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Lib 233 ration - 22 04 2020 PDF

32 Pages·2020·18.93 MB·English
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2,00 € Première édition. No 12091 Mercredi 22 Avril 2020 www.liberation.fr IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,50 €, Andorre 2,50 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,00 €, Canada 5,00 $, Danemark 29 Kr, DOM 2,80 €, Espagne 2,50 €, Etats-Unis 5,00 $, Finlande 2,90 €, Grande-Bretagne 2,20 £, Grèce 2,90 €, Irlande 2,60 €, Israël 23 ILS, Italie 2,50 €, Luxembourg 2,00 €, Maroc 22 Dh, Norvège 30 Kr, Pays-Bas 2,50 €, Portugal (cont.) 2,90 €, Slovénie 2,90 €, Suède 27 Kr, Suisse 3,40 FS, TOM 450 CFP, Tunisie 5,00 DT, Zone CFA 2 500 CFA. pétrole plus brut sera la chute Symbole d’une économie quasi à l’arrêt en raison du Covid-19, la chute du prix du baril en dessous de zéro dollar sur les marchés, lundi à New York, pourrait préfigurer un krach de plus grande ampleur. Pages 2-7 LE PTIT LIBÉ Un guide contre l’ennui Cahier central JÉRUSALEM-EST Les Palestiniens seuls face au virus Reportage, Pages 8-9 MAIRIE DE PARIS La campagne attend son tour Récit, Pages 10-11 Getty Images 2 u Libération Mercredi 22 Avril 2020 Un tableau de l’indice Nikkei, à Tokyo, mardi, «U n simple accident de parcours», se risquent les plus optimistes pour décrire l’incroyable situation vé- cue sur le marché américain du West Texas Intermediate (WTI), ce pétrole brut utilisé comme standard dans la fixation des cours du pétrole américain, et comme matière pre- mière pour les contrats à terme à la Bourse de New York. Jamais, de mémoire de trader, des investisseurs n’avaient eu d’autre choix que de proposer leur matière première (faute d’acheteur) à une contrepartie, avec en prime une somme d’argent rondelette. Pourvu que cette même contrepartie s’engage à récep- tionner ladite matière première. C’est cette scène abracadabrantesque qui s’est ouverte lundi pour se poursuivre mardi, le 21 avril de l’an 2020. Du jamais vu. Pourquoi le cours du pétrole américain s’est-il effondré ? Sur le marché de cotation du pétrole améri- cain, le fameux WTI, la journée de lundi avait débuté de façon relativement ordinaire. Sur les écrans des traders et autres fonds d’inves- tissement et de pension, des lignes de chiffres et de sigles défilent normalement. Bien sûr, crise sanitaire oblige, les marchés financiers ne sont pas au mieux. Mais rien à signaler de particulier. Du moins jusqu’en fin de matinée. Par Vittorio De Filippis éditorial Par Laurent Joffrin Château de cartes On nous prédisait encore ­récemment une apocalypse économique née de l’épuise- ment des ressources pétroliè- res et de l’envolée des prix subséquente. Fragilité des prophéties : c’est l’apocalypse inverse qui survient, c’est-à- dire une production très ­supérieure à la demande et une baisse des prix verticale, qui jettent le secteur de l’or noir dans une panique de la même couleur. Symbole baro- que de ce ­renversement plané- taire : sur le marché spéculatif des ­contrats à terme, le prix du ­baril est tombé… en dessous de zéro, tandis que le prix sur le marché réel se traîne aux alentours de ­20 dollars le baril. Il n’y avait plus de pétrole. Il y en a trop. Difficile à suivre. Cette chute abyssale donne une mince idée des soubre- sauts économiques qui nous attendent dans cette période de décroissance sauvage. Le confinement d’une moitié de l’humanité a réduit l’acti- vité mondiale comme peau de chagrin. A moins d’un rattra- page rapide, difficile à envisa- ger, les conséquences d’une telle ­contraction sont redouta- bles : faillite des entreprises les plus fragiles, licenciements ­massifs, hausse brutale du chômage, baisse du pouvoir d’achat moyen, assèchement des finances publiques. Avec cette cerise ­empoi­- sonnée sur le gâteau : comme on a ­ – de manière plutôt avi- sée – ­déversé un déluge de cré- dits dans la machine enrayée, tout repose sur la confiance des prêteurs. S’ils craignent ­soudain de ne pas être rem- boursés à cause d’un défaut de leurs débiteurs, ils cesseront de prêter. Le système finan- cier, une nouvelle fois, peut s’effondrer comme un château de cartes. C’est là que le couple Etats-banques centrales jouera un rôle essentiel. Im- possible de faire honorer trop vite cette dette montagneuse : ce serait risquer un effondre- ment type 1929. Il ne reste que deux solutions : «monétiser» la dette, c’est-à-dire s’abstenir de tout remboursement ; ou bien la refinancer indéfiniment, jusqu’à des jours meilleurs. Les dogmes, en tout cas, ­seront mauvais conseillers.• Il est environ 11 heures à Dallas, une heure de plus à New York, lorsqu’un indice se met sou- dainement à virer au rouge. En quelques mi- nutes, le cours du WTI semble perdre tout re- père. Une heure plus tard, la dégringolade paraît sans limite. Parti de 24 dollars, le prix du baril de 159 litres de WTI s’effondre littéra- lement à 2 dollars. Il faudra moins d’une heure pour qu’il traverse la frontière du zéro et pénètre dans les profondeurs des prix né- gatifs, pour finalement s’échouer à - 37 dol- lars. Insensé. Un peu comme si le pompiste du coin payait le plein de l’automobiliste pourvu que ce dernier accepte de remplir son réservoir. Forcément absurde. Cette irrationalité s’est pourtant produite lundi. Elle aurait pu s’arrêter là. Mais voilà, elle s’est poursuivie le lendemain. Certes, le cours du baril de WTI (livrable en mai) coté à New York a fait mardi une incroyable pro- gression, passant de - 37 dollars à 10,01 dollars à la clôture, en territoire positif donc, mais à un niveau de prix encore très faible, car à quelques heures de l’expiration du terme de ces contrats futurs, les investisseurs peinaient à les vendre. Pour éviter la livraison physique, ne restait donc d’autre choix que de continuer à payer pour s’en débarrasser. Les investis- seurs et autres spéculateurs qui s’étaient ga- vés de ces ­contrats ont réalisé l’incroyable si- tuation économique, notamment pétrolière, PÉTROLE Péril sur le baril Les cours se sont effondrés depuis deux jours en raison d’une demande en chute libre depuis le début de la pandémie et d’une saturation des capacités de stockage. Une situation qui risque d’avoir de graves conséquences sur toute l’économie mondiale. événement économie dans laquelle est plongé un monde confiné depuis plus de deux mois. L’économie mon- diale est à l’arrêt, entraînant une chute de la consommation quotidienne de quelque 30 millions de barils. L’histoire aurait pu s’ar- rêter là, si les pays producteurs avaient fermé à temps leur robinet, histoire d’ajuster l’offre à la demande, et éviter la dégringolade des cours. Mais sur les 100 millions de barils pro- duits avant la crise, le monde en extrait en- core chaque jour environ 88 millions. Bien plus qu’il n’en faut pour étancher l’actuelle soif de pétrole. Résultat, les tankers et autres réservoirs sont proches du débordement. Le coût de location des rares tankers encore dis- ponibles pour y stocker de l’or noir est désor- mais, au bas mot, de 150 000 dollars la jour- née… contre à peine 4 000 il y a deux mois. Faut-il y voir un signe d’une crise pétrolière plus profonde ? Pour les uns, les plus optimistes donc, ce ne serait qu’un accident de parcours. Pour les autres, de toute évidence de plus en plus nombreux, l’épisode de lundi et de mardi doit être pris comme un signe avant-coureur d’un scénario qui pourrait se reproduire prochai- nement. Pour appuyer leurs craintes, ces der- niers soulignent que les cours du pétrole pour