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Les théories de la république PDF

130 Pages·2015·2.575 MB·French
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Serge Audier Les théories de la république NOUVELLE ÉDITION t.a Découverte 9 bis, rue Abel-Hovelacque 75013 Paris Remerciements. Je remercie Pascal Combemale et Philippe Chanial pour leur relecture attentive et leurs conseils. Il va de soi que je suis seul respon sable des choix et des imperfections qui demeurent. Merci aussi à Alain Boyer, ainsi qu'à Stéphane Chauvier, qui m'ont associé à leur recherche lors d'un colloque pionnier, organisé à l'université de Caen en 1998, autour du renouveau républicain contemporain. Ce livre a été voulu et suivi, dès l'origine, par Jean-Paul Piriou. Sans son soutien et ses encouragements, il n'aurait pas existé. Je le dédie à sa mémoire. Si vous désirez être tenu régulièrement informé des parutions de la collection «Repères», il vous suffit de vous abonner gratuitement à notre lettre d'information mensuelle par courriel, à partir de notre site http:// www.collectlonreperes.com, où vous retrouverez l'ensemble de notre catalogue. ISBN : 978-2-7071-7850-3 1?'1\ DANGER Ce logo a pour objet d'alerter le lecteur sur la menace que repré- u sente pour l'avenir du livre, tout particulièrement dans le ~PK:~ domaine des sciences humaines et sociales, le développement massif du photocopillage. Nous rappelons donc qu'en applica tion des articles L. 122-10 à L. 122-12 du code de la propriété intellectuelle, toute photocopie à usage collectif, intégrale ou partielle, du présent ouvrage est interdite sans autorisation du Centre français d'exploitation du droit de copie (CFC, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris). Toute autre forme de reproduction, intégrale ou partielle, est également interdite sans autorisation de l'éditeur. © Éditions La Découverte, Paris, 2004, 2015. Introduction : le retour du républicanisme Une des mutations intellectuelles des dernières décennies du xx• siècle aura été le retour de l'idée républicaine. Si elle n'a jamais déserté le vocabulaire politique, elle avait rarement fait l'objet d'investigations philosophiques rigoureuses depuis le début du siècle. Dans les travaux anglophones, le républica nisme était en partie oublié, au point d'être absent des diction naires de philosophie politique. En France, bien que le discours républicain ait perduré, l'effort de conceptualisation est tombé en sommeil. Les raisons de cet effacement sont complexes. L'une d'elles tient à la montée des critiques socialistes et surtout marxistes du libéralisme, reléguant dans l'ombre la référence républicaine. Le poids de la science politique, des sciences sociales ou de certains courants philosophiques - de Michel Foucault au « postmodernisme » - a aussi contribué à recou vrir une tradition politique perçue comme dépassée. En effet, le républicanisme semble peu scientifique et très ancien, nous ramenant à l'Antiquité avec ses valeurs centrales du bien commun, de la vertu civique et du règne des lois. Cependant, le regain d'intérêt pour le républicanisme a été préparé de longue date, sous des modalités diverses, au cours du xx• siècle. Une esquisse historiographique est déjà instruc tive quant aux usages et traditions politiques hétérogènes qui ont mobilisé l'héritage républicain. Dans le champ académique anglophone, le retour du républicanisme a été précédé d'investi gations sur l'« humanisme civique » de la Renaissance. Un rôle clé revient ici à Hans Baron (1900-1988). Ce grand historien alle mand, puis américain, de la Renaissance et des idées républi caines était aussi un intellectuel juif soucieux de la fragilité de la 4 lES THÉORIES DE LA RÉPUBLIQUE République de Weimar et bouleversé par l'arrivée d'Hitler au pouvoir. Son travail prend le contre-pied de celui de l'historien jacob Burckhardt qui avait centré son analyse de la Renaissance sur l'individualisme. Baron insiste, lui, sur la culture civique des petites cités républicaines et sur la combinaison entre forma tion classique et nouvelle mentalité bourgeoise des milieux marchands de Florence. Dès les années 1920, il parle d'« huma nisme civique » (plus précisément, de Bürgerhumanismus) pour définir sa vision du républicanisme et il persistera après son exil américain [Baron, 1955, 1988]*, exerçant une influence considé rable dans les milieux intellectuels. Cette