ebook img

L'expression sociale de l'agressivité et du ressentiment chez les Indiens Mataco du Grand Chaco PDF

14 Pages·1.872 MB·French
Save to my drive
Quick download
Download
Most books are stored in the elastic cloud where traffic is expensive. For this reason, we have a limit on daily download.

Preview L'expression sociale de l'agressivité et du ressentiment chez les Indiens Mataco du Grand Chaco

L’expression sociale de l’agressivité et du ressentiment chez les Indiens Mataco du Gran Chaco I. ’ F. X P R F. S S I O N S O C U I.IÎ DF I. ’ A O R F. S S I V I T F F. T DU R F S S F N T I M F N T CHEZ I. F. S I N D I E N S M A T A F O DU fi R A N C II A C O L’épidémie de suicide étudiée dans cet article s’est produite dans les années qui ont précédé la dernière guerre. Les Indiens Mataco constituent une des plus importantes tribus du Chaco argentin. Ils habitaient jadis sur la rive droite du rio Pilcomayo, qui sépare l’Argentine du Paraguay. Les renseignements qui. me parviennent à présent du Chaco argentin font craindre que les Mataco et d'autres tribus de la région ne. disparaissent, comme, les Indiens de. la Terre de Feu, dans un avenir très proche. Même s’ils ne sont pas exterminés, ils se résorberont dans la population métisse, de la région. Il est cependant, encore temps de les étudier. Les cultures indiennes sont tenaces et il suffit de. gagner la confiance, d’informateurs pour se rendre compte, combien vivace est le souvenir du passé. Les chroniqueurs du XVIe siècle nous parlent souvent du suicide des Indiens. Le. fait est rarement mentionné par les ethnographes modernes qui feraient bien d’orienter leurs enquêtes sur ce thème, riche en implications diverses. Premier cas. Au cours d’un séjour chez les Indiens Mataco du Pilcomayo, j'ai accompagné le Dr Smith, chef de la mission de San Andrés, auprès d’une jeune Indienne dont la famille avait jugé l’état si alarmant qu’elle s’était décidée à appeler à l’aide le mission­ naire. La patiente, la bouche crispée, était agitée de secousses 1 1. Une partie des faits présentés dans ce chapitre ont été inclus dans l’article « Suicide among the Matuko of the Argentine Gran Ghaco » (Amerirn IruUgena, vol. III, n° 3, Mexico, 1943, p. 199-210). spasmodiques. Une vieille parenle nous dit avoir senti une vague odeur de sachasandia (Capparis salicifolia (Inseb), fruit que les Indiens mangent volontiers pendant l’hiver lorsqu’ils n’ont pas de caroubes mais qui, s’il n’est bouilli dans plusieurs eaux, est un poison violent. Le médecin administra à la jeune femme une piqûre de morphine et un émétique pour la faire vomir. Quelques heures plus tard, elle était hors de danger. Comme la tentative de suicide était patente, je m’efforçai d’obtenir quelques renseignements sur les circonstances qui l’avaient provoquée. La jeune Indienne était la maîtresse d’un homme du village, marié et père de deux enfanls. La grand-mère de l’homme (mère de sa mère), craignant qu’il n’abandonnât son épouse, s’employait à rompre cette liaison. Elle était même allée jusqu’à se plaindre au missionnaire, sollicitant son intervention. Les parents de la jeune Indienne soutenaient, de leur côté, que c’était l’homme qui poursuivait leur fille jusque chez eux. Quelques jours avant le drame, la jeune Indienne s’était introduite subrepticement chez son amant et y avait dérobé un couteau et quelques autres menus objets. De retour chez elle, elle aurait déclaré qu’elle ne consentirait à renoncer à son amour qu’en échange d’un cadeau substantiel. Peu après, elle quittait la hutte paternelle pour s’installer chez des parents éloignés. Le même soir, elle dormait pesamment lorsque se révélèrent les symptômes de l’empoisonnement. Au cours de mon entretien avec le missionnaire, j’appris que neuf autres cas — ou tentatives — de suicide s’étaient produits dans le village peu avant mon séjour. Deuxième cas. Une orpheline d’environ seize ans se suicida par absorption de sachasandia. On me dit qu’elle avait eu de nombreuses aventures sexuelles sans jamais réussir à former des liens quelque peu stables avec un homme. Elle mourut en plein milieu du village et personne ne vint à son secours. Le compor­ tement des Indiens fut alors curieux. Une femme posa la tête de la morte sur ses genoux et la garda ainsi toute la nuit tandis que ses parentes faisaient retentir le village de leurs lamenta­ tions. Malgré