livraison en juin restent positifs, mais nette- ment orientés à la baisse. Ainsi Suite page 4 Libération Mercredi 22 Avril 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 3 P atrice Geoffron est profes- seur d’économie à l’université ­Paris-Dauphine et directeur du Centre de géopolitique de l’éner- gie et des matières premières. Plus rien ne semble empêcher une chute des cours du pétrole. Comment en est-on arrivé là ? La crise sanitaire que nous traver- sons et la surproduction de pétrole qui en résulte n’ont fait que préci­- piter les fragilités du marché pétro- Pourquoi ? Tous les efforts fournis par l’Opep pour réguler les prix bénéficiaient en réalité aux producteurs améri- cains qui avaient besoin que le prix du baril ne descende pas en dessous des 40-50 dollars pour continuer à être rentable. Les Saoudiens ont donc décidé de laisser filer les cours qui, dès 2014, se sont effondrés jus- qu’à une trentaine de dollars. Faut-il en déduire que l’Opep n’est pas capable de réguler le marché ? Oui, et c’est pour cela que les Saou- diens ont fini par refuser de faire des efforts additionnels de contrac- tion de l’offre de brut. En 2016, la politique de prix bas devient inte- nable. Pas tant pour les Saoudiens que pour les autres membres de l’Opep, qui ont moins de réserves fi- nancières. En 2016, Riyad tisse des liens avec les Russes, ce qui va don- ner naissance à l’Opep +. Et ça mar- che. Les cours du pétrole remontent jusqu’à atteindre 80 dollars le baril fin 2018. Et grâce à cette remontée, les Etats-Unis ont pu augmenter leur volume de production. En quoi la situation est-elle liée à une confrontation ­larvée entre les Etats-Unis et la ­Russie ? Début mars 2020, lorsque les Saou- diens ont proposé de réduire la ­production des pays membres de l’Opep et Opep + (Russie, Kazakh- stan, Azerbaïdjan…) pour enrayer la chute des cours liée au Covid-19, Moscou a dit «niet». La Russie s’est alors lancée dans une guerre des prix contre les Etats-Unis, notam- ment en réponse à l’offensive de Trump sur le marché du gaz. Pro- blème : les Saoudiens ont décidé de jouer la surenchère de la baisse des prix. Personne n’avait anticipé une telle réaction, ni l’effet massif du Covid sur la demande mondiale. Mais Saoudiens et Russes ont trouvé un accord le 12 avril, en raccommodant l’Opep ? Cet accord se traduira par une baisse de la production de 10 millions de barils par jour à partir de mai. Et au- tant du côté d’autres producteurs, comme les Etats-Unis, la Canada, le Brésil… Mais cela ne suffira pas pour faire remonter les prix face à une de- mande quotidienne qui est en recul de 25 à 30 millions de barils, jusqu’à l’été au moins. Et comme Saoudiens et Russes ont accepté de baisser d’un quart leur production, il est difficile d’imaginer qu’ils feront d’autres efforts. Nous sommes au bout d’une logique : pour réguler les prix, il faudrait que les Américains rejoignent une Opep ++ en acceptant des quotas… contraires à leurs prin- cipes fondamentaux. Et l’Europe dans tout cela ? A court terme, il y a un «effet d’au- baine» à nourrir le retour de la croissance avec du pétrole bon mar- ché. Mais, d’ici peu, si une partie de l’industrie pétrolière s’effondre, nous serons face à un nouveau choc pétrolier, très violent. Et n’oublions pas que le dernier choc, celui de 2018, a déclenché la crise des gi- lets jaunes en France… Le seul anti- dote est un Green Deal européen afin de réduire une dépendance dé- létère pour l’UE. Recueilli par V.d.F. lier mondial. Il est difficile de com- prendre la situation sans regarder ce qui s’est passé au cours des vingt ­ dernières années. Rappelons qu’en 2007, le gaz de schiste et le pé- trole de schiste appa- raissent dans les sta- tistiques américaines. Ces productions pren- nent alors de l’im­- portance grâce à la fracturation hydrau­- lique, mais surtout du fait que les cours mon- diaux de pétrole mon- tent, jusqu’à frôler les 150 dollars le baril [en 2008]. Et c’est principalement la Chine, qui a rejoint l’OMC quelques années plus tôt, qui tire alors les prix vers le haut. Autrement dit, des ta- rifs relativement hauts ont créé un espace pour les producteurs améri- cains. En dix ans, ils deviennent le premier producteur mondial d’or noir. Les seconds, au coude-à- coude, ne sont autres que les Saou- diens et les Russes. Ce sont donc les Etats-Unis qui sont à l’origine du boule- versement mondial du marché ? Oui. Personne n’avait anticipé leur leader- ship, que cette huile de schiste allait boule- verser l’ordre pétrolier mondial. Les Etats- Unis sont l’éléphant qui entre dans un magasin de porcelaine. Tout s’accélère avec l’élection de Donald Trump, qui fait de l’énergie une des clés de son slogan «Make America Interview DR chutant après la dégringolade du pétrole à New York la veille. Photo Eugene Hoshiko. AP « Great Again» et érige les Etats-Unis au rang de puissance énergétique mondiale. Et non seulement il y a une envolée de la production de pé- trole américain, mais aussi une très forte montée en puissance de celle du gaz naturel. Pour Trump, c’est l’opportunité d’en exporter et de ­venir chatouiller les Russes sur le marché européen. Cette rivalité avec Moscou est importante. Pour preuve : Trump a même fait savoir à la chancelière allemande qu’il était inadmissible d’acheter du gaz russe tout en bénéficiant du para- pluie de l’Otan. Jusqu’en 2014, les prix étaient relativement élevés, aux alentours de 100 dollars le ba- ril. Mais dès l’été 2014, avant même l’élection de Trump, les Saoudiens ont décidé de ne plus soutenir les prix. «Il faudrait que les Américains acceptent des quotas» L’universitaire Patrice Geoffron décrit la mécanique qui a mené à la situation actuelle, notamment la rivalité croissante entre Etats- Unis, Russie et Arabie Saoudite. 4 u Libération Mercredi 22 Avril 2020 nancier. Ce marché à haut rendement est tout simplement celui des obligations pourries. ­Elles rapportent gros mais sont risquées. Si la crise pétrolière devait se poursuivre trop long- temps, des fonds d’investissement vont perdre des centaines de milliards de dollars.» Cette situation est d’autant plus préoccu- pante qu’elle pourrait finir par affecter le mar- proposer de payer ceux qui veulent bien ac- cueillir ce pétrole.» Un risque de krach qui pourrait dépasser les marchés pétroliers Difficile de s’en tenir à ce simple bis repetita à venir, sans tracer les grandes lignes des en- chaînements qui pourraient affecter encore un peu plus une économie mondiale déjà mal en point. Sans quitter le secteur pétrolier, les regards se tournent vers les Etats-Unis (lire ci-dessous). Et pour cause : la crise pétrolière qui s’est traduite par de nombreuses fermetu- res de compagnies du secteur pourrait faire tache d’huile sur le reste de l’économie. «Les compagnies pétrolières américaines qui ont misé sur le pétrole de schiste et gaz de schiste se sont endettées en émettant des obligations à haut rendement, poursuit notre analyste fi- merce de New York. Tandis que les traders du secteur de l’énergie se frottent les yeux et craignent légitimement pour leurs emplois, les Américains découvrent, intrigués, des prix à la pompe inédits depuis dix-huit ans : 1,80 dollar en moyenne pour un gallon de près de 4 litres, une facture qui pourraient être vue comme une aubaine historique… si le citoyen lambda, confiné en télétravail ou privé d’emploi, pouvait utiliser normalement sa voiture. Autant que les 22 millions de nou- veaux chômeurs, la ­déchéance du pétrole donne, aux yeux de l’opinion, une