exhumation du répu blicanisme sera bientôt enrichie des travaux sur la tradition anglaise du xvne siècle de Zera Fink [1945] et Carolyn Robbins [1959]. Les recherches sur la République de Venise par les Américains Frederic C. Lane et William j. Bouwsma apportent aussi, dès les années 1960-1970, un nouvel éclairage à ces problématiques. Mais ce sont surtout les investigations consacrées à la tradi tion politique et aux sources de la Révolution américaine qui réactivent la référence au républicanisme : les historiens Bernard Baylin [1967] et Gordon Wood [1969], chacun à leur façon, combattent la conviction selon laquelle les idéaux américains procéderaient seulement d'une culture des droits naturels propre au libéralisme de John Locke. Autour des thèmes de la vertu, de la corruption et du bien commun, un républicanisme venu d'Angleterre et d'Europe aurait inspiré les révolutionnaires américains. Les enjeux théoriques et politiques de ce « révision nisme républicain» trouvent une expression saisissante avec la fresque controversée de john Pocock (né en 1924), Le Moment machiavélien, paru en 1975 :dans sa quête d'un langage républi cain remontant à Aristote et à l'idéal de l'homme comme «animal politique», l'historien veut reconstruire un récit alter natif au paradigme libéral, en focalisant son approche interna tionale - de la Renaissance aux États-Unis en passant par l'Angleterre - autour des idées de vertu et de civisme. Avec Pocock, l'« humanisme civique » se teinte d'une tonalité ant i libérale, au moment même où le débat normatif se diffuse dans le monde anglophone, depuis la publication de la Théorie de la * Les références entre crochets renvoient à la bibliographie en fin d'ouvrage. INTRODUCTION 5 justice de John Rawls en 1971, autour des forces et des limites du libéralisme. Combinée à des enjeux de méthodologie histo rique, cette recherche se reconfigure avec les travaux de l'école de Cambridge et du « néo-républicanisme » - Quentin Skinner, Maurizio Viroli ou Philip Pettit - qui puisent dans le passé une vision républicaine de la liberté alternative au libéralisme. Bien d'autres actualisations du républicanisme seront proposées, de facture tantôt juridique et libérale, tantôt communautaire. En Europe, la redécouverte du républicanisme a emprunté d'autres voies. En France, des historiens soucieux de la chose publique, comme Maurice Aghulon (1926-2014) et surtout le spécialiste de la Rome antique Claude Nicolet (1930-2010), ont marqué ce domaine. Le jeune Nicolet avait été un de ces univer sitaires et intellectuels qui s'étaient engagés dans le Parti radical après l'appel de Pierre Mendès France en 1954. Il participe à l'aventure des Cahiers de la République qui redessine les contours d'une gauche modernisée et ouverte, entre communisme marxiste d'un côté et gaullisme de l'autre, mais aussi à distance des libéraux. Publié dès 1957, son livre de la collection «Que sais-je?», Le Radicalisme, ouvre un champ de recherches qui aboutira à son ouvrage majeur de 1982, L'Idée républicaine en France, qui redécouvre la pensée des républicains de laIne Répu blique. Ici, le républicanisme est indissociable d'une certaine apologie du rôle de l'État, de la rationalité scientifique et de la laïcité. Différents furent les chemins du retour du républicanisme en Italie. La plus grande figure dans ce domaine - peut-être même au plan international - est l'historien Franco Venturi (1914-1994) dont la trajectoire fut marquée par les idéaux répu blicains du socialisme antifasciste et libéral: dès les années 1930, il participe au groupe antifasciste Giustizia e Libertà, puis au Parti d'action (Partito d' Azione), foyer du renouveau démocra tique et républicain de l'Italie. Cet admirateur des Lumières, qui consacra sa thèse à la jeunesse de Diderot, a scruté toute sa vie la façon dont les combats pour la liberté intellectuelle et politique se sont diffusés en Europe. Se méfiant d'une pure histoire des idées, il a insisté sur l'ancrage historique des idéaux républicains, avec les expériences concrètes des Républiques de Gênes ou de Venise, encore au xvm• siècle [Venturi, 1970]. Manière égale ment de relativiser une vision trop centrée sur l'Antiquité, mais aussi sur l'hégémonie révolutionnaire française ... 