ces manifestations de douleur, le cadavre, entière­ ment nu, fut abandonné sur la place où les petits enfants lui jetaient des bouts de bois et où les chiens venaient le mor­ diller. Il fallut l’intervention du missionnaire pour que les Indiens consentissent à toucher au corps. Ils le jetèrent dans la brousse sans meme lui creuser une sépulture. Interrogés sur les causes de leur hostilité, les Indiens répon­ dirent que la jeune femme n’avait pas de proches parents pour s’occuper d’elle et qu’en outre elle avait mauvais caractère. C’est d’ailleurs à son humeur chagrine qu’ils attribuaient ses échecs sentimentaux et son suicide. Troisième cas. Il s’agit ici d’un jeune couple. Le mari avait environ seize ans et la femme quatorze. Ils ne s’entendaient guère. Excédé par des querelles incessantes, le jeune homme s’empoisonna. Son épouse parut d’abord indilîérente, mais ne tarda pas à se joindre aux pleureuses. Son humeur s’assombrit encore lors­ qu’elle eut à affronter les reproches de certaines personnes qui l’accusèrent ouvertement d’être responsable de la mort de son mari. Quelques jours plus tard, au crépuscule, elle mangeait de la sachasandia afin que le poison agisse pendant son som­ meil. Cependant, les symptômes de l’empoisonnement aler­ tèrent scs parents qui appelèrent le médecin de la mission. La jeune femme fut sauvée. Ses parents marquèrent peu de chagrin de son acte, mais, chose étrange, moins que le père et la mère du mari défunt. Quatrième cas. Une fille, du nom de Teresa, semble s’être suicidée faute de pouvoir mener une vie sexuelle normale. Agée de treize ans et ayant eu ses premières règles, elle était considérée comme adulte. Elle se montrait fort impatiente de trouver un mari, mais les jeunes gens auxquels elle s’intéressait étaient déjà mariés ou la négligeaient. Prise de désespoir, elle se rendit dans un village de « Chrétiens » (colons métis), non loin de son camp, dans l’espoir de devenir la concubine d’un Argentin. Sa famille s’opposa à son projet. C’est alors qu’elle tenta de se suicider en mangeant de la sachasandia. Lorsqu’elle sentit les premiers effets du poison, elle fut prise de panique et courut chez le médecin de la mission qui lui sauva la vie en lui administrant un émétique. Sa mère, veuve, fut si profondément affectée de cette tentative de suicide qu’elle ne put se convaincre que sa fille était mainte- liant hors de danger. Durant sa convalescence elle ne cessait de la réveiller la nuit pour s’assurer qu’elle était encore vivante. Cinquième cas. Manuel, un jeune homme d’environ dix-sept ans, était marié à une hile d’un caractère acariâtre dont il attendait un enfant. Fatigué de ses reproches continuels, il l’abandonna pour épou­ ser une autre fille, Manuela. La première femme, se refusant à accepter la séparation, ne cessait de poursuivre le malheureux couple de scs récriminations. Manuela et son mari décidèrent de s’empoisonner pour échapper à l’emprise de l’épouse irritée. Une nuit ils mangèrent de la sacliasandia. Le jeune ménage vivant chez des parents éloignés, ce fut un enfant qui, les trouvant presque inconscients le lendemain matin, s’en fut avertir le médecin. Ils furent sauvés, mais quand ils reprirent leurs sens ils luttèrent contre le médecin qui les soignait et les empêchait de mourir. Il fallut le concours de plusieurs personnes pour les maîtriser et les forcer à se purger l’esto­ mac. Longtemps après leur tentative de suicide, Manuel et Manuela demeurèrent dans un état de grande dépression. Peu après ces événements, la première femme de Manuel mit au monde un enfant qu’elle essaya de tuer. Les femmes de sa parenté lui enlevèrent le bébé et l’apportèrent au missionnaire. Celui-ci ht venir la mère et promit de lui donner une pièce de tissus et du maïs si elle consentait à allaiter le nouveau-né. La femme hésita, puis, cédant à la tentation, donna le sein à l’en­ fant qui, dès lors, était sauvé, car une femme mataco ne tue jamais l’enfant qu’elle a allaité. Sixième cas. Ipalsi, orpheline d’environ dix-sept ans, n’avait d’autre parent dans le village qu'une grand-mère « classificatoire ». Elle ne s'accordait guère avec son mari (âgé d’environ vingt-cinq ans) et s’empoisonna un jour avec de la sacliasandia. Sa « grand- mère » s’en aperçut à temps et ht chercher le médecin. Quand il arriva, il trouva la jeune femme encore consciente, mais déjà très