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Lettre à Luc Ferry sur la liberté des universités PDF

247 Pages·2004·3.442 MB·French
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LETTRE à LUC FERRY sur LA LIBERTÉ DES UNIVERSITÉS MICHEL LETER LETTRE a' LUC FERRY sur LA LIBERTÉ DES UNIVERSITÉS PARIS LES BELLES LETTRES 2004 Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous les pays © 2004, Société d'édition Les Belles Lettres 95, bd Raspail75006 Paris. www.lesbelleslettres .corn ISBN: 2-251-44256-I Envoi Peut-on moderniser les universités sans les libérer? Si le philosophe a déjà triomphé de l'aporie, le ministre tarde à trouver l'issue. Comment vous en blâmer? N'êtes-vous pas l'auteur d'un« projet de loi sur l'autonomie des uni versités » ? N'avez-vous pas fait preuve de souplesse en acceptant de l'amender, de le rebaptiser« projet de loi sur la modernisation des universités » et, finalement, de le retirer? Un ministre de 1' Éducation nationale ne renonce jamais avant d'être remercié et au terme du débat national qui doit déboucher, cet automne, sur une nouvelle loi d'orien tation, il est à craindre que vous ne succombiez une fois de plus à ce que Louis Wolowski appelait la « passion des réformes 1 ». J'ignore combien d'enseignants ont répondu à votre lettre. Nous savons combien se sont mis en grève après l'avoir reçue. Ma réponse ne vous apprendra rien. Elle n'a pour modeste ambition que de vous distraire un instant des 1. L. Wolowski, préface à la traduction des Principes d'économie politique, de Roscher, Paris, Guillaumin, 1857, t. 1, p. XIV. 8 LETTRE À LUC FERRY SUR LA LIBERTÉ DES UNIVERSITÉS contingences de la politique actuelle, en proposant à votre attention l'histoire d'une idée qui a permis l'essor du haut enseignement. Or, la liberté - à qui les universités doivent leur exis tence même- apparaît aujourd'hui à nombre d'étudiants sortis de nos lycées comme une menace pesant sur leur avenir. Le monopole, condamné dans d'autres secteurs, aurait pour les universités des vertus insoupçonnées ailleurs. Le monde sait pourtant que la liberté, qui crée les richesses pour tous, est du côté de 1' intérêt général alors que le monopole, qui organise la rareté au profit des seuls producteurs, appauvrit et ne sert que les intérêts privés. Mais la France fait la sourde oreille. Elle reste sur le senti ment confus que la liberté des universités fut le cheval de bataille de l'Église et que la loi du 12 juillet 1875 sur la liberté de 1' enseignement supérieur n'a pas institué une liberté pour tous mais a rétabli un privilège pour certains. Nos étudiants ont oublié que la liberté de l'enseignement est un droit imprescriptible conquis sous la Révolution, né de l'abolition des corporations, de la libération du travail, et reconnu par les constitutions républicaines de 1' an III et de 1848. Pour les fonctionnaires les mieux informés de votre ministère, la question de la liberté de l'enseignement a déjà été réglée au dix-neuvième siècle dans tous ces degrés, pri maire, secondaire et supérieur. La liberté des universités est donc une affaire entendue.« Personne, assure Alain Renaut, dans les États de type démocratique ne met en cause cette liberté ni ne conteste ce droit 2 » Puisque « 1' État de type • démocratique» correspond bien, sauf erreur, à la France, il n'y a donc pas lieu d'inscrire la question de la liberté des 2. A. Renaut, Que faire des universités ?, Paris, Bayard, 2002, p. 10. ENVOI 9 universités à l'ordre du jour du débat national sur l'avenir de notre système éducatif ni a fortiori de faire figurer ce point dans un projet de modernisation des universités. Certes, nous disposons de nombreux instituts, facultés et école libres d'enseignement supérieur. L'enseignement supérieur commercial, notamment, est essentiellement le fruit de l'initiative privée et le principe de la liberté est bien inscrit dans la loi du 12 juillet 1875 dont l'article pre mier proclame solennellement que « 1' enseignement supé rieur est libre 3 ». Mais alors pourquoi les Français n'exercent-ils pas ce droit dans sa plénitude ? Qu'est-ce qui peut bien brider leurs initiatives ? Pourquoi ne voyons nous pas fleurir, comme à l'étranger, des universités libres sur notre sol ? La réponse- abrupte- est dans le code de l'éducation. Nous l'ouvrons à l'article L.731-14 qui stipule que: «Les établissements d'enseignement supérieur privés ne peuvent en aucun cas prendre le titre d'universités. Les cer tificats d'études qu'on y juge à propos de décerner aux élèves ne peuvent porter les titres de baccalauréat, de licence ou de doctorat. Le fait, pour le responsable d'un établissement de donner à celui-ci le titre d'université ou de faire décerner des certifi cats portant le titre de baccalauréat, de licence ou de docto rat, est puni de 30000 euros d'amende.» Nous aboutissons donc, en France, à cet ahurissant paradoxe que l'enseignement supérieur est libre... mais pas les universités ! 3. A. de Beauchamp, Recueil des lois et règlements sur l'enseigne ment supérieur, tome III, Paris, Delalain, 1884, p. 12. 10 LETTRE À LUC FERRY SUR LA LIBERTÉ DES UNIVERSITÉS Dans le pays qui aime à se présenter au monde comme celui des droits de l'homme, la fondation d'une université est donc un acte criminel passible d'amende. Le lecteur croira au canular, 1' érudit même demandera des preuves. Toujours est-il que cette nouvelle incroyable, cet ana chronisme inouï ne semble pas troubler le sommeil du législateur. Candide, s'il nous revenait d'Amérique (bardé de diplômes), jugerait pourtant que le premier acte de tout ministre de l'Éducation (et a fortiori s'il est aussi soucieux que vous de 1' avenir des universités) serait de sortir le pays de cette situation ubuesque. Mais notre pays est dirigé par des énarques et des normaliens. Il nous faut donc convaincre. Vous jugez dans votre Lettre à tous ceux qui aiment l'école que pour relever les défis du monde actuel « il faut que notre enseignement supérieur devienne plus efficace et performant ». Et pour ce faire, il vous paraît « nécessaire de donner plus d'espace de liberté et de responsabilité, en bref plus d'autonomie à nos universités, comme elles en ont d'ailleurs dans la plupart des pays de l'Union européenne4 ». On ne peut que saluer cette résolution. Mais la liberté des universités n'est pas chez nos voisins un « espace » qui serait toléré au creux d'un monopole. C'est un droit consi déré comme aussi essentiel à la démocratie que la liberté d'expression. Comment justifier aujourd'hui de refuser aux Français ce qui est accordé aux autres citoyens de l'Union européenne? Les Français seraient-ils civiquement moins majeurs que les autres pour qu'on les prive encore de cette liberté, et « 1' exception culturelle », sous laquelle 4. L. Ferry, Lettre à tous ceux qui aiment l'école, Paris, Odile Jacob/ CNDP, 2003, p. 114-115.

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