6 LES THÉORIES DE LA RÉPUBLIQUE L'historiographie du républicanisme invite donc à ne pas privilégier une seule aire géographique et nationale, à ne pas essentialiser hâtivement la République et à prendre conscience qu'il y a plusieurs manières d'en élucider l'histoire et la philo sophie pour en dégager d'éventuelles leçons politiques. Suivant les avertissements de Venturi, on restituera ici les grandes étapes du républicanisme en évitant de céder à une histoire trop linéaire- celle de Pocock ou de l'école de Cambridge- qui fixerait les traits d'un républicanisme pérenne depuis Athènes et Rome jusqu'à nos jours, traversant l'histoire avec une relative permanence. On évitera ici de gommer les éléments attestant la diversité, les débats et les discontinuités de cette tradition. Notre détour historique - de l'Antiquité à la Renaissance (chapitre I), puis du républicanisme britannique jusqu'aux révo lutions française et américaine (chapitre II), et, enfin, au xix• siècle (chapitre m) - repérera certaines des mutations de l'« idée républicaine ». Un examen qui s'impose d'autant plus que les philosophes contemporains du républicanisme mobili sent cette tradition pour définir leur position comme une alter native au libéralisme. On se demandera s'ils y sont parvenus, en dégageant les enjeux du débat sur l'actualité de ce para digme (chapitre IV). Si le républicanisme a pour spécificité une conception de la politique qui vise le bien commun ou l'intérêt général, il se décline de façon hétérogène. Sous plusieurs angles - le passage à la modernité politique, le rapport au libéra lisme et aux droits fondamentaux, la manière d'accueillir ou de rejeter la conflictualité -, on peut en faire ressortir la diversité et la complexité. Il s'agit sans doute là d'un préalable indispen sable pour élucider ce que peut signifier, aujourd'hui, une posi tion philosophique et politique qui se dit «républicaine». 1 1 Aux sources du républicanisme : les idéaux antiques et leurs reformulations à la Renaissance Genèse de l'idée de res publica Le mot «république», de l'expression res publica, a un sens complexe, désignant « l'activité publique », « les affaires publiques», « l'intérêt public », « la communauté constituée par le peuple». La res publica, antithèse de res privata, désignait dans le monde romain les biens du domaine public servant aux néces sités et à la vie politique de la cité, mais son sens était bien plus large - juridique, symbolique et politique [Stark, 193 7 ; Poma, 1998; Kharkhordin, 2009; Moatti, 2009]. En un sens, les idées républicaines remontent à l'Antiquité grecque, mais « res publica » n'y a pas de strict équivalent. Quand les Romains traduisent en grec «res pub/ica», ils usent parfois de l'expression «ta dèmosia pragmata », «les choses du peuple». Un équivalent grec semble être« to koinon »,la« communauté», ou « to koinon agathon», le «bien commun>> [Schofield, 2001]. En tout cas, la genèse de l'idée républicaine est indissociable de la naissance de la politique avec la démocratie athénienne. C'est en effet en Grèce que s'invente une notion de la politique comme domaine spécifique, à partir du clivage entre les affaires communes (to koinon) et ce qui appartient au particulier (to idion), dont le lieu est la famille (oikos). L'idée de république trouve aussi une origine lointaine dans l'idée de liberté (éleutheria), antithèse de la servitude. Aristote : la cité, communauté de citoyens La source philosophique majeure du républicanisme se trouve, davantage que dans la typologie des régimes de Platon, 8 LES THÉORIES DE LA RÉPUBLIQUE chez Aristote (384-322 av. j.-C.), qui anticipe la philosophie de la république en distinguant, dans La Politique (Politika), les régimes qui visent le « bien commun » et ceux qui sont au service du « bien particulier » des gouvernants. Alors qu'Aristote écrit dans une période où la cité grecque (polis) rencontre les monarchies hellénistiques, il voit encore en celle-ci le lieu de réalisation de l'excellence humaine. La cité est une communauté (koinonia) qui se différencie essentiellement des parties que sont la «famille» et le «village». Critiquant Socrate et Platon, Aristote réfute ainsi « ceux qui croient que chef politique (politikos), chef royal (basilikos), chef de famille (oikono mikos) et maître d'esclaves (despotikos) sont une seule et même notion». Ainsi se dessinent deux grands types d'autorité qui seront au centre du républicanisme : celle « despotique », exercée par le maître (le despotes) sur ses esclaves, et celle propre