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Les tribulations d'une chamane à Paris PDF

174 Pages·2008·0.39 MB·french
by  Sombrun
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CORINE SOMBRUN À la suite du décès d’un proche, Corine Sombrun, ethno- musicienne, pianiste et compositeur d’origine française, décide de suivre l’enseignement d’un chaman péruvien, et retrace cette aventure dans le récit Journal d’une apprentie chamane (Albin Michel, 2002). Elle fait de son voyage au Pérou un reportage pour la BBC qui connaît un très grand succès lors de sa diffusion. La grande chaîne d’information britannique lui commande ensuite un documentaire sur les chamanes de Mongolie. Elle publie la suite de ses aventures chez Albin Michel : Mon initiation chez les chamanes : une Parisienne en Mongolie (2004) et Les tribulations d’une chamane à Paris... (2007). Son dernier ouvrage, écrit en collaboration avec le descendant du grand chef apache, Sur les pas de Geronimo, est paru en 2008. Corine Sombrun vit désormais à Paris. CORINE SOMBRUN LES TRIBULATIONS D’UNE CHAMANE À PARIS Albin Michel L’être humain perd sa santé à gagner de [l’argent et perd son argent à se refaire une santé. Il pense au futur, au point d’oublier le [présent, de sorte qu’il ne vit ni dans le présent, [ni dans le futur. Finalement, il vit comme s’il n’allait [jamais mourir et il meurt comme s’il n’avait jamais [vécu. Confucius I Le tambour Dans la cabine du Tupolev d’Aeroflot, je confie à une hôtesse mon tambour de chamane. Elle râle. Mais il est bien trop grand pour entrer dans les casiers à bagages. Elle finit par lui trouver une place en première classe. Derrière une rangée de fauteuils. Je regarde le visage du passager assis devant lui. Je regarde les autres. Je flippe. Comment réagiraient ces hommes d’affaires, costume-cravate et ordinateur posé sur leur tablette, si je leur disais là, comme ça : « Je suis chamane, grâce à ce tambour je me transforme en loup ! » En rejoignant la classe touriste, place n° 23A, près du hublot, je réalise pour la première fois depuis mon départ d’Oulan-Bator que le minuscule siège dans lequel je vais installer mes heureusement- petites-fesses va me ramener tout droit dans l’univers occidental. Je vais devoir en affronter les doutes, la logique, l’implacable sentiment de détenir la vérité. Mais je n’ai plus le choix. Comme on saute à l’élastique, l’enseignement que je viens de recevoir m’a fait lâcher le cadre de cet univers habituel pour plonger dans l’inconnu. Ce saut, je le ressens déjà, a provoqué dans mon cerveau une sensation irréversible avec laquelle je vais devoir vivre. Sans savoir comment elle va me transformer... Derrière le hublot la piste défile déjà. Décollage immédiat. Je ferme les yeux pour mieux apprécier la sensation de vitesse, de puissance que l’avion produit pour s’arracher à la terre. Me faudra-t-il autant d’énergie pour m’arracher à mon ancienne vie ? Le chamanisme va sans doute m’entraîner sur des chemins qu’il n’est peut-être pas confortable de découvrir. La steppe mongole s’éloigne. L’altitude lui donne l’allure d’un immense tapis beige. Petit signe de main. Juste un au revoir à ma nouvelle famille. Enkhetuya, Doudgi, Badmaa. Grâce à vous j’ai découvert un monde où le cœur n’est pas trahi par la raison. Je sens des larmes grimper dans mes yeux. Je sursaute. Something to drink ? hurle l’hôtesse russe que j’oblige visiblement à répéter. No, thank you ! Désagréable, celle-là. Je gonfle mon petit coussin pour le cou. Ça a l’air d’amuser la dame mongole assise contre moi. Échange de sourires. « Vous allez à Moscou ? » Affirmatif. Huit heures de vol encore. L’avion ronronne doucement. J’installe ma tête contre le hublot. Bientôt le soleil n’en finira plus de se coucher. Et moi de passer les épreuves de ma nouvelle vie de chamane. La première étant de clore le passé. D’inscrire son épilogue. Jamais eu le courage de faire ce geste. Le numéro un. Pour enfin libérer tous les autres gestes de ce parcours chamanique. Geste n° 1 Pigalle, sixième étage, six heures du matin, accoudée à la fenêtre de ma chambre, grande ouverte, j’écoute la musique de la pluie sur les toits de Paris. Novembre. Le mois du gris. Les gouttes font une musique différente en fonction de la surface sur laquelle elles se posent. Le zinc, les tuiles, les pavés de la rue des Martyrs, la bâche rose de Chez Michou, Irène et Lola, les travestis sur le trottoir d’en face. Tous des musiciens de l’orchestre urbain. Sourire. J’avance ma main droite sous la pluie. J’écoute. Je la tourne un peu. J’accorde. Voilà. La symphonie est bien plus jolie comme ça. Avec cette nouvelle mélodie de la pluie sur ma paume face au ciel. Avant, tu avançais ta main avec moi. On jouait ensemble à composer la musique de cette ville. Aujourd’hui tu es en cendres. Là. Dans ce petit bocal en