mesure an- goissante de la paralysie de la première éco- nomie mondiale. Lobby. La chute des cours flétrit aussi une fierté nationale. Car l’industrie de l’énergie, D evant leur monde sens dessus des- sous, les analystes les plus chevron- nés ont perdu leur sang-froid. «Ça va faire mal, annonce sur Twitter le gourou des matières premières Peter Brandt. On va écrire des livres sur cette journée.» Avant de prédire «du sang dans les rues» avec la ruine des fir- mes de trading et les prochains appels de marge impayés au Nymex, la Bourse de com- Aux Etats-Unis, cambouis et compagnies Confrontés à la chute du prix du baril, les traders et l’industrie pétrolière tremblent en chœur. Un coup dur pour Donald Trump, qui avait fait de l’or noir l’une de ses vitrines politiques. Nombre d’économistes écartent de moins en moins l’amorce d’une spirale déflationniste, alimentée par une chute des prix. A Huntington Beach en Californie, lundi. Photo Mario Tama. Getty Images. AFP ché américain des actions, faisant monter en- core plus le thermomètre de la défiance, et avec lui une plus grande aversion au risque, notamment d’investissement. Pire encore se- rait, ce que nombre d’économistes écartent de moins en moins, l’amorce d’une spirale dé- flationniste, alimentée par une chute des prix, qu’elle parte du pétrole ou d’autres matières premières. A quoi bon acheter aujourd’hui ce qui pourrait très probablement coûter moins cher demain ? Les économistes savent terras- ser l’inflation, ils s’avouent (le plus souvent) impuissants lorsqu’il s’agit d’enrayer une chute des prix… Les plus optimistes se rassu- reront peut-être en se disant que l’Arabie Sa- oudite annonce être prête à tout faire pour éviter le pire. Mais mardi, une fois cette décla- ration faite sans autre précision, la magie des mots n’a de toute évidence pas opéré.• événement économie le Brent, le pétrole brut qui sert de référence en Europe, dévissait mardi soir de plus de 20 %, autour de 20 dol- lars le baril. Le WTI pour livraison en juin n’était guère en meilleure forme, aux alen- tours de 11,57 dollars le baril (- 43%). «C’est sans doute la première fois qu’on a un tel surplus de pétrole au niveau mondial. On ne sait plus quoi en faire. Et forcément il ne vaut plus rien», explique un analyste financier. «Comment ne pas voir que rien ne va changer en un mois, explique Philippe Waechter, di- recteur de la recherche économique chez Os- trum Asset Management. Le 22 mai sera le dernier jour des contrats futurs de pétrole pour livraison début juin… Il est fort à parier que les investisseurs ne parviendront pas à trouver preneurs pour vendre. Résultat, ils commence- ront par baisser leurs prétentions, avant de Suite de la page 2 qui représente 5 % du PIB américain, emploie près de 7 millions de salariés et garantit la ­fameuse indépendance énergétique améri- caine. En 2006, le pays importait encore 60 % de son pétrole. Mais après plus d’une ­décennie de recours au fracking (1), il est au- jourd’hui exportateur net de gaz et de pétrole et premier producteur mondial d’énergie. Un statut glorieux dont Donald Trump se garga- risait à longueur de meetings, et qui semblait valider la stratégie de retrait du Moyen-Orient prônée par la Maison Blanche. Une stratégie qui perd aujourd’hui de son sens dans le chaos des marchés. Depuis son élection, Trump a fait du secteur de l’énergie une vitrine politique. Ses électeurs les plus dévoués sont aussi les plus sensibles aux prix à la pompe, et partagent son lll Libération Mercredi 22 Avril 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 5 l’Arabie Saoudite et la Russie de ­réduire leur production afin de freiner la chute des cours mondiaux et soulager les producteurs améri- cains. «Cela va sauver des centaines de milliers d’emplois dans l’énergie», clamait-il sur Twit- ter le 12 avril, à l’annonce de son deal. Le virus a pourtant annihilé les effets de sa négocia- tion. Endettement. Trump promet maintenant de résorber les surplus en les rachetant pour les stocker dans les réserves stratégiques pé- trolières de l’Etat fédéral. Mardi sur Twitter, il a également annoncé un renflouement massif de cette industrie à l’aide de fonds pu- blics. Avec quelles conséquences ? Alors que, fin mars, la Réserve ­fédérale de Dallas four- bissait des prévisions déprimantes en tablant sur un baril à 40 dollars en 2020, les pronostics s’assombrissent encore. Selon Artem Abra- mov, directeur de recherche dans la firme Rystad Energy, un baril à 20 dollars, tel qu’il est désormais envisagé en juin dans un scéna- rio de déconfinement progressif de l’écono- mie, signifierait la faillite de 533 compagnies du secteur avant fin 2021. A 10 dollars, 1 100 entreprises déposeraient leur bilan. «A un prix aussi bas, assure Abramov, toutes les sociétés endettées du secteur devraient sollici- ter une protection temporaire contre leurs cré- anciers.» En cause, le niveau d’endettement accumulé par les pétroliers pendant les pério- des fastes où les cours du pétrole étaient éle- vés : 200 milliards de dollars garantis par des réserves d’or noir… aujourd’hui presque sans valeur. En attendant, Whiting Energy, un fleuron du secteur, est le premier à demander ­protection contre ses créanciers au titre du Chapitre XI. Mais les géants comme Noble Energy, Halli- burton et Occidental, l’un des gros investisse- ments de Warren Buffett, ont déjà perdu les deux tiers de leur valeur boursière. L’agence Reuters révèle que plusieurs ban- ques créditrices du secteur créent déjà de nouvelles filiales chargées bientôt de saisir et d’exploiter les équipements et les puits de pé- trole de leurs débiteurs. Ces sociétés seront en service à l’automne. Il sera alors temps de mesurer l’impact du Covid-19 sur l’économie. Et sur les champs de pétrole américains. Philippe Coste (à New York) (1) Technique de fracturation hydraulique aussi renta- ble que désastreuse pour l’environnement. «L’ âge de pierre ne s’est pas terminé par manque de pierres, et l’ère du pé- trole prendra fin bien avant que le monde ne soit à court de pétrole», avait prédit Ahmed Zaki Yamani après le premier choc pétrolier dans les années 70. Alors bête noire des pays importateurs et consomma- teurs de brut, le ministre saoudien du Pétrole, dont le pays avait provo- qué le quadruplement du prix du baril, n’aurait jamais cru que sa pro- phétie se traduirait un jour par l’électrochoc actuel. Une épidémie entraînant un tel ralentissement de l’économie mondiale que le pétrole inonde les marchés, au point de de- venir ruineux pour l’ensemble des pays producteurs. En effet, des plus riches pétromonarchies du Golfe aux états africains, arabes ou sud- américains nettement moins nantis et plus peuplés, tous ceux qui comptent essentiellement sur leurs ressources en hydrocarbures pour vivre se retrouvent aujourd’hui dos au mur. «Une ère de faillites s’ouvre pour l’industrie pétrolière mon- diale», titrait dimanche déjà le site d’information Algérie-Eco, vingt- quatre heures avant le grand krach du pétrole américain. Scénario. Entre 65 % et (plus sou- vent) 90 % du budget de la plupart de ces pays exportateurs repose sur les revenus du pétrole. C’est le cas par exemple de l’Algérie, de l’Irak ou du Nigeria, confrontés par ailleurs à des crises sociales aiguës, auxquel- les s’est ajoutée récemment la me- nace du coronavirus, d’autant plus forte que les infrastructures de santé y sont souvent défaillantes. Or, les budgets de ces pays ont été calculés sur la base d’un prix du baril moyen d’environ 60 dollars (55 