affaiblie, qui pleurait de façon hystérique, entourée de quelques femmes assez indifférentes. Le mari affectait de ne prêter aucune attention à ce qui se passait. Quand elle fut guérie, Ipatsi le quitta, bien qu’elle eût un enfant de lui. Septième cas. Berlic, un garçon de quatorze ans, absorba de la sachasandia trois fois dans la même semaine et fut sauvé chaque fois par le missionnaire qui explique ainsi la tentative de suicide : Tercsa, dont nous avons déjà parlé, avait eu des visées sur lui bien qu’elle lui fût apparentée. Le père du garçon, favorable à cette union, encourageait la jeune fille en dépit du peu d’enthou­ siasme de son fils qui prétendait être trop jeune pour se marier. Ils exercèrent tous deux une telle pression sur le garçon que, selon ses propres termes, il n’en dormait plus la nuit. De guerre lasse, il résolut de se tuer et absorba de la sachasandia. Ici encore, l’intervention rapide du médecin alerté par la sieur aînée du jeune homme réussit à empêcher la mort. Son état ne suscita pas la moindre sympathie de la part de ses proches. Le père mourut peu après et Bertie ne fut point obligé d’épou­ ser la fille qu’on voulait lui imposer. Huitième cas. La victime de ce drame fut un jeune et joyeux adolescent de seize ans, fort aimé dans le village. A la suite de querelles conjugales, il sc tua en s’empoisonnant. Neuvième cas. Martin, un garçon de quinze ans, était l’aide-cuisinier de la mission. Beu de temps après son mariage, son humeur, de gaie, devint sombre et inquiète. On apprit qu’il n’aimait pas la fille qu’il avait épousée, mais que ceile-ci, violente et décidée, se refusait à la séparation. De plus en plus déprimé et malheureux, Martin finit par confier ses difficultés au missionnaire qui lui conseilla le divorce. Martin promit d’affronter sa femme, mais n’en resta pas moins avec elle. Il expliqua au docteur de la mission dont il avait fait son confident que, quand il s’apprêtait à lui demander de partir, « il devenait faible de la tête aux pieds et ne pouvait ouvrir la bouche ». Il ajouta même : « Je deviens si faible que je couche avec elle. » Les disputes se poursuivaient et les choses allèrent de mal en pis. Martin, qui jouissait de toute la confiance du mission­ naire, commit alors un délit jugé très grave dans la région. En compagnie de son frère, il abattit une vache appartenant à un colon argentin. La mission en fut avertie et Martin, n’osant faire face à la réprimande du missionnaire, s’enfuit dans la brousse où il mangea de la sachasandia. Le médecin, qui avait pressenti son geste, s’était mis à sa recherche. Il le trouva juste à temps pour lui sauver la vie en le contraignant à subir le trai­ tement d’usage en de tels cas. Trois jours plus tard, au cours d’une dispute, le propre frère de Martin le frappa au visage. Humilié et furieux de cet outrage, Martin s’en fut de nouveau dans la brousse où il remangea de la sachasandia et retourna à la mission comme si de rien n’était. On remarqua cependant ses yeux enflés et son air déprimé. Martin prit la main du missionnaire, lui dit au revoir en soupirant profondément et alla se coucher dans sa hutte où il mourut au cours de la nuit. Quelques jours avant son suicide, il s’était remarié avec une jeune fille de quatorze ans. Celle-ci avait remarqué que son mari était en danger et avait demandé à son beau-père d’appe­ ler d’urgence le médecin de la mission. Le vieil homme refusa de se déranger. Quand la mère, devant les progrès du mal, se décida à chercher du secours, il était trop tard. Elle posa la tête de son fils sur ses genoux et entonna aussitôt les lamenta­ tions funéraires entrecoupées de « Mon fils, mon fils... ». Les autres femmes de la maisonnée joignirent leurs pleurs aux siens. Le père, qui n’avait jusque-là exprimé aucune émotion, s’empara de son tambour et en battit toute la journée. Le lendemain, à l’aube, la mère de Martin, un hochet à la main, parcourut les rues du village en chantant une mélopée funèbre. Elle était suivie d’une longue ligne de pleureuses avan­ çant à petits pas saccadés. Ce cortège visita tous les lieux où Martin, de son vivant, avait l’habitude de se rendre, afin de « chasser l’esprit du mort qui cherchait à revenir ». Quant à la jeune fille que Martin avait épousée après son divorce, elle fut enfermée derrière une barrière, dans un coin obscur de la hutte. Sa belle-mère lui apportait en