plastique bleuté posé à côté de moi. Un bocal à cumin. Tu adorais cette odeur. J’ai pensé que tu aimerais y reposer tes cendres. Je le prends. J’enlève son couvercle. Tu entends comme c’est beau ? Chaque ville. Chaque lieu a sa musique. Absolument aléatoire. Imprévisible. Comme la musique que je rêve de composer. Belle parce qu’elle ne se compose pas par la pensée, mais au gré d’un ensemble de mouvements non conscients de la composer. Émouvante parce qu’elle est l’essence du vivant. La preuve de la réalité de cette vie. Quel est le son de la mort ? Le son de tes cendres ? J’inspire. Je regarde ton bocal dans mes mains. Transparent pour te voir. Je t’ai tellement cherché depuis trois ans. De l’Amazonie à la Mongolie, comme un chien, j’ai reniflé et trimballé ce kilo de cendres pour retrouver ta piste dans l’invisible. J’ai consulté des chamanes, j’ai vécu avec eux. Dans la jungle. Dans la steppe. J’ai avalé des psychotropes, j’ai rencontré mes peurs, j’ai vomi la douleur, exploré ce que ma raison me poussait à ignorer. Et fait la funambule sur le seul fil qui me protégeait encore de la folie. Mais je n’ai rien trouvé. Sinon moi. Un éclat de rire sort de ma gorge. Il y a trois ans, Enkhetuya, une chamane mongole, m’annonçait que j’étais chamane : « Désignée par les esprits. » J’ai tout de suite pensé que c’était toi qui m’avais désignée. Toi l’esprit. Pour m’obliger à nous rapprocher. Ta dernière blague ? J’ai dû passer deux ans à la frontière de la Sibérie pour suivre son enseignement. C’est drôle de réaliser qu’en suivant ton chemin j’ai juste découvert le mien. Je mets ton bocal ouvert sous la pluie. Je ne pleure pas. Non. Ton souvenir ne me fait plus mal. Il me remplit de force. Et je suis prête. Maintenant. À te rendre la joie de participer encore un peu à cette symphonie de la vie. Je renverse le bocal. Tes cendres s’envolent. J’écoute ta nouvelle mélodie. Tellement silencieuse. Un pigeon la traverse. Des cendres s’accrochent à ses plumes. Voilà. Il est gris maintenant. Mes yeux se remplissent de larmes. Il ne sait pas pourquoi il a changé de couleur. Le pigeon. Moi je sais. Mon nez coule. Je renifle. C’est peut-être ça le destin. Juste la conséquence d’un geste dans un bout de ciel. Un geste dont on ignore tout, mais à cause duquel soudain des mélodies se croisent. S’entrechoquent. Fusionnent. Frissonnent. Un souffle glacé remonte le long des toits. Il est temps de fermer la fenêtre. « Tout chagrin a une fin, m’a dit Enkhetuya. Tu dois l’accepter. » Oui. Et accepter de vivre cet épilogue comme l’annonce d’un prologue. Ainsi va la vie. Sans début ni fin. Sans fin ni début. Comme un huit. Qu’il ne tient qu’à moi aujourd’hui de regarder de travers pour le voir de nouveau se transformer en infini. Geste n° 2 12 décembre. « Bip-bip-bip, sur France Inter il est huit heures. Les informations, Dominique Delaroa... » Ma couette à fleurs jaunes s’anime. « Un sous-marin britannique pourrait-il... » J’ouvre un œil. « ... être à l’origine du naufrage du... » Je le referme. Je tire la couette sur ma tête. « ... La Royal Navy... » Décharge d’adrénaline. Où je suis ? « ... n’a pas bougé ce jour-là... » J’ouvre les deux yeux. Ah oui ! Paris. Je sors la tête de la couette. « Quatre-vingts... » Paf. Mon bras a envoyé une claque au radio-réveil. Silence. J’ai besoin de silence pour me lamenter sur mon sort. Combien de temps ? Je fixe les chiffres rouges et carrés de l’heure. 08 : 03. Les deux points au centre clignotent, marquant inexorablement le compte à rebours du temps. Un battement par seconde. Soixante par minute. À ce rythme il me reste trois cents clignotements. Cinq minutes. Pas une de plus. Pour proférer mes plaintes. Et ainsi accomplir le premier exercice de mes journées parisiennes. Je bâille. Je m’étire. Quatre, trois, deux, un, zéro, à haute voix... J’ai l’impression d’être une fausse note, l’air parisien sent mauvais, il fait gris, froid, ma place n’est pas ici, ni à Londres où j’habitais encore il y a quatre mois, elle est là-bas. Dans le reflet du ciel sur le lac Kövsgöl en Mongolie. Dans le crépitement du feu du tipi. Dans la symphonie des étoiles, la nuit. Rire des clowneries d’Enkhetuya me manque. Traire les rennes aussi. Je mets mon nez dans l’oreiller pour y enfouir mon désarroi d’être entre deux mondes. Là-bas à rêver d’ici et ici à rêver de là-bas. Je suis ailleurs partout. Et la seule personne qui m’a donné l’envie d’être bien partout. Toi. Tu t’es cassé ailleurs. Soupir. Pour couronner le tout, je souffre du regard des autres. Re-soupir. J’ai pourtant toujours voulu être différente, mais aujourd’hui je n’aime plus ma différence. Elle suscite des réactions auxquelles je ne m’attendais pas. De la peur, souvent. Due à une certaine incompréhension. Mais aussi de la suspicion. Ou de la compassion

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