euros). Le Nigeria, nation la plus peuplée d’Afrique, travaillait sur le scénario catastrophe d’un baril à 30 dollars, au moment où celui-ci est en passe de descendre sous les 20. Les recettes de l’Etat irakien de- vraient chuter de près de 70 % cette année selon les dernières prévi- sions, alors que les trois quarts du budget couvrent uniquement les salaires des fonctionnaires et les pensions des retraités. Au nom de la paix sociale, les autorités du pays ont, ces derniers mois, embauché 500 000 personnes supplémentai- res. Le gouvernement, intérimaire depuis près de six mois du fait de la crise politique, a envisagé lundi plusieurs mesures. Et entamé des discussions avec les sociétés pétro- lières étrangères opérant en Irak pour qu’elles réduisent leurs coûts de production, afin d’amortir la baisse des cours. «Mais la chute brutale des prix exige de transformer la politique économi- que avec plus d’austérité et de ratio- nalité», selon l’économiste irakien Dargham Mohamed Ali. Une option quasi impossible dans un pays qui a connu un mouvement de protes- tation inédit réclamant notamment une distribution plus équitable de la richesse nationale. La manne pétrolière reste essen- tielle pour acheter la paix sociale, comme en Algérie, où la redistribu- tion de la rente reste un des derniers ressorts du pouvoir. Il y a près d’un mois, le gouvernement avait déjà décidé de réduire ses dépenses pu- bliques et de revoir sa politique éco- nomique. Mais si, en Irak comme en Algérie, l’épidémie a eu pour effet de vider les rues des jeunes contestatai- res, des crises sociales bien plus lar- ges pourraient poindre en cas d’une nouvelle baisse des revenus. Des menaces plus lourdes encore pèsent sur le Venezuela et l’Iran, qui subissent la double peine de la chute des prix du brut et des sanc- tions économiques internationales. Pour Caracas, détenteur des plus grandes réserves mondiales de pé- trole, le krach pétrolier vient s’ajou- ter à une crise politique et économi- que aiguë qui dure depuis plusieurs années, et au désastre sanitaire en puissance que représente le corona- virus. L’Iran, où les hydrocarbures représentent 80 % des exportations, semble paradoxalement moins af- fecté par la récente chute des prix, car du fait des sanctions drastiques imposées par l’administration Trump, le pays avait déjà réduit si- gnificativement la part du pétrole dans ses prévisions budgétaires. Entente. Si elles sont à l’abri de troubles sociaux du fait de leurs ré- serves financières considérables, les pétromonarchies du Golfe voient se réduire leurs ambitions économi- ques et politiques, notamment leurs stratégies de diversification pour préparer l’après-pétrole. C’est le cas surtout pour l’Arabie Saoudite, pre- mier exportateur mondial, dont le turbulent prince héritier, Moham- med ben Salmane, s’est lancé dans des projets colossaux s’appuyant sur la privatisation d’une partie de sa puissante compagnie pétrolière Aramco. Il voit ses ambitions et son calendrier bien compromis. Mardi, le royaume saoudien s’est dit «déter- miné à assurer la stabilité du marché pétrolier et confirme son engagement avec la Russie pour mettre en œuvre les réductions [de production] pour les deux prochaines années». Mais l’entente laborieuse conclue au dé- but du mois entre Moscou et Riyad semble déjà dépassée. La réduction de la production d’environ 10 mil- lions de barils par jour début mai pa- raît dérisoire face à une demande en chute de près de 30 millions. Enfin par ricochet, la baisse des re- cettes des riches pays pétroliers ris- que de peser lourd sur l’économie mondiale. Car les pétrodollars ne seront pas au rendez-vous pour ve- nir soutenir les finances délabrées des pays occidentaux. Ni contribuer au commerce international. Hala Kodmani Les heures noires des pays producteurs Si les pétromonarchies doivent revoir leurs objectifs économiques, d’autres, tels l’Algérie ou le Nigeria, risquent l’explosion sociale. A Alger, le 4 avril. Photo Doudou. PPA. Sipa hostilité pour les finasseries écologi- ques qui risquaient d’endiguer le flot d’essence bon marché. D’ailleurs, le Président a d’abord décrit la baisse des prix comme «une formida- ble baisse d’impôts pour les Américains». Mais il a aussi enfilé dans le même temps la casquette de ses amis pétroliers – un lobby de l’énergie fossile qui a largement contribué à sa victoire de 2016 et à sa victoire et fait pression sur lui depuis le début de la crise du Covid-19. Trump sait parfaitement que la bonne santé du secteur pétrolier est une des clés de son succès populaire dans des Etats producteurs comme le Texas ou l’Oklahoma. D’où ses mesures : une nouvelle destruction des règles de protection de l’environnement, applaudie par les pétroliers fin mars, puis une offensive diplomatique visant à persuader lll 6 u Libération Mercredi 22 Avril 2020 A près 2014, lors de la dernière grande crise pétrolière, le sec- teur avait supprimé 10 000 em- plois en France. Avec le coup de frein brutal de la demande provoqué par la pandémie mondiale du Covid-19, cela risque d’être bien pire. Quand on inter- roge les professionnels du monde pé- trolier et parapétrolier sur les effets du coronavirus sur leur industrie, le sou- venir des «heures sombres», comme le dit l’un d’eux, remonte immédiatement à la surface. A la différence qu’au- jourd’hui, l’effondrement des cours du pétrole risque d’envoyer par le fond bon nombre d’acteurs parapétroliers, bien plus mal en point qu’il y a six ans. Et dans l’ombre du géant Total, le sec- teur compte bon nombre d’entreprises françaises très exposées, comme Tech- nip ou Vallourec. «Stoppés net» Avec un baril de pétrole passé durable- ment sous les 30 dollars, soit 27,6 euros (et même les 20 dollars mardi pour le Brent de la mer du Nord, son plus bas ni- veau depuis décembre 2001), les gran- des «majors» pétrogazières, parmi les- quels Total et ses 100 000 salariés dans le monde, n’ont pas attendu pour an- noncer une réduction considérable de leurs investissements. Selon une étude du cabinet spécialisé Rystad Energy, les compagnies du secteur de l’exploration- production pourraient les réduire de 192 à 61 milliards de dollars, soit une baisse de 68 % par rapport à 2019. «Toute l’industrie se projetait sur un cours minimum de 30 dollars au moins jusqu’à fin 2021, explique Christophe Remoué, d’Evolen, l’association fran- çaise des entreprises du parapétrolier et paragazier, qui réunit 260 sociétés, pour la plupart des PME. Avec la dé- gringolade des cours et sans aucune per- spective sur l’issue de la crise, les nou- veaux projets d’exploration deviennent bien trop coûteux et sont donc stoppés net.» Fin mars, Total a déjà détaillé un pre- mier plan de réduction de ses investis- sements de 3 milliards de ­dollars (-20 %) et un programme drastique d’économies, qui passe de 400 millions à 800 millions d’euros. Alors que son budget 2020 était basé sur un prix du baril de 60 dollars en moyenne sur l’année, la multinationale a calculé que cela devrait se traduire par un manque à gagner de 9 milliards de dollars, comme l’a indiqué son PDG, Patrick Pouyanné. Ce dernier, qui a appelé les salariés de l’entreprise à faire preuve de «capacité de résistance», a également indiqué qu’il mettait fin au programme de rachat d’actions et gelait la quasi-to- talité des recrutements mais sans re- courir au chômage partiel. La situation s’annonce bien plus criti- que encore pour toute la chaîne de sous-traitance en cascade de sociétés de services, de maintenance et d’explo- ration