cachette des aliments et veillait à ce qu’elle ne sortît qu’à la tombée de la nuit. Sans ces précautions, expliquait-elle, l’âme de Martin serait revenue en quête de sa femme et aurait hanté la maison, ce qu’il fallait, à tout prix, éviter. La vieille mère de Martin avait été profondément affectée par son suicide. Pendant plusieurs jours, elle conduisit la danse matinale des femmes et ne cessa de se lamenter. Finalement, à l’insu de tous, elle s’empoisonna. Sa famille, que son air las et déprimé avait frappé, s’inquiéta de son état, bien qu’elle ne présentât aucun des symptômes d’empoisonnement. Un de ses iLis s'en alla quérir le médecin. Dès qu’elle le vit, elle nia avec véhémence avoir absorbé de la sachasamlia. Les dénégations de la vieille étaient si convaincantes que le médecin hésitait à lui administrer un émétique. Il s'y résolut néanmoins par acquit de conscience. La femme refusa de le prendre; déployant une force singulière, elle repoussa tous ceux qui s’approchaient d'elle. Ce ne fut qu’après une longue lutte que les gens de sa famille réussirent à la maîtriser et. à la contraindre d’absorber le vomitif. Elle rendit une grande quantité de sachasnndia qu’elle avait dû manger au petit matin quand tout le monde dormait, profondément. Si son fils ne s’était pas alarmé, sa mort eût été certaine. Le médecin observa que son mari, qui pourtant lui témoignait de l’affection, paraissait indifférent au drame et n’aurait, de toute évidence, rien tenté pour la sauver. En plus des informations concernant des cas spécifiques, j’ai pu recueillir des renseignements d’ordre plus général sur les suicides par absorption de sachasandia. Les symptômes cli­ niques de l’empoisonnement seraient ainsi les suivants : convul­ sions, écume à la bouche et finalement coma. Les battements du cœur deviennent irréguliers, avec de courtes interruptions et des renouveaux d’activité. Les muscles de la gorge sont frap­ pés de paralysie et le malade émet des sons étranglés. Quand la paralysie s’est déclarée, il n’est plus possible d’administrer un émétique par voie buccale. La dernière phase de l’agonie est caractérisée par des soubresauts de tout le corps et par des conlractions saccadées. Une forte diarrhée complète le tableau clinique de ces symptômes. Les malades sauvés par un traitement médical rapide (piqûre de morphine et émétique) décrivent leurs malaises comme suit : à une profonde dépression succèdent rapidement des vertiges qui vont en s’intensifiant « comme si le monde se renversait », les contraignant bientôt à se coucher. De l’aveu même des Indiens, les déceptions amoureuses seraient responsables de la plupart des suicides. Ces derniers seraient particulièrement fréquents lors des danses nocturnes au cours desquelles les jeunes filles choisissent leurs amants. Il suffit parfois d’une seule tentative pour déclencher une véri­ table épidémie. Les victimes n’ont pas toujours de raison bien particulière pour vouloir quitter la vie. Elles se disent mues par une impulsion irrésistible, une sorte de fascination mysté­ rieuse que la sachasandia exerce sur elles. En proie à cette obsession, les Indiens prétendent ne pouvoir distraire leur attention de ce fruit dangereux qu’ils voient partout autour d’eux en brousse. Il est même arrivé que les enfants, à l’école missionnaire, aient tenté de s’empoisonner si le maître les réprimandait, f.e cas était si fréquent que l’on veillait à ne pas punir les petits élèves à l’époque où les sachasandias sont murs, lorsque ces fruits sont particulièrement nocifs. Il est à noter que les tentatives de suicide revêtent facile­ ment un caractère ostentatoire, d’autant plus marqué que ceux qui attentent ù leurs jours) ont, au fond, moins l’intention de mourir. Alors que ceux qui veulent réellement se suicider mangent les fruits de la sachasandia en cachette et ne font part à personne de leurs intentions, ceux qui, consciemment ou non, ne souhaitent pas pousser leur geste jusqu’à ses conséquences fatales, se vantent publiquement de leur résolution et n’opposent qu’une faible résistance aux soins qui leur sont donnés. Le suicide a aussi ses simulateurs qui imitent parfaitement les symptômes de l’empoisonnement. Ils semblent prendre plai­ sir à mettre le village en émoi, car dès qu’une tentative de sui­ cide est signalée, petits et grands se pressent autour de la Initie du malade qui, du