ment« politique)), exercée par le chef qui gouverne (le politikos). La famille, unité de base de la cité, résulte de l'instinct de reproduction et de celui de conservation. Elle inclut le rapport entre maître et esclave (qui est tel par nature), dont l'association vise la satisfaction des besoins quotidiens. Toutefois, la famille ne se suffit pas à elle-même, et implique une communauté plus large, le village. Reste que ni la famille ni le village ne permet tent la réalisation des finalités les plus hautes de l'être humain. Seule la cité, grâce aux lois et aux institutions politiques, permet à chacun de dépasser son égoïsme pour vivre conformément non pas à ce qui est subjectivement bon, mais à ce qui l'est objectivement. Car la cité a pour finalité ultime la réalisation de la« vie bonne)) (eu zèn). Si donc elle apparaît en dernier, la cité est en vérité première. Selon sa philosophie« finaliste))' Aristote considère que la cité accomplit la finalité des autres commu nautés. Elle n'est pas une réalité artificielle-issue d'une conven tion -, mais naturelle et autosuffisante. Et elle est antérieure à l'individu, car ce n'est qu'au sein de l'institution politique que l'homme réalise sa finalité propre. Ainsi s'explique la définition aristotélicienne de l'homme comme « animal politique )) (zôon politikon) : la nature« ne fait rien en vain» et les hommes sont les seuls à posséder la parole, ce qui implique que leur finalité est de mettre en commun leurs idées du juste et de l'injuste. La cité est une communauté de citoyens. Le critère de la citoyen neté n'est pas seulement le fait d'habiter un territoire, ou de pouvoir prendre part à une action juridique, mais la participation AUX SOURCES DU RÉPUBliCANISME 9 aux fd,nctions judiciaires et aux fonctions publiques en général. Certes~ cette définition connaît des variations selon les régimes, et elle !s'adapte particulièrement à la démocratie athénienne. La pratiq"(le de la « rotation des charges » est en effet au centre de cette cbnception de la citoyenneté, en écho aux principes démo cratiqt,les grecs : le citoyen doit être à tour de rôle gouvernant et gouyerné, ce qui nécessite un fort investissement dans la vie publiq(ue. Ainsi sont exclus de la citoyenneté non seulement les esclav~s, les étrangers, les métèques, mais aussi les artisans. Aristote avance dans le livre III de La Politique une typologie qui ndurrira la tradition républicaine. Il y a en effet trois types de « c~nstitutions » - traduction imprécise du mot politeia, correspondant plutôt au terme «régime» - selon que l'auto rité souveraine est entre les mains ou bien d'un seul, ou bien du pe~t nombre, ou bien de la masse des citoyens. Mais, à ce critère! quantitatif (dont Aristote montre ensuite la dimension sociale~ s'ajoute un critère qualitatif, entre constitution« droite» et« déViée». Dans le premier cas, le gouvernement a pour objet l'intérêt commun; dans le second, il ne vise que l'intérêt particulier -qu'ill s'agisse de celui d'un seul, de plusieurs, ou de la masse. Il y a ~insi trois formes « bonnes » de constitutions : la monar chie, 11aristocratie et la politeia (ce qu'on a souvent traduit, en italien~ français ou allemand, par« république», ou« gouverne ment donstitutionnel » comme régime « droit » de la majorité). 1 Et il y ~ aussi trois formes « mauvaises » : la tyrannie, l'oligarchie et la dfmocratie. Les interprètes et traducteurs ont souvent été intrigu~s par le fait qu'Aristote utilise volontairement le même mot, p'pliteia, pour désigner à la fois les diverses constitutions et la constitution « droite » du plus grand nombre. Certains ont jugé priudent de garder le mot grec, tout en précisant qu'il s'agis sait del « l'authentique forme de gouvernement républicain » [Bien, IJ980]. Déjà au temps de la Renaissance italienne, on traduitl parfois politeia chez Aristote par « république ». Aris~ote ne donne certes pas de réponse simple à la question de sav9ir quelle constitution est la meilleure. En tout cas, à condi~on d'être «droite», chacune est, à sa manière, un bon régime~ son objet étant le bien commun et non le bien particu lier de~ gouvernants. S'il se trouve, dans une cité, un homme aux qu~lités extraordinaires pour gouverner, c'est à lui que doit revenit le pouvoir monarchique. De même, si un groupe d'hommes montre des vertus exceptionnelles, le pouvoir

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