pétrolière. Le premier effet de la pandémie a été de désorganiser les cir- cuits d’approvisionnement et de four- niture de personnel pour les projets déjà en cours qui dépendent de pièces souvent fabriquées à l’étranger, en Chine, en Italie, ou encore en Espa- gne. «Le secteur tourne déjà au ralenti à cause du Covid, mais ­l’essentiel du choc est à venir et va concerner tous les contrats qui n’avaient pas encore été passés, poursuit Christophe Remoué. Ça va être très très difficile.» Comme l’explique ce cadre d’une so- ciété spécialisée dans l’installation de réseaux sous-marins reliant les plate- formes aux têtes de puits pétroliers, «notre activité dépend quasiment à 100 % des nouveaux projets engagés sur les futurs forages et investissements. On travaillait sur une ­dizaine d’appels d’offres, dont les trois quarts ont été ar- rêtés. Il n’est pas ­exclu que certains champs déjà exploités soient eux aussi fermés. L’impact est massif et immé- diat, avec une réaction en chaîne extrê- mement rapide comme dans le cas d’au- tres industries très globalisées». L’industrie française, qui compta long- temps quelques-uns des plus beaux fleurons du secteur, est en première li- gne face à ce double choc d’offre et de demande. Producteur de tubes sans soudure pour les forages de puits, Val- lourec, dont l’action a chuté de 60 % de- puis le début de l’année et vient de pas- ser sous la barre d’1 euro, a déjà annoncé la suppression de 900 emplois en Amérique du Nord, région qui as- sure près de 30 % de son chiffre d’affai- res. Le géant français de l’équipement de plateformes pétrolières Technip, qui avait survécu à la dernière crise de 2014 en fusionnant avec l’américain FMC, est lui aussi dans la tourmente, tout comme CGG. Facteur aggravant, ces deux entreprises très centrées sur les hydrocarbures n’ont pas cherché, comme d’autres, à se ­diversifier dans les équipements d’énergies renouvela- bles, comme l’éolien offshore ou l’hy- drogène. Etranglement «Le plus inquiétant, reconnaît-on chez Evolen, c’est qu’en 2014, lorsque le baril avait chuté autour de 30 dollars, les car- nets de commandes étaient pleins alors que ce n’est plus le cas aujourd’hui. Très fragilisés, la plupart des acteurs du sec- teur ­commençaient tout juste à s’en re­- mettre.» Pour survivre, ces fournisseurs d’équipements et de services très divers (bateaux pour les exploitations offshore du français Bourbon, hélicoptères d’Héli-Union pour le transport de per­- sonnes, sociétés d’intérim spécia­- lisées, etc.) avaient dû réduire forte- ment leurs prix et leurs marges sous la pression de majors pétrolières en posi- tion de force. Une situation d’étrangle- ment qui avait entraîné de nombreuses ­restructurations et fusions et qui risque de se reproduire, dans un contexte de pénurie de nouveaux projets. Autre équation impossible, celle du changement climatique : «Polluer moins, cela passe par de gros efforts en recherche et développement. Or toutes les entreprises vont devoir drasti­- quement couper dans leurs coûts pour survivre», explique Christophe Re- moué, selon lequel il sera d’autant plus difficile de s’adapter à la nouvelle donne environnementale. Selon l’étude du cabinet spécialisé Rystad, environ 200 entreprises européennes du sec- teur pourraient ainsi se retrouver en faillite dans les prochains mois, fran- çaises, mais aussi britanniques et nor- végiennes. Christophe Alix événement économie En France, les parapétrolières replongent dans la crise A peine remises du choc de 2014 et malgré le besoin de financement pour s’adapter au changement climatique, les entreprises du secteur vont devoir couper dans leurs investissements, fragilisant toute la chaîne. La baisse du baril n’affectera pas (trop) les recettes fiscales La taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) n’est pas une petite ligne dans le budget de l’Etat. L’an dernier, ce prélèvement a rapporté 13 milliards d’euros aux finances publiques, auxquels il faut ajouter près de 17 milliards allant aux régions et départements. Ce qui en fait tout de même la quatrième recette fiscale après la TVA, l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés. Mais la dégringolade actuelle du prix du baril n’aura pas d’impact sur ce que doit encaisser l’Etat. La TICPE est en effet calculée de manière fixe : 66 à 68 centimes par litre d’essence vendu à la pompe, quel que soit le tarif du carburant. En revanche, deux mois de confinement et de moindre circulation automobile ont contraint le ministère de l’Action et des Comptes publics à revoir à la baisse les recettes de cette taxe. Moins de véhicules sur le macadam impliquent une moindre consommation à la pompe. Le projet de loi de finances rectificative adopté la semaine dernière anticipe des recettes de la TICPE en baisse de 10 %. Il était prévu qu’elle rapporte 33,6 milliards en 2020. Ce ne seront que 30 milliards, dont 13,5 milliards pour l’Etat et 16,5 milliards pour les régions et départements. F.BZ L’autoroute A13 à hauteur de Rocquencourt (Yvelines), Libération Mercredi 22 Avril 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 7 A 21 dollars le baril de pétrole, voire à un prix négatif sur cer- tains marchés financiers, mardi aux Etats-Unis, à quoi bon vouloir encore investir dans les renouvelables ? La baisse continue des prix de l’or noir, sous le coup des me- sures mondiales de confine- ment, donnera-t-elle un coup de frein désastreux à la tran- sition écologique ? Des in- quiétudes légitimes car pour ­éviter un emballement cli- matique, l’extraction des énergies fossiles doit s’arrêter dans les prochaines dé­- cennies, et la consommation mondiale d’énergie baisser drastiquement. Manne. Mais une lueur d’es- poir persiste pour le climat : «Les milliards d’euros d’inves- tissements qui ne seront pas mis dans l’exploration de nou- veaux gisements peuvent être redirigés vers une transition écologique du secteur», assure Maxime Combes, écono- miste et ­porte-parole d’At- tac. D’après l’Agence inter­- nationale de l’énergie, les dépenses en capitaux par les entreprises d’exploration et de production devraient chuter en 2020 d’environ 32 % par rapport à l’an dernier, et atteindre un plus bas de- puis treize ans. Mais l’agence, elle, n’y voit pas une bonne nouvelle pour l’écologie. «Cette réduction de ressources ­financières va réduire les ­capacités de l’industrie pétro- lière pour développer cer­taines des technologies ­nécessaires aux transitions vers des ­énergies propres», peut-on lire dans son rapport d’avril sur les marchés ­pétroliers. Pour Maxime Combes, c’est se tromper de problème : «Les géants du ­secteur ont ­accumulé d’énormes quantités de liquidités depuis de nom- breuses années. Nous avons plutôt besoin que les diri- geants politiques entrent en- fin dans un rapport de force avec ces ­pétroliers pour les ­forcer à utiliser ­ces liquidi- tés dans des investissements pour la transition écologique.» Sans intervention des Etats, dans le secteur des fossiles, de nombreuses entreprises plus petites ne bénéficient pas de ces réserves finan­- cières et devront, dans les prochaines semaines, mettre la clé sous la porte, comme Vallourec en France (lire ci- contre). «Voilà l’occasion de sauver ces entreprises à la condition qu’elles mettent en place des plans de tran­- sition pour leur personnel à moyen terme», reprend l’économiste. La climatologue Corinne Le Quéré, présidente du Haut Conseil pour le climat (une organisation scientifique ­indépendante créée à la de- mande d’Emmanuel Macron en 2019) voit une