coup, devient le centre de la sollicitude anxieuse de ses parents et le point de mire de tonte la commu­ nauté. Le caractère agressif du suicide est patent. Kn étalant les causes de son ressentiment, en exposant à la censure publique la personne contre laquelle on nourrit des griefs (souvent un conjoint), ne lui inflige-t-on pas une sorte de châtiment? Comme on peut conclure des cas mentionnés ici, ce sont sur­ tout les jeunes qui cherchent à se suicider. Faute de statistiques, on ne saurait dire lesquels, des hommes ou des femmes, étaient plus enclins à se tuer, mais les missionnaires m’ont assuré que la proportion est à peu près égale entre les deux sexes, avec, toutefois, une légère majorité féminine. Il serait intéressant de savoir si autrefois, avant qu’ils aient été exposés au contact des Blancs, le suicide était aussi fréquent chez les Indiens ou si, au contraire, le nombre de cas a augmenté depuis l’époque où ils ont accepté de vivre sous Je contrôle des missionnaires. La réponse à une telle question est malaisée aujourd’hui; il n’existe pas un seul groupe de cette tribu ayant réussi à maintenir son genre de vie primitif. Les Mataco qui ne sont pas cantonnés dans les missions mènent une existence humiliée et misérable dans le voisinage des villes et des villages du Chaeo argentin. Les missionnaires qui connurent les Mataco de jadis m’ont affirmé que la tentation du suicide était une des caractéristiques de leur culture et, ajoutaient-ils, une « des plus abominables ». Il semblerait, en effet, que cetle vague de sui­ cides ait été plus forte au moment où les premiers missionnaires anglais arrivèrent dans la région. Un des missionnaires de la première heure écrit que « jadis, lorsque les Indiens dansaient le soir, il pouvait y avoir le môme jour, plus de douze suicides, si bien que je passais des nuits entières à m’occuper des vie- limes. Ces suicides étaient si fréquents et tant d’années se sont écoulées depuis ce temps que je ne puis me souvenir des détails ». Tous les missionnaires interrogés établissent un rapport de causalité entre les danses nocturnes et les suicides. Ces danses ont lieu pendant l’été, dans la joie de la cueillette des caroubes et d’autres fruits (prosopis algarrubo). La vie sexuelle des Indiens est étroitement associée à ces danses. Les tilles ne Ientent pas seulement de séduire les jeunes célibataires mais souvent aussi les hommes mariés. Les scènes de jalousie et les querelles qui en résultent sont envenimées encore par l’inter­ vention des belles-mères. 11 sullit qu’un Indien mange de la sachasandia dans un accès de rage ou de désespoir pour que son exemple soit suivi par d’autres. Les missionnaires anglais, dont le puritanisme est souvent excessif, justifient l'interdiction faite à leurs ouailles de danser les nuits de pleine lune par le prétexte que ce divertissement provoque indirectement les suicides. A force de dénoncer la perversité des danses, ils ont fini par faire condamner jusqu’à de fort innocentes et charmantes rondes enfantines. Je dois cependant préciser que ce ne sont pas les missionnaires qui empêchent les enfants de sautiller en chantant, mais les Indiens eux-mêmes qui, par excès de zèle, se sont persuadés que toute danse est une abomination. Ni les Toba ni les Chunpi, voisins des Mataco, et participant au même type de culture, ne semblent avoir été affectés par ces épidémies de suicides. Du moins, mes enquêtes sur ce point ont été négatives. Comment expliquer ce phénomène social dont le caractère pathologique est indéniable? Est-il une conséquence de la vie en mission et de la discipline imposée aux Indiens? S’ils ont accepté si volontiers de renoncer à leur genre de vie traditionnel et à leur liberté pour se convertir au protestantisme, c’est parce que les colons argentins, de plus en plus nombreux, s’éta­ blissent sur leur territoire, les dépossédant, les brimant et même les massacrant. Non seulement ces semi-nomades ne peuvent plus se livrer, comme par le passé, à la collecte des fruits de la forêt, à la pêche ou à la chasse, mais encore ils sont constam­ ment dépouillés de leurs biens. Si, affamés, ils tuent une pièce de bétail appartenant à un colon argentin, des « commissions »

See more

The list of books you might like

Most books are stored in the elastic cloud where traffic is expensive. For this reason, we have a limit on daily download.