en justice (avec succés parfois) par les républicains locaux, ces efforts ont porté leurs fruits au-dela des espérances. Alors que le pays enregistre un nombre inédit de contaminations et toujours plus de 800 morts quotidiens, la participation bat, elle aussi, des records. Au Texas, second Etat le plus peuplé du pays, le vote anticipé a dé- passé vendredi 100% du total de 2016. Le plus gros bastion républicain des Etats-Unis est pourtant l’un des rares a n’avoir pas étendu le vote par correspondance. Dans plusieurs Etats clés, dont la Floride, la Caroline du Nord ou l’Arizona, la participation dépasse déja 80% de celle d’il y a quatre ans. Aqui profitera cet enthousiasme électoral, qui pourrait pousser la participation 4 un niveau inédit depuis plus d’un siécle? A Biden, porté par un puissant vote anti-Trump chez les jeu- nes, les Noirs, les Latinos, les femmes de ban- lieue? A en croire les sondages, quasiment sta- bles depuis des semaines, le démocrate est bien placé dans la plupart des swing states, et pourrait menacer I"hégémonie conservatrice au Texas ou en Géorgie. Mais dans le camp Trump, on assure que les sondages se trom- pent et que ceux réalisés en interne sont bien plus favorables au président sortant, quicon- tinue de rassembler, 4 chaque meeting, des milliers de partisans survoltés. Jeudia Tampa (Floride), il leura promis «une vague rouge». Existe-t-il, dans ce net regain de participation, un vote caché d’habituels abstentionnistes en faveur de Trump que les sondeurs n’auraient pas détecté? Rien ne permet de l’exclure, sur- tout aprés la surprise de 2016 et dans le con- texte pandémique. Cette élection est unique. De quoi inviter, plus que jamais, a la prudence. FREDERIC AUTRAN Envoyé spécial aux Etats-Unis 10 Libération Samedi 31 Octobre et Dimanche 1° Novembre 2020 orairies fermees les livres Apres la mobilisation générale provoquée par la fermeture des indépendants alors que les grandes chaines comme la Fnac pouvaient rester ouvertes, le gouvernement a décidé de boucler également les rayons livres des grandes enseignes. Par JULIETTE DELAGE et FREDERIQUE ROUSSEL Photo CYRIL ZANNETTACCI. VU a formidable bronca a porté. L Tout au long de lajournée de vendredi, les plaintes et indi- gnations se sont déversées dans les médias et sur les réseaux sociaux contre la Fnac et la grande distribu- tion, qui pouvaient vendre des livres au détriment des librairies closes, el- les, depuis jeudi soir. Le gouverne- menta fini par plier mais pas dans le sens espéré. Tout espace de vente de livres sera désormais clos. Une pre- miére victoire pour les défenseurs acharnés de la librairie indépen- dante qui réclamaient, comme Guillaume Husson, le délégué géné- ral du Syndicat de la librairie fran- caise (SLF), «de mettre tout lemonde sur un pied d€galité». Au printemps, sous la pression de ses représentants du personnel qui avaient pointé les lacunes sanitai- res, la Fnac avait fermé. Cette fois, elle a considéré que les conditions étaient adaptées pour les clients. La librairie indépendante disait «nous aussi»! «Au printemps, nous nétions pas préts, précise Amanda Spiegel, gérante de la librairie Folie d’encre 4 Montreuil (Seine-Saint-Denis) et présidente dela commission com- merciale du SLF. Aujourd’hui, on sait faire: mettre du gel a disposi- tion, filtrer et mettre de la fluidité dans le parcours des clients.» Queues continues Cette mesure de fermeture a suscité une vague de soutien aux librairies indépendantes, bien plus qu’en mars. Jeudi, les gens se sont pressés, parfois en queues continues comme au Furet du Nord a Lille, pour faire leurs provisions de livres. Les librai- ries ont souvent enregistré le double du chiffre d'affaires réalisé a la veille du premier confinement. La librairie Folie d’encre évoque ainsi le chiffre de 45000 euros pour la journée de jeudi, son record «atomique» étant de 52000 euros. «On assiste a l’ex- pression d'un besoin du public qui na rien a voir avec celui du printemps, ajoute Amanda Spiegel. Les gens ont du temps, de la disponibilité et lenvie de retrouver un esprit subtil, dans un contexte de confinement et d‘atten- tats. Et la librairie indépendante porte un éventail de propositions qui concerne tout l’écosystéme du livre.» Coline Hugel, qui tient la librairie- café le Bateau livre 4 Pénestin (Mor- bihan), insiste sur le c6té sanctuaire: «On en a besoin face aux deux gros bouleversements quon est en train de vivre, la pandémie et le terrorisme. Le “click and collect” [commande en ligne qu’on va ensuite récupérer in situ, ndlr], ca ne suffit pas. On a be- soin déchanges, de liens, encore plus pendant cette période.» Méme les prix littéraires de l’au- tome ont levé le poing. Lacadémie Goncourt a décidé de reporter la proclamation de son prix tant que les librairies resteraient closes, ou- vrant la fenétre a des reports en série de grandes récompenses littéraires: grand prix de l’Académie frangaise, l'Interallié, le Décembre, le Ven- dredi... Excellente nouvelle, estime Guillaume Husson. «Comment pou- vait-on imaginer rendre des grands prix quand ceux qui les défendent, les libraires, sont absents ?» Denis Mollat, dirigeant de la librairie bor- delaise du méme nom, renchérit: «Ca prouve que le monde des lettres existe, qu’il compte, et quentre édi- teurs, librairies, prix littéraires, on partage les mémes valeurs.» Et méme avec les critiques littéraires, puisqu’un héraut médiatique de cette rébellion est entré dans la danse. Francois Busnel, l’'animateur de la Grande Librairie, a déclaré vendredi sur France Info lancer une pétition au nom du «combat que tout le monde essaye de mener contre Vignorance, contre lobscurantisme, contre le fanatisme». Le SLF annon- cait aussi cette pétition pour inter- peller directement Emmanuel Macron et revendiquer un assou- plissement du carcan imposé aux li- braires. En dépit de la décision gou- vernementale de geler tous les es- paces culturels, la mobilisation va sans doute continuer, avec l’espoir que dans quinze jours, comme I’a évoqué Roselyne Bachelot, les li- brairies puissent rouvrir. Le danger Fnac désormais écarté (lire ci-con- tre), Amazon risque de redevenir la cible principale. «Comme une pharmacie» Diici la, le «click and collect» bat son plein. Les clients ont appris a s‘adap- ter aux nouveaux modes d’achat. La librairie Mollat a augmenté ses ven- tes en ligne depuis la fin du premier confinement de 250%, elles repré- sentent aujourd’hui 14% de son chif- fre d’affaires. «Nos 110 salariés, dont 54 libraires, sont préts, note Denis Mollat. On continue les ventes par In- ternet, on fait du “click and collect” et de la vente au comptoir, comme dans une pharmacie.» Les libraires atten- dent sur leur pas-de-porte, bien dé- cidés, malgré tout, 4 donner aux amoureux des livres leur dose nour- riciére de culture.»

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