autre op- portunité dans cette situa- tion sans précédent. «Il faut utiliser ce prix faible du pé- trole pour arrêter les subven- tions aux énergies fossiles en France», dit-elle. Bien que le gouvernement assure ne pas pratiquer de telles ­aides, plusieurs acteurs, dont les estimations divergent, ­affirment le contraire. A commencer par la Commis- sion européenne, qui déclare que 7,5 milliards d’euros sont donnés par la France au sec- teur tous les ans. L’OCDE, elle, voit plus bas, avec une manne ­estimée à 4,9 mil- liards d’euros. Et l’ONG Ré- seau Action Climat bien plus haut, avec 11,2 milliards ­d’euros. «Le faible prix de l’énergie confère une marge de manœuvre pour repenser une fiscalité pérenne autour de la pollution, souligne le Haut Conseil sur le climat dans un rapport sorti mardi. La ­réduction des exonérations ­fiscales liées aux énergies fos- siles, entamée dans la loi de finances 2020, doit être me- née à son terme.» La pandémie a aussi permis aux énergies renouvelables de faire leurs preuves en si- tuation de crise. Avec la forte baisse de la demande en énergie, de nombreuses ­centrales à charbon et à gaz n’étaient plus rentables et ont dû fermer temporairement. On voit alors, ­depuis février, les renouve­lables occuper une place sans précédent dans les mix ­énergétiques nationaux. En France, éolien, solaire, hydraulique et bio­- énergies ont produit 32 % de l’électricité du pays en mars et avril, ­contre seulement 1 % pour le gaz. L’an dernier, sur la même période, les renou- velables occupaient 17 % du mix. Il en est de même en Al- lemagne : sur les trois der- niers mois, 52 % de l’électri- cité produite provenait des renouvelables. «Cela montre à quoi ressemblera le monde si on le décarbone, explique Antony Froggatt, chercheur spécialiste de l’énergie au centre de réflexion britanni- que Chatham House. C’est pourquoi nous devons dé­- velopper les capacités de ­stockage des renouve­lables, comme les batteries à hydro- gène.» Course en avant. Malgré tous ces signaux positifs, les politiques peinent à saisir ces opportunités. «La Commis- sion européenne comme Em- manuel Macron assurent que la transition écologique sera au cœur des plans de relance écono­mique. Pourtant, les ré- centes décisions de sauver sans ­conditions certaines in- dustries ­polluantes en France, ou de reporter des législa- tions environnementales au niveau ­européen, montrent le contraire», dénonce Maxime Combes. Pendant ce temps-là, le pétrole continue d’être pompé du sous-sol. Au Texas, rien qu’en mars, 1 175 autorisations pour de nouveaux puits ont été déli- vrées, rapporte le Huffington Post. Soit un bond de 30 % ­depuis janvier par rapport à 2019. Une course en avant dont les premières victimes seront les travailleurs et les petites entreprises du secteur pétrolier, avant la planète tout entière. Aude Massiot Le baril à bas prix, les renouvelables à bas bruit Malgré le fait que l’éolien, le solaire ou l’hydroélectrique ont fait un bond dans le mix énergétique en raison de l’épidémie, prouvant ainsi leur résistance, la baisse du prix du pétrole fait craindre pour leur avenir. «Il faut utiliser ce prix faible du pétrole pour arrêter les subventions aux énergies fossiles en France.» Corinne Le Quéré présidente du Haut Conseil scientifique le 12 avril. Photo Marc Chaumeil. divergences Retrouvez dans 28 minutes presente par elisabeth quin du lundi au jeudi a 20h05 sur 8 u Libération Mercredi 22 Avril 2020 Par Guillaume Gendron Envoyé spécial à Jérusalem-Est Photos Amnon Gutman que la Cour suprême soit saisie. Nous, ça fait un mois qu’on se dé- brouille contre le coronavirus, seuls.» Cheveux gélifiés vers l’arrière et masque chirurgical sur la bouche, le trentenaire distribue gants et masques aux passants et leur rap- pelle les gestes barrières. D’ordi- naire, Jabarin est éducateur, un des rares jobs financés par la municipa- lité. Depuis le début du confine- ment, il est en congé sans solde. Jusqu’à présent, la gestion du coro- navirus à Jérusalem-Est a donné lieu à une bataille plus politique que sanitaire. Israël a accusé l’Autorité palestinienne de profiter de la crise pour reprendre pied dans la ville trois fois sainte que l’Etat hébreu voit comme sa «capitale unifiée». Le 14 avril, la police israélienne a fait fermer un point de dépistage ins- tallé dans une mosquée de Silwan, un quartier voisin, sous prétexte que les kits utilisés étaient fournis par Ramallah, «sans coordination préa- lable». La veille, le porte-parole de la Sulta avait condamné l’arresta- tion de deux officiels palestiniens en charge des affaires hiérosolymi- taines, dénonçant «l’obstruction de l’occupant dans la lutte contre le co- ronavirus». «Frères siamois» Ce bras de fer n’empêche pas les doubles discours. Quelques semai- nes plus tôt, quand il a fallu impo- ser le confinement à Kufr Aqab, un autre de ces quartiers miséreux abandonnés par delà le mur, Israël a préféré déléguer la besogne aux policiers de Ramallah, une pre- mière depuis des années. «L’Auto- rité essaye de marquer des points, ce qui n’est peut-être pas le meilleur moment, résume Daniel Seide- mann, directeur de l’ONG anti-co- lonisation Jérusalem terrestre. Mais les Israéliens ont mieux à faire que de pourchasser les politiciens pales- tiniens, surtout dans les zones qu’ils ont renoncé à administrer ! Autour de Jérusalem, il y a plus de frontières qu’on ne peut imaginer : la ligne verte, les limites de la ville, les zo- nes A, B et C, le mur… Israël a tenté de contenir le virus suivant ces li- gnes, mais le virus n’a que faire des frontières ! Israéliens et Palestiniens sont des frères siamois face à l’épidé- mie : on le voit bien quand un em- ployé palestinien de Jérusalem ra- mène le Covid dans son village de Cisjordanie…» Kamel Jabarin est plus prosaïque : «Les Israéliens ont attendu trois se- maines avant de s’impliquer, bien après la Sulta. C’est pour ça que cer- tains se sont tournés vers eux. C’est humain : on prend l’aide d’où qu’elle vienne.» Ce brouillage des repères L a scène fait désormais partie du quotidien épidémique. Tentes, hommes en combi- naison étanche, ambulances et pa- tients à qui l’on enfonce profondé- ment une tige dans le nez. On peut même faire le test sans avoir à sortir de sa voiture, en mode «drive». Ce qui change, c’est le décor : les domi- nos de béton et les miradors calci- nés, à la taille ridiculisée par les im- meubles juste derrière, bambous urbains qui auraient poussé hors de contrôle. Ce poste de dépistage du coronavirus se trouve à l’entrée du camp de réfugiés palestiniens de Shuafat, qu’Israël a relégué de l’au- tre côté du mur de séparation, mais considère dans les limites de la mu- nicipalité de Jérusalem. Du point de vue du droit international, à l’instar du reste de Jérusalem-Est, Shuafat fait partie des Territoires occupés. Mais la réalité a des contours flous, désignés par une lettre : «zone C». L’Autorité palestinienne («Sulta», en arabe), sise à Ramallah, n’a pas le droit d’y opérer, mais la police is- raélienne y songe à deux fois avant d’y mettre les pieds. Pour les 150 000 Palestiniens qui vivent de l’autre côté du mur dans cet entre- deux qui a tout de l’angle mort, la municipalité de Jérusalem n’est qu’un vague concept, par delà le checkpoint. «Depuis 2007 [date de la construc- tion du mur à cet endroit, ndlr], cette zone a été peu à peu abandon- née par toute forme d’autorité, as- sure Kamel Jabarin, habitant de Shuafat et bénévole de l’association arabo-juive Kulna Jérusalem («nous sommes tous Jérusalem»). Ce n’est que le deuxième jour où ce point de dépistage est ouvert, et il aura fallu Dans les quartiers relégués de l’autre côté du mur de séparation, la lutte contre le Covid-19 se double d’une bataille politique entre Israël et l’Autorité palestinienne. Dépistage à Jérusalem-Est «Il aura fallu saisir la Cour suprême» événement Monde Une jeune Palestinienne vient se faire dépister dans une clinique de Shuafat. Point de dépistage du Covid-19, Pulvérisateurs de produits désinfectants dans une rue de Jérusalem-Est. Libération Mercredi 22 Avril 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 9 induit par l’épidémie a forgé des al- liances inédites, jusque dans le bu- reau du maire Moshe Leon, pour- tant très à droite et d’ordinaire peu concerné par le sort des Palesti- niens de Jérusalem. Dans un viru- lent courrier officiel, l’édile s’est alarmé début avril du manque d’équipement et de préparation dans les trois hôpitaux de Jérusa- lem-Est, durement touchés par l’ar- rêt des aides américaines il y a deux ans. Retard à l’allumage Accusés par le maire d’avoir failli à leurs promesses, les officiels nient tout retard à l’allumage. «Nous avons répertorié peu de cas dans ces zones, environ 200, ce qui explique pourquoi nous avons d’abord choisi de nous concentrer sur d’autres quartiers de Jérusalem, notamment ceux des juifs ultraorthodoxes, où la situation est délicate», assure le docteur Asher Salmon, du minis- tère de la Santé. Seul un décès lié au Covid-19 a été recensé à Jérusalem- Est, une femme de 78 ans. Pour les ONG, ces statistiques ne seraient que le reflet de l’absence de dépis- tage. «Franchement, on ne peut pas cacher les malades avec ce virus, ri- poste Salmon. S’il y avait un cluster à Jérusalem-Est, tout le monde ­l’aurait vu.» ou soigner : «Certains craignent d’être ensuite rejetés par la com­- munauté. D’autres, par peur de la ­contamination, ont arrêté de venir à l’hôpital, même avec des patholo- gies graves sans lien avec le Covid. C’est inquiétant.» Dans la rue, les masques de contre- façon siglés d’une virgule Nike font fureur. Face aux ados agglutinés, la police antiémeute israélienne tente de timides incursions à proximité du checkpoint, avant de se replier à reculons. Retranchés devant le ­centre pour la jeunesse face aux bu- reaux de l’Unrwa (l’agence onu- sienne pour les réfugiés pales­- tiniens), les cadres du Fatah minimisent les tensions en sirotant leur café. «Une petite centaine de shebabs n’écoutent rien, c’est valable toute l’année, corona ou pas», lâche Imad Ibrahim, qui vante les actions du «comité unifié» : vaporisation de chlore, fabrication de bannières in- formatives. Sans les nommer, Ka- mel Jabarin note que des «associa- tions locales qui n’auraient jamais bossé avec les juifs ont temporaire- ment accepté leur aide, à travers nous». Mais il n’est pas dupe : «Après tout ça, on reviendra à la normalité du conflit. Ce sera toujours au-des- sus de l’épidémie, parce que celle-ci finira bien par avoir une fin. Alors que le conflit…»• Les FAITS DU JOUR n En France, les dernières vingt-quatre heures ont été marquées par une baisse sensible (-250) du nombre de personnes hospitalisées en réanimation. Au total, ce sont 478 personnes de moins qui sont prises en charge dans les établissements ­hospitaliers (30 106 dont 5 433 en réanimation). Le pays a enregistré 531 décès supplémentaires (387 à l’hô- pital et 144 en Ehpad), por- tant le total à 20 796 morts. n Dans le monde, la pandé- mie de coronavirus pourrait doubler en 2020 le nombre de personnes qui souffrent de la famine, selon une étude de l’ONU. Elles étaient environ 135 millions en 2019, dans 55 pays affectés par les conflits et les problèmes cli- matiques, à être en situation «d’insécurité alimentaire ai- guë», et pourraient passer à 265 millions cette année. Parmi les pays les plus tou- chés figurent le Soudan du Sud, dont 61 % de la ­population est concernée, le Yémen (53 %) et l’Afgha- nistan (37 %). n En Iran, plus de 1 000 dé- tenus étrangers ont été libé- rés provisoirement face à la propagation de l’épidémie, après des critiques d’experts des droits de l’homme de l’ONU. Début mars, les autori- tés avaient accordé des per- missions de sortie à 100 000 prisonniers. La chercheuse franco-ira- nienne Fariba Adelkhah ­serait, elle, toujours détenue. n En Allemagne, Berlin va imposer à partir du 27 avril le port du masque dans les transports en commun, vu qu’«il n’est pas possible de garantir une distance de sécurité de plusieurs ­mètres», a expliqué le maire de la ville. Dix Länder sur seize ont déjà imposé cette mesure. n La Croatie étudie la mise en place de «corridors touris- tiques» pour les visiteurs tchèques cet été, à condition qu’ils aient un certificat de non-contamination. Le tou- risme représente environ 20 % du produit intérieur brut du pays. L’an dernier, quelque 20 millions de ­touristes, dont 700 000 Tchèques, se sont rendus en ­Croatie. n Le Danemark, qui lève progressivement les restric- tions liées à la lutte contre le coronavirus, a annoncé que les rassemblements de moins de 500 personnes se- raient autorisés à compter du 11 mai et ­jusqu’au 1er sep- tembre. Jusqu’au 10 mai, ils restent limités à 10 person- nes, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur. Il est une inquiétude sur laquelle tous s’accordent : le ramadan, qui doit débuter jeudi soir, alors qu’Is- raël a commencé à assouplir les ­mesures de confinement. «La mis- sion, c’est d’éviter de reproduire ce qui s’est passé avec les ultraortho- doxes pendant les ­fêtes juives», ré- sume Kamel Ja- barin. Les imams ont juré de garder leurs mosquées fermées et appel- lent à ce que les if- tars (les repas de rupture du jeûne) se fassent dans les appartements, et soient limités à la famille proche. Un couvre-feu drastique, comme ce- lui instauré dans les villes juives du- rant Pessah, n’est pas d’actualité mais reste une option selon les auto- rités. Pour sa part, Kulna Jérusalem prévoit de distribuer 10 000 mas- ques et 350 paniers de nourriture d’ici la fin du mois saint. «Je n’inviterai personne, je le jure, même si je pleure de ne voir mes filles que sur WhatsApp !» assure Dalal Kalouti, âgée de 58 ans et mère de six enfants. Elle pioche dans le stock de masques de Jabarin. Pas besoin de topo, elle s’est informée sur la maladie, écoutant à la fois les brie- fings de l’Autorité palestinienne et ceux de Nétanyahou, qu’un voisin hébréophone lui a traduits. «Sur le corona, j’écoute tout le monde !» dit- elle dans son appartement imma- culé dont les dorures et le bois laqué contrastent avec la décharge sau- vage où brûlent les déchets le long du mur. Avec ses rues étroites bordées de jeunes désœuvrés et ses immeubles de douze étages aux façades à touche- touche, où s’entas- sent des familles de six enfants en moyenne par apparte- ment, Shuafat présente une topographie propice au virus. «En termes de surpopulation, de paupérisation et de carences sa- nitaires, c’est bien pire que Bnei Brak», note l’humanitaire Daniel Seidemann, en référence à cette banlieue ultraorthodoxe de Tel- Aviv, l’un des principaux foyers de l’épidémie en Israël. «On attend la vague, il y a déjà 70 cas à Silwan, s’inquiète le doc- teur Ghaleb Zaria, chef d’une des trois cliniques du camp. D’autant […] qu’il sera dur de résister aux in- vitations durant le ramadan.» Autre souci, les fake news qui prolifèrent et les réticences à se faire dépister 50 km Mer Méditerranée Tel-Aviv CISJORDANIE GOLAN GAZA JORDANIE SYRIE LIBAN ÉGYPTE ISRAËL Eilat Jérusalem-Est à l’entrée du camp de réfugiés palestiniens de Shuafat, à Jérusalem-Est, dimanche. 10 u Libération Mercredi 22 Avril 2020 P lus d’un mois après le premier tour des municipales, les pan- neaux d’affichage électoraux qui subsistent dans les rues de Paris ressemblent à des vestiges. Des ­tra­- ces du monde d’avant, quand le Co- vid-19 n’avait pas encore tout boule- versé. «Les municipales, c’était il y a un siècle», évacue un candidat villa- niste. En pleine crise sanitaire et économique, «campagne» et «élec- tion» sont devenus comme des gros mots qu’on n’ose pas prononcer. Pourtant, le sujet reste dans un coin de toutes les têtes. Le 23 mai, des ex- perts scientifiques doivent se pro- noncer sur la possibilité d’organiser le deuxième tour fin juin. Dans le monde politique, plus personne n’y croit. L’option de la table rase est plus probable : on rejouerait alors les deux tours en octobre, voire en mars 2021, en même temps que les départementales et les régionales. En attendant, tout a été mis sur pause. Que se passera-t-il quand on appuiera sur lecture ? La campagne repartira-t-elle sur les bases du 15 mars ? Ce dimanche-là, les résul- tats tombent alors que la France se prépare au confinement. Anne ­Hidalgo, la maire sortante, fait la course largement en tête devant la LR Rachida Dati et la marcheuse Agnès Buzyn. Et encore plus loin devant l’écolo David Belliard et le député mathématicien, dissident macroniste, Cédric Villani. Dans les heures qui suivent, certains com- mencent à parler fusion de listes et accords programmatiques. Sait-on jamais. D’autres, souvent les per- dants, enterrent sans attendre le se- cond tour. «Là, tout de suite, je m’en fous», s’agace à l’époque une candi- date LREM qui pense être atteinte du Covid-19 et qui sait que son score ne lui permettra pas d’être élue au Conseil de Paris. «Dans son trip corona» Les têtes de listes qui n’ont pas brillé lors du scrutin vont devoir convain- cre colistiers et équipes de les suivre à nouveau. Une campagne, c’est du temps et de l’argent, que les candi- dats n’ayant pas obtenu 5 % des suf- frages ne récupéreront pas. «Cela aura forcément des conséquences en termes de listes. La campagne sera influencée par les résultats du pre- mier tour», prédit le conseiller de Paris Pierre Auriacombe, venu des rangs de la droite mais ayant re- joint la liste LREM. «Certains peu- vent se dire : à quoi bon ?» admet la tête de liste LFI, Danielle Simonnet. Mais l’insoumise veut croire que la «colère» qui monte au gré de la crise sanitaire «peut se traduire en déter- mination». Dans le camp de la majorité, cer- tains sont moins optimistes. Après avoir recueilli 17,26 % des suffrages, «beaucoup de gens ont pris un coup sur la tête chez LREM, ils sont un peu KO debout», raconte un candi- dat figurant sur une des listes d’ar- rondissement de Buzyn. Le pro- blème, c’est que c’est aussi le cas de leur cheffe de file. «Elle est dans son trip corona, je ne l’imagine pas un seul instant repartir» à l’automne, admet le même élu parisien. Depuis un mois, on dit la candidate «effon- drée». Il y aurait la violence de la campagne, trop dure à encaisser pour une novice en politique, et les regrets d’avoir quitté son ministère de la Santé mi-février alors qu’elle entendait la crise sanitaire gronder. «Je suis partie en ­sachant que les élections n’auraient pas lieu», a-t- elle assuré après coup dans un en- tretien au Monde qui a fait l’effet d’une bombe. Comment revenir après ça ? Au lendemain de ces dé- clarations, un candidat LREM ad- mettait que la campagne parisienne était «perdue» : «Je l’assume, ça n’a pas pris, mais on pouvait ­essayer de minimiser la casse. Là, sa déclara- tion va revenir tout le temps» dans la future campagne. Un mois plus tard, le reset de plus en plus probable des municipales change la donne. Il laisserait du temps aux marcheurs pour trouver une alternative. Soit, après Benja- min Griveaux puis Agnès Buzyn, un troisième candidat en six mois. A la direction de LREM, on évacue la question : «Agnès Buzyn est et res- tera notre candidate.» Il n’empêche, des noms circulent. «On cherche le candidat miracle, plaisante un mar- cheur. Certains poussent pour Rose- lyne Bachelot», autre ex-ministre de la Santé, revenue en grâce depuis le début de la crise du Covid-19. Mais même en changeant de candidat, le prochain match est loin d’être ga- gné. «Je ne vois pas comment on peut battre Hidalgo, concède un marcheur. Il faudrait unir LR et LREM, soit la carpe et le lapin.» Comme des adieux Si à première vue tout est à l’arrêt, la politique reprend doucement ses droits. Dans tous les camps, les ri- deaux des locaux de campagne ont été baissés et les contrats des équi- pes suspendus mais les téléphones sonnent encore. On prend des nou- velles et on s’interroge sur la suite. Du côté de Cédric Villani, c’est le flou. Au lendemain du premier tour, le mathématicien a échangé avec David Belliard, Anne Hidalgo et Agnès Buzyn. Son camp était tiraillé entre un grand rassemblement avec la gauche écolo et un retour à la mai- son LREM. «Il y a différentes appro- ches, comme il y en a dans ce genre de collectifs où des sensibilités coexis- tent. Il y a une adhésion très forte à la personnalité de Cédric, pour le- quel les gens sortent de leur zone de confort», analyse la députée Anne- Christine Lang, qui en convient : «Maintenant, on revient à des choses plus classiques.» Car le mathématicien, qui plaide pour un report des municipales au printemps 2021, n’est plus là pour souder ses garnisons disparates. La boucle Telegram «Agenda Paris Cé- dric Villani», qui informait la presse des actualités de campagne, clignote encore, mais elle signale désormais les interventions du député sur des sujets nationaux. Villani, vice-prési- dent de l’Office parlementaire d’éva- luation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), a la tête à la crise sanitaire. «Mon activité poli- tique est entièrement liée à l’épidé- mie, confirme le candidat à Libé. Il faut réfléchir sur ce qui va être im- portant pour la suite pour la France, pour l’Europe. Les municipales ne sont pas le sujet du moment.» Il ne dit pas qu’il les a enterrées mais con- jugue la campagne au passé et parle comme on fait des adieux : «C’était une grande aventure. Je reste très fier de ce qu’on a réussi à faire. Ma plus grande fierté serait de réussir à faire de même avec d’autres sur la crise pour les grands défis à venir.» Le Covid-19 interroge les logiciels idéologiques, y compris au niveau municipal. Pour les écolos, le virus conforte leur projet. «Cela valide la nécessité d’un changement de mo- dèle, analyse David Belliard, leur chef de file parisien. Mais on ne sait pas quel braquet va être pris donc ça va être une bataille politique, qui va se jouer à toutes les échéances électo- rales, y compris locales. La crise du coronavirus nous dit beaucoup de choses sur la fragilité des métropoles, et notamment Paris.» Le candidat s’interroge désormais sur l’architec- ture de ce projet. Pendant la campa- gne, les écologistes parisiens, qui siègent dans la majorité menée par Par Charlotte Belaïch Récit Faire l’union ou poursuivre l’opposition ? Tout changer ou garder ses listes et ses propositions ? Depuis la mise en pause du scrutin, qui pourrait repartir de zéro faute d’un second tour rapide, les troupes des candidats s’interrogent. Anne Hidalgo à la porte de la MUNICIPALES À PARIS La campagne joue à